25 mai 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-14.352

Chambre commerciale financière et économique - Formation de section

Publié au Bulletin - Publié au Rapport

ECLI:FR:CCASS:2022:CO00343

Titres et sommaires

SOCIETE (RèGLES GéNéRALES) - Parts sociales - Cession - Prix - Fixation - Fixation par expert - Désignation par le président du tribunal - Refus - Décision susceptible d'appel

La décision par laquelle le président du tribunal, saisi en application de l'article 1843-4 du code civil, refuse, pour quelque cause que ce soit et, notamment, en raison de l'autorité de chose jugée attachée à une précédente décision de refus, de désigner un expert est susceptible d'appel. En ce cas, au terme d'un réexamen complet des faits et circonstances de la cause, la cour d'appel peut, si elle décide d'infirmer l'ordonnance qui lui est déférée, désigner elle-même un expert, et ce, par une décision sans recours possible, sauf excès de pouvoir

SOCIETE (RèGLES GéNéRALES) - Parts sociales - Cession - Prix - Fixation - Fixation par expert - Désignation par le président du tribunal - Refus - Appel - Pouvoirs de la cour d'appel - Désignation d'un expert

Texte de la décision

COMM.

SMSG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 25 mai 2022




Rejet


Mme MOUILLARD, président



Arrêt n° 343 FS-B+R

Pourvoi n° P 20-14.352




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 25 MAI 2022

1°/ Mme [P] [O], veuve [R], domiciliée [Adresse 5],

2°/ M. [D] [R], domicilié [Adresse 4],

3°/ Mme [G] [R], domiciliée [Adresse 2],

4°/ Mme [N] [R], domiciliée [Adresse 1],

ont formé le pourvoi n° P 20-14.352 contre l'ordonnance en la forme des référés rendue le 12 novembre 2019 par le tribunal de grande instance de Blois, dans le litige les opposant :

1°/ à la société du Connil, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 3],

2°/ à la société Logex Centre Loire, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],

défenderesses à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Ponsot, conseiller, les observations de la SCP Lesourd, avocat de Mme [P] [O], veuve [R], de M. [D] [R] et de Mmes [G] et [N] [R], de la SCP Yves et Blaise Capron, avocat de la société du Connil et de la société Logex Centre Loire, et l'avis de M. Lecaroz, avocat général, après débats en l'audience publique du 29 mars 2022 où étaient présents Mme Mouillard, président, M. Ponsot, conseiller rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, Mmes Daubigney, Fèvre, Ducloz, conseillers, Mmes de Cabarrus, Lion, Lefeuvre, Tostain, MM. Boutié, Gillis, Maigret, conseillers référendaires, M. Lecaroz, avocat général, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le président d'un tribunal de grande instance (Blois, 12 novembre 2019), et les productions, [X] [R] et son épouse, Mme [O], étaient associés au sein de la société civile immobilière du Connil (la SCI du Connil), constituée entre une société d'expertise-comptable, la société Logex, et ses membres ou anciens membres. A la suite de sa condamnation par un tribunal correctionnel pour diverses infractions, [X] [R] a été exclu de la société Logex dont il était associé, le 15 décembre 1995. Concomitamment, son épouse, Mme [O], a été licenciée par cette société pour faute lourde.

2. Une sentence arbitrale prononcée le 16 août 1996 a statué sur les conséquences de l'exclusion de [X] [R] de la société Logex, et a notamment fixé la valeur nette de la SCI du Connil à une valeur négative de 40 627 francs. Puis, en application d'une délibération de l'assemblée générale de la SCI du Connil du 25 juin 1997, [X] [R] et son épouse se sont vu proposer le rachat de leurs parts au prix de un franc.

3. Par un arrêt du 29 mars 2001, une cour d'appel a notamment dit que [X] [R] et son épouse avaient perdu de plein droit la qualité d'associés de la SCI du Connil du fait de leur départ de la société Logex, qu'ils étaient privés de tout droit d'associés, et a renvoyé les parties, pour l'évaluation de leurs droits sociaux dans la SCI du Connil, à suivre la procédure prévue par l'article 1843-4 du code civil.

4. Le 10 février 2009, [X] [R] et son épouse ont assigné la SCI du Connil devant le président d'un tribunal de grande instance sur le fondement de l'article 1843-4 du code civil aux fins de désignation d'un expert pour fixer la valeur de leurs droits sociaux.

5. Par une ordonnance du 5 mai 2009, le président du tribunal, statuant en la forme des référés, les a déclarés irrecevables en leur demande après avoir constaté que la valeur des parts sociales avait été fixée par la sentence arbitrale du 16 août 1996, et qu'ils avaient accepté cette évaluation.

6. Le 4 juin 2014, [X] [R] est décédé en laissant pour lui succéder son épouse et leurs enfants, M. [D] [R] et Mmes [G] et [N] [R].

7. Le 29 mai 2019, Mme [P] [O], M. [D] [R] et Mmes [G] et [N] [R] (les consorts [R]), agissant en leur qualité d'ayants droit de [X] [R], ont à nouveau assigné la SCI du Connil aux mêmes fins et devant la même juridiction.

Recevabilité du pourvoi contestée par la défense

8. Selon l'article 1843-4 du code civil, la décision par laquelle le président du tribunal procède à la désignation d'un expert chargé de déterminer la valeur de droits sociaux est sans recours possible.

9. La Cour de cassation juge qu'il n'est dérogé à cette règle qu'en cas d'excès de pouvoir (Com., 15 mai 2012, n° 11-12.999, Bull. N° 103 ; 2e Civ., 7 juin 2018, n° 17-18.722, Bull. N° 114) et elle déclare irrecevables les recours dans lesquels une simple erreur de droit est invoquée (Com., 15 mai 2012, n° 11-17.866, Bull. N° 98 ; Com., 7 juill. 2020, n° 18-18.190).

10. Jusqu'à présent, elle appliquait cette solution même lorsque le recours était formé contre une décision rejetant la demande de désignation d'un expert (Com., 11 mars 2008, n° 07-13.189, Bull. N° 62).

11. Toutefois, cette unité de régime n'est pas exigée par la lettre du texte et ce n'est que lorsque le président désigne un expert que l'objectif de célérité poursuivi par le législateur commande l'absence de recours.

12. Dès lors, afin d'éviter de placer les parties face à une situation de blocage dans le cas où le président refuse de désigner un expert pour quelque cause que ce soit, il apparaît nécessaire de leur reconnaître le droit de relever appel de cette décision.

13. La jurisprudence considérait, en outre, qu'en cas d'annulation d'une décision de première instance refusant de désigner un expert, la cour d'appel ne pouvait désigner elle-même cet expert (Com., 10 octobre 2018, pourvoi n° 16-25.076).

14. Cette limitation apportée au pouvoir de la cour d'appel, cohérente avec un appel-nullité, n'a plus lieu d'être dès lors qu'un appel, voie de réformation, est ouvert aux parties en cas de refus de désignation. En ce cas, au terme d'un réexamen complet des faits et circonstances de la cause, la cour d'appel pourra, si elle décide d'infirmer l'ordonnance qui lui est déférée, désigner elle-même un expert, et ce, par une décision sans recours possible, sauf excès de pouvoir. La reconnaissance d'un tel pouvoir de désignation au juge d'appel contribuera à l'efficacité et à la célérité du dispositif.

15. L'ordonnance attaquée ayant, en l'espèce, déclaré irrecevable comme se heurtant à l'autorité de chose jugée la demande de désignation d'un expert, il s'ensuit que cette décision, qui n'a pas désigné un expert, est susceptible de recours et qu'elle aurait dû être déférée à la cour d'appel.

16. Toutefois, l'application à cette instance de la règle issue du présent revirement de jurisprudence, qui devrait conduire à déclarer irrecevable le pourvoi au motif qu'il n'est pas dirigé contre une décision rendue en dernier ressort, aboutirait à priver les consorts [R], qui ne pouvaient ni connaître ni prévoir, à la date où ils ont exercé leur pourvoi en cassation, la possibilité qui leur est désormais reconnue de former un appel d'une décision de refus de désignation d'un expert, d'un procès équitable au sens de l'article 6, paragraphe 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

17. Il convient donc de déclarer le recours recevable.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

18. Les consorts [R] font grief à l'ordonnance de les déclarer irrecevables en leur demande de désignation d'un expert en application de l'article 1843-4 du code civil, alors :

« 1°/ que l'autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice ; qu'en déclarant irrecevable l'action tendant à la nomination d'un expert afin de déterminer la valeur de parts sociales introduite par des héritiers en ce que, dans le cadre d'une précédente instance, une demande de même nature formée par le de cujus avait été déclarée irrecevable, sans rechercher, comme il y était invité, si les héritiers n'invoquaient pas des circonstances de fait nouvelles résultant, notamment, du décès de leur auteur et de la situation de blocage résultant de l'absence du moindre acte de cession des parts en litige et de tout versement de leur valeur, le président du tribunal a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1351 du code civil, devenu 1355 ;

2°/ que dans le cadre de leurs dernières écritures, les héritiers soutenaient que l'autorité de la chose jugée de la précédente ordonnance rendue le 5 mai 2009 ne pouvait leur être opposée dès lors que leur auteur n'avait pas été informé par la signification de la possibilité qui lui était ouverte de former un pourvoi pour excès de pouvoir à l'encontre de cette décision ; qu'en ne répondant pas à ce moyen opérant, le président du tribunal a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

19. Ayant constaté qu'une ordonnance en la forme des référés avait été rendue le 5 mai 2009, déclarant [X] [R] et son épouse irrecevables en leur demande de désignation d'un expert chargé, en application de l'article 1843-4 du code civil, de déterminer la valeur des droits sociaux qu'ils détenaient dans la SCI du Connil, le président du tribunal, après avoir relevé que la demande dont il était saisi était présentée par les mêmes parties agissant dans la même qualité, avait le même objet et se fondait sur la même cause, en a déduit qu'elle se heurtait à l'autorité de chose jugée relativement aux contestations que cette ordonnance avait tranchées, et l'a déclarée irrecevable en application des articles 1355 du code civil et 122 du code de procédure civile.

20. Le rachat des parts de [X] [R] n'étant pas la conséquence de son décès mais de son exclusion, et la situation de blocage invoquée préexistant à la première saisine du président du tribunal, celui-ci n'avait pas à procéder à la recherche inopérante invoquée par la première branche.

21. L'absence de mention d'une possibilité de recours dans la notification de l'ordonnance du 5 mai 2009, ne pouvant avoir de conséquences que sur le point de départ du délai d'exercice d'une voie de recours, et n'étant pas susceptible de faire échec à l'autorité de chose jugée attachée, en l'absence de recours, à cette décision, le président du tribunal n'avait pas à répondre aux conclusions inopérantes visées par la seconde branche.

22. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne Mme [P] [O], veuve [R], M. [D] [R] et Mmes [G] et [N] [R], en leur qualité d'ayants droit de [X] [R], aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [P] [O], veuve [R], M. [D] [R] et Mmes [G] et [N] [R], en leur qualité d'ayants droit de [X] [R], et les condamne à payer à la société civile immobilière du Connil et à la société Logex Centre Loire la somme globale de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq mai deux mille vingt-deux.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Lesourd, avocat aux Conseils, pour Mme [P] [O], veuve [R], M. [D] [R] et Mmes [G] et [N] [R].

Il est fait grief à la décision attaquée d'AVOIR déclaré les demandeurs au pourvoi irrecevables en leur demande de désignation d'un expert en application de l'article 1843-4 du code civil et condamné à payer à la SCI du Connil la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

AUX MOTIFS QUE « l'article 122 du code de procédure civile dispose : Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée ; que l'article 492-1 du code de procédure civile dispose : A moins qu'il en soit disposé autrement, lorsqu'il est prévu que le juge statue comme en matière de référé ou en la forme des référés, la demande est formée, instruite et jugée dans les conditions suivantes : 1° Il est fait application des articles 485 à 487 et 490 ; 2° Le juge exerce les pouvoirs dont dispose la juridiction au fond et statue par une ordonnance ayant l'autorité de la chose jugée relativement aux contestations qu'elle tranche ; 3° L'ordonnance est exécutoire à titre provisoire, à moins que le juge en décide autrement ; que l'article 1355 du code civil dispose : L'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité ; qu'en l'espèce, une ordonnance en la forme des référés a été rendue le 5 mai 2009 par le juge des référés du tribunal de grande instance de Blois et a déclaré [X] [R] et Mme [P] [O], veuve [R], irrecevables en leur demande tendant à la désignation d'un expert en application de l'article 1843-4 du code civil ; que l'ordonnance ayant été rendue en la forme des référés, elle a l'autorité de la chose jugée relativement aux contestations qu'elle a tranchées, en l'occurrence la désignation d'un expert en application de l'article 1843-4 du code civil ; qu'au surplus, la chose demandée est la même : la désignation d'un expert en application de l'article 1843-4 du code civil ; que la demande est fondée sur la même cause : la détermination de la valeur des parts sociales détenues par [X] [R] et Mme [P] [O], veuve [R], dans la SCI du Connil afin de permettre leur mise en vente ; que la demande était entre les mêmes parties et formées par elles et contre elles : en demande, [X] [R], aux droits duquel viennent M. [D] [R], Mme [G] [R] et Mme [N] [R], et Mme [P] [O], veuve [R] ; en défense, la SCI du Connil ; que par suite, il ne saurait être de nouveau statué sur cette demande ; qu'en conséquence, Mme [P] [O], veuve [R], M. [D] [R], Mme [G] [R] et Mme [N] [R], ès-qualités d'ayants-droit de [X] [R], seront déclarés irrecevables en leur demande » ;

1) ALORS QUE l'autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque des évènements postérieurs sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice ; qu'en déclarant irrecevable l'action tendant à la nomination d'un expert afin de déterminer la valeur de parts sociales introduite par des héritiers en ce que, dans le cadre d'une précédente instance, une demande de même nature formée par le de cujus avait été déclarée irrecevable, sans rechercher, comme il y était invité, si les héritiers n'invoquaient pas des circonstances de fait nouvelles résultant, notamment, du décès de leur auteur et de la situation de blocage résultant de l'absence du moindre acte de cession des parts en litige et de tout versement de leur valeur, le président du tribunal a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1351 du code civil, devenu 1355 ;

2) ALORS QUE, dans le cadre de leurs dernières écritures (p. 8, dernier § et s.), les héritiers soutenaient que l'autorité de la chose jugée de la précédente ordonnance rendue le 5 mai 2009 ne pouvait leur être opposée dès lors que leur auteur n'avait pas été informé par la signification de la possibilité qui lui était ouverte de former un pourvoi pour excès de pouvoir à l'encontre de cette décision ; qu'en ne répondant pas à ce moyen opérant, le président du tribunal a violé l'article 455 du code de procédure civile.

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