1 juin 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-11.602

Troisième chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:C300457

Titres et sommaires

BAIL (RèGLES GéNéRALES) - Bailleur - Obligations - Délivrance - Délivrance d'un local conforme à la destination contractuelle - Manquement - Cas - Local affecté d'un défaut de permis de construire

Manque à son obligation de délivrance le bailleur louant un local commercial affecté d'un défaut de permis de construire

Texte de la décision

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 1er juin 2022




Cassation


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 457 FS+B

Pourvoi n° V 21-11.602



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 1ER JUIN 2022

La société La Vénitienne, dont le siège est [Adresse 5], [Localité 3], a formé le pourvoi n° V 21-11.602 contre l'arrêt rendu le 30 janvier 2020 par la cour d'appel de Papeete (chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme [C] [Y], domiciliée [Adresse 5], [Localité 2],

2°/ à Mme [E] [D], épouse [O], domiciliée [Localité 1],

3°/ à Mme [K] [D], épouse [X], domiciliée [Adresse 6], [Localité 2],

4°/ à M. [B] [D], domicilié [Adresse 4], [Localité 2],

5°/ à M. [N] [D],

6°/ à M. [L] [D],

tous deux domiciliés [Localité 2],

7°/ à Mme [T] [D], épouse [S], domiciliée [Localité 2],

défendeurs à la cassation.

Mme [C] [Y], Mme [E] [D], Mme [K] [D], M. [B] [D], M. [N] [D], M. [L] [D] et Mme [T] [D] ont formé, par un mémoire déposé au greffe, un pourvoi incident contre le même arrêt ;

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

Les demandeurs au pourvoi incident invoquent, à l'appui de leur recours, un moyen de cassation annexé au présent arrêt ;

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Gallet, conseiller référendaire, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de la société La Vénitienne, de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de Mme [C] [Y], Mme [E] [D], Mme [K] [D], M. [B] [D], M. [N] [D], M. [L] [D] et Mme [T] [D] et l'avis de M. Sturlèse, avocat général, après débats en l'audience publique du 20 avril 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Gallet, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, Mme Andrich, MM. Jessel, David, Jobert, Mme Grandjean, conseillers, M. Jariel, Mme Schmitt, M. Baraké, conseillers référendaires, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Papeete, 30 janvier 2020), Mme [C] [Y], Mme [E] [D], Mme [K] [D], M. [B] [D], M. [N] [D], M. [L] [D] et Mme [T] [D] (les consorts [D]) ont donné à bail commercial à la société La Vénitienne un local édifié sans permis de construire.

2. La société La Vénitienne a assigné les consorts [D] en résolution du bail à leurs torts et en réparation de ses préjudices.


Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. La société La Vénitienne fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande de résolution du bail aux torts des consorts [D] et en réparation de ses préjudices, alors « que le bailleur est obligé, par la nature du contrat et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée ; que pour juger que la société locataire ne démontre pas que les bailleurs ont manqué à leur obligation de délivrance, la cour d'appel a retenu qu'elle exploitait le local litigieux conformément à sa destination, qu'un commerce identique était exploité dans les lieux de manière constante depuis 1996, qu'elle ne produisait pas de courrier de l'administration lui enjoignant de quitter les lieux et que selon l'expert, l'absence de régularité de la situation administrative du local n'avait pas d'incidence directe sur l'exploitation quotidienne du fonds de commerce ; qu'en se prononçant ainsi, après avoir relevé, pour retenir une faute à l'encontre des bailleurs, que la chose louée était affectée d'un défaut de conformité dont il n'était pas démontré qu'il était régularisable, causant des troubles d'exploitation à la société locataire « consistant en des difficultés pour assurer les lieux, de fortes restrictions quant aux capacités de développement de son commerce, ainsi qu'en une limitation drastique de sa capacité à vendre son fonds du fait du risque de perte du local d'exploitation en cas d'injonction administrative de démolir », la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1719 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1719 du code civil :

4. Selon ce texte, le bailleur est obligé, par la nature du contrat, et sans qu'il soit besoin d'une stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée et d'entretenir cette chose en état de servir à l'usage pour lequel elle a été louée.

5. Pour rejeter la demande de la société La Vénitienne en résolution du bail, l'arrêt retient qu'elle exploite le local litigieux, conformément à sa destination de commerce de pizzas à emporter, depuis la signature du bail, et que l'absence de régularité de la situation administrative du local n'a pas d'incidence directe sur l'exploitation quotidienne du fonds de commerce et ne peut légitimer le non-paiement des loyers.


6. L'arrêt retient, encore, que le défaut de permis de construire affectant le local commercial, dont les consorts [D] ne démontrent pas qu'il puisse être régularisé, est source de troubles d'exploitation consistant en des difficultés pour assurer les lieux, de fortes restrictions quant aux capacités de développement du commerce, ainsi qu'en une limitation drastique de la capacité du preneur à vendre son fonds du fait du risque de perte du local d'exploitation en cas d'injonction administrative de démolir.

7. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

8. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation à intervenir sur le pourvoi principal entraîne, par voie de conséquence, l'annulation des dispositions critiquées par le moyen du pourvoi incident fixant le montant des préjudices subis par la société La Vénitienne, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 30 janvier 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Papeete ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Papeete, autrement composée ;

Condamne Mme [C] [Y], Mme [E] [D], Mme [K] [D], M. [B] [D], M. [N] [D], M. [L] [D] et Mme [T] [D] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [C] [Y], Mme [E] [D], Mme [K] [D], M. [B] [D], M. [N] [D], M. [L] [D] et Mme [T] [D] et les condamne à payer à la société La Vénitienne la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;



Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du premier juin deux mille vingt-deux.







MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits au pourvoi principal par la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat aux Conseils, pour la société La Vénitienne

Premier moyen de cassation

La société La Vénitienne fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir déboutée de sa demande de résiliation du bail du 1er juillet 2009 aux torts exclusifs des bailleurs avec effet rétroactif à cette date et de ses demandes subséquentes en remboursement des loyers versés depuis le 1er juillet 2009 et en réparation de ses préjudices, au delà de la somme de 8.114.600 F CFP ;

1°) Alors que le bailleur est obligé, par la nature du contrat et sans qu'il soit besoin d'aucune stipulation particulière, de délivrer au preneur la chose louée ; que pour juger que la société locataire ne démontre pas que les bailleurs ont manqué à leur obligation de délivrance, la cour d'appel a retenu qu'elle exploitait le local litigieux conformément à sa destination, qu'un commerce identique était exploité dans les lieux de manière constante depuis 1996, qu'elle ne produisait pas de courrier de l'administration lui enjoignant de quitter les lieux et que selon l'expert, l'absence de régularité de la situation administrative du local n'avait pas d'incidence directe sur l‘exploitation quotidienne du fonds de commerce ; qu'en se prononçant ainsi, après avoir relevé, pour retenir une faute à l'encontre des bailleurs, que la chose louée était affectée d'un défaut de conformité dont il n'était pas démontré qu'il était régularisable, causant des troubles d'exploitation à la société locataire « consistant en des difficultés pour assurer les lieux, de fortes restrictions quant aux capacités de développement de son commerce, ainsi qu'en une limitation drastique de sa capacité de vendre son fonds du fait du risque de perte du local d'exploitation en cas d'injonction administrative de démolir », la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1719 du code civil ;

2°) Alors que pour juger que les bailleurs n'ont pas manqué à leur obligation de délivrance, la cour d'appel a retenu qu'il résulte de la pièce 11 du dossier des intimés (les bailleurs) qu'un commerce identique était exploité dans les lieux de manière constante depuis 1996 ; que la pièce produite par les intimés en appel sous le numéro 11, à savoir le compromis de vente du fonds de commerce, ne comprend aucun terme en ce sens ; que la cour d'appel en a donc dénaturé les termes clairs et précis, violant ainsi le principe selon lequel le juge ne peut dénaturer les pièces du dossier ;

3°) Alors que si, dans un contrat synallagmatique à exécution successive, la résiliation judiciaire n'opère pas pour le temps où le contrat a été régulièrement exécuté, la résolution judiciaire pour absence d'exécution ou exécution imparfaite dès l'origine entraîne l'anéantissement rétroactif du contrat ; qu'en déboutant la société La Vénitienne de sa demande de restitution de l'intégralité des loyers versés en exécution du bail en conséquence de l'inexécution par les bailleurs de leur obligation de délivrance au motif, inopérant, de l'absence de dol, la cour d'appel a violé l'article 1184 du code civil.

Second moyen de cassation (subsidiaire)

La société la Vénitienne fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir constaté la résiliation du bail à ses torts exclusifs à effet du 3 novembre 2018, d'avoir en conséquence ordonné son expulsion des lieux, de l'avoir condamnée à payer aux bailleurs la somme de 5 070 000 F CFP au titre des loyers et indemnités d'occupation échus depuis le 1er novembre 2016 jusqu'à sa décision et une somme mensuelle de 130 000 F CFP à titre d'indemnité d'occupation à compter du 1er février 2020 et jusqu'à la libération effective des lieux ;

1/ Alors que la cassation qui sera prononcée sur le premier moyen de cassation entraînera par voie de conséquence l'annulation des chefs de l'arrêt ayant constaté la résiliation du bail aux torts exclusifs de la société La Vénitienne, ordonné l'expulsion des lieux de la société et l'ayant condamnée à payer aux bailleurs une indemnité d'occupation jusqu'à la libération effective des lieux, en application de l'article 624 du code de procédure civile, les chefs de dispositif critiqués étant unis par un lien de dépendance nécessaire ;

2/ Alors qu'une clause résolutoire n'est pas acquise si elle a été mise en oeuvre de mauvaise foi par le créancier ; que pour constater l'acquisition de la clause résolutoire, la cour d'appel a retenu que le défaut de conformité de la chose louée n'est pas en lui-même constitutif d'une mauvaise foi des bailleurs susceptible de priver d'effet leur commandement de payer, qu'en effet, dès lors que cette irrégularité administrative n'empêchait pas la société locataire de poursuivre l'exploitation de son fonds de commerce, les bailleurs étaient en droit d'obtenir le paiement de leurs loyers ; qu'en statuant ainsi, après avoir relevé, pour retenir une faute à l'encontre des bailleurs, que ceux-ci ont construit l'extension abritant le local désormais occupé par la société La Vénitienne sans avoir préalablement obtenu de permis de construire et qu'ils ont néanmoins permis à celle-ci d'y transférer l'exploitation de son fonds de commerce, alors qu'ils ne pouvaient ignorer que la chose louée était affectée d'un défaut de conformité dont il n'était pas démontré qu'il était régularisable, causant des troubles d'exploitation à la société locataire « consistant en des difficultés pour assurer les lieux, de fortes restrictions quant aux capacités de développement de son commerce, ainsi qu'en une limitation drastique de sa capacité de vendre son fonds du fait du risque de perte du local d'exploitation en cas d'injonction administrative de démolir », la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 1134 du code civil dans sa rédaction applicable en Polynésie française, antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016.




Moyen produit au pourvoi incident par la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat aux Conseils, pour les consorts [D]

Les consorts [J] à l'arrêt attaqué de les avoir condamnés solidairement à verser à la société La Vénitienne en réparation des préjudices causés par leur faute la somme globale de 8 114 600 francs CFP (7 500 000 francs CFP + 614 600 francs CFP) ;

ALORS QUE la société La Vénitienne demandait réparation d'un préjudice consistant dans le manque à gagner et la perte éprouvée en ce que le fonds de commerce ne pouvait être vendu (conclusions adverses, p. 8, § 4) ; que la cour d'appel a jugé qu' « il n'[était] pas établi que, nonobstant la perte du droit au bail, le fonds de l'appelante (incluant notamment son nom commercial et sa clientèle) n'aurait pas pu être cédé à un commerçant disposant d'un autre local à proximité puisque ce droit au bail ne constitue que l'un des élément du fonds » (arrêt, p. 7, § 2), ce dont il résultait que la société La Vénitienne n'avait pas établi l'existence du préjudice qu'elle alléguait ; que la cour d'appel a indemnisé le préjudice de perte de chance de vendre le fonds de commerce (arrêt, p. 7, § 2 à 4) ; qu'en statuant ainsi, alors qu'il n'était pas soutenu que le préjudice subi consistait en une perte de chance, la cour d'appel qui a relevé d'office le moyen tiré de l'existence d'un tel préjudice, sans inviter préalablement les parties à présenter leurs observations, a violé l'article 6 du code de procédure civile de la Polynésie française.

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