2 juin 2022
Cour d'appel de Paris
RG n° 21/19440

Pôle 1 - Chambre 2

Texte de la décision

Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2



ARRET DU 02 JUIN 2022



(n° , 13 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/19440 - N° Portalis 35L7-V-B7F-CEUJG



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 08 Janvier 2021 -Président du TJ de PARIS - RG n° 20-002225





APPELANTS



M. [DS] [G]

[Adresse 14]

[Localité 16]



Mme [J] [OI] ÉPOUSE [G] épouse [G]

[Adresse 14]

[Localité 16]



Mme [OH] [D]

[Adresse 9]

[Localité 15]



M. [KI] [P]

[Adresse 2]

[Localité 10]



Mme [Y] [T] EPOUSE [P] épouse [P]

[Adresse 2]

[Localité 10]



M. [UP] [PR]

[Localité 17]

[Localité 4]



M. [I] [GI]

[Adresse 3]

[Localité 8]



Mme [N] [PS] EPOUSE [GI] épouse [GI]

[Adresse 3]

[Localité 8]



M. [A] [LS]

[Adresse 11]

[Localité 12]







Mme [U] [LS]

[Adresse 11]

[Localité 12]



M. [L] [RZ]

[Adresse 1]

[Localité 7]



Représentés par Me Sandra OHANA de l'AARPI OHANA ZERHAT, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050

Assistés par Me Jérôme BERNS, avocat au barreau de REIMS







INTIMEE



S.A.R.L. STAYCITY FRANCE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège,



[Adresse 6]

[Localité 13]



Représentée par Me Frédérique ETEVENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0065





COMPOSITION DE LA COUR :



En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 avril 2022, en audience publique, les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Marie-Hélène MASSERON, Présidente et Thomas RONDEAU, Conseiller chargé du rapport.



Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :



Mme Marie-Hélène MASSERON, Président,

M. Thomas RONDEAU, Conseiller,

Mme Michèle CHOPIN, Conseiller,





Greffier, lors des débats : Marie GOIN





ARRÊT :



- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Thomas RONDEAU, conseiller pour la Présidente empêchée et par Saveria MAUREL, Greffier présent lors de la mise à disposition.






*****













EXPOSÉ DU LITIGE



Par actes du 26 novembre 2010, dans le cadre d'un investissement sous le bénéfice du régime fiscal de loueur de meublé non professionnel, les appelants ont consenti à la société IInvest, de laquelle vient aux droits la société Staycity France, des baux portant sur des locaux à usage de location meublée professionnelle, situés [Adresse 5]) pour une durée de 11 années entières et consécutives, commençant à courir le 26 novembre 2010.



A la suite de la crise sanitaire, la société Staycity France a suspendu le paiement de ses loyers en faisant valoir qu'elle ne pouvait plus exploiter les lieux à destination de résidence de tourisme telle que prévue aux baux.



Par acte du 29 septembre 2020, M. et Mme [C], M. et Mme [H], M. et Mme [X], M. et Mme [E], M. et Mme [Z], M. [M], M. et Mme [G], M. et Mme [W], Mme [VZ], Mme [D], M. et Mme [V], Mme [O] [FA] [F], Mmes [KH] et [TI] [B], M. [B], M. [I], M. [K], M. et Mme [P], M. [S], Mme [JA], M. et Mme [YR], M. et Mme [GI], M. et Mme [LR], Mme [BA], M. [US], Mme [NA], M. [HS], Mme [ZZ], M. et Mme [XH], M. [HR], M. et Mme [SA], M. [PR], M. [DR], Mme [R], M. [RZ] et M. et Mme [OJ] ont fait assigner la société Staycity France devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Paris statuant en référé aux fins d'obtenir une provision à valoir sur le montant des loyers et sur le préjudice subi du fait de la résistance abusive de la société, outre le règlement de leurs frais et dépens.



M. [LS] et M. [I] sont intervenus volontairement à l'instance.



En réplique, la société Staycity France a fait essentiellement état de contestations sérieuses.



Par ordonnance contradictoire du 8 janvier 2021, le magistrat saisi a :



- déclaré recevables les interventions volontaires de M. [LS] et M. [I] ;



- dit n'y avoir lieu à statuer en référé sur les demandes de provisions de M. et Mme [C], M. et Mme [H], M. et Mme [X], M. et Mme [E], M. et Mme [Z], M. [M], M. et Mme [G], M. et Mme [W], Mme [VZ], Mme [D], M. et Mme [V], Mme [O] [FA] [F], Mmes [KH] et [TI] [B], M. [B], M. [I], M. [K], M. et Mme [P], M. [S], Mme [JA], M. et Mme [YR], M. et Mme [GI], M. et Mme [LR], Mme [BA], M. [US], Mme [NA], M. [HS], Mme [ZZ], M. et Mme [XH], M. [HR], M. et Mme [SA], M. [PR], M. [DR], Mme [R], M. [RZ] et M. et Mme [OJ], M. [LS] et M. [I] ;



- débouté les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,



- condamne M. et Mme [C], M. et Mme [H], M. et Mme [X], M. et Mme [E], M. et Mme [Z], M. [M], M. et Mme [G], M. et Mme [W], Mme [VZ], Mme [D], M. et Mme [V], Mme [O] [FA] [F], Mmes [KH] et [TI] [B], M. [B], M. [I], M. [K], M. et Mme [P], M. [S], Mme [JA], M. et Mme [YR], M. et Mme [GI], M. et Mme [LR], Mme [BA], M. [US], Mme [NA], M. [HS], Mme [ZZ], M. et Mme [XH], M. [HR], M. et Mme [SA], M. [PR], M. [DR], Mme [R], M. [RZ] et M. et Mme [OJ], M. [LS] et M. [I] aux dépens.



Le premier juge a notamment relevé que la question de savoir si la résidence de tourisme exploitée était concernée par l'interdiction de recevoir du public était une contestation sérieuse, de même que le moyen soulevé relatif à l'obligation de négocier de bonne foi l'adaptation de l'exécution du contrat.



Par déclaration du 8 novembre 2021, M. et Mme [G], Mme [D], M. et Mme [P], M. [PR], M. et Mme [GI], M. et Mme [LS] et M. [RZ] ont relevé appel de cette décision.



Dans leurs dernières conclusions remises le 4 février 2022, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens, les appelants demandent à la cour de :



- dire l'appel recevable et bien fondé ;

- infirmer la décision attaquée en ce qu'elle porte grief aux appelants, et ;

statuant à nouveau,

- condamner la société Staycity France à payer à titre de provision :



aux époux [G] :

une somme de 8.218,00 euros (créance de loyer actualisée au 30 novembre 2021) ;

une somme de 1.500 euros en application des dispositions de l'article 700 à hauteur d'appel et 681,22 euros au titre des frais irrépétibles de première instance ;



à Mme [D] :

une somme de 8.496,18 euros (créance de loyer actualisée au 30 novembre 2021) ;

une somme de 1.500 euros en application des dispositions de l'article 700 à hauteur d'appel et 714,44 euros au titre des frais irrépétibles de première instance ;



aux époux [P] :

une somme de 15.760,14 euros (créance de loyer actualisée au 30 novembre 2021) ;

une somme de 1.500 euros en application des dispositions de l'article 700 à hauteur d'appel et 1.233,78 euros au titre des frais irrépétibles de première instance ;



à M. [PR] :

une somme de 14.716,34 euros (créance de loyer actualisée au 30 novembre 2021) ;

une somme de 1.500 euros en application des dispositions de l'article 700 à hauteur d'appel et 1.333,42 euros au titre des frais irrépétibles de première instance ;



aux époux [GI] :

une somme de 8.181,08 euros (créance de loyer actualisée au 30 novembre 2021) ;

une somme de 1.500 euros en application des dispositions de l'article 700 à hauteur d'appel et 691,17 euros au titre des frais irrépétibles de première instance ;



aux époux [LS] :

une somme de 8.577,36 euros (créance de loyer actualisée au 30 novembre 2021) ;

une somme de 1.500 euros en application des dispositions de l'article 700 à hauteur d'appel et 711,18 euros au titre des frais irrépétibles de première instance ;



à M. [RZ] :

une somme de 8.402,23 euros (créance de loyer actualisée au 30 novembre 2021) ;

une somme de 1.500 euros en application des dispositions de l'article 700 à hauteur d'appel et 724,60 euros au titre des frais irrépétibles de première instance ;



- la condamner aux entiers dépens.



Les appelants font en substance valoir que, s'agissant d'un bail à destination d'une résidence de tourisme, dont le bail n'impose aucun taux de remplissage, il ne pouvait être reproché aux bailleurs d'avoir manqué à leur obligation de délivrance et de considérer qu'il pourrait y avoir une contestation sérieuse au paiement du loyer pendant la période du 17 mars au 11 mai 2020 ni celle du 30 octobre au 15 décembre 2020, d'autant que la résidence était par ailleurs fermée pour cause de travaux ; qu'il n'y a aucune contestation sérieuse, dans la mesure où il ne semble pas nécessaire d'interpréter le moindre texte de loi, la société Staycity ayant eu une activité et n'ayant pas été dans l'obligation de fermer son établissement ; que la cour infirmera la décision et statuant à nouveau condamnera la société StayCity France à régler les loyers aux appelants pour les périodes du 1er avril au 31 mai 2020 ainsi que celle du 30 octobre au 15 décembre 2020 ; que les sommes sont incontestablement dues pour la période hors confinement ; que des négociations de bonne foi ont eu lieu entre les parties ; que la société intimée ne justifie pas de sa situation économique et financière ; que, dès lors que la société a pu exploiter son établissement, il est désormais de jurisprudence qu'elle ne peut se prévaloir ni de l'exception d'inexécution, ni de la perte partielle de la chose, alors que dans les deux situations le preneur doit justifier de l'impossibilité d'exploiter, le bail ne stipulant aucun engagement de CA minimum ; que la force majeure ne saurait être retenue.



Dans ses conclusions remises le 21 mars 2022, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens, la société Staycity France demande à la cour, au visa de l'article 700 du code de procédure civile, des articles 1104, 1218, 1219, 1719 et 1722 du code civil, de :



- juger que l'obligation de règlement des loyers au titre des baux liant la société Staycity France aux appelants souffre de contestations sérieuses en raison de la possibilité pour la société preneuse d'invoquer

- l'exception d'inexécution en raison de l'impossibilité de jouissance des locaux loués conformément à leur destination ;

- la force majeure ;

- la perte partielle de la chose louée libérant temporairement le preneur de l'obligation de règlement des loyers ;

- le manquement des bailleurs à leur obligation d'exécuter les contrats de bonne foi ;



en conséquence,

- débouter les appelants de l'ensemble de leurs demandes ;

- confirmer l'ordonnance du tribunal judiciaire de Paris du 8 janvier 2021 dont appel, en toutes ses dispositions et notamment en ce qu'elle a considéré que l'obligation de règlement des loyers au titre des baux liant la société Staycity aux bailleurs appelants était contestable en raison de la possibilité pour la société preneuse d'invoquer l'exception d'inexécution en raison de l'impossibilité de jouissance des locaux loués conformément à leur destination ;

- le manquement des bailleurs à leur obligation d'exécuter les contrats de bonne foi ;

- ordonner la mainlevée des saisies pratiquées sur les comptes de la société Staycity par les appelants le 23 septembre 2020 ;



À titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour considérait qu'il n'existe aucune contestation sérieuse à l'exigibilité des loyers réclamés par les appelants,

- accorder à la société Staycity compte tenu des graves difficultés financières qu'elle rencontre du fait de la crise sanitaire, les plus larges délais pour procéder au paiement des sommes demandées ;



En tout état de cause,

- débouter les appelants de leurs demandes ;



- réduire le montant des loyers réclamés par les époux [G] à la somme de 8.115, 90 euros ;

- réduire le montant des loyers réclamés par les époux [P] à la somme de 14.678,61 euros ;

- condamner les appelants aux entiers dépens ;

- les condamner chacun à payer à la société Staycity la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



La société Staycity France fait en substance valoir que les mesures administratives d'interdiction de recevoir du public, du 15 mars 2020 au 22 juin 2020, puis du 1er novembre 2020 au 15 décembre 2020 pour les hébergements et du 1er novembre 2020 au 9 juin 2021 pour les équipements de loisirs des résidences, l'ont effectivement empêchée d'exploiter la résidence conformément à la destination prévue par les baux ; que les seules personnes hébergées en 2020 l'ont été à la demande de la mairie, pour des soignants et des migrants ; qu'elle peut se prévaloir de l'exception d'inexécution ; que sa décision de suspension du règlement des loyers pour les périodes visées par des mesures d'interdiction peut également être légitimée par l'existence d'une situation de force majeure, constituant une contestation sérieuse à la demande de condamnation formulée ; qu'elle est également en mesure de fonder sa décision de suspendre le règlement des loyers afférents à la période du 15 mars au 2 juin 2020 puis du 1er novembre 2020 au 15 décembre 2020 sur l'application des dispositions de l'article 1722 du code civil - perte partielle de la chose louée en cours d'exécution du contrat - ; que les bailleurs ont en outre manqué à leur obligation d'exécuter le contrat de bonne foi ; qu'elle sollicite à titre subsidiaire des délais de paiement.




SUR CE LA COUR



Il sera rappelé à titre liminaire que certains demandeurs en première instance n'ont pas relevé appel de la décision. La cour n'est donc saisie que pour ceux ayant choisi de former un recours contre l'ordonnance et statuera dans les limites de l'appel ainsi formé.



L'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile dispose que, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours accorder en référé une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.



Une contestation sérieuse est caractérisée lorsque l'un des moyens de défense opposés aux prétentions du demandeur n'apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.



En l'espèce, la SARL Staycity France oppose plusieurs contestations sérieuses en lien avec la pandémie de Covid-19, soutenant avoir été contrainte à des mesures de fermeture administrative du 15 mars 2020 au 2 juin 2020 puis du 1er novembre 2020 au 9 juin 2021, arguant de l'exception d'inexécution, de l'existence d'une situation exceptionnelle réunissant les conditions de la force majeure, de l'exigence de bonne foi et de la perte partielle de la chose louée.



Sur les périodes de fermeture administrative



Il sera d'abord observé que la résidence en cause est bien une résidence de tourisme, ce qui n'est pas contesté par les parties, le loyer étant en outre payable mensuellement d'avance et au plus tard le cinq du mois suivant.



S'agissant des périodes de fermeture, il sera relevé :



- que, pour la période du 15 mars 2020 au 20 mai 2020, il résulte tant de l'arrêté du 15 mars 2020 complétant l'arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19 que du décret n°2020-293 du 23 mars 2020 qu'ont été astreints à une mesure de fermeture les établissements relevant, notamment, de la catégorie M, magasins de vente et centres commerciaux, et de la catégorie R, établissements d'éveil, d'enseignement, de formation, centres de vacances, centres de loisirs sans hébergement, ces textes prévoyant en annexe que pourront toutefois poursuivre leurs activités les hébergements touristiques et autre hébergements de courte durée lorsqu'ils constituent pour les personnes qui y vivent un domicile régulier ;



- que, sans qu'il n'y ait lieu à une quelconque interprétation, ces textes ne prévoient pas la fermeture des résidences de tourisme, dans la mesure où, nonobstant les exceptions prévues par les annexes, les résidences de tourisme ne font pas partie des catégories M ou R, ni d'aucune des autres catégories visées ;



- qu'en revanche, à compter du 20 mai 2020, l'article 10, I bis, 2°, du décret n° 2020-548 du 11 mai 2020, créé par le décret n°2020-604 du 20 mai 2020 (article 7 c), prévoit expressément que, sauf lorsqu'ils constituent pour les personnes qui y vivent un domicile régulier, les établissement suivants mentionnés au livre III du code du tourisme ne peuvent accueillir de public : [...] les résidences de tourisme, ce texte, en vigueur jusqu'au 2 juin 2020, ayant été abrogé à cette date ;



- que, par la suite, le décret n°2020-663 du 31 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 indique, en son article 41, que dans les départements classés en zone orange, sauf lorsqu'ils constituent pour les personnes qui y vivent un domicile régulier, les établissements suivants mentionnés au livre III du code du tourisme ne peuvent accueillir de public : [...] 2° Les résidences de tourisme, le département de Paris étant classé en zone orange aux termes de l'annexe ;



- que le décret n° 2020-724 du 14 juin 2020 modifiant le décret n° 2020-663 du 31 mai 2020 a fait passer l'ensemble du territoire en zone verte, sauf la Guyane et Mayotte, ce décret entrant en vigueur sauf dispositions spécifiques dès le 15 juin ;



- qu'il y a eu donc une période de fermeture administrative des résidences de tourisme entre le 20 mai 2020 et le 15 juin 2020, soit 26 jours ;



- que, pour la période du 1er novembre au 14 décembre 2020 inclus, l'interdiction d'accueil du public a été clairement posée par le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020, à son article 41, I, 2°, pour une durée représentant 43 jours ;



- qu'aucune interdiction ou fermeture n'a ultérieurement été prévue, notamment pour la période du 19 mars au 19 mai 2021, le décret n°2021-296 du 19 mars 2021 étant taisant sur ce point ;



- que la seule interdiction d'utiliser des équipements n'est évidemment pas une mesure de fermeture administrative, la société intimée ne pouvant être suivie lorsqu'elle indique que, s'agissant d'une résidence de tourisme avec services, la seule impossibilité de bénéficier de certains services, ou de manière générale les autres mesures restrictives touchant d'autres lieux, s'analysent comme une fermeture administrative ;







- qu'il sera enfin précisé que les appelants, contrairement à ce qu'ils semblent indiquer, ne démontrent pas que certains logements seraient toujours restés ouverts comme correspondant à des résidences principales, y compris pendant les fermetures administratives, l'affirmation sur ce point, limité au seul locataire M. [S], n'étant pas démontrée.



La résidence objet du litige, nonobstant les accueils temporaires et ponctuelles de personnes migrants ou de personnel soignant, a donc bien fait l'objet d'une mesure de fermeture administrative mais pendant une durée limitée de 69 jours, soit environ deux mois, en 2020.



Sur l'absence de délivrance des locaux par les bailleurs et sur l'exception d'inexécution



Aux termes de l'article 1719 du code civil, le bailleur est obligé par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée et de l'en faire jouir paisiblement pendant la durée du bail.



Il est soutenu par l'intimée que les bailleurs ont manqué, même sans faute, à leur obligation de délivrance des locaux loués puisqu'elle a été contrainte de fermer ses établissements en raison des mesures adoptées par le gouvernement pour lutter contre la propagation du covid-19, ce qui justifie la suspension des loyers, l'exception d'inexécution prévue par l'article 1219 du code civil pouvant toujours être opposée.



Or, y compris pendant les périodes de fermeture, les bailleurs ont continué à mettre les locaux loués à la disposition de la société, laquelle n'invoque aucun manquement de leur part à leurs obligations de mise à disposition de locaux conformes à la destination contractuelle. Les locaux permettaient d'exercer l'activité prévue aux baux.



La fermeture administrative de la résidence de tourisme, imposée par les mesures législatives et réglementaires de lutte contre l'épidémie de Covid-19, n'est pas le fait des bailleurs qui, pour leur part, ont continué à remplir leur obligation de délivrance.



La demande de suspension du paiement des loyers sur le fondement de l'article 1719 du code civil n'est donc pas fondée, l'obligation de paiement n'étant pas sérieusement contestable.



Sur la force majeure



L'appelante se fonde sur l'article 1218 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016, relatif à la force majeure en matière contractuelle, estimant que la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19 doit être qualifiée d'événement de force majeure.



Il convient de relever que ce texte n'est applicable qu'aux contrats conclus après le 1er octobre 2016, date d'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016, et qu'en l'espèce, les baux litigieux ont été conclus avant cette date, de sorte qu'ils sont soumis à la loi ancienne, soit à l'article 1148 ancien du code civil, ce qui est toutefois sans incidence sur le présent litige.















Il sera en effet rappelé que le débiteur d'une obligation contractuelle de somme d'argent inexécutée ne peut s'exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure. La force majeure se caractérise par la survenance d'un événement extérieur au débiteur, imprévisible et irrésistible, rendant impossible l'exécution de l'obligation. Or, l'obligation de paiement d'une somme d'argent est toujours susceptible d'exécution, le cas échéant forcée, sur le patrimoine du débiteur. Elle n'est, par nature, pas impossible : elle est seulement plus difficile ou plus onéreuse.



Faute de justifier d'une impossibilité d'exécuter son obligation de règlement des loyers, la SARL Staycity France ne démontre ainsi pas le caractère irrésistible de l'événement lié à l'épidémie de Covid-19, la contestation ne pouvant être qualifiée de sérieuse, la jurisprudence, contrairement à ce qu'indique la société intimée, étant parfaitement applicable au cas d'espèce.



Sur l'exigence de bonne foi



En application de l'article 1134 du code civil dans sa version applicable au présent litige, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites ; elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise ; elles doivent être exécutées de bonne foi.



Il sera observé que les dispositions du nouvel article 1195 du code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ne sont applicables, cet article ne pouvant donc utilement être invoqué quant aux modalités de renégociation d'un contrat suite à un changement de circonstances imprévisible rendant l'exécution excessivement onéreuse pour une partie.



Pour le surplus, sur le fondement de l'ancien article 1134, la possibilité donnée à une partie de demander une renégociation du contrat à son cocontractant ne la dispense pas de l'exécution de ses obligations durant la renégociation. En cas d'échec de celle-ci, seul le juge du fond peut adapter le contrat, le réviser ou y mettre un terme.



Il en résulte que la demande excède les pouvoirs du juge des référés et que, dans l'attente d'une éventuelle saisine du juge du fond, l'intimée ne peut se dispenser du paiement des loyers contractuellement dus sur le fondement de ces dispositions, ce même si elle a formé auprès des bailleurs plusieurs propositions de règlement partiel des sommes dues en application du contrat.



Il sera ajouté que, si les bailleurs ont effectué un investissement en acquérant des lots dans la résidence litigieuse, il s'agit de particuliers qui ne disposent pas tous d'une trésorerie importante leur permettant de palier la perte de revenus constituée par le défaut de paiement des loyers par l'appelante.



Ils n'ont ainsi pas fait preuve de mauvaise foi en sollicitant judiciairement le règlement des loyers que la société avait de sa seule initiative suspendus, que ce soit pour les périodes concernées par la fermeture ou pour les autres périodes durant lesquelles la société intimée indique avoir connu une baisse de fréquentation, de sorte que ce moyen sera écarté.



Sur la perte de la chose louée



Aux termes de l'article 1722 du code civil, si, pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit ; si elle n'est détruite qu'en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la résiliation même du bail. Dans l'un et l'autre cas, il n'y a lieu à aucun dédommagement.



L'intimée allègue en substance que la pandémie de Covid-19 et les mesures adoptées par le gouvernement pour lutter contre sa propagation constituent une destruction momentanée de la chose louée par cas fortuit au sens de ce texte, ce qui justifie une exonération du paiement des loyers.



Il est à cet égard constant que la destruction de la chose louée peut s'entendre d'une perte matérielle de la chose louée mais également d'une perte juridique, notamment en raison d'une décision administrative et que la perte peut être totale ou partielle, la perte partielle pouvant s'entendre de toute circonstance diminuant sensiblement l'usage de la chose.



La perte partielle de la chose louée n'est pas nécessairement définitive et peut être temporaire.



La société SARL Staycity France a bien subi ici une perte partielle de la chose louée puisqu'elle n'a pu ni jouir de la chose louée ni en user conformément à sa destination pendant les périodes de fermeture administrative, l'absence de toute faute des bailleurs étant indifférente.



Il existe en conséquence une contestation sérieuse sur son obligation au paiement de l'intégralité des loyers pendant les périodes de fermeture administrative.



Cependant, il a été vu précédemment que ces périodes de fermeture n'ont pas excédé environ deux mois et que, hors fermeture, aucun texte, qu'il soit issu du droit commun des obligations ou des dispositions dérogatoires de la période de crise sanitaire, n'autorisait la société à suspendre le paiement des loyers, ainsi qu'il a été rappelé ci-avant, étant rappelé que les aides de l'Etat aux entreprises ont eu pour objet de les soutenir dans le respect de leurs engagements, notamment à l'égard de leurs bailleurs.



Il sera précisé que c'est en vain que la société Staycity France prétend que, même si elle reconnaît (page 29 de ses écritures) que les interdictions administratives de recevoir du public dans les résidences de tourisme n'ont pas concerné l'année 2021, il y aurait eu perte partielle de la chose louée y compris en 2021, ou même hors des périodes de strict fermeture en 2020, alors que les limitations relatives aux autres lieux recevant du public, à l'entrée des touristes en France ou encore les mesures de couvre-feu n'ont pas eu pour effet, ni en droit, ni en fait, de l'empêcher de jouir du bien, ni d'en user conformément à la destination de résidence de tourisme, nonobstant les évidentes difficultés économiques liées à ces autres mesures.



L'obligation de règlement des loyers pesant sur la SARL Staycity France n'est donc pas sérieusement contestable.



Il faut encore préciser que si des travaux ont été entrepris dans la résidence, les appelants ne démontrent pas dans les pièces produites (pièces 40, 53 et 55) que les travaux envisagés devaient précisement concerner les périodes de fermeture administrative, d'autant que les mesures prises ont aussi eu un impact sur la réalisation des travaux de rénovation dans l'immobilier.



Elle sera dès lors condamnée au paiement de provisions au titre des loyers dus et impayés, au regard des décomptes produits, sous réserve de la déduction de deux mois de loyers correspondant aux périodes de fermeture, ainsi que de l'actualisation de la dette ressortant des décomptes produits par les appelants, prenant en compte, pour deux des intimés, du décompte produit en réplique par l'intimée.





Les sommes provisionnelles pouvant être allouées aux appelants seront ainsi fixées :




à M. [DS] [G] et à Mme [J] [OI] épouse [G]


une somme provisionnelle de 6.753,46 euros (créance de loyer actualisée au 30 novembre 2021 pièce 5 avec déduction de deux échéances en 2020, en prenant en compte le décompte opposé par l'intimée en pièce 6 qui n'apparaît pas contesté et limite la dette à la somme de 8.115,90 euros et non 8.218 euros) ;




à Mme [OH] [D]


une somme provisionnelle de 7.091,82 euros (créance de loyer actualisée au 30 novembre 2021 pièce 11 avec déduction de deux échéances en 2020) ;




à M. [KI] [P] et à Mme [Y] [T] épouse [P]


une somme de 12.558,33 euros (créance de loyer actualisée au 30 novembre 2021 pièce 16 avec déduction de deux échéances en 2020, en prenant en compte le décompte opposé par l'intimée en pièce 7 qui n'apparaît pas contesté et limite la dette à la somme de 14.978,61 euros et non 15.760,14 euros) ;




à M. [UP] [PR]


une somme de 12.099,92 euros (créance de loyer actualisée au 30 novembre 2021 pièce 21 avec déduction de deux échéances en 2020) ;




à M. [I] [GI] et à Mme [N] [PS] épouse [GI]


une somme de 6.828,82 euros (créance de loyer actualisée au 30 novembre 2021 pièce 26 avec déduction de deux échéances en 2020) ;




à M. [A] [LS] et à Mme [U] [WA] épouse [LS]


une somme de 7.159,58 euros (créance de loyer actualisée au 30 novembre 2021 pièce 31 avec déduction de deux échéances en 2020) ;




à M. [L] [RZ]


une somme de 7.010, 69 euros (créance de loyer actualisée au 30 novembre 2021 pièce 36 avec déduction de deux échéances en 2020).



Au regard de l'ensemble de ces éléments, il y a donc lieu d'infirmer l'ordonnance entreprise et d'accorder à titre provisionnel aux appelants les sommes indiquées, qui correspondent à la hauteur non sérieusement contestable de l'obligation de paiement de la société intimée.



Sur la demande de délais de paiement



Il résulte des pièces produits en cause d'appel par l'intimée (pièces 5 et 8) que la société Staycity France, qui verse désormais ses comptes-rendus d'exploitation 2019-2020, justifie bien de ce qu'elle a connu une baisse de son chiffre d'affaires de 65 % en 2020 et de 68 % entre janvier à juin 2021.



Eu égard aux difficultés financières rencontrées par la société intimée en raison de la crise sanitaire et de la nécessité dans laquelle elle se trouve d'échelonner le règlement de sa dette afin de préserver son activité, il lui sera accordé un délai en application de l'article 1343-5 du code civil, dans les conditions prévues au dispositif. A défaut de respect de l'échéancier ou de règlement du loyer courant à son échéance, le solde sera immédiatement exigible.









Sur les autres demandes



Il y a lieu d'accorder aux appelants les sommes indiquées au dispositif aux fins d'indemniser leurs frais non répétibles de première instance et d'appel, l'intimée étant condamnée aux dépens de première instance et d'appel, ce par infirmation de la décision du premier juge.



PAR CES MOTIFS



Statuant dans les limites de l'appel,



Infirme l'ordonnance entreprise ;



Statuant à nouveau et y ajoutant,



Condamne la société SARL Staycity France à payer :




à M. [DS] [G] et à Mme [J] [OI] épouse [G]


une somme provisionnelle de 6.753,46 euros (créance de loyer actualisée au 30 novembre 2021) ;

une somme de 400 euros en application des dispositions de l'article 700 à hauteur d'appel et 200 euros au titre des frais irrépétibles de première instance ;




à Mme [OH] [D]


une somme provisionnelle de 7.091,82 euros (créance de loyer actualisée au 30 novembre 2021) ;

une somme de 400 euros en application des dispositions de l'article 700 à hauteur d'appel et 200 euros au titre des frais irrépétibles de première instance ;




à M. [KI] [P] et à Mme [Y] [T] épouse [P]


une somme de 12.558,33 euros (créance de loyer actualisée au 30 novembre 2021) ;

une somme de 400 euros en application des dispositions de l'article 700 à hauteur d'appel et 200 euros au titre des frais irrépétibles de première instance ;




à M. [UP] [PR]


une somme de 12.099,92 euros (créance de loyer actualisée au 30 novembre 2021) ;

une somme de 400 euros en application des dispositions de l'article 700 à hauteur d'appel et 200 euros au titre des frais irrépétibles de première instance ;




à M. [I] [GI] et à Mme [N] [PS] épouse [GI]


une somme de 6.828,82 euros (créance de loyer actualisée au 30 novembre 2021) ;

une somme de 400 euros en application des dispositions de l'article 700 à hauteur d'appel et 200 euros au titre des frais irrépétibles de première instance ;




à M. [A] [LS] et à Mme [U] [WA] épouse [LS]


une somme de 7.159,58 euros (créance de loyer actualisée au 30 novembre 2021) ;

une somme de 400 euros en application des dispositions de l'article 700 à hauteur d'appel et 200 euros au titre des frais irrépétibles de première instance ;




à M. [L] [RZ]


une somme de 7.010, 69 euros (créance de loyer actualisée au 30 novembre 2021) ;

une somme de 400 euros en application des dispositions de l'article 700 à hauteur d'appel et 200 euros au titre des frais irrépétibles de première instance ;



Autorise la société SARL Staycity France à s'acquitter des sommes accordées à titre provisionnel au titre des loyers impayés, en douze échéances mensuelles successives correspondant à un douzième de la dette chacune, à payer avec le loyer courant et pour la première fois avec le loyer dû au 5 juillet 2022 ;



Dit qu'à défaut de respect de l'échéancier ou de règlement du loyer courant à son échéance, le solde de la dette sera immédiatement exigible ;



Dit n'y avoir lieu à référé sur le surplus des demandes des parties ;



Condamne la SARL Staycity France aux dépens de première instance et d'appel.



LE GREFFIER POUR LA PRESIDENTE EMPÊCHÉE

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