9 juin 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-12.190

Deuxième chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:C200597

Titres et sommaires

PROCEDURE CIVILE - Procédure orale - Pièces - Production - Défaut de production - Office du juge - Principe de la contradiction

En procédure orale sans représentation obligatoire, le juge, qui est garant du respect du principe de la contradiction, ne peut fonder sa décision sur l'absence au dossier d'une pièce invoquée par une partie, dont le versement aux débats était mentionné dans des conclusions écrites soutenues oralement à l'audience et dont la communication n'avait pas été contestée, sans inviter les parties à s'en expliquer

PROCEDURE CIVILE - Procédure orale - Pièces - Versement aux débats - Respect du principe de la contradiction - Office du juge - Etendue - Détermination - Portée

PROCEDURE CIVILE - Pièces - Production - Défaut - Invitation préalable des parties à s'expliquer sur cette carence - Nécessité

Texte de la décision

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 9 juin 2022




Cassation partielle


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 597 F-B

Pourvoi n° P 20-12.190






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 9 JUIN 2022

Mme [N] [B], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° P 20-12.190 contre l'ordonnance rendue le 3 décembre 2019 par le premier président de la cour d'appel de Paris (pôle 2, chambre 6), dans le litige l'opposant à Mme [H] [I], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Talabardon, conseiller référendaire, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de Mme [B], de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de Mme [I], et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 19 avril 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Talabardon, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'ordonnance attaquée rendue par le premier président d'une cour d'appel (Paris, 3 décembre 2019), Mme [I] (l'avocat) a saisi le bâtonnier de son ordre à fin de fixation des frais et honoraires que restait lui devoir Mme [B], qu'elle avait assistée dans une procédure de divorce.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

2. Mme [B] fait grief à l'ordonnance de fixer les honoraires de l'avocat à la somme de 5 580 euros HT, soit 6 696 euros TTC, dont à déduire la somme déjà versée de 3 000 euros, et de la condamner à payer à l'avocat la somme de 3 696 euros au titre du solde de ses honoraires, alors « que le juge doit inviter les parties à s'expliquer, le cas échéant, sur l'absence au dossier des pièces mentionnées dans les conclusions et figurant parmi les pièces annexées, et dont la communication n'est pas contestée ; qu'en relevant, d'office, l'absence de production de la copie du chèque de 4 701,28 euros tiré sur la BRED et du relevé bancaire justifiant du débit cependant que cette production n'avait donné lieu à aucune contestation de la part de Mme [I], le premier président de la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 16 du code de procédure civile :

3. Aux termes de ce texte, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.

4. Après avoir fixé à 6 696 euros TTC le montant des honoraires dus à l'avocat, l'ordonnance retient que si, à titre d'acomptes, il est justifié du règlement par deux chèques d'une somme globale de 3 000 euros, le paiement allégué d'une somme supplémentaire de 4 701,28 euros n'est pas établi, dès lors que, contrairement aux affirmations de Mme [B] dans ses écritures, ni la copie du chèque évoqué de la Bred n° 9144076, ni le relevé bancaire justifiant du débit ne sont versés aux débats.

5. En statuant ainsi, sans avoir préalablement invité les parties à s'expliquer sur l'absence au dossier des pièces invoquées, dont la communication était mentionnée dans l'en-tête des observations écrites, soutenues oralement à l'audience par Mme [B], et n'était pas contestée par la partie adverse, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

6. Mme [B] formule le même grief, alors « que méconnaît les termes du litige la cour d'appel qui tient pour inexistante une pièce visée et annexée aux conclusions d'appel et dont la production n'est pas contestée par l'adversaire ; qu'en énonçant, pour fixer les honoraires restant dus par Mme [B], que contrairement à ses affirmations dans ses écritures, la copie du chèque et le relevé bancaire justifiant de son débit n'étaient pas versés aux débats, cependant qu'ils étaient annexés aux écritures de Mme [B] et que Mme [I] ne contestait pas, dans ses conclusions, l'existence de cette production, le premier président de la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 4 du code de procédure civile :

7. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.

8. Pour écarter l'argumentation par laquelle Mme [B] soutenait avoir versé à l'avocat, outre la somme globale de 3 000 euros à titre d'acomptes, une somme supplémentaire de 4 701,28 euros, l'ordonnance retient que ni la copie du chèque évoqué à cet effet, ni le relevé bancaire justifiant du débit, n'ont été versés aux débats.

9. En statuant ainsi, alors que, dans ses observations écrites soutenues oralement à l'audience, Mme [B] invoquait le versement aux débats d'une copie du chèque et du relevé de compte en question et qu'il ressort du dossier de la procédure suivie devant lui que, d'une part, cette copie était annexée aux écritures produites par l'intéressée, d'autre part, selon le procès-verbal d'audience, le représentant de l'avocat indiquait ne pas contester l'encaissement, le 18 décembre 2013, du chèque litigieux de 4 701,28 euros, le premier président, qui a méconnu l'objet du litige, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'elle fixe le solde des honoraires dus par Mme [B] à Mme [I], après déduction d'une somme de 3 000 euros déjà versée, à la somme de 3 696 euros TTC, condamne Mme [B] à payer cette somme à Mme [I] ainsi qu'aux dépens, et rejette la demande de Mme [B] au titre de l'article 700 du code de procédure civile, l'ordonnance rendue le 3 décembre 2019, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cette ordonnance et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;

Condamne Mme [I] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [I] et la condamne à payer à Mme [B] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'ordonnance partiellement cassée ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf juin deux mille vingt-deux.


MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour Mme [B]

Il est reproché à l'ordonnance attaquée d'avoir fixé les honoraires de Mme [I] à la somme de 5 580 euros HT, soit 6 696 euros TTC, dont à déduire la somme déjà versée par Mme [B], de 3 000 euros et d'avoir condamné Mme [B] à payer la somme de 3 696 euros au titre du solde de ses honoraires ;

Aux motifs qu'aucune convention d'honoraires n'avait été signée entre les parties ; qu'il convenait de fixer l'honoraire dû en fonction des dispositions de l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 ; que Mme [I] sollicitait un solde d'honoraires de 5 262,48 euros HT, outre 1 046,80 euros de TVA, soit une somme de 6 309,28 euros TTC, ainsi que 100 euros de frais ; qu'à l'appui de sa demande, elle produisait des conclusions d'appelante n°2 établies pour l'audience du 9 janvier 2014 portant la mention « lu et approuvé » et le paraphe de Mme [B] sur chaque page, l'assignation portant les mêmes mentions manuscrites, l'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 16 juillet 2014 portant mention de conclusions datées du 5 juin 2014, la facture du 29 juillet 2013 portant sur un principal de 4 701,28 euros dont 3 680 euros HT d'honoraires et 300 euros de frais, la facture du 19 mai 2014 d'un montant de 1 950 euros dont 1 500 euros d'honoraires et 150 euros de frais, la facture du 19 mai 2014 portant sur un principal de 4 708 euros dont 3 840 euros HT d'honoraires et 100 euros de frais, le récapitulatif faisant état des deux seules factures n°13 047 et 14 601 et des deux règlements de 1 500 euros chacun effectués par Mme [B] ; qu'était donc réclamé le paiement des deux factures, soit un total de 7 520 euros HT d'honoraires outre 1 489,28 euros de TVA et 400 euros de frais, soit un total de 9 409,28 euros TTC ; que les frais facturés n'étaient justifiés par aucune pièce ; qu'il ne serait donc pas fait droit à une demande à ce titre ; que s'agissant des diligences, Me [I] justifiait de la rédaction d'au moins trois jeux de conclusions en appel, de 23 pages et d'une assignation en divorce de onze pages ; que la lecture des pièces démontrait que le divorce des époux était conflictuel, avec des enjeux financiers importants ; qu'outre l'audience de deux heures à la cour d'appel, seraient comptabilisées seize heures de travail pour l'ensemble des diligences accomplies, dont l'étude du dossier et des pièces adverses et la préparation du dossier de plaidoirie, soit un total de 18 heures ; que le taux horaire pratiqué était de 300 à 320 euros, ainsi qu'il ressortait des factures ; qu'il serait donc retenu un taux horaire de 310 euros ; que compte tenu de l'ancienneté de l'avocat, de la complexité du dossier et des pratiques du barreau de Paris, ce taux horaire était justifié ; que la somme due était donc de 5 580 euros HT, soit 6 696 euros TTC ; qu'il était justifié du versement par Mme [B] d'une somme de 3 000 euros ; que le paiement par la cliente d'une somme supplémentaire de 4 701,28 euros n'était pas justifié ; qu'en effet, contrairement aux affirmations de Mme [B] dans ses écritures, la copie du chèque évoqué de la BRED n°9144076 ainsi que le relevé bancaire justifiant du débit n'étaient pas versés aux débats ; qu'en conséquence, la somme restant due au titre des honoraires était de 3 696 euros TTC ; que la décision serait donc infirmée en ce qu'elle avait débouté Mme [I] de sa demande en paiement du solde de ses honoraires et ces honoraires seraient fixés à 5 580 euros HT, soit 6 696 euros TTC, dont à déduire la somme de 3 000 euros, soit un solde restant dû de 3 696 euros TTC ;

Alors 1°) que dénature les conclusions d'une partie la cour d'appel qui tient pour inexistante une pièce visée par ces écritures et qui y est annexée ; qu'en énonçant, pour fixer les honoraires restant dus par Mme [B], que la copie du chèque évoqué de la BRED de 4 701,28 euros et le relevé bancaire justifiant du débit n'étaient pas versés aux débats cependant qu'ils étaient visés dans les écritures de Mme [B] et annexés à ces écritures, le premier président a méconnu son obligation de ne pas dénaturer les documents de la cause ;

Alors 2°) que méconnaît les termes du litige la cour d'appel qui tient pour inexistante une pièce visée et annexée aux conclusions d'appel et dont la production n'est pas contestée par l'adversaire ; qu'en énonçant, pour fixer les honoraires restant dus par Mme [B], que contrairement à ses affirmations dans ses écritures, la copie du chèque et le relevé bancaire justifiant de son débit n'étaient pas versés aux débats, cependant qu'ils étaient annexés aux écritures de Mme [B] et que Mme [I] ne contestait pas, dans ses conclusions, l'existence de cette production, le premier président de la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile ;

Alors 3°) que le juge doit inviter les parties à s'expliquer, le cas échéant, sur l'absence au dossier des pièces mentionnées dans les conclusions et figurant parmi les pièces annexées, et dont la communication n'est pas contestée ; qu'en relevant, d'office, l'absence de production de la copie du chèque de 4 701,28 euros tiré sur la BRED et du relevé bancaire justifiant du débit cependant que cette production n'avait donné lieu à aucune contestation de la part de Mme [I], le premier président de la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile.

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