31 mai 2022
Cour d'appel d'Angers
RG n° 21/01079

Chambre A - Commerciale

Texte de la décision

COUR D'APPEL

D'ANGERS

CHAMBRE A - COMMERCIALE







NR/IM

ARRET N°



AFFAIRE N° RG 21/01079 - N° Portalis DBVP-V-B7F-E2GD



Jugement du 20 Avril 2021

Tribunal de Commerce d'ANGERS

n° d'inscription au RG de première instance : 2020 00129







ARRÊT DU 31 MAI 2022





APPELANT :



Monsieur [N] [I]

né le [Date naissance 2] 1969 à [Localité 8]

De nationalité française

[Adresse 7]

[Localité 5]



Représenté par Me Frédéric HARDY, avocat au barreau d'ANGERS





INTIMES :



Monsieur [B] [T], en qualité de mandataire liquidateur de la S.A.R.L. S.C.V.V.

[Adresse 1]

[Localité 4]



Assigné, n'ayant pas constitué avocat



MONSIEUR LE PROCUREUR GENERAL près la COUR D'APPEL D'ANGERS

[Adresse 9]

[Localité 3]



En la présence de Monsieur Hervé DREVARD, avocat général





COMPOSITION DE LA COUR :



L'affaire a été débattue publiquement, à l'audience du 09 Novembre 2021 à 14 H 00, Mme ROBVEILLE, Conseiller, ayant été préalablement entendue en son rapport, devant la Cour composée de :







Mme CORBEL, Présidente de chambre

Mme ROBVEILLE, Conseiller

M. BENMIMOUNE, Conseiller



qui en ont délibéré



Greffière lors des débats : Mme TAILLEBOIS



ARRET : réputé contradictoire



Prononcé publiquement le 31 mai 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l'article 450 du code de procédure civile ;



Signé par Catherine CORBEL, Présidente de chambre, et par Sophie TAILLEBOIS, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.




~~~~



FAITS ET PROCÉDURE

M. [N] [I] a créé fin 2006 la société (SARL) SCVV immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Strasbourg, ayant pour objet l'achat et la vente de vins, la commercialisation des vins issus de la production appartenant à la société et de matériels viniques et de tout autre produit permettant de compléter l'offre commerciale ainsi que du consulting et de la prestation de services formation et courtage en vins.

Lorsque M. [I] est venu s'établir [Adresse 6]), il a transféré le siège social de la société SCVV à cette adresse et l'a faite immatriculer le 31 décembre 2013 au registre du commerce et des sociétés d'Angers.

Par acte d'huissier du 10 octobre 2016, la société (SAS) Nestlé Waters Marketing & Distribution a fait assigner la société SCVV, prise en la personne de son représentant légal, M. [N] [I], devant le tribunal de commerce d'Angers, à l'audience du 16 novembre 2016, aux fins de voir constater son état de cessation des paiements et de voir ouvrir une procédure de redressement judiciaire.

Par jugement réputé contradictoire du 14 décembre 2016, le tribunal de commerce d'Angers a prononcé la liquidation judiciaire de la société SCVV, fixant la date de cessation des paiements au 1er juillet 2015 et désignant Maître [B] [T] en qualité de liquidateur judiciaire.

La situation a fait ressortir un actif de 0 euro et un passif de 83.270,24 euros composé de la seule créance de la société Nestlé Waters Marketing & Distribution.



Par requête déposée le 5 novembre 2019, au vu du rapport de Maître [T] du 3 octobre 2019, le Ministère public a requis du président du tribunal de commerce d'Angers le prononcé à l'encontre de M. [N] [I], en application de l'article L. 653-8 du code de commerce, d'une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci, pour une durée qui ne soit pas inférieure à 10 années, avec exécution provisoire et inscription de la condamnation à intervenir au fichier national des interdictions de gérer.

Par jugement du 20 avril 2021, le tribunal de commerce d'Angers a :

- condamné M. [N] [I], né le [Date naissance 2] 1969 à [Localité 8] (59), France, de nationalité française, domicilié [Adresse 7], à une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale pour une durée de huit années,

- ordonné les communications et publicités légales,

- condamné M. [N] [I] aux dépens de l'instance en ce compris les frais de signification par voie d'huissier et les frais de publicité dans un journal d'annonces légales,

- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement,

- ordonné que la présente condamnation soit inscrite au ficher national des interdictions de gérer (décret n°2015-194 du 19 février 2015).

Pour prononcer l'interdiction de gérer pour une durée de huit années, le tribunal écartant les griefs tenant à l'absence de comptabilité et au défaut de communication des informations prévues par l'article L 622-6 du code de commerce, a retenu à l'encontre de M.[I] l'omission de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai légal, l'aggravation du passif de la société SCVV et son absence de coopération avec les organes de la procédure collective.

Il a ainsi retenu que M. [I] n'avait pas déposé de demande d'ouverture d'une procédure collective dans les 45 jours suivant la date d'état de cessation des paiements fixée par le tribunal dans sa décision du 14 décembre 2016 au premier juillet 2015 et que le Ministère Public démontrant l'existence d'un passif de 83 270,24 euros au titre d'une créance signifiée à la société SCVV le 27 mai 2014, l'omission ne pouvait être assimilée ni à une négligence, ni à un oubli purement matériel, mais à une volonté délibérée de ne pas en faire état et de poursuivre l'activité de l'entreprise.

Il a également considéré que l'opération de cession de toutes les parts sociales à un tiers, en l'absence de preuve d'un flux financier, n'avait pas permis au mandataire judiciaire de récupérer cet actif au profit du créancier unique de la société SCVV et en a déduit que M. [I] avait manifestement détourné un actif empêchant sa réalisation éventuelle au profit de la procédure collective.

Il a également constaté que M [I] qui avait fait défaut à l'audience du tribunal de commerce d'Angers, ne s'était pas présenté aux rendez-vous fixés par Maître [T] ès qualités, en son étude et n'avait pas non plus répondu à la convocation du commissaire priseur en vue d'effectuer l'inventaire et en a déduit que le défaut de coopération avec les organes de la procédure collective était caractérisé.

Par déclaration du 28 avril 2021, M. [N] [I] a interjeté appel de ce jugement en ce qu'il l'a condamné à une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale pour une durée de 8 années ; a ordonné les communications et publicités légales ; l'a condamné aux dépens ; a ordonné l'exécution provisoire du présent jugement et a ordonné que la présente condamnation soit inscrite au ficher national des interdictions de gérer ; intimant le Procureur général près la cour d'appel d'Angers et Maître [B] [T] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société SCVV.

Par ordonnance de référé du 26 mai 2021, le premier président de la cour d'appel d'Angers a arrêté l'exécution provisoire attachée à l'interdiction de gérer prononcée à l'encontre de M. [I] par le jugement du tribunal de commerce d'Angers en date du 20 avril 2021.

M. [N] [I] et le Procureur général près la cour d'appel d'Angers ont conclu.

Bien que s'étant vu régulièrement signifier la déclaration d'appel et les conclusions de l'appelant, Maître [B] [T] en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL SCVV n'a pas constitué avocat.

Une ordonnance du 20 septembre 2021 a clôturé l'instruction de l'affaire.

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties il est renvoyé, en application des dispositions des articles 455 et 954 du Code de procédure civile, à leurs dernières conclusions respectivement déposées au greffe avant l'ordonnance de clôture :

- le 2 juillet 2021 pour M. [N] [I],

- le 2 juin 2021 pour le Ministère public, aux termes desquelles les parties forment les demandes qui suivent.

M. [N] [I] demande à la cour, au vu des articles L. 653-8, L. 653-4 et L. 653-5 du code de commerce, de :

- le dire et juger recevable et bien fondé en son appel à l'encontre du jugement du tribunal de commerce d'Angers du 20 avril 2021,

- infirmer le jugement du tribunal de commerce d'Angers du 20 avril 2021,

- débouter le Ministère public et Maître [T] ès qualités de toute demande formée à son encontre,

- dire n'y avoir lieu à le condamner à une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, toutes entreprises commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale,

- ordonner qu'il soit procédé aux rectifications nécessaires suite aux communications et publicités légales réalisées en application du jugement du tribunal de commerce d'Angers du 20 avril 2021,

- ordonner qu'il soit procédé à l'effacement de l'inscription au Fichier national des interdictions de gérer de la condamnation prononcée à son encontre par le tribunal de commerce d'Angers du 20 avril 2021,

- dire et juger qu'il ne sera pas tenu des dépens liés tant à la procédure devant le tribunal de commerce que de la procédure d'appel, des frais de signification par huissier de justice et des frais de publicité légale,

- condamner Maître [T], ès qualités aux entiers dépens liés tant à la procédure devant le tribunal de commerce, qu'à la procédure d'appel, aux frais de signification par huissier de justice et aux frais de publicité légale.

Le Ministère public demande à la cour, sur le fondement des articles L. 653-4, L. 653-5 et L. 653-8 du code de commerce, de :

- constater la recevabilité de l'appel formé par M. [N] [I],

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 20 avril 2021 par le tribunal de commerce d'Angers,

- statuer sur les dépens.

Par conclusions signifiées le 15 octobre 2021, soit postérieurement à l'ordonnance de clôture, M. [N] [I] a sollicité le renvoi de l'affaire à l'audience de plaidoirie à la prochaine date utile, avec révocation de l'ordonnance de clôture pour la fixer au jour de la nouvelle audience de plaidoirie, reprenant pour le surplus l'ensemble de ses demandes.

Le 19 octobre 2021, l'affaire a été renvoyée à l'audience de plaidoirie du 9 novembre 2021, sans rabat de l'ordonnance de clôture.




MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande de révocation de l'ordonnance de clôture

Aux termes de l'article 784 du code de procédure civile, l'ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue.

En l'espèce, M. [I] fait valoir, par conclusions déposées postérieurement à l'ordonnance de clôture, que du fait de l'hospitalisation de son conseil à compter du 2 septembre 2021 et de l'arrêt de travail de celui-ci prolongé jusqu'au 27 octobre 2021, il ne lui a pas été possible de faire un nouveau point avec lui avant l'ordonnance de clôture.

Il sera constaté que M. [I], qui avait été informé le 11 mai 2021 par un avis de fixation de ce que la clôture interviendrait le 20 septembre 2021 pour une audience de plaidoirie prévue au 19 octobre 2021, a conclu le 2 juillet 2021 et que ces conclusions, qui n'ont pas fait l'objet d'une réponse du Ministère Public, sont les dernières qui ont été prises par les parties avant l'ordonnance de clôture.

Le renvoi le 19 octobre 2021 de l'audience de plaidoirie au 9 novembre 2021 a en outre permis à Maître Hardy d'être présent et d'assister M. [I] durant les débats à l'audience à laquelle l'affaire a été retenue.

M. [I] ne rapportant pas la preuve d'une cause grave révélée postérieurement à l'audience de clôture, il sera débouté de sa demande de révocation de l'ordonnance de clôture.

Ses conclusions du 15 octobre 2021 seront ainsi écartées des débats, sauf en ce qu'elles tendaient à former la demande de révocation de l'ordonnance de clôture sur laquelle il vient d'être statué.

Pour le surplus de ses moyens et prétentions, il sera donc renvoyé à ses dernières écritures avant clôture, soit celles du 2 juillet 2021.

Au fond, sur la demande d'interdiction de gérer

Selon l'article L 653-8 du code de commerce, dans les cas prévus aux articles L 653-3 à L 653-6, le tribunal peut prononcer, à la place de la faillite personnelle, l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci.

L'interdiction de gérer peut également être prononcée, en application de l'article L 653-8 alinéa 3 dans sa version issue de la loi n°2015-990 du 6 août 2015, à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L.653-1 qui a omis sciemment de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la date de cessation des paiements sans avoir, par ailleurs, demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation.

* Sur le défaut de déclaration de l'état de cessation des paiements dans le délai légal

Le Ministère Public fait valoir que la procédure collective a été ouverte le 14 décembre 2016 à l'initiative de la société Neslé Waters Marketing et Distribution, sur la base d'une créance signifiée le 27 mai 2014 et que la date de cessation des paiements de la société SCVV a été fixée par le tribunal de commerce d'Angers au 1er juillet 2015, soit plus de 45 jours avant l'ouverture de la procédure collective.

Il conclut que M. [I] a délibérément omis de demander l'ouverture d'une procédure collective dans le délai légal de 45 jours suivant l'état de cessation des paiements.

M. [I] indique que la société SCVV avait cessé de fait toute activité depuis deux ans lorsqu'elle a été placée en liquidation judiciaire par jugement du 14 décembre 2016, expliquant que suite à son incarcération du 8 novembre 2012 au 16 mars 2013, il avait perdu toute capacité à poursuivre l'activité de cette société.

Il explique avoir entrepris des démarches pour céder la société SCVV du fait de son incapacité à poursuivre seul le développement de son activité et afin de trouver un acquéreur qui reprendrait le passif de cette société, ce qui l'a conduit à entrer en contact avec M. [H] au mois de mars 2016.



Il affirme avoir informé l'acquéreur potentiel de ses parts, M. [H], de la dette de la société SCVV à l'égard de la société Neslé Waters Marketing et Distribution.

Il ajoute que M. [H], qui a acquis l'intégralité de ses parts sociales, a admis avoir eu connaissance de l'assignation en redressement judiciaire signifiée à la société SCVV.

Il prétend qu'il n'y a eu aucune volonté de sa part de dissimuler une activité déficitaire, de poursuivre l'activité de la société malgré son état de cessation des paiements pour en tirer un bénéfice personnel supplémentaire ou creuser son passif.

Il en déduit qu'il ne saurait être considéré qu'il a omis sciemment de demander l'ouverture d'une procédure collective dans le délai requis par l'article L 653-8 du code de commerce.

Sur ce :

La faute reprochée à M. [I] par le Ministère Public qui repose sur les dispositions de l'article L 653-8 alinéa 3 du code de commerce prévoyant la sanction de l'interdiction de gérer en cas d'omission sciemment de demander l'ouverture d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire dans le délai de 45 jours à compter de la cessation des paiements, ne se confond pas avec celle prévue à l'article L 653-4 4° caractérisée par la poursuite par le dirigeant d'une personne morale, abusivement, dans un intérêt personnel, d'une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale, qui n'est pas invoquée.

M. [I] admet avoir été le gérant de la société SCVV depuis sa création en 2006, jusqu'à la cession de l'intégralité de ses parts à M. [H] suivant acte sous seing privé du 14 novembre 2016.

La procédure collective de la société SCVV a été ouverte le 14 décembre 2016, sur assignation délivrée par Neslé Waters Marketing et Distribution le 10 octobre 2016, créancière.

La date de cessation des paiements a été fixée par le tribunal dans sa décision du 14 décembre 2016, au 1er juillet 2015.

Cette date fixée par une décision qui n'a fait l'objet d'aucun recours s'impose à M. [I].

Force est de constater que M. [I] qui était à la date de la cessation des paiements le gérant de la société SCVV et l'était encore durant les 45 jours qui ont suivi, n'a pas déposé de déclaration de cession des paiements dans le délai de 45 jours prévu par la loi, puisque le tribunal de commerce n'a été saisi que le 10 octobre 2016, soit 15 mois après la date d'état de cessation des paiements et à la demande d'un créancier de la société SCVV.

Selon rapport du liquidateur judiciaire, la procédure a révélé un passif d'un montant global de 83 270,24 euros pour un actif de 0 euro.

Le passif correspond à la créance de la société Neslé Waters Marketing et Distribution, créancier à l'origine de l'ouverture de la procédure collective, au titre de factures impayées.



Il résulte de la relation des faits dans l'assignation délivrée le 10 octobre 2016 par la société Neslé Waters Marketing et Distribution, non contestée par M. [I], que la société SCVV s'est vue signifier une ordonnance de référé du 27 mai 2014 qui l'a condamnée à payer à la société Neslé Waters Marketing et Distribution la somme principale de 83 270,24 euros avec intérêts au taux fixé par l'article 441-6 du code de commerce à compter de la date d'échéance de chaque facture, outre une indemnité de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et que la société créancière a procédé à l'encontre de la société SCVV à une saisie vente qui s'est soldée par un procès-verbal de carence à défaut d'actif mobilier et à une saisie attribution sur le compte bancaire de la société débitrice qui a révélé un solde débiteur de 198,17 euros.

En outre, selon les déclarations de M. [I], la société SCVV n'avait plus d'activité depuis le 1er janvier 2015.

Il en résulte que M.[I], en sa qualité de dirigeant, ne pouvait ignorer l'état de cessation des paiements de la société SCVV fixé par le jugement d'ouverture de la procédure collective du 14 décembre 2016 au 1er juillet 2015, dés lors qu'à cette date la société qui n'avait plus aucune trésorerie et plus aucune activité, restait devoir à l'un de ses fournisseurs, en exécution d'une décision signifiée en mai 2014, la somme de 83 270,24 euros en principal.

ll lui appartenait d'accomplir les démarches tendant à la déclaration d'état de cessation des paiements auprès du greffe du tribunal de commerce, afin de tirer les conséquences d'une activité devenue manifestement déficitaire.

Il s'est abstenu de le faire dans le délai imparti, alors qu'il était encore le gérant de la société SCVV.

C'est donc à juste titre que le tribunal a retenu que l'omission de demander l'ouverture d'une procédure collective ne pouvait être assimilée à une simple négligence ou à un oubli purement matériel, mais correspond à une volonté délibérée de ne pas tirer les conséquences légales de l'état de cessation des paiements dont il avait nécessairement connaissance.

La faute de M. [I] de nature à justifier le prononcé contre lui d'une interdiction de gérer, sur le fondement de l'article L653-8 alinéa 3 du code de commerce est ainsi caractérisée.

* Sur le détournement de tout ou partie de l'actif de la société SCVV

Aux termes combinés des articles L 653-8 alinéa 1 et L 653-4 5° du code de commerce, le dirigeant qui a détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale peut être condamné à une interdiction de gérer.

En l'espèce, en première instance, le tribunal a retenu, tel ce que soutenait le Ministère Public dans sa requête aux fins de sanctions personnelles contre M. [I], qu'en cédant les parts sociales de la société SCVV à un tiers et en l'absence de preuve d'un flux financier, M. [I] n'a pas permis au mandataire judiciaire de récupérer cet actif au profit du créancier unique, la société Neslé Waters Marketing et Distribution.

En appel, le Ministère Public relevant que M. [I] a déclaré lors de son audition par les enquêteurs que la valeur de la société tenait à son capital de référencement pour la grande distribution en France, a conclu que la cession des parts de la société par M. [I] constituait un détournement d'actif.

Cependant, les parts sociales constituent des titres de propriété sur le capital de la société dont en l'espèce M. [I] était propriétaire jusqu'à leur cession intervenue suivant acte sous seing privé du 14 novembre 2016.

Du fait de leur cession, elles existent toujours et sont désormais la propriété de leur acquéreur.

Elle ne constituent pas un actif de la société SCVV et leur cession par leur propriétaire ne saurait constituer un détournement d'actif de la société, même dans le cas où le prix n'a pas été payé par l'acquéreur.

En outre, l'actif dont il est fait état dans les déclarations de M. [I] et du cessionnaire, à savoir le référencement de la société SCVV auprès des grandes surfaces, n'a pas disparu du seul fait de la cession par M. [I] de ses parts sociales.

Au surplus, la cession des parts de la société n'a entraîné aucune aggravation du passif de la société SCVV avant l'ouverture de la procédure collective, constitué de la seule créance de la société Neslé Waters Marketing et Distribution fixée dans l'ordonnance de référé du 27 mai 2014.

La faute alléguée à l'encontre de M. [I] n'est ainsi pas établie.

C'est donc à tort que le tribunal a retenu dans la décision critiquée que la faute alléguée était caractérisée et en a tenu compte dans l'appréciation de la sanction à prononcer au titre d'une interdiction de gérer.

* Sur l'absence de tenue d'une comptabilité ou tenue d'une comptabilité fictive, incomplète ou irrégulière

Il résulte de la combinaison des articles L. 653-8 et L. 653-5, 6° du code de commerce, que l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci, peut être prononcée contre toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 pour avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation ou avoir tenu une compatibilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables.

En l'espèce, l'activité de la société SCVV, société commerciale, imposait la tenue d'une comptabilité conformément aux dispositions de l'article L. 123-12 du code de commerce.

Il appartient au dirigeant de démontrer qu'il a tenu une comptabilité complète et régulière ; l'absence de production de toute comptabilité entre les mains du mandataire judiciaire faisant présumer le défaut de comptabilité.

M. [I] a été le gérant de la société SCVV jusqu'au 14 novembre 2016.

Il justifie par une attestation avoir sollicité un expert comptable pour établir la comptabilité de la société SCVV.

Il ressort de l'attestation de l'expert comptable dont s'agit du 15 décembre 2020, que la mission de suivi de comptabilité a été accomplie au titre des années 2010 à 2014 mais qu'elle ne s'est pas poursuivie suite à l'absence d'activité de la société à partir de 2015.

Les derniers comptes qui ont été déposés remontent ainsi à l'année 2014.

Or, même après avoir été mise en sommeil à partir de 2015 ou avoir cessé temporairement son activité, la société SCVV demeurait soumise à des obligations comptables minimales et notamment celle d'établir un compte annuel.

M. [I] qui est resté le dirigeant de la société jusqu'au 14 novembre 2016 aurait donc dû faire diligence pour établir les comptes annuels pour l'année 2015.

Dés lors qu'il n'en a rien été, contrairement à ce qui a été retenu par le tribunal, le manquement reproché se trouve caractérisé.

* Sur le défaut de coopération volontaire avec les organes de la procédure faisant obstacle à son bon déroulement

Le Ministère Public soutient que M. [I], qui n'a répondu ni aux convocations du mandataire judiciaire, ni aux demandes du commissaire priseur, s'est volontairement abstenu de coopérer avec les organes de la procédure collective en faisant obstacle au bon déroulement des opérations de liquidation judiciaire.

M. [I] fait observer qu'il s'est expliqué sur la raison de son absence au rendez-vous fixé le 19 décembre 2016 par le liquidateur en son étude en lui adressant un courriel le 16 décembre 2016.

Il ajoute qu'il n'a plus été le dirigeant de la société à compter de la cession de l'intégralité de ses parts sociales et relève que le liquidateur a été en contact téléphonique avec le nouveau gérant.

Il soutient également que le fait qu'il ait cédé ses parts à un tiers et qu'il ne se soit pas rendu à des convocations qui lui ont été adressées n'a eu aucune conséquence sur les opérations de liquidation judiciaire, en faisant valoir que du fait de l'absence d'activité depuis plusieurs mois, il n'y avait ni contrat en cours, ni instance judiciaire en cours et que le seul créancier existant était connu comme étant celui qui a sollicité l'ouverture de la procédure collective, de sorte qu'il ne pouvait communiquer plus d'éléments que ceux déjà connus du liquidateur.

Il en déduit qu'il n'a pas pu faire obstacle au bon déroulement de la procédure.

Sur ce :

Il résulte de la combinaison des articles L. 653-8 et L. 653-5 5° du code de commerce que l'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci, peut être prononcée contre toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 contre laquelle a été relevé le fait d'avoir, en s'abstenant volontairement de coopérer avec les organes de la procédure, fait obstacle à son bon déroulement.

Les personnes visées par la sanction de l'interdiction de gérer à raison du défaut de coopération volontaire avec les organes de la procédure faisant obstacle à son bon déroulement mentionnées à l'article L 653-1 sont :

1° les personnes physiques exerçant une activité commerciale ou artisanale, aux agriculteurs et à toute autre personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante y compris une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé ;

2° les personnes physiques, dirigeants de droit ou de fait de personnes morales ;

3° les personnes physiques, représentants permanents de personnes morales, dirigeants des personnes morales définies au 2°.

En l'espèce, M. [I] justifie par la production d'un acte sous seing privé du 14 novembre 2016 qui n'a pas été attaqué, de la cession de l'intégralité de ses parts dans la société SCVV à M. [H] avant l'ouverture de la procédure collective, au prix de 100 euros, soit à leur valeur nominale ; ledit acte précisant que les parts cédées sont transférées avec tous les droits et toutes les obligations y attachés à compter du jour de sa signature.

Il ressort en outre des vérifications opérées par les services enquêteurs en 2019, des déclarations de M. [H] devant eux et du rapport du liquidateur du 24 mars 2017, que la société SCVV a été immatriculée au RCS de Bobigny le 29 novembre 2016, avec mention du transfert de son siège au 14 novembre 2016 à une adresse correspondant au domicile de M. [H] et indication du nouveau dirigeant comme étant ce dernier.

Il n'est pas démontré que postérieurement à la cession de l'intégralité de ses parts, M. [I] aurait continué à exercer des responsabilités dans la société SCVV, en dirigeant de fait celle-ci.

Au vu de ces éléments, contrairement à ce qui a été retenu par le tribunal, le manquement reproché à M. [I], dont la qualité de dirigeant de droit ou de fait de la société SCVV à la date d'ouverture de la procédure collective n'est pas établie, n'est pas caractérisé.

* Sur le défaut de communication des informations prévues par l'article L 622-6 du code de commerce

L'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute personne morale, soit une ou plusieurs de celles-ci peut être prononcée à l'encontre de toute personne mentionnée à l'article L. 653-1 qui, de mauvaise foi, n'aura pas remis au mandataire judiciaire, à l'administrateur ou au liquidateur les renseignements qu'il est tenu de lui communiquer en application de l'article L. 622-6 dans le mois suivant le jugement d'ouverture ou qui aura, sciemment, manqué à l'obligation d'information prévue par le second alinéa de l'article L. 622-22.

Dans la mesure où la qualité de M. [I] de dirigeant de droit ou de fait de la société SCVV à la date d'ouverture de la procédure collective n'est pas établie, le manquement n'est pas caractérisé.

C'est donc à juste titre que le tribunal n'a pas retenu ce grief comme pouvant justifier une interdiction de gérer appliquée à M. [I].

* Sur la sanction

La mesure d'interdiction de gérer ou de diriger doit être proportionnée à la gravité des fautes relevées et à la situation personnelle de leur auteur.

Pour l'appréciation de la durée de la sanction d'interdiction de gérer à prononcer à l'encontre de M. [N] [I] et afin de proportionner l'importance de la sanction à la gravité des manquements imputables à l'intéressé, il convient de tenir compte de ce qu'au final, seuls les griefs de défaut de déclaration de l'état de cessation des paiements dans le délai légal et d'absence de tenue d'une comptabilité pour l'année 2015 ont été retenus.

Il convient également de tenir compte de ce que le passif de la société SCVV ne s'est pas trouvé aggravé à raison des manquements reprochés à M. [I].

M. [I] justifie par ailleurs qu'il est actuellement gérant d'une société française exerçant une activité d'intermédiaire de commerce en produits divers, dont il a confié le suivi de la comptabilité à un cabinet d'expert comptable, ainsi qu'associé dans une autre société dont le siège se situe au Luxembourg, exerçant une activité de vente de téléphones portables et d'électroménager, pour laquelle au 22 avril 2020 il a été certifié qu'elle ne faisait l'objet d'aucune décision judiciaire inscrite au RCS et dont un autre associé le décrit comme servant l'intérêt supérieur de la société.

Le jugement entrepris doit dès lors être infirmé, mais seulement quant à la durée de l'interdiction de gérer prononcée à hauteur de huit années à l'encontre de M. [N] [I].

Statuant à nouveau, la mesure de faillite personnelle sera prononcée à l'encontre de M. [N] [I] pour une durée de 3 ans.

La décision critiquée sera confirmée en ses dispositions relatives aux dépens.

Partie perdante, M. [N] [I] sera débouté de sa demande au titre des frais irrépétibles et sera condamné aux dépens de l'instance d'appel.



PAR CES MOTIFS



La cour statuant par arrêt réputé contradictoire, rendu par mise à disposition au greffe,

DEBOUTE M. [N] [I] de sa demande de révocation de l'ordonnance de clôture ;

ECARTE des débats les conclusions de M. [N] [I] signifiées le 15 octobre 2021, postérieurement à l'ordonnance de clôture, sauf en ce qu'elles tendaient à former la demande de révocation de l'ordonnance de clôture ;

INFIRME partiellement le jugement déféré et statuant à nouveau,

PRONONCE une mesure d'interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement, soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute personne morale à l'encontre de M. [N] [I] pour une durée de trois années ;

DIT qu'il sera procédé à toutes formalités et publicités légalement prescrites ;

CONDAMNE M. [N] [I] aux dépens de l'instance d'appel, en ceux compris les dépens de l'arrêt cassé ;







DEBOUTE les parties du surplus de leurs demandes.d'interdiction de gérer pour une durée de quatre appel au service du casier judiciaire après visa du ministère

LA GREFFIERELA PRESIDENTE







S. TAILLEBOIS C. CORBEL

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