31 mai 2022
Cour d'appel de Montpellier
RG n° 20/01177

Chambre commerciale

Texte de la décision

Grosse + copie

délivrées le

à







COUR D'APPEL DE MONTPELLIER



Chambre commerciale



ARRET DU 31 MAI 2022



Numéro d'inscription au répertoire général :

N° RG 20/01177 - N° Portalis DBVK-V-B7E-ORAF



Décision déférée à la Cour :

Jugement du 02 DECEMBRE 2019

TRIBUNAL DE COMMERCE DE MONTPELLIER

N° RG 2017009016





APPELANTE :



Madame [X] [D] épouse [V]

née le [Date naissance 5] 1961 à [Localité 11]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 8]

Représentée par Me Marie LUSSAGNET de la SELAS AGN AVOCATS MONTPELLIER, avocat au barreau de MONTPELLIER substitué par Me François GIRAULT de la SELAS AGN AVOCATS MONTPELLIER, avocat au barreau de MONTPELLIER





INTIMES :



Monsieur [G] [U]

né le [Date naissance 3] 1963 à [Localité 9] (24)

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représenté par Me Daniel D'ACUNTO, avocat au barreau de MONTPELLIER substitué par Me Marjorie AGIER, avocat au barreau de MONTPELLIER

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/003960 du 03/06/2020 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de MONTPELLIER)



S.A. CAISSE D'EPARGNE ET DE PREVOYANCE DU LANGUEDOC ROUSSILLON

[Adresse 4]

[Localité 7]

Représentée par Me Véronique NOY de la SCP VINSONNEAU PALIES, NOY, GAUER ET ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER substitué par Me Hélène ARENDT, avocat au barreau de MONTPELLIER







Ordonnance de clôture du 02 Mars 2022



COMPOSITION DE LA COUR :





En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 23 MARS 2022,en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Marianne ROCHETTE, conseiller, chargé du rapport.







Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

M. Jean-Luc PROUZAT, président de chambre

Mme Anne-Claire BOURDON, conseiller

Mme Marianne ROCHETTE, conseiller



Greffier, lors des débats : Madame Hélène ALBESA





ARRET :



- contradictoire.



- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;



- signé par Monsieur Jean-Luc PROUZAT, président de chambre, et par Madame Hélène ALBESA, greffier.






FAITS, PROCÉDURE - PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES:



La SAS Brasserie de Thau, dont les gérants associés sont Mme [D] épouse [V] en tant que présidente et M. [U], directeur général, a une activité de restauration traditionnelle à [Localité 10] (34).



Elle a souscrit par acte sous seing privé du 25 avril 2013 auprès de la Caisse d'épargne du Languedoc-Roussillon (ci-après la Caisse d'épargne), un prêt d'un montant de 100 000 euros destiné au financement des investissements nécessaires à la création de l'activité projetée remboursable en 72 mensualités de 1 669,52 euros au taux de 4 %.



Par actes sous seing privés du même jour, Mme [D] épouse [V] et M. [U] se sont chacun portés caution solidaire du remboursement de ce prêt pour une durée de 126 mois, dans la limite de 65 000 euros pour la première et de 130 000 euros pour le second.



Par jugement du tribunal de commerce de Montpellier en date du 30 novembre 2015, la société Brasserie de Thau a fait l'objet d'une ouverture de procédure de liquidation judiciaire, dans le cadre de laquelle, la Caisse d'épargne a, le 14 décembre 2015, déclaré une créance à titre privilégié de 65 287,43 euros, outre intérêts.



Par lettres recommandées avec demande d'avis de réception en date du 10 décembre 2015, elle a mis en demeure les cautions d'honorer leur engagement de caution.



Par ordonnances des 20 avril et 22 août 2016, le juge-commissaire a autorisé la vente de gré à gré du fonds de commerce pour un prix de 62 500 euros ainsi que la vente amiable de l'actif mobilier de la société Brasserie de Thau pour un prix de 16 000 euros.



Une nouvelle mise en demeure faisant suite à celle du 10 décembre 2015 a été adressée le 16 février 2017 aux deux cautions pour paiement de la somme de 70 584,54 euros et de 32 292,27 euros.



Par exploits d'huissier en date du 22 mai 2017, la Caisse d'épargne a fait assigner Mme [D] épouse [V] et M. [U] en paiement devant le tribunal de commerce de Montpellier qui, par jugement du 2 décembre 2019 :

- débouté la Caisse d'épargne de ses demandes à l'encontre de M. [U],

- condamné Mme [D] épouse [V] à payer la somme de 22 186,06 euros à la Caisse d'épargne, portant, à compter du 30 novembre 2018, intérêts au taux de 7 % sur la somme de 62 178,51 euros et intérêts au taux légal sur celle de 3 106,92 euros,

- condamné la Caisse d'épargne à verser la somme de 1 000 euros à M. [U] en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que les dépens et frais d'instance seront payés pour part égale par la Caisse d'Epargne et par Mme [D] épouse [V] (').



Mme [D] épouse [V] a régulièrement relevé appel le 25 février 2020 de ce jugement.



Elle demande à la cour, en l'état de ses conclusions déposées et notifiées le 12 août 2020 via le RPVA et visa des articles L. 341-4 du code de la consommation (devenu L. 332-1), 1147 et 1244-1 du code civil, de :

(')



- infirmer le jugement en toutes ses dispositions,

A titre principal :

- dire et juger que l'acte de cautionnement était, au moment de sa conclusion, manifestement disproportionné par rapport à ses faibles revenus et à son patrimoine totalement inconsistant,

- dire et juger que ses revenus et son patrimoine actuel ne lui permettent en aucune façon de faire face à l'acte de cautionnement,

En conséquence,

- dire et juger que la Caisse d'épargne ne peut se prévaloir de l'engagement de caution solidaire de Mme [D] épouse [V],

- débouter la Caisse d'Epargne des demandes formées à son encontre,

A titre subsidiaire :

Sur la faute de la Caisse d'épargne,

- dire et juger que la Caisse d'épargne a sciemment sollicité de Mme [D] épouse [V] un engagement de caution solidaire qui était, au moment de sa conclusion, sans commune mesure avec ses revenus et son patrimoine,

- dire et juger que la Caisse d'épargne n'a pas mis en garde Mme [D] épouse [V] contre les risques et a sollicité avec une légèreté blâmable son engagement en tant que caution,

- dire et juger que la Caisse d'épargne a commis une faute engageant sa responsabilité civile à l'égard de Mme [D] épouse [V] en sollicitant de sa part un tel engagement,

- la condamner à payer la somme de 25 294 euros à titre de dommages et intérêts venant compenser la dette de Mme [D] épouse [V],

Sur l'octroi de délais de paiement,

- dire et juger que sa situation financière et patrimoniale est plus que précaire et que la Caisse d'épargne ne se trouve pas dans une situation de besoin,

- dire et juger que Mme [D] épouse [V] bénéficiera d'un report de sa dette à deux ans, que les intérêts produits ne pourront être supérieurs au taux légal et que les paiements s'imputeront d'abord sur le capital,

En toutes hypothèses :

- condamner M. [U] à payer à la Caisse d'Epargne la somme de 47 479,08 euros,

- condamner la Caisse d'épargne à la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.



Au soutien de son appel, elle fait essentiellement valoir que :

- au jour de la souscription du cautionnement, elle ne percevait qu une modeste allocation chômage et ne disposait d'aucun patrimoine et au jour où elle est appelée, elle ne perçoit qu'un salaire mensuel net de 658,92 euros,

- la banque ne l'a pas mise en garde sur les risques d'une telle opération, alors qu'elle connaissait sa situation financière,

- la précarité de sa situation et l'absence de patrimoine justifient l'octroi de délais de paiement,

- M. [U] s'abstient de démontrer un retour à meilleure fortune pour pouvoir bénéficier des dispositions de l'article L. 341-4 du code de la consommation (L. 332-1).



La Caisse d'épargne sollicite, aux termes de ses conclusions déposées et notifiées par le RPVA le 20 octobre 2020 et au visa de l'article L. 341-4 ancien du code de la consommation, de confirmer la décision entreprise et de condamner Mme [D] épouse [V] au paiement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.



Elle expose en substance que :

- en l'absence d'anomalies apparentes affectant la fiche de situation patrimoniale, le banquier n'a pas à vérifier l'exactitude des déclarations de la caution qui ne peut, en cas de fausses déclarations, établir a posteriori le caractère disproportionné d'un tel engagement,

- Mme [V] a déclaré détenir un placement financier de 112 000 euros et percevoir des revenus fonciers annuels (4 824 euros) s'ajoutant à des revenus mensuels de 950 euros,

- l'appelante ne démontre pas être une caution non avertie créancière d'un devoir de mise en garde et en tout état de cause, le règlement du crédit par la société cautionnée a été constant pendant plus de deux ans avant l'ouverture et les capacités financières telles que déclarées excluaient une inadaptation de l'engagement de caution,

- la demande de report de paiement n'est pas justifiée.



M. [U] sollicite, aux termes de ses conclusions déposées et notifiées par le RPVA le 6 novembre 2020 de :



A titre principal,

- confirmer la décision entreprise,

Subsidiairement,

- constater que la Caisse d'épargne a failli à son obligation et devoir de mise en garde vis-à-vis de la caution et en conséquence,

- condamner la Caisse d'Epargne à lui verser à ce titre la somme de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts,

- fixer la créance de la Caisse d'épargne à la somme de 37 898,85 euros,

- ordonner la compensation des deux sommes ci-dessus indiquées,

En tout état de cause,

- condamner Mme [D] à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.



Il expose en substance que :



- l'engagement de caution induisant un taux d'endettement (114 %) excède largement le taux d'usage bancaire pratiqué,

- la demande de condamnation formée par Mme [D] épouse [V] à son encontre ne pourrait qu'être subsidiaire et elle est inutile en l'absence de retour à meilleure fortune non discuté par la banque,





- le défaut de mise en garde de la banque lui a causé un préjudice devant être indemnisé,

- la banque ne peut lui réclamer que le paiement de la somme de 37 898,85 euros, dès lors qu'elle a perçu la somme de 33 162,68 en suite de la vente du fonds de commerce.



Il est renvoyé, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.



C'est en l'état que l'instruction a été clôturée par ordonnance du 2 mars 2022.


MOTIFS DE LA DÉCISION :



1- Sur la disproportion manifeste de l'engagement de caution de Mme [D] épouse [V] :



L'article L.341-4 du code de la consommation (L.332-1 dans sa nouvelle rédaction) prévoit qu'un créancier professionnel ne peut se prévaloir d'un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l'engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où elle est appelée, ne lui permette de faire face à ses obligations.



La disproportion du cautionnement doit être évaluée lors de la conclusion du contrat, au regard du montant de l'engagement et en fonction des revenus et du patrimoine de la caution, en prenant également en considération l'endettement global de celle-ci.



Il incombe à la caution de rapporter la preuve de la disproportion qu'elle allègue mais le créancier est quant à lui en droit, sauf anomalies apparentes de se fier aux informations certifiées exactes qui lui ont été fournies dans la fiche de situation patrimoniale et de les opposer à la caution sans possibilité pour cette dernière de soutenir que sa situation était, en réalité, moins favorable que celle qu'elle avait déclarée à la banque.



Mme [D] épouse [V] a rempli et signé le 28 mars 2013, une fiche de situation patrimoniale dans laquelle elle déclarait être mariée sous le régime de la séparation de biens et avoir deux enfants à charge. Elle n'a déclaré aucun patrimoine immobilier mais a indiqué dans la rubrique 'placements financiers', l'existence de fonds à hauteur de 112 000 euros 'en cours de transfert' par notaire, provenant de la vente de sa résidence principale.



Ainsi si ses revenus déclarés pour un total de 1350 euros par mois ne lui permettaient effectivement pas d'honorer l'échéance de remboursement (1669,52 euros) du prêt consenti à la société Brasserie de Thau en cas de défaillance de celle-ci et de substitution de la caution, il n'en demeure pas moins que les fonds ainsi déclarés, et sur lesquels elle ne s'explique pas, lui permettaient de répondre de son engagement de caution consenti dans la limite de 65 000 euros représentant la moitié de ce patrimoine mobilier.



La disproportion manifeste devant être appréciée au regard des revenus mais également des biens de la caution, ne peut être retenue en l'espèce eu égard à l'existence de ces fonds mais également de l'existence d'un patrimoine immobilier sur lequel Mme [D] épouse [V] ne s'explique pas davantage, étant relevé que ses ressources sont constituées pour partie de revenus fonciers.





Il est constant enfin que dès lors qu'un cautionnement conclu par une personne physique n'était pas, au moment de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, le créancier peut s'en prévaloir sans être tenu de rapporter la preuve que le patrimoine de la caution lui permettait de faire face à son obligation au moment où elle a été appelée.



Le débat portant sur l'absence de retour à meilleure fortune au jour où Mme [D] épouse [V] est appelée est donc sans objet.



Le jugement de première instance sera donc confirmé en ce qu'il a débouté Mme [D] épouse [V] de ses demandes au titre de la disproportion manifeste et en ce qu'il l'a condamnée à payer à la Caisse d'épargne la somme non autrement discutée dans son quantum de 22 186,06 euros, portant, à compter du 30 novembre 2018, intérêts au taux de 7 % sur la somme de 62 178, 51 euros et intérêts au taux légal sur celle de 3 106,92 euros,



2- Sur le manquement au devoir de mise en garde :



Il appartient à la caution non avertie qui invoque le manquement d'une banque à son obligation de mise en garde d'apporter la preuve de l'inadaptation de son engagement par rapport à ses capacités financières ou d'un risque d'endettement qui serait né de l'octroi du crédit.



En l'espèce, l'examen ci-dessus de la situation financière de Mme [D] épouse [V] est exclusive d'une inadaptation de son engagement à ses capacités financières et la banque objecte à juste titre que la société Brasserie de Thau a été en mesure d'honorer le prêt pendant 30 mois avant le premier impayé non régularisé. Mme [D] épouse [V] n'établit pas ensuite en quoi le prêt consenti pour l'acquisition du fonds de commerce aurait été excessif au regard des capacités de remboursement de sa société, se limitant à procéder par voie d'affirmation.



Elle ne pourra qu'être déboutée de sa demande en dommages-intérêts.



3- Sur la demande de délais de paiement :



L'article 1343-5 du code civil dispose que le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues.



Il convient de constater que la dette est ancienne et que Mme [D] épouse [V] a de fait bénéficié d'un report de sa dette. Elle ne justifie pas de sa capacité à honorer sa dette dans le délai de deux ans au regard de sa situation financière actuelle et prévisionnelle.



Elle sera donc déboutée de sa demande de délais de paiement.



4- Sur la demande de Mme [D] épouse [V] dirigée contre M. [U] :



La Caisse d'épargne n'a pas formé appel incident contre le jugement du 2 décembre 2019 ayant retenu la disproportion manifeste de l'engagement de caution de M. [U] au jour où il a été contracté et l'absence de retour à meilleure fortune de celui-ci au jour où il a été appelé.



Mme [D] épouse [V] n'est pas fondée à demander l'infirmation du jugement sur ce point eu égard en premier lieu, de la règle selon laquelle nul ne plaide par procureur. Elle objecte ensuite le défaut de preuve par M.[U] de l'absence de retour à meilleure fortune alors que cette preuve ne lui incombe pas et que Caisse d'épargne n'a pas été en capacité de rapporter la preuve qu'il serait en capacité d'honorer son engagement au jour où il est appelé. Mme [D] épouse [V] qui se limite à inverser la charge de la preuve n'apporte pas le moindre commencement de preuve d'un retour à meilleure fortune du co-obligé.



Elle sera déboutée de sa demande tendant à l'infirmation du jugement sur cette question.



5 - Sur les frais et les dépens :



Mme [D] épouse [V] qui succombe, devra supporter les dépens de l'instance et payer à la Caisse d'épargne et de Prévoyance du Languedoc Roussillon d'une part et à M. [U] d'autre part une somme de 2 000 euros à chacun en application de l'article 700 du code de procédure civile.



PAR CES MOTIFS :



La cour, statuant publiquement et par arrêt contradictoire,



Confirme le jugement du tribunal de commerce de Montpellier en date du 2 décembre 2019 dans ses dispositions soumises à la cour,



Déboute Mme [D] épouse [V] de ses demandes fondées sur la disproportion manifeste de son engagement de caution et sur l'engagement de la responsabilité contractuelle de la Caisse d'Epargne,



Déboute Mme [D] épouse [V] de sa demande formée contre M. [U],



Dit que Mme [D] épouse [V] supportera les dépens de l'instance et payera à la Caisse d'épargne et de Prévoyance du Languedoc-Roussillon d'une part et à M. [U] d'autre une somme de 2000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.





le greffier, le président,

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