25 mai 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-16.040

Troisième chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2022:C300444

Texte de la décision

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 25 mai 2022




Rejet


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 444 F-D

Pourvoi n° U 21-16.040




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 25 MAI 2022

Le syndicat intercommunal d'alimentation en eau potable de la région de Boussac (SIAEP), établissement public, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° U 21-16.040 contre l'arrêt rendu le 4 mars 2021 par la cour d'appel de Limoges (chambre de l'expropriation), dans le litige l'opposant :

1°/ au GAEC Les Meris, groupement agricole d'exploitation en commun, dont le siège est [Localité 1],

2°/ au commissaire du gouvernement, domicilié [Adresse 4],

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Djikpa, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat du syndicat intercommunal d'alimentation en eau potable de la région de Boussac, de la SCP Doumic-Seiller, avocat du GAEC Les Meris, après débats en l'audience publique du 12 avril 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Djikpa, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Limoges, 4 mars 2021), le groupement agricole d'exploitation en commun Les Méris (le GAEC) a sollicité l'indemnisation, par le syndicat intercommunal d'alimentation en eau potable de la région de Boussac (le SIAEP), du préjudice subi en raison des restrictions d'usage de ses parcelles entraînées par l'instauration d'un périmètre de protection rapprochée autour d'un point de prélèvement d'eau potable.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

2. Le SIAEP fait grief à l'arrêt de fixer comme il le fait le préjudice du GAEC, alors :

« 1°/ qu'il appartient au propriétaire de parcelles comprises dans un périmètre de protection d'un captage d'eau potable qui entend obtenir l'indemnisation du préjudice résultant pour lui du respect des restrictions instaurées dans ce périmètre de démontrer qu'il a satisfait à ces prescriptions ; qu'en l'espèce, le SIAEP de la région de Boussac faisait valoir que les servitudes d'utilité publique imposées par l'arrêté du 19 juillet 2017 instaurant les périmètres de protection du puits des Méris n'avaient pas vocation à s'appliquer tant que la procédure d'expropriation n'était pas mise en oeuvre, et que le GAEC Les Méris ne démontrait pas respecter d'ores et déjà ces prescriptions ; qu'en opposant que rien ne démontrait que le GAEC Les Méris avait contrevenu à ces prescriptions, quand il appartenait au contraire au GAEC Les Méris, qui sollicitait l'indemnisation de son préjudice, de démontrer qu'il avait respecté les obligations qui en étaient à l'origine, la cour d'appel a violé l'article 1315 ancien devenu 1353 du code civil, ensemble les articles L. 1321-2 et L. 1321-3 du code de la santé publique et L. 321-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;

2°/ que le propriétaire de parcelles comprises dans un périmètre de protection d'un captage d'eau potable est tenu, dès lors qu'il entend obtenir l'indemnisation du préjudice résultant pour lui du respect des restrictions instaurées dans ce périmètre, de démontrer l'existence de son préjudice ; qu'en l'espèce, le SIAEP de la région de Boussac faisait également valoir que les restrictions prévues par l'arrêté du 19 juillet 2017 instaurant les périmètres de protection du puits des Méris correspondaient pour une large part aux contraintes que supportait déjà le GAEC Les Méris depuis qu'il avait converti son exploitation à l'agriculture biologique ; qu'en s'abstenant de toute recherche en ce sens, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1321-2 et L. 1321-3 du code de la santé publique et L. 321-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. »

Réponse de la Cour

3. D'une part, la cour d'appel a retenu, sans inverser la charge de la preuve, que le SIAEP ne démontrait pas que le GAEC ne se serait pas conformé aux prescriptions de l'arrêté instaurant un périmètre de protection rapprochée du captage d'eau, immédiatement applicables.

4. D'autre part, ayant souverainement évalué le préjudice subi par le GAEC par référence à une étude de la chambre de l'agriculture et à la méthode proposée par le commissaire du gouvernement, la cour d'appel a légalement justifié sa décision, sans être tenue de suivre le SIAEP dans le détail de son argumentation relative à la correspondance entre une partie des restrictions résultant de l'instauration du périmètre de protection et certaines contraintes de l'agriculture biologique.

5. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne le syndicat intercommunal d'alimentation en eau potable de la région de Boussac aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par le syndicat intercommunal d'alimentation en eau potable de la région de Boussac et le condamne à payer au groupement agricole d'exploitation en commun Les Méris la somme de 3 000 euros ; Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq mai deux mille vingt-deux.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat aux Conseils, pour le syndicat intercommunal d'alimentation en eau potable de la région de Boussac

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR déclaré recevable la demande indemnitaire du Gaec des Méris en sa qualité de propriétaire du captage du puits des Méris ; d'AVOIR chiffré à la somme de 46.047,75 euros le préjudice du Gaec des Méris lié aux conséquences de l'arrêté préfectoral du 19 juillet 2017 ayant déclaré d'utilité publique l'établissement de périmètres de protection autour du puits des Méris ; d'AVOIR condamné le Siaep de la région de Boussac à payer au Gaec des Méris cette somme de 46.047,75 euros en indemnisation de son préjudice liquidé à la date du 19 janvier 2021 ; et d'AVOIR dit qu'il appartiendra au Gaec des Méris de solliciter le cas échéant l'indemnisation des nouveaux chefs de préjudice qu'il estimera avoir subis pour la période écoulée depuis le 19 janvier 2021 ;

AUX MOTIFS QUE sur la recevabilité de la demande indemnitaire présentée par le Gaec des Méris, de l'examen du dossier, il ressort que dès sa demande originaire aux fins d'indemnisation de son préjudice découlant des conséquences de l'arrêté préfectoral du 19 juillet 2017 ayant déclaré d'utilité publique au bénéfice du Syndicat intercommunal d'alimentation en eau potable (SIAEP) de la région de [Localité 3], l'établissement des périmètres de protection du puits des Méris situés sur la commune de [Localité 1], le Gaec des Méris a fondé son action sur les dispositions des articles L. 1321-2 et L. 1321-3 du code de la santé publique ayant trait à la sécurité sanitaire des eaux et des aliments, et non pas sur les règles applicables en matière d'expropriation ; que de ces observations, il s'évince : - que le Siaep de la région de Boussac est mal venu à se prévaloir des dispositions de l'article L. 121-4 du Code de l'expropriation pour soulever l'irrecevabilité de la demande indemnitaire dirigée à son encontre comme étant prématurée ; - que c'est à tort que le premier juge s'est fondé sur les dispositions de l'article L. 311-6 du Code de l'expropriation pour rappeler que " le droit à indemnité pour l'exproprié ne prend naissance qu'au moment du transfert de propriété", et déclarer irrecevable la demande du Gaec des Meris, après avoir constaté "qu'en l'absence d'arrêté de cessibilité et d'ordonnance d'expropriation, le Gaec des Meris est toujours propriétaire des terrains, la phase administrative de la procédure d'expropriation étant toujours en cours" ; qu'il n'est pas contesté par le Siaep de la région de [Localité 3], établissement public assurant l'approvisionnement en eau de la collectivité et comptable à ce titre de la qualité de l'eau qu'il distribue, que la déclaration d'utilité publique prise en sa faveur selon arrêté préfectoral 19 juillet 2017 aux fins d'établissement de périmètres de protection autour du Puits des Meris servant à l'alimentation en eau dudit syndicat intercommunal, est créatrice d'une situation relevant des prévisions de l'article L. 1321-2 du Code de la santé publique, en ce que ce texte vise expressément le cas où un périmètre de protection est établi autour d'un point de prélèvement par un acte portant déclaration d'utilité publique de travaux de prélèvement d'eau destinée à l'alimentation des collectivités humaines , et ce " en vue d'assurer la protection de la qualité des eaux" ; que la création d'une situation conforme aux prévisions de l'article L 321-2 du Code de la santé publique, par suite de l'intervention de l'arrêté préfectoral du 19 juillet 2017 précité, autorise le Gaec des Meris en sa qualité de propriétaire de parcelles comprises dans les périmètres de protection du puits des Meris tels qu'établis par le Siaep de la région de [Localité 3] en exécution dudit arrêté, à se prévaloir des dispositions de l'article L. 1321-3 dudit code, énonçant que "Les indemnités qui peuvent être dues aux propriétaires ou occupants de terrains compris dans un périmètre de protection de prélèvement d'eau destinée à l'alimentation des collectivités humaines, à la suite de mesures prises pour assurer la protection de cette eau, sont fixées selon les règles applicables en matière d'expropriation pour cause d'utilité publique. – Lorsque les indemnités visées au premier alinéa sont dues à raison de l'instauration d'un périmètre de protection rapprochée visé à l'article L 1321-2-1, celles-ci sont à la charge du propriétaire du captage." ; qu'en considération de ces éléments, il convient de déclarer parfaitement recevable la demande indemnitaire telle que dirigée par le Gaec des Meris à l'encontre du Siaep de la région de Boussac en sa qualité de propriétaire du captage du puits des Meris, et de réformer en ce sens le jugement querellé ; que sur le bien-fondé de la demande indemnitaire présentée par le Gaec des Meris, pour s'opposer à la demande indemnitaire dirigée à son encontre, le Siaep de la région de Boussac, d'une part, conteste l'existence du préjudice invoqué par le Gaec des Meris, d'autre part prétend que le Gaec des Meris ne prouve pas respecter les prescriptions fixées par l'arrêté préfectoral du 19 juillet 2017 ; que sur l'existence du préjudice invoqué par le Gaec des Meris, pour s'opposer à l'indemnisation du préjudice invoqué par le Gaec des Meris, le Siaep de la région de Boussac lui reproche en premier lieu de se fonder sur une étude de la Chambre d'agriculture au motif que l'analyse ainsi réalisée lui serait inopposable ; qu'à cet égard, il convient à l'examen du dossier : - de relever que le document dont s'agit a été régulièrement communiqué au Siaep de la région de [Localité 3], * une première fois dans le cadre du mémoire déposé le 17 janvier 2019 par le Gaec des Meris devant le juge de l'expropriation, aux tins de fixation des indemnités devant lui revenir à raison de l'établissement des périmètres de protection du puits des Meris tel que décidé par l'arrêté préfectoral du 19 juillet 2017, * une nouvelle fois au soutien de son appel, formé à l'effet d'obtenir l'indemnisation de son préjudice découlant des conséquences de l'arrêté dont s'agit ; - de considérer que ladite analyse technique constitue un élément d'appréciation et de chiffrage du préjudice invoqué par le Gaec des Meris, et ce pour avoir été soumise à la discussion contradictoire des parties au même titre que la proposition d'indemnisation telle que faite en cause d'appel par le Commissaire du Gouvernement, après analyse de la situation et rappel des méthodes de calcul employées ; - de déclarer ladite analyse parfaitement opposable au Siaep de la région de [Localité 3] ; que s'agissant de la réalité et de l'étendue du préjudice invoqué par le Gaec des Meris en lien avec les conséquences de l'arrêté préfectoral du 19 juillet 2017 ayant déclaré d'utilité publique au bénéfice du Siaep de la région de [Localité 3], l'établissement de périmètres de protection du puits des Meris, il y a lieu : - à titre liminaire, de rappeler que les restrictions apportées à l'utilisation d'une parcelle constituent un préjudice indemnisable au sens de l'article L. 1321-3 du Code de la santé publique dès lors qu'elles sont la conséquence de l'inclusion de ces parcelles dans un périmètre de protection rapprochée ou éloignée en application des dispositions de l'article L. 1321-2 du même code ; - en considération du fait que l'établissement au bénéfice du Siaep de la région de [Localité 3] des périmètres de protection du puits des Meris tel que décidé par l'arrêté préfectoral du 19 juillet 2017, a nécessairement impacté les conditions d'exploitation par le Gaec des Meris des parcelles comprises dans lesdits périmètres, d'indemniser le préjudice ainsi occasionné à ce dernier, * en excluant comme étant à ce jour éventuel, le préjudice strictement foncier fondé sur une diminution de la valeur foncière des parcelles impactées, dès lors que n'est pas expiré le délai que s'est vu accorder le Siaep de la région de [Localité 3] pour acquérir par voie d'expropriation les terrains nécessaires à la constitution des périmètres de protection immédiate et à la réalisation des aménagements ; * en tenant exclusivement compte de la limitation de l'usage du sol et des contraintes d'exploitation ainsi générées au détriment du Gaec des Meris, en l'absence de tout élément probant de nature à démontrer qu'il aurait contrevenu aux prescriptions de l'arrêté préfectoral susvisé, tel qu'affirmé péremptoirement par le Siaep de la région de [Localité 3] ; * en retenant comme base d'appréciation du préjudice subi par le Gaec des Meris, d'une part les éléments contenus dans l'étude de la Chambre d'Agriculture au titre "des pertes ou surcoût liés aux prescriptions" (préjudice chiffré à la somme de 14.921 € par an, soit 52.223,50 € à la date du 19 janvier 2021), et d'autre part la méthode dite "de la marge brute d'exploitation" telle que proposée par le Commissaire du Gouvernement (préjudice chiffré à la somme globale de 34.176 € sur trois années, soit un préjudice de 11.392 € par an) ; Au vu de ces éléments, il convient : - de chiffrer le préjudice occasionné au Gaec des Meris en raison des conséquences de l'arrêté préfectoral du 19 juillet 2017 ayant déclaré d'utilité publique au bénéfice du Siaep de la région de [Localité 3], rétablissement de périmètres de protection du puits des Meris, à la somme de 46.047,75 € (correspondant à la moyenne obtenue à partir des deux propositions d'indemnisation ci-dessus exposées), chiffrage arrêté à la date du 19 janvier 2021 ; - de condamner le Siaep de la région de Boussac à verser au Gaec des Meris la somme de 46.047,75 € en indemnisation de son préjudice liquidé à la date du 19 janvier 2021 ;

1) ALORS QU'il appartient au propriétaire de parcelles comprises dans un périmètre de protection d'un captage d'eau potable qui entend obtenir l'indemnisation du préjudice résultant pour lui du respect des restrictions instaurées dans ce périmètre de démontrer qu'il a satisfait à ces prescriptions ; qu'en l'espèce, le Siaep de la région de Boussac faisait valoir que les servitudes d'utilité publique imposées par l'arrêté du 19 juillet 2017 instaurant les périmètres de protection du puits des Méris n'avaient pas vocation à s'appliquer tant que la procédure d'expropriation n'était pas mise en oeuvre, et que le Gaec Les Méris ne démontrait pas respecter d'ores et déjà ces prescriptions (conclusions du 16 septembre 2020, p. 7, § 2 à 4) ; qu'en opposant que rien ne démontrait que le Gaec Les Méris avait contrevenu à ces prescriptions (arrêt, p. 7, in medio), quand il appartenait au contraire au Gaec Les Méris, qui sollicitait l'indemnisation de son préjudice, de démontrer qu'il avait respecté les obligations qui en étaient à l'origine, la cour d'appel a violé l'article 1315 ancien devenu 1353 du code civil, ensemble les articles L. 1321-2 et L. 1321-3 du code de la santé publique et L. 321-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;

2) ALORS, subsidiairement, QUE le propriétaire de parcelles comprises dans un périmètre de protection d'un captage d'eau potable est tenu, dès lors qu'il entend obtenir l'indemnisation du préjudice résultant pour lui du respect des restrictions instaurées dans ce périmètre, de démontrer l'existence de son préjudice ; qu'en l'espèce, le Siaep de la région de Boussac faisait également valoir que les restrictions prévues par l'arrêté du 19 juillet 2017 instaurant les périmètres de protection du puits des Méris correspondaient pour une large part aux contraintes que supportait déjà le Gaec Les Méris depuis qu'il avait converti son exploitation à l'agriculture biologique (conclusions du 16 septembre 2020, p. 8 et 9) ; qu'en s'abstenant de toute recherche en ce sens, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1321-2 et L. 1321-3 du code de la santé publique et L. 321-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique.

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