9 juin 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-22.588

Deuxième chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:C200591

Titres et sommaires

APPEL CIVIL - Appelant - Conclusions - Dispositif - Appelant n'ayant conclu ni à l'infirmation ni à l'annulation du jugement - Interprétation par la Cour de cassation - Application dans le temps

Il résulte des articles 542, 908 et 954 du code de procédure civile que l'appelant doit, dans le dispositif de ses conclusions, mentionner qu'il demande l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement, ou l'annulation du jugement. En cas de non-respect de cette règle, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement, sauf la faculté qui lui est reconnue de relever d'office la caducité de l'appel. Lorsque l'incident est soulevé par une partie, ou relevé d'office par le conseiller de la mise en état, ce dernier, ou le cas échéant la cour d'appel statuant sur déféré, prononce la caducité de la déclaration d'appel si les conditions en sont réunies. Cette obligation de mentionner expressément la demande d'infirmation ou d'annulation du jugement, affirmée pour la première fois par un arrêt publié (2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626, Bull.), fait peser sur les parties une charge procédurale nouvelle. Son application immédiate dans les instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date de cet arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable. Il s'ensuit que l'arrêt, par lequel une cour d'appel, statuant sur déféré d'une ordonnance du conseiller de la mise en état, qui avait rejeté l'incident de caducité dont il était saisi, déclare caduque la déclaration d'appel au motif que les premières conclusions de l'appelante ne comportait aucune formule indiquant qu'elle sollicitait l'infirmation ou la réformation de la décision critiquée, fait une exacte application de la règle de droit. Mais la déclaration d'appel étant antérieure au 17 septembre 2020, l'arrêt doit être annulé dès lors que la portée donnée aux articles 542, 908 et 954, instaurant la nouvelle charge procédurale, n'était pas prévisible pour les parties à la date à laquelle il a été relevé appel, de sorte que l'appelante se trouve privée d'un procès équitable au sens de l'article 6,§ 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales

APPEL CIVIL - Appelant - Conclusions - Dispositif - Appelant n'ayant conclu ni à l'infirmation ni à l'annulation du jugement - Portée

PROCEDURE CIVILE - Conclusions - Conclusions d'appel - Appelant n'ayant conclu ni à l'infirmation ni à l'annulation du jugement - Portée

CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Article 6, § 1 - Equité - Procès équitable - Violation - Revirement de jurisprudence - Défaut de prévisibilité - Appel civil

Texte de la décision

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 9 juin 2022




Annulation sans renvoi


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 591 FS-B

Pourvoi n° R 20-22.588


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 9 JUIN 2022

Mme [J] [L], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° R 20-22.588 contre l'arrêt rendu le 7 octobre 2020 par la cour d'appel d'Orléans (chambre des déférés), dans le litige l'opposant à la société Taxis Mario, entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Kermina, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme [L], de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de la société Taxis Mario, et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 19 avril 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Kermina, conseiller rapporteur, en présence de Mme Anton, auditrice au service de documentation, des études et du rapport, Mme Martinel, conseiller doyen, Mme Durin-Karsenty, M. Delbano, conseillers, Mmes Jollec, Bohnert, M. Cardini, Mmes Dumas, Latreille, Bonnet, conseillers référendaires, M. Aparisi, avocat général référendaire, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Orléans, 7 octobre 2020), Mme [L] a relevé appel, le 28 juillet 2017, d'un jugement rendu par un conseil de prud'hommes dans un litige l'opposant à la société Taxis Mario.

2. La société Taxis Mario a déféré à la cour d'appel l'ordonnance du conseiller de la mise en état ayant rejeté l'incident de caducité qu'elle avait soulevé, tiré de ce que le dispositif des premières conclusions de l'appelante ne contenait aucune demande d'infirmation du jugement du conseil de prud'hommes, de sorte qu'elles ne satisfaisaient pas aux exigences de l'article 908 du code de procédure civile.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa cinquième branche

Enoncé du moyen

3. Mme [L] fait grief à l'arrêt de déclarer caduc l'appel du 28 juillet 2017, alors « qu'aux termes de l'article 6§1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle » ; qu'il résulte d'un arrêt du 17 septembre 2020 de la Cour de cassation que lorsque l'appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l'infirmation ni l'annulation du jugement, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement ; que cependant, l'application immédiate de cette règle de procédure, qui résulte de l'interprétation nouvelle d'une disposition au regard de la réforme de la procédure d'appel avec représentation obligatoire issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 et qui n'a jamais été affirmée par la Cour de cassation dans un arrêt publié, dans les instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date du présent arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable ; que dès lors, ne saurait être prononcée la caducité d'une déclaration d'appel antérieure au 17 septembre 2020, au motif que l'appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l'infirmation ni l'annulation du jugement, dès lors que la caducité de l'instance, qui prive le justiciable de tout recours, y compris en cassation, prive a fortiori l'appelante du droit à un procès équitable ; qu'il en résulte que la cour d'appel, en décidant que l'appel était caduc dès lors que les conclusions d'appelant ne comportait aucune formule indiquant qu'elle sollicitait l'infirmation ou la réformation de la décision critiquée, a violé les articles 542 et 954 du code de procédure civile, ensemble l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 542, 908 et 954 du code de procédure civile et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

4. L'objet du litige devant la cour d'appel étant déterminé par les prétentions des parties, le respect de l'obligation faite à l'appelant de conclure conformément à l'article 908 s'apprécie nécessairement en considération des prescriptions de l'article 954.

5. Il résulte de ce dernier texte, en son deuxième alinéa, que le dispositif des conclusions de l'appelant remises dans le délai de l'article 908 doit comporter une prétention sollicitant expressément l'infirmation ou l'annulation du jugement frappé d'appel.

6. À défaut, en application de l'article 908, la déclaration d'appel est caduque ou, conformément à l'article 954, alinéa 3, la cour d'appel ne statuant que sur les prétentions énoncées au dispositif, ne peut que confirmer le jugement.

7. Ainsi, l'appelant doit dans le dispositif de ses conclusions mentionner qu'il demande l'infirmation des chefs du dispositif du jugement dont il recherche l'anéantissement, ou l'annulation du jugement. En cas de non-respect de cette règle, la cour d'appel ne peut que confirmer le jugement, sauf la faculté qui lui est reconnue de relever d'office la caducité de l'appel. Lorsque l'incident est soulevé par une partie, ou relevé d'office par le conseiller de la mise en état, ce dernier, ou le cas échéant la cour d'appel statuant sur déféré, prononce la caducité de la déclaration d'appel si les conditions en sont réunies (2e Civ., 4 novembre 2021, pourvoi n° 20-15-766, publié).

8. Cette obligation de mentionner expressément la demande d'infirmation ou d'annulation du jugement, affirmée pour la première fois par un arrêt publié (2e Civ., 17 septembre 2020, pourvoi n° 18-23.626, publié), fait peser sur les parties une charge procédurale nouvelle. Son application immédiate dans les instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date de cet arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable.

9. Pour déclarer caduque la déclaration d'appel, l'arrêt retient que le dispositif des conclusions, déposées dans le délai de trois mois suivant la déclaration d'appel par Mme [L], énonce diverses demandes mais ne comporte aucune formule indiquant qu'elle sollicite l'infirmation ou la réformation de la décision critiquée.

10. En statuant ainsi, la cour d'appel a donné une portée aux articles 542, 908 et 954 du code de procédure civile qui, pour être conforme à l'état du droit applicable depuis le 17 septembre 2020, n'était pas prévisible pour les parties à la date à laquelle il a été relevé appel, soit le 28 juillet 2017, l'application de cette règle de procédure, qui instaure une charge procédurale nouvelle dans l'instance en cours, aboutissant à priver Mme [L] d'un procès équitable au sens de l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Portée et conséquences de l'annulation

11. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

12. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie en effet que la Cour de cassation statue au fond.

13. Il résulte de ce qui est dit au paragraphe n° 10 qu'il y a lieu de confirmer l'ordonnance du conseiller de la mise en état ayant débouté la société Taxis Mario de son incident de caducité de la déclaration d'appel et débouté les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 7 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

CONFIRME l'ordonnance du conseiller de la mise en état ayant débouté la société Taxis Mario de son incident de caducité de la déclaration d'appel et débouté les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ;

DIT que l'affaire se poursuivra devant la cour d'appel d'Orléans ;

Condamne la société Taxis Mario aux dépens en ceux compris ceux exposés devant la cour d'appel d'Orléans au titre de la procédure d'incident ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf juin deux mille vingt-deux.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour Mme [L]

Madame [J] [L] fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir déclaré caduc l'appel interjeté le 28 juillet 2017,

Alors, d'une part, qu'ayant constaté que l'appelante avait relevé appel en précisant que cet appel portait sur la totalité du jugement, et que ses conclusions déposées le 20 octobre 2017 mentionnaient expressément qu'elle entendait voir juger de nouveau son affaire notamment quant au caractère réel et sérieux du motif du licenciement, il s'en déduisait nécessairement qu'était sollicitée devant la Cour d'appel l'infirmation totale du jugement, toutes les demandes de première instance étant reprises devant elle, ce qui était en outre confirmé par le dispositif des conclusions postérieures de l'appelante déposées le 26 novembre 2019 ; qu'en se bornant à énoncer « que le dispositif des conclusions, déposées dans le délai de trois mois suivant la déclaration d'appel par [J] [L], énonce diverses demandes mais ne comporte aucune formule indiquant qu'elle sollicite l'infirmation ou la réformation de la décision critiquée », pour décider que l'appel formé par Madame [L] était caduc, alors qu'il se déduisait de ses propres constatations que Madame [L] sollicitait l'infirmation du jugement critiqué, la Cour d'appel a violé les articles 542 et 954 du Code de procédure civile ;

Alors, d'autre part, en tout état de cause, qu'il n'est pas contesté que le dispositif des conclusions postérieures de l'appelante, déposées le 26 novembre 2019, demandait à la Cour d'appel en premier lieu d'infirmer le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes, et en second lieu, statuant à nouveau, de dire le licenciement nul, sans cause réelle et sérieuse, et de condamner l'EURL TAXIS MARIO à lui payer diverses sommes ; qu'en énonçant que l'appel était déjà caduc lorsque de nouvelles conclusions avaient été déposées dans l'intérêt de l'appelante pour tenter de régulariser la situation, sans rechercher si, par ces écritures, la situation n'avait pas été nécessairement régularisée, la Cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles 542 et 954 du Code de procédure civile ;

Alors, subsidiairement, qu'aux termes de l'article 542 du Code de procédure civile, l'appel tend, par la critique du jugement rendu par une juridiction du premier degré, à sa réformation ou à son annulation par la Cour d'appel ; que l'obligation de mentionner dans le dispositif des conclusions d'appel, la formule indiquant que l'appelant sollicite l'infirmation ou le réformation de la décision critiquée, figurant à l'article 954 du même code n'est pas prescrite à peine de caducité de cette voie de recours ; que dès lors, en prononçant la caducité de l'appel au motif que le dispositif des conclusions, déposées dans le délai de trois mois suivant la déclaration d'appel par Madame [L], énonce diverses demandes mais ne comporte aucune formule indiquant qu'elle sollicite l'infirmation ou la réformation de la décision attaquée, la Cour d'appel a violé les articles 542 et 954 du Code de procédure civile ;

Alors, en outre, qu'aux termes de l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme que « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle » ; qu'il en ressort l'obligation pour les Etats signataires de garantir un droit d'accès effectif au juge, en s'abstenant de porter atteinte à ce droit par des contraintes de procédure excessives et des sanctions disproportionnées ayant pour conséquence de priver le justiciable du droit d'accès au juge ; que partant, en décidant que la seule omission de la mention « infirme le jugement » au sein du dispositif des premières écritures privait l'appelante de tout accès au juge d'appel, en dépit du contenu explicite tant de la déclaration d'appel et du dispositif des premières conclusions signifiées dans le délai légal que des conclusions postérieures mentionnant expressément la mention omise, la Cour d'appel a violé l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme ;

Alors, enfin, qu'aux termes de l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme que « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle » ; qu'il résulte d'un arrêt du 17 septembre 2020 de la Cour de cassation que lorsque l'appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l'infirmation ni l'annulation du jugement, la Cour d'appel ne peut que confirmer le jugement ; que cependant, l'application immédiate de cette règle de procédure, qui résulte de l'interprétation nouvelle d'une disposition au regard de la réforme de la procédure d'appel avec représentation obligatoire issue du décret n° 2017-891 du 6 mai 2017 et qui n'a jamais été affirmée par la Cour de cassation dans un arrêt publié, dans les instances introduites par une déclaration d'appel antérieure à la date du présent arrêt, aboutirait à priver les appelants du droit à un procès équitable ; que dès lors, ne saurait être prononcée la caducité d'une déclaration d'appel antérieure au 17 septembre 2020, au motif que l'appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l'infirmation ni l'annulation du jugement, dès lors que la caducité de l'instance, qui prive le justiciable de tout recours, y compris en cassation, prive a fortiori l'appelante du droit à un procès équitable ; qu'il en résulte que la Cour d'appel, en décidant que l'appel était caduc dès lors que les conclusions d'appelant ne comportait aucune formule indiquant qu'elle sollicitait l'infirmation ou la réformation de la décision critiquée, a violé les articles 542 et 954 du Code de procédure civile, ensemble l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme.

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