9 juin 2022
Cour d'appel de Papeete
RG n° 21/00026

Cabinet D

Texte de la décision

N° 209





GR

-------------



Copie exécutoire

délivrée à :

- Me Bourion,

le 09.06.2022.





Copie authentique délivrée à :

- Me Rousseau-Wiart,

le 09.06.2022.

REPUBLIQUE FRANCAISE



COUR D'APPEL DE PAPEETE



Chambre Commerciale





Audience du 9 juin 2022





RG 21/00026 ;



Décision déférée à la Cour : jugement n° 158, rg n° 2019 000300 du Tribunal Mixte de Commerce de Papeete du 30 octobre 2020 ;



Sur appel formé par requête déposée et enregistrée au greffe de la Cour d'appel le 21 janvier 2021 ;



Appelant :



M. [R] [X], né le 17 novembre 1956 à [Localité 5] (Italie), inscrit au Rcs de Papeete sous le n° 14528 A et n° Tahiti B 02688 faisant élection de domicile au cabinet de Me Rousseau-Wiart, sis [Adresse 1] ;



Ayant pour avocat la Selarl Fenuavocats, eprésenté par Me Christophe ROUSSEAU-WIART, avocat au barreau de Papeete ;



Intimée :



Mme [M] [P], née le 23 mai 1970 à [Localité 2], de nationalité française, demeurant à [Adresse 4] ;



Ayant pour avoat la Selarl ManaVocat, représentée par Me Dominique BOURION, avocat au barreau de Papeete ;



Ordonnance de clôture du 28 janvier 2022 ;



Composition de la Cour :



La cause a été débattue et plaidée en audience publique du 10 mars 2022, devant M. RIPOLL, conseiller désigné par l'ordonnance n° 83/OD/ PP.CA/21 du Premier Président de la Cour d'Appel de Papeete en date du 15 décembre 202 pour faire fonction de Président dans le présent dossier, Mme BRENGARD, président de chambre, Mme SZKLARZ, conseiller,, qui ont délibéré conformément à la loi ;



Greffier lors des débats : Mme SUHAS-TEVERO ;



Arrêt contradictoire ;



Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 264 du code de procédure civile de Polynésie française ;

Signé par M. RIPOLL, président et par Mme SUHAS-TEVERO, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.


A R R E T,



Faits, procédure et demandes des parties :



[M] [P] a assigné [R] [X] aux fins d'obtenir l'annulation pour dol de la cession d'un fonds de commerce de pension de famille et d'un bail commercial. Elle a dénoncé une concurrence déloyale du cédant, l'opacité des comptes et la perspective d'un redressement fiscal, un loyer disproportionné.



Par jugement rendu le 30 octobre 2020, le tribunal mixte de commerce de Papeete a :



Prononcé la nullité de l'acte de cession du fonds de commerce ainsi que du bail commercial afférent signés le 24 janvier 2019 ;

Condamné [R] [X] à payer à [M] [P] les sommes suivantes :

4 896 276 francs CFP à titre de remboursement des frais exposés et en remboursement de l'acompte versé ;

5 000 000 francs CFP à titre de préjudice moral ;

508 500 francs CFP au titre de l'article 407 du code de procédure civile;

Dit n'y avoir lieu à prononcer l'exécution provisoire ;

Condamné [R] [X] aux dépens dont distraction.



[R] [X] a relevé appel par requête enregistrée au greffe le 21 janvier 2021.



Il est demandé :



1° par [R] [X], appelant, dans ses conclusions récapitulatives visées le 21 octobre 2021, de :



Vu les dispositions de l'article L 141-1 du Code de commerce, vu les dispositions de l'article 1382 du Code civil,

Réformer le jugement du 30 octobre 2020 en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

Constater que les dispositions de l'article L 141-1 du Code de commerce ont été respectées ;

Rejeter la demande de nullité de l'acte de cession du 24 janvier 2019 ;

Constater que Mme [P] ne rapporte pas la preuve de la faute délictuelle qui aurait été commise par M. [X] ;

Rejeter l'ensemble des demandes de dommages et intérêts formées par Mme [P] ;

La condamner au paiement de la somme de 226.000 francs CFP au titre des frais irrépétibles ;

La condamner aux entiers dépens, dont distraction ;



2° par [M] [P], intimée, dans ses conclusions visées le 27 mai 2021, de :



Vu les articles L141-1 et suivants du Code de commerce, vu l'article 1382 du Code civil, vu la jurisprudence, vu le jugement du 30 octobre 2020 rendu par le Tribunal Mixte de Commerce de PAPEETE, vu tout ce qui précède,



Recevant Mme [P] en ses écritures et y faisant droit,

Constater l'omission de certaines des énonciations prescrites par l'article L141-1 I du Code de commerce ;

Constater les man'uvres dolosives de M. [R] [X], cédant du fonds de commerce «LA PERLE DE TAHAA» ;

Dire et juger que ces man'uvres sont constitutives de dol et qu'elles ont déterminé Mme [P], cessionnaire, à acheter le fonds de commerce «LA PERLE DE TAHAA» ;

Constater que le fonds de commerce «LA PERLE DE TAHAA» a été vendu par M. [R] [X] à des tiers, en cours de procédure ;

Constater que de tout ceci, Mme [P] en subit un préjudice ;

En conséquence,

Débouter M. [R] [X] de toutes ses demandes, fins et conclusions ;

Confirmer le jugement RG 2019 000300 rendu le 30 octobre 2020 par le Tribunal Mixte de Commerce de PAPEETE en toutes ses dispositions ;

Condamner M. [R] [X] au paiement de la somme de 508 500 francs CFP au titre des frais irrépétibles d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens de lère instance et d'appel, dont distraction.



L'ordonnance de clôture a été rendue le 28 janvier 2022.



Il est répondu dans les motifs aux moyens et arguments des parties, aux écritures desquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé.




Motifs de la décision :



L'appel a été interjeté dans les formes et délais légaux. Il est recevable.



Le jugement dont appel a retenu que :

-Sur le dol :

S'il est vrai que le consentement donné puis matérialisé par une signature engage, il est également vrai, parce que c'est la loi et parce que c'est juste, que le consentement vicié n'engage plus.

En l'espèce, il paraît invraisemblable que Mme [M] [P] ait signé l'acte du 24 janvier 2019 sans avoir été trompée sur la nature exacte de ce que à quoi elle s'engageait.

La tromperie, dont elle a été victime, tient à l'insertion de quelques mots («à l'exception de la pension Tahaa Village dont M. [X] est le gérant actuel») dans le projet d'acte finalement soumis à sa signature, la modeste quantité de ces 15 mots ajoutés dans un texte en comprenant quelques milliers contrastant avec les conséquences lourdes que l'insertion qu'ils induisent sur la pérennité économique du fonds de commerce cédé.

Il y a en effet une différence entre le projet d'acte de vente, dont nul ne conteste qu'il a été la base des négociations, à un moment donné, entre les parties et dont il est facile d'admettre qu'il a pu emporter la conviction de Mme [M] [P], et l'acte qui a été finalement signé. Dans la première version, il est inséré une clause de non- concurrence qui interdit à M [R] [X] l'ancien gérant du fonds cédé, d'exploiter tout établissement dans un rayon de 100 km de la pension LA PERLE DE TAHAA ; dans la version signée, en l'absence de cette clause, M [R] [X] peut continuer d'exploiter à quelques mètres de distance de celle-ci, une pension de famille qui, si elle ne dispose pas des mêmes services (notamment pas de cuisine),





est un produit commercial qui constitue une concurrence d'autant plus sérieuse qu'elle est exploitée par l'ancien gérant de la pension vendue et, par ailleurs, toujours bailleur du terrain d'assise des deux établissements.

Le tribunal a la conviction que M. [R] [X] a modifié seul et sans en avertir Mme [M] [P] la rédaction de l'acte de cession pour s'accorder un avantage qui bouleverse l'économie complète du contrat et vicie alors le consentement de celle-ci.

La mauvaise foi de M. [R] [X] contraste avec l'attitude de Mme [M] [P] qui n'a fait preuve dans les négociations ni de ruse, ni d'artifice, ni de dissimulation.

Tel n'est pas le cas de M. [R] [X], qui après avoir introduit une mention dont il ne pouvait ignorer qu'elle dénaturait la vente convenue, a dans le même mouvement fait signer à Mme [M] [P] un bail pour un montant manifestement excessif au regard de celui qui était fixé pour le précédent exploitant (en l'espèce lui-même) et dont le montant n'est pas justifié, malgré l'obligation d'une évaluation réalisée par une agence immobilière qui n'a pas été communiquée à la cessionnaire, ni produite aux débats. Il a également manqué à l'obligation d'énoncer les bénéfices commerciaux réalisés lors de l'exploitation de l'établissement cédé, en infraction avec l'article L. 141-1 du code de commerce qui l'obligeait. La rubrique correspondante sur l'acte est, en effet, vide de chiffres et, à la place, sont notées les initiales ND ; par ailleurs, l'affirmation que Mme [M] [P] aurait reçu communication de la comptabilité est contredite par un propre courriel de M. [R] [X] lui-même aux termes duquel il est mentionné : «Tu n'as pas besoin de ma comptabilité des 3/4 dernières années même si cela est mentionné dans la cession du fonds. Cela ferait trop de papier à imprimer ... ». Au demeurant, le tribunal émet des doutes certains quant à l'authenticité des chiffres que M. [R] [X] est susceptible de fournir, celui-ci révélant dans un autre courriel que «Pour la Perle de Tahaa mon CA est de 40 Millions mais je déclare aux alentours de 15 millions. Il n'y a que 3 inspecteurs des impôts pour tous les archipels ... ».

Il s'ensuit qu'il convient de prononcer la nullité de l'acte de cession du fonds de commerce ainsi que du bail commercial afférent signés le 24 janvier 2019.

-Sur le préjudice :

Mme [M] [P] justifie de ses préjudices ; le tribunal estime fondé de lui accorder le montant sollicité ainsi que précisé dans le dispositif.



Les moyens d'appel sont : la demanderesse ne rapporte pas la preuve de man'uvres dolosives ayant tendu à l'insertion d'une clause dérogatoire de non-concurrence dans l'acte de cession ; le nouveau loyer comprenait la location du terrain et des constructions alors que le précédent loyer était celui du terrain seul ; l'acte de cession mentionne la transmission des données comptables légalement requises ; la demande de dommages-intérêts est infondée ou excessive.



[M] [P] conclut à la confirmation du jugement. Elle invoque l'omission de mentions obligatoires prescrites par le code de commerce, l'existence de man'uvres dolosives, et l'indemnisation de ses préjudices matériel, du fait des frais occasionnés par la transaction, et moral.





Sur la régularité de l'acte de cession :



En application de l'article L141-4 du code de commerce en vigueur en Polynésie française, l'acquéreur d'un fonds de commerce peut exercer l'action en nullité de l'acte de vente pour méconnaissance des dispositions de l'article L141-1 dans le délai d'un an à compter de la date de sa prise de possession.



La demande de ce chef de [M] [P] a été faite le 25 mars 2019 pour une entrée en jouissance prévue au 1er mars 2019 par l'acte de cession en date du 24 janvier 2019.



[M] [P] expose qu'elle a répondu à une annonce alors qu'elle se trouvait en métropole d'où elle a versé une avance de 10% du prix en décembre 2018, et qu'elle a signé l'acte après son arrivée en Polynésie le mois suivant. Selon l'attestation d'une proche ([L] [B]) : «Alors qu'elle était à [Localité 3] début février 2019 pour le salon du tourisme, le jour du règlement du solde, [M] a paniqué de devoir verser tout ce qui lui restait comme argent. De ce fait elle a consulté un avocat sur place qui lui a conseillé de tout arrêter». L'acte de cession stipule une condition qui est le paiement du solde du prix (32 219 100 F CFP). Il n'est pas justifié qu'un inventaire du stock de marchandises ait été réalisé au moment de la prise de possession des lieux comme prévu par l'acte. [M] [P] indique que la pension a été vendue à un tiers par [R] [X] en cours d'instance.



Il en résulte que [M] [P] n'a pas pris possession de la pension de famille qui faisait l'objet de l'acte de cession de fonds de commerce du 24 janvier 2019 et du bail accessoire. Au demeurant, elle ne demande le remboursement que de son acompte outre des dommages et intérêts.



Les conditions d'une action sur le fondement de l'article L141-4 du code de commerce ne sont donc pas réunies.



L'acte de cession stipule que la propriété du fonds de commerce est transférée sous réserve du versement du solde du prix. S'il prévoit que ce paiement est effectué le jour de la signature, soit le 24 janvier 2019, il n'est pas contesté que celui-ci n'a pas été effectué. La cession a néanmoins fait l'objet d'un accord sur la chose et sur le prix. Même en l'absence de clause pénale, le cessionnaire encourt une pénalité en cas de dédit. [M] [P] est par conséquent recevable à demander l'annulation de la cession et celle du bail accessoire au motif que son consentement a été surpris par des man'uvres dolosives sans lesquelles elle n'aurait pas contracté. C'est de ce chef qu'il doit notamment être recherché si l'information prescrite par l'article L141-4 du code de commerce, qui est d'ordre public, a été complète.



Sur le dol :



Dans tout acte constatant une cession amiable de fonds de commerce, consentie même sous condition et sous la forme d'un autre contrat ou l'apport en société d'un fonds de commerce, le vendeur est tenu d'énoncer :

1º Le nom du précédent vendeur, la date et la nature de son acte d'acquisition et le prix de cette acquisition pour les éléments incorporels, les marchandises et le matériel ;

2º L'état des privilèges et nantissements grevant le fonds ;

3º Le chiffre d'affaires qu'il a réalisé au cours de chacune des trois dernières années d'exploitation, ou depuis son acquisition s'il ne l'a pas exploité depuis plus de trois ans ;

4º Les bénéfices commerciaux réalisés pendant le même temps ;

5º Le bail, sa date, sa durée, le nom et l'adresse du bailleur et du cédant, s'il y a lieu (C. com., art . L141-1-I).



En l'espèce :

L'acte indique que le fonds a été créé et exploité par le cédant.

L'état du nantissement du fonds de commerce est mentionné comme étant annexé.

Le chiffre d'affaires des quatre derniers exercices est indiqué.

Les bénéfices correspondants ne sont pas énoncés, la mention « ND » est inscrite. Le cédant déclare que depuis le début de l'exercice en cours, le chiffre d'affaires du fonds de commerce s'est élevé à « environ 13 500 000 XPF » en progression par rapport à la même période de l'exercice précédent.

Le bail du local commercial est déclaré comme étant annexé.



[M] [P] conclut exactement que les bénéfices ne sont pas énoncés. L'acronyme ND signifie non disponible. [R] [X] n'est donc pas bien fondé à soutenir que cette information a été donnée suivant la mention dans l'acte de la remise de l'ensemble des relevés bancaires et des pièces comptables des quatre derniers exercices. S. [P] produit un courrier électronique de [R] [X] du 2 février 2019 où celui-ci écrivait « tu n'as pas besoin de ma comptabilité des ¿ dernières années même si cela est mentionné dans la cession de fonds cela ferait trop de papier à imprimer ». Elle relève que l'acte évalue la clientèle à 30 MF CFP pour un chiffre d'affaires annuel entre 9 et 12 MF CFP. Elle produit un autre message de [R] [X] qui écrivait : «Pour la Perle de Tahaa mon CA est de 40 Millions mais je déclare aux alentours de 15 Millions. Il n'y a que 3 inspecteurs des impôts pour tous les archipels donc tu n'as pas de souci à te faire».



La cour apprécie que l'omission de l'énonciation des montants de chiffre d'affaires réalisés durant les années précédentes est un élément de preuve de l'existence de man'uvres dolosives par non-respect d'une obligation d'information du cessionnaire qui est d'ordre public.



L'annonce à laquelle a répondu [M] [P] ne mentionnait pas d'autre pension de famille à proximité. L'acte du 24 janvier 2019 stipule une clause de non-concurrence qui exclut la pension Tahaa Village dont [R] [X] est gérant. Cette exception n'est pas mentionnée dans une «attestation sur l'honneur» datée du 5 décembre 2018 qui énonçait les conditions de la cession. S. [P] produit un projet de rédaction de cette clause qui ne prévoyait aucune exception. Elle verse un échange de messages du 25 janvier 2019 dans lequel [R] [X] écrivait en réponse à ses protestations : «Pour Tahaa Village dans la clause c'est juste un détail ne t'inquiète pas (') Je t'ai promis que tu géreras Tahaa Village». Dans un précédent message du 31 octobre 2018, il avait écrit : «Pour Tahaa Village il serait judicieux que tu la gères aussi car la pension n'a pas de restaurant ni de maison d'habitation». À quoi S. [P] avait répondu : «Quant à ta proposition pour Tahaa Village tu m'as certes promis que je la gérerai mais tes conditions de rémunération comme m'a dit mon notaire frôlent l'esclavage (') Qui plus est tu viens de mettre Tahaa Village sur le marché donc comment peux-tu être sûr que ta pension sera autant rentable que ça ' Te donner les premiers 70000 euros avec tout le travail à fournir est inacceptable (') je te demande qu'on se mette d'accord sur cette gérance avant mon départ de la métropole et que ma rémunération soit en accord avec le travail à fournir pour bien la faire tourner». Et, dans un message du 2 février 2019, [R] [X] a écrit : «Pour Tahaa je reste sur ma position les 1ers 70000 euros pour moi au-delà on fait 50% chacun sur le bénef restant».



Il en résulte que, durant la négociation, les parties n'étaient pas tombées d'accord sur les conditions auxquelles [M] [P] pourrait assurer la gérance de la pension Tahaa Village, voisine de la pension Perle de Tahaa dont elle acquérait le fonds de commerce, mais que la clause de non-concurrence modifiée dans l'acte de cession a permis à [R] [X] de continuer d'exploiter Tahaa Village.



Le jugement déféré, qui a caractérisé dans ses motifs en quoi la situation de concurrence qui en résulte fait préjudice à [M] [P], a justement apprécié que [R] [X] s'est ainsi réservé un avantage qui était exorbitant par rapport aux termes de la négociation de la cession. Dès le lendemain de la signature de l'acte, [M] [P] a écrit à [R] [X] : «C'est très important. Tu as rajouté Tahaa Village dans la clause de non-concurrence dans l'acte de cession du fonds de commerce sans me le dire. Pourquoi '» [R] [X] n'a pas contesté cette imputation dans sa réponse, se bornant à dire que c'était «juste un détail». Il est ainsi établi que cette clause a été modifiée par lui seul, et que [M] [P] ne l'a découvert qu'après avoir signé l'acte qui n'était sur ce point plus identique au projet convenu.



Il s'agit d'un deuxième élément de preuve de l'existence de man'uvres dolosives sans lesquelles [M] [P] n'aurait pas contracté, ou bien aurait contracté à d'autres conditions.



L'annonce à laquelle [M] [P] a répondu mentionnait un loyer mensuel de 6500 € (775 907 F CFP). Le compromis du 5 décembre 2018 a prévu qu'un nouveau bail de 9 ans serait établi, le bailleur étant la SCI HUSALE dont [R] [X] est gérant. L'acte de cession du 24 janvier 2019 prévoit un nouveau bail qui a été signé séparément. Dans son message précité du lendemain, S. [P] s'est inquiétée de ne pas avoir de copie de ce bail. [R] [X] lui a répondu qu'elle l'aurait quand elle aurait payé le solde du prix de cession. Le bail a pour objet la location de 7 bungalows, 1 boutique et 1 maison d'habitation destinés à l'exploitation de la pension de famille, moyennant un loyer annuel correspondant à des mensualités de 760 729 F CFP hors charges.



[R] [X] conclut qu'il acquittait pour la pension un loyer mensuel d'un montant de 210 000 F CFP correspondant uniquement à la location du terrain. Le nouveau bail ne porte que sur les constructions dont il indique qu'elles ont coûté près de 40 MF CFP.



Les formalités d'ordre public prescrites par l'article L141-1 du code de commerce en vigueur en Polynésie française ne sont là non plus pas respectées dans l'acte de cession. Il n'est pas fait mention du précédent bail, et le bail annexé est celui souscrit par [M] [P] elle-même. Le droit au bail existant n'a pas été cédé avec le fonds de commerce.





Le montant important du loyer (9 128 748 F CFP par an pour un dernier chiffre d'affaires déclaré de 13 500 000 F CFP) créait pour la pension Perle de Tahaa une charge d'exploitation considérable, alors que sa clientèle était compromise par le maintien à proximité immédiate de [R] [X] installé dans sa pension Tahaa Village.



Cette irrégularité et ce déséquilibre, qui résultent de l'interposition d'un bail qui n'est pas inclus dans le fonds de commerce cédé, et d'une dérogation à l'obligation de non-concurrence du cédant, par ailleurs lui-même bailleur du local commercial, constituent un troisième élément de preuve de l'existence de man'uvres dolosives.



L'ensemble constitue un faisceau d'éléments précis et concordants qui permettent à la cour de constater que la décision entreprise a justement et à bon droit retenu qu'est rapportée la preuve de la commission par [R] [X] de man'uvres dolosives sans lesquelles [M] [P] n'aurait pas contracté ou aurait contracté à d'autres conditions. Ces man'uvres procèdent d'une intention qui s'est exprimée par l'insertion unilatérale par le cédant d'une exception à son obligation de non-concurrence et par l'omission d'éléments d'information du cessionnaire qui sont d'ordre public.



Il s'ensuit que la nullité de la cession de fonds de commerce et du bail commercial en date du 24 janvier 2019 est bien encourue, et que la cessionnaire a droit à la restitution de l'acompte versé. Le jugement déféré sera par conséquent confirmé de ce chef.



Sur les dommages et intérêts :



Sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle (C. civ., art. 1382 anc. en vigueur en Polynésie française), l'indemnisation d'un préjudice causé par des man'uvres dolosives peut être demandée si l'annulation du contrat n'en assure pas la réparation intégrale.



[M] [P] demande l'indemnisation d'un préjudice moral pour le montant de 5 000 000 F CFP. Elle produit, outre l'attestation précitée qui décrit sa fragilité après la perte de son compagnon et le bouleversement de ses conditions d'existence, auquel elle a voulu remédier en prenant un nouveau départ en Polynésie, une attestation du Dr [Z], psychiatre expert près la cour d'appel, en date du 24 juin 2019, qui objective un syndrome dépressif important en partie consécutif à « ce qui prend l'aspect d'une escroquerie », sur une personne déjà prise en charge en affection de longue durée en métropole suite à son deuil, et en souligne l'impact sur sa situation psychologique et matérielle particulièrement précaire et traumatisante avec son fils âgé de 14 ans.



En date du 5 mars 2021, le Dr [H], médecin psychiatre, a établi un certificat de suivi de [M] [P] pour un syndrome dépressif d'intensité sévère chronicisé dont les symptômes sont pour partie en lien avec le présent litige, ainsi qu'à la précarité de sa situation matérielle à Tahiti.



[M] [P] demande en outre des dommages et intérêts pour l'indemnisation de ses frais de voyage de métropole à Tahiti et de Tahiti à Tahaa, et pour ses charges de logement à Tahiti.

















Pour évaluer l'indemnisation complète de son préjudice matériel et moral, la cour prend en considération les justificatifs de dépenses et les attestations et certificats qui sont produits. Les frais de voyage et de résidence en Polynésie ne sont pas retenus, car il s'agit de la réalisation d'un projet d'installation dont il n'est pas établi qu'il ait été déterminé ou anéanti par les man'uvres dolosives commises par [R] [X], qui n'ont abouti qu'à la perception d'un acompte sur le prix de cession.



La cour dispose ainsi d'éléments suffisants d'appréciation pour fixer comme suit l'indemnisation complète du préjudice subi par [M] [P] qu'ont causé lesdites man'uvres :

Préjudice moral : 2 000 000 F CFP ;

Frais de transport et de séjour à Tahaa et de représentation commerciale : 334 707 F CFP ;

Soit la somme totale de 2 334 707 F CFP en sus de la restitution de l'acompte versé d'un montant de 3 579 229 F CFP.



Le jugement sera réformé pour ces montants, et confirmé sur celui de l'indemnité accordée en application des dispositions de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française, lesquelles seront en outre appliquées au bénéfice de l'intimée en cause d'appel. [R] [X] qui succombe sur l'essentiel de ses prétentions sera condamné aux dépens.



PAR CES MOTIFS,



La Cour, statuant par mise à disposition, publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en dernier ressort ;



En la forme, déclare l'appel recevable ;



Au fond, confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a condamné [R] [X] à payer à [M] [P] les sommes suivantes :

4 896 276 francs CFP à titre de remboursement des frais exposés et en remboursement de l'acompte versé ;

5 000 000 francs CFP à titre de préjudice moral ;



Statuant à nouveau de ces chefs :



Condamne [R] [X] à payer à [M] [P] les sommes suivantes :

3 579 229 F CFP en remboursement de l'acompte versé ;

2 334 707 F CFP à titre de dommages et intérêts ;



Condamne [R] [X] à payer à [M] [P] la somme supplémentaire de 250 000 F CFP en application des dispositions de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française devant la cour ;









Met à la charge de [R] [X] les dépens de première instance et d'appel, lesquels pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 409 du Code de procédure civile de la Polynésie française.



Prononcé à Papeete, le 9 juin 2022.



Le Greffier, Le Président,





signé : M. SUHAS-TEVEROsigné : G. RIPOLL

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