18 mai 2022
Cour d'appel d'Agen
RG n° 21/00702

CHAMBRE CIVILE

Texte de la décision

ARRÊT DU

18 Mai 2022





CG / NC





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N° RG 21/00702

N° Portalis DBVO-V-B7F -C5BR

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[M] [P]



C/



CONSEIL NATIONAL DES GREFFIERS DES TRIBUNAUX DE COMMERCE



[B] [Y]



LE PROCUREUR GÉNÉRAL



------------------



































GROSSES le

aux avocats

et au MP









ARRÊT n°













COUR D'APPEL D'AGEN



Chambre Civile







LA COUR D'APPEL D'AGEN, 1ère chambre dans l'affaire,







ENTRE :



Monsieur [M] [P]

né le [Date naissance 1] 1957 à [Localité 11]

de nationalité française

domicilié : [Adresse 2]

[Localité 6]



comparant en personne,



assisté de Me Ludovic VALAY, SELARL VALAY - BELACEL - DELBREL - CERDAN, avocat postulant au barreau d'AGEN

et Me Jean Charles GONTHIER, avocat plaidant au barreau de BORDEAUX





APPELANT d'un jugement du tribunal judiciaire d'AGEN en date du 21 juin 2021, RG 21/00236



D'une part,







ET :



CONSEIL NATIONAL DES GREFFIERS DES TRIBUNAUX DE COMMERCE pris en la personne de ses représentants légaux et de son président domiciliés en cette qualité audit siège et habilités à cette fin

[Adresse 4]

[Localité 9]



représenté par Me Elodie SEVERAC, avocate postulante au barreau d'AGEN

et Me Rémi-Pierre DRAI, substitué à l'audience par Me Margaux BILGER, SELARL DRAI Associés, avocat plaidant au barreau de PARIS







Maître [B] [Y] agissant tant en son nom personnel qu'en qualité de représentant légal de la SELARL 'GREFFE DU TRIBUNAL DE COMMERCE D'AGEN'

né le [Date naissance 3] 1965 à [Localité 10] (21)

de nationalité française

domicilié : [Adresse 5]

[Localité 7]



représenté par Me François DE CONTENCIN, avocat au barreau de BORDEAUX





M. LE PROCUREUR GÉNÉRAL

près la Cour d'Appel d'Agen

[Adresse 12]

[Localité 8]



représenté à l'audience par M. Claude DERENS, avocat général,





INTIMÉS

D'autre part,





COMPOSITION DE LA COUR :



l'affaire a été débattue et plaidée en audience publique le 14 février 2022 devant la cour composée de :



Présidente : Claude GATÉ, Présidente de Chambre, qui a fait un rapport oral à l'audience

Assesseurs : Dominique BENON, Conseiller

Nelly EMIN, Conseiller





Greffière : Nathalie CAILHETON





ARRÊT : prononcé en audience publique, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.






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'



FAITS ET PROCÉDURE :



Par arrêté du 23 décembre 2008, publié au Journal officiel du 30 décembre 2008, [M] [P] a été nommé greffier au tribunal de commerce d'Agen au sein de la SELARL «Greffe du tribunal de commerce d'Agen, greffiers de tribunal de commerce associés», avec [B] [Y], nommé par le même arrêté.



Suivant jugement du tribunal correctionnel d'Auch prononcé le 23 janvier 2020, [M] [P] a été déclaré coupable de faits, commis à l'occasion de l'exercice de ses fonctions du 23 novembre 2018 au 27 novembre 2018, de soustraction, détournement ou destruction de biens d'un dépôt public par le dépositaire ou un de ses subordonnés, ainsi que pour des faits commis le 23 novembre 2018, de suppression frauduleuse de données contenues dans un système de traitement automatisé. Il a été condamné à 15.000 euros d'amende, et à titre de peine complémentaire, il a été prononcé une interdiction à son encontre d'exercer l'activité professionnelle ayant permis la commission de l'infraction, soit celle de greffier du tribunal de commerce d'Agen pour une durée d'un an.





Sur appel de [M] [P], par arrêt de la Cour d'appel d'Agen du 10 septembre 2020, ce jugement a été confirmé en ce qui concerne la culpabilité et la peine d'amende, mais la durée de l'interdiction professionnelle a été fixée à 6 mois, et il a été ordonné la non-inscription au bulletin n°2 du casier judiciaire national de la condamnation. [M] [P] a formé le 14 septembre 2020 un pourvoi en cassation, pourvoi rejeté le 8 juin 2021.



Sur assignation délivrée le 24 novembre 2020, le procureur de la République a saisi le tribunal judiciaire d'Agen au visa de l'article L 743-7 du code de commerce afin de voir prononcer la suspension provisoire de [M] [P] de ses fonctions de greffier du tribunal de commerce, demande qui a été rejetée par jugement du 23 février 2021.



Par acte du 11 février 2021, le procureur de la République a fait assigner [M] [P] devant le tribunal judiciaire d'Agen statuant en matière disciplinaire aux fins de voir :

- constater que maître [M] [P] a commis des manquements aux règles de sa profession, manquements engageant sa responsabilité disciplinaire,

- prononcer la destitution de [M] [P] de ses fonctions de greffier du tribunal de commerce d'Agen,

- condamner [M] [P] aux entiers dépens,

- rappeler que le jugement à intervenir sera exécutoire par provision et sur minute.



L'affaire a été évoquée à l'audience du 27 avril 2021, et à cette date, le Conseil National des Greffiers des Tribunaux de Commerce et maître [B] [Y], tant en son nom personnel qu'en qualité de représentant légal de la SELARL «'Greffe du tribunal de commerce d'AGEN'», sont intervenus volontairement à l'audience.





Par jugement contradictoire et en premier ressort du 22 juin 2021 le tribunal judiciaire d'Agen a :

- donné acte à [M] [P] de l'abandon de sa demande portant sur l'examen avant dire droit par jugement distinct de la recevabilité de l'intervention volontaire de maître [B] [Y].

- déclaré recevable l'intervention volontaire du Conseil National des greffiers des tribunaux de commerce.

- déclaré recevable l'intervention volontaire de maître [B] [Y], agissant tant en son nom personnel qu'en qualité de représentant légal de la SELARL «'greffe du tribunal de commerce d'Agen» .

- prononcé la destitution de [M] [P] de ses fonctions de greffier au tribunal de commerce d'Agen.

- condamné [M] [P] à payer au Conseil National des greffiers des tribunaux de commerce la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts.

- condamné [M] [P] aux entiers dépens.

- rappelé que le jugement est exécutoire à titre provisoire.



Pour prononcer la destitution de [M] [P] de ses fonctions de greffier du tribunal de commerce d'Agen, le tribunal a retenu que [M] [P] avait reconnu dans leur matérialité les faits ayant fait l'objet d'une poursuite pénale, à savoir, modifications sur l'historique informatique d'un dossier ayant donné lieu d'abord à un jugement d'incompétence du tribunal de commerce du 19 septembre 2018, puis à un jugement de radiation, par le retrait des dates d'audience et l'annulation du jugement de radiation, puis destruction de la minute papier, comme il était établi que [M] [P] avait utilisé le poste informatique d'une employée du greffe en utilisant sa session ouverte. Puis le tribunal a jugé que les rapports et pièces versés aux débats établissaient les manquements révélés lors de l'inspection quadriennale des 11 et 12 octobre 2017 et le suivi d'inspection réalisé le 2 et 3 avril 2019, pour certains pouvant cependant être imputés aux deux greffiers s'agissant des erreurs de gestion et de la conduite du greffe. Il a également considéré que l'attitude de [M] [P] à l'égard du ministère public, le non respect de l'obligation de confraternité vis à vis de maître [B] [Y], outre une absence de tout travail effectif durant la période de confinement de 2020, rendait impossible une gestion normale du greffe.



Il a été fait droit à la demande de dommages-intérêts du Conseil National des Greffiers des Tribunaux de Commerce pour atteinte à son image et à sa réputation.



Enfin le tribunal a dit qu'en application de l'article R 743-16 du code de commerce le jugement était exécutoire à titre provisoire.





Par déclaration au greffe du 24 juin 2021 [M] [P] a relevé appel de la décision en citant les chefs du jugement critiqués.





Saisi en référé par [M] [P] le Premier Président de cette Cour par ordonnance rendue le 1er septembre 2021 a déclaré irrecevable la demande de [M] [P] tendant à voir réformer le jugement sur l'exécution provisoire de droit, l'a débouté de sa demande d'arrêt de l'exécution provisoire et l'a condamné à payer la somme de 1500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.



************************



Régulièrement convoqué à l'audience du 14 février 2022, [M] [P] a comparu assisté par son conseil Me Gonthier, lequel a soutenu oralement les conclusions adressées à la Cour en dernier lieu le 8 février 2022.



Le Conseil National des Greffiers des Tribunaux de Commerce représenté par son conseil Me Bilger laquelle a oralement exposé ses moyens et demandes, se référant également à ses dernières conclusions du 21 janvier 2022.



Me [B] [Y] agissant tant en son nom personnel qu'es qualité de représentant légal de la SELARL 'Greffe du tribunal de commerce d'Agen', représenté par son conseil Me [K] a oralement exposé ses moyens et demandes, se référant également à ses dernières conclusions du 19 janvier 2022.



Le ministère public, représenté par Monsieur Derens, avocat général, a oralement repris ses réquisitions écrites du 2 février 2022.



Toutes les parties ont confirmé avoir eu connaissance des écritures et pièces déposées au greffe de la Cour, n'avoir aucune demande à formuler à ce titre.



[M] [P] a eu la parole en dernier.





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PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES



Aux termes de ses dernières conclusions du 8 février 2022, reprises oralement, [M] [P] demande à la Cour de :

- Juger recevable et bien fondé son appel,

- Infirmer le jugement du 22 juin 2021 en toutes ses dispositions,

et statuant à nouveau,

- Dire n'y avoir lieu au prononcé d'une mesure de destitution, ni d'interdiction temporaire,

- Statuer ce que de droit quant au prononcé de l'une des peines prévues au 1er , 2 ème et 3 ème de l'article L.743-3 du code de commerce,

Statuer ce que de droit quant aux dépens.





Il fait valoir :



- sur les faits ayant donné lieu à condamnation pénale :

* sans les contester, ils ont été commis dans un contexte familial et personnel particulier, et de relations avec son associé difficiles,

* il a agi sans intention dolosive pour réparer une erreur procédurale en ce qu'après un jugement d'incompétence ayant dessaisi la juridiction, l'affaire a été rappelée à l'audience aux fins de radiation, ce jugement de radiation ayant donné lieu au surplus à une facturation des frais de 153,67 € pour lesquels il a émis un avoir.



- sur les griefs résultants de l'inspection quadriennale effectuée les 11 et 12 octobre 2017 et le suivi d'inspection réalisé les 2 et 3 avril 2019 retenus par le procureur de la République d'Agen :

* il a manqué de répondre à un seul courrier du procureur de la République d'Agen ; il a présenté ses excuses au procureur de la République lors de l'audience publique du 26 janvier 2021 ; il n'y a pas eu de nombreuses observations du procureur de la République auxquelles il n'aurait pas donné suite comme soutenu aux écritures du Procureur général et il n'a jamais été irrespectueux avec les représentants du ministère public ;

* le ministère public l'a poursuivi en destitution sans attendre la décision sur la demande de suspension provisoire, il ne peut lui reprocher une absence de contact dans ce contexte ;

* des griefs visés à la procédure de suspension provisoire ont ensuite été abandonnés ;

* de nombreux dysfonctionnement du greffe du tribunal de commerce sont aussi imputables à son associé [B] [Y] : retard dans la tenue du registre du commerce et des sociétés ; gestion des dossiers de sanctions personnelles, des frais de justice commerciale, tenue des registres d'ordonnances d'administration judiciaire et des procès- verbaux des juridictions ;

* il n'est pas exclusivement à l'origine des difficultés relationnelles avec Me [Y] lequel a également commis des fautes de gestion ;

* lui reprocher d'avoir manqué aux règles de courtoisie et de confraternité envers Me [Y] revient à lui reprocher de se défendre ;

* les résultats de l'inspection du greffe des 23 et 24 septembre 2021 confirment le fonctionnement satisfaisant du greffe et nombre de reproches figurant au précédent rapport ont été, ou levés, ou démentis, sans que l'on puisse imputer les défaillances à l'un des greffier plus qu'à l'autre ;



- sur le caractère disproportionné de la sanction prononcée :

* une sanction disciplinaire juste et proportionnée doit être prononcée à l'instar de ce que la chambre des appels correctionnels de la cour d'appel d'Agen a jugé en le condamnant à une interdiction temporaire de six mois, avec non inscription au bulletin n°2 du casier judiciaire ;

* sa carrière depuis 1989 a été exemplaire comme en attestent les rapports d'inspection notamment ceux du greffe de Marmande où il intervenait seul ;

* trois greffiers de tribunaux de commerce de Bordeaux et Toulouse attestent de l'estime dont il jouit en tant que professionnel et en tant qu'homme ;

* il a décide de prendre sa retraite.





Aux termes de ses conclusions du 19 janvier 2022, reprises oralement, [B] [Y] demande à la Cour de :

- Confirmer la décision du 22 juin 2021 en ce qu'elle a déclaré recevable l'intervention volontaire de Maître [B] [Y] agissant tant en son nom personnel qu'en qualité de représentant légal de la SELARL « GREFFE DU TRIBUNAL DE COMMERCE D'AGEN »

- Lui donner acte de son intervention et de ses observations

- Statuer ce que de droit sur les demandes du Ministère public



Il expose l'argumentation suivante :

* il s'associe expressément aux observations du ministère public en ce qu'il a relevé les graves manquements de Me [M] [P] à ses devoirs d'Officier Public et Ministériel, des manquements déjà pointés lors de l'inspection quadriennale effectuée les 11 et 12 octobre 2017 et suivis d'inspections réalisées les 2 et 3 avril 2019, et des graves manquements de Maître [M] [P] à son obligation de confraternité à son égard ;

* la seule destruction d'une minute d'un jugement constitue un manquement extrêmement grave par [M] [P] à ses obligations d'officier ministériel.

* depuis le début du confinement, [M] [P] s'est dispensé de tout acte de présence et de tout travail effectif au greffe du Tribunal de Commerce d'Agen ne se rendant même pas aux audiences qui lui incombaient. C'est donc parfaitement à bon droit que les premiers juges ont pu en conclure l'absence de prise en compte par [M] [P] de sa propre situation professionnelle délicate et du devenir du greffe, et ce sans aucune remise en question de sa part.

* de tels comportements sont de nature à susciter la défiance de la part des justiciables laissant notamment supposer que des greffiers de Tribunaux de commerce peuvent manipuler ou faire disparaître des décisions de justice à leur convenance.





Aux termes de ses conclusions du 21 janvier 2022, reprises oralement, le Conseil National des Greffiers des Tribunaux de commerce demande à la Cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions et de condamner [M] [P] à lui payer la somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.



Il fait valoir :



- sur l'intervention volontaire du Conseil National des Greffiers des Tribunaux de commerce :

* l'intervention volontaire à l'instance disciplinaire est rendue possible par les dispositions de l'article R.743-14 al 3 du Code de Commerce qui dispose que : « Le Tribunal peut entendre la personne qui se prétend lésée par les faits reprochés au greffier du tribunal de commerce poursuivi ».

* au vu des missions qui relèvent du CNGTC, et notamment sa mission de contrôle de représentation et de contrôle du respect des règles de la profession, il ne peut faire débat que tout acte répréhensible par un greffier du Tribunal de Commerce, commis dans le cadre de ses fonctions, entache incontestablement la considération et la réputation du CNGTC.

* l'intégrité et la probité des greffiers sont des principes essentiels de la profession qui sont particulièrement protégés par le CNGTC.

* les agissements de Monsieur [M] [P] ont violé tous les principes essentiels de la profession et le Conseil subi un préjudice important du fait de l'opprobre jeté sur la profession qu'il s'acharne à défendre et à promouvoir.

* par ailleurs, existait un risque pour que les dysfonctionnements paralysent le bon fonctionnement du greffe à très court terme et plus globalement l'ensemble du fonctionnement du Tribunal de commerce.



- sur la demande de dommages et intérêts :

* la demande est fondée sur l'alinéa 4 de l'article R.743-12 du Code de Commerce qui prévoit que : « Toute personne qui se prétend lésée peut demander des dommages et intérêts au tribunal judiciaire saisi ».

* l'atteinte à son image et à sa réputation du fait des agissements de Me [M] [P] est avérée : il a reconnu, lors de la procédure pénale, une partie des faits qui lui étaient reprochés.

* le manquement aux devoirs de sa charge envers les justiciables, le Tribunal de commerce, le parquet, son associé et sa profession est parfaitement caractérisé.

* les éléments de contexte évoqués par Me [M] [P] ne sauraient être de nature à expliquer les agissements de ce dernier, qui, à de multiples reprises a porté atteinte à l'honneur de sa profession, et ce dans la durée.







* [M] [P] se contente d'arguer de ce que les dysfonctionnements du greffe du Tribunal de commerce seraient imputables à Me [Y], son associé, sans jamais apporter la moindre justification de ces allégations.





Par conclusions du 2 février 2022, reprises oralement, le Procureur général demande à la Cour de confirmer la décision déférée.



Il fait valoir :

* une enquête pénale a été ordonnée sur la base de faits constitutifs de faux et usage en écriture publique signalés au parquet d'Agen, faits ayant consisté d'une part en l'établissement d'un jugement modifiant l'identité du mandataire liquidateur sans qu'il ne s'agisse d'un jugement rectificatif du premier jugement rendu et, d'autre part, en l'ajout d'une mention manuscrite changeant les termes d'une ordonnance rendue par le juge commissaire dans le cadre d'une autre affaire, toutes décisions signées par maître [P], greffier du tribunal de commerce d'Agen, et sur la base d'une correspondance adressée au parquet par maître [B] [Y] dénonçant des faits consistant en l'effacement d'un jugement du tribunal de commerce en date du 24/10/2018, effacement opéré dans l'historique informatique du greffe le 23/11/2018 ;

* la condamnation pénale de [M] [P] est définitive ; il a reconnu les faits d'annulation du jugement de radiation en informatique en justifiant son acte par l'aberration procédurale que le jugement entrepris constituait ; le fait pour un greffier de tribunal de commerce d'avoir sciemment procédé à la destruction d'une minute, d'avoir porté une appréciation sur une décision rendue par les juges dudit tribunal et d'avoir supprimé des données informatiques constitue des fautes signalées, aggravées par un comportement globalement irrespectueux (maître [P] n'ayant pas daigné donner de suite aux nombreux conseils et demandes du parquet),

* selon les articles L 743-2 à L 743-11 et R 743-5 à R 743-28 du code de commerce tout manquement d'un greffier de tribunal de commerce à l'honneur, à la probité, à la dignité et aux devoirs de sa charge constitue une faute disciplinaire ;

* parmi les obligations déontologiques rappelées par la Direction des Affaires Civiles et du Sceau (fiche du 19/06/2020) figure le devoir de loyauté à l'égard du tribunal et du parquet, l'ensemble des missions du greffier du tribunal de commerce s'exerçant sous la responsabilité du procureur de la République ; ne pas tenir compte des remarques de son autorité de tutelle constitue un manquement aux devoirs de sa charge ;

* la sanction prononcée n'est pas disproportionnée en regard des griefs établis au terme de l'enquête pénale et de la décision désormais définitive ; l'ensemble des fautes professionnelles reconnues pour certaines par [M] [P], caractérise les manquements aux obligations précitées, tant au niveau de l'absence de réponse à de nombreuses observations du procureur de la République dans la suite de l'inspection quadriennale des 11 et 12 octobre 2017 (puis du suivi d'inspection réalisé les 2 et 3 avril 2019) qui signe une désinvolture et une absence de considération à l'égard d'une autorité de tutelle parfaitement investie, ce qui illustre une déloyauté manifeste, que dans l'appréciation toute personnelle que [M] [P] avait de son respect des règles de courtoisie et de confraternité envers maître [B] [Y] ;

* la commission d'infractions pénales en lien direct avec son activité professionnelle a hypothéqué de manière durable la confiance indispensable à l'exercice de ses fonctions.






SUR QUOI LA COUR,



1/ étendue de la saisine de la Cour



La Cour est saisie par la déclaration d'appel laquelle en l'espèce a visé tous les chefs du jugement du 22 juin 2021 : or au vu des débats et des écritures de l'appelant et des intimés, ne sont pas discutées les dispositions de la décision relatives à la recevabilité des interventions volontaires du CNGTC et de Me [B] [Y]. Elles seront donc confirmées sans autre développement.



De même, [M] [P] a visé à sa déclaration d'appel sa condamnation à payer au CNGTC des dommages-intérêts à hauteur de 5000 € mais n'a développé aucun moyen de réformation sur le principe de cette condamnation ou son montant, ni dans ses écritures, ni oralement.



La décision sera donc également confirmée sans autre développement.





2/ sur les fautes reprochées à [M] [P]



Aux termes de l'article L.743-2 du code de commerce « tout manquement d'un greffier du tribunal de commerce à l'honneur, à la probité, à la dignité et aux devoirs de sa charge constitue une faute disciplinaire'». Les greffiers des tribunaux de commerce sont soumis à des règles déontologiques et professionnelles établies par une décision du 7 mai 2019 du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce (CNGTC), validée par arrêté du garde des sceaux du 11 juin 2019.



En vertu de l'article R. 741-2 du code de commerce, « le greffier dirige, sous le contrôle du président du tribunal et sous la surveillance du Ministère public, l'ensemble des services du greffe ».



Pour s'assurer du respect des obligations qui s'imposent aux greffiers des tribunaux de commerce, des contrôles périodiques et occasionnels sont organisés, en application des

articles L. 743-1 et R. 743-1 à R.743-4 du code de commerce.



Outre les principes communs à toutes les professions réglementées, le greffier de tribunal

de commerce est astreint à un devoir de discrétion et de loyauté dans l'exercice de ses fonctions, il a le devoir de mettre ses compétences au service des justiciables, assujettis, clients, et de l'autorité judiciaire, en faisant preuve de diligence et de prudence. Il doit respecter toutes les dispositions légales et réglementaires le concernant. Il exerce son office sous le contrôle du président du tribunal et sous la surveillance du ministère public.



La méconnaissance de ces règles et principes constitue un manquement qui peut entraîner des poursuites disciplinaires.



Sur assignation délivrée le 11 février 2021 à la demande du procureur de la République d'Agen, [M] [P] a été cité pour voir prononcer à son encontre la sanction de la destitution à raison d'une part des faits ayant donné lieu à des poursuites pénales, d'autre part de faits révélés lors de l'inspection quadriennale réalisée en octobre 2017 et du suivi d'inspection d'avril 2019, et de faits postérieurs à l'inspection et au suivi d'inspection, s'agissant des relations avec le parquet et son associé Maître [Y].





- Sur les faits ayant fait l'objet d'une poursuite pénale :



[M] [P] a été définitivement condamné par arrêt de la chambre des appels correctionnels de la présente Cour du 10 septembre 2020. Selon cette décision, il a été reconnu coupable du délit de suppression frauduleuse de données contenues dans un système de traitement automatisé, pour avoir supprimé des mentions relatives à un dossier et la minute du jugement numérisée, en utilisant un poste informatique autre que le sien, soit celui d'une de ses subordonnés en instance de cessation de ses fonctions, et en dissimulant son acte aux rédacteurs, signataires du jugement définitif, signifié et facturé au demandeur, et également coupable du délit de destruction de la minute originale du jugement de radiation rendu par le tribunal de commerce d'Agen le 24 octobre 2018.



[M] [P] fait valoir que les faits, qu'il a reconnus, ont été commis dans un contexte familial particulier, de relations difficiles avec son associé et qu'il a agi sans intention dolosive.





La Cour relève que l'appelant reprend dans la présente instance les arguments qu'il a déjà développés devant la chambre des appels correctionnels pour faire plaider une absence d'intention coupable ou de nuire, arguments également écartés par la chambre criminelle de la Cour de Cassation dans son arrêt du 8 juin 2021.

Dès lors en l'état d'une condamnation pénale définitive, et eu égard aux constatations auxquelles il a été procédé durant l'enquête pénale, il est suffisamment établi, nonobstant les difficultés personnelles de l'intéressé, que [M] [P] a eu délibérément un comportement contraire à la loi et aux règles professionnelles, qui traduit un grave manque de probité attendu d'un officier public et ministériel.





- Sur les manquements révélés lors de l'inspection quadriennale en date du 11 et 12 octobre 2017 et le suivi d'inspection réalisé le 2 et 3 avril 2019 :



A l'appui de son appel, [M] [P], sans contester formellement les faits résultant de l'inspection quadriennale, parfaitement analysés par le tribunal, mets essentiellement en avant que les nombreux dysfonctionnement du greffe du tribunal de commerce ne lui sont pas uniquement imputables, que dans ses relations avec le procureur de la République il n'a manqué de répondre qu'à un seul courrier de ce magistrat, et a ensuite présenté ses excuses lors de l'audience disciplinaire, et qu'il n'est pas exclusivement à l'origine des difficultés relationnelles avec son associé [B] [Y].



Le tribunal a, à juste titre, relevé que l'inspection quadriennale d'octobre 2017 s'était déroulée en l'absence de [M] [P], alors hospitalisé, il est établi néanmoins par les pièces du dossier que ce dernier a eu connaissance des éléments relevés par les inspecteurs et a pu faire valoir ses observations.



Les irrégularités retenues par les inspecteurs, tenant au non respect des règles procédurales en matière de rectification matérielle, de tenue des audiences, à l'absence de conformité et de fiabilité des convocations par voie électronique sans l'assentiment des justiciables, et des notifications par le même mode dans le cadre des procédures collectives, à des irrégularités de facturation des frais postaux, soit non facturés et non engagés, soit facturés à tort, ont été imputées tant à [M] [P] qu'à son associé, ou 'au greffe'.



En revanche il a été retenu une absence de réponse à un courrier de mars 2017 de madame le procureur de la République directement imputable à M. [P] sur le suivi d'un dossier d'ouverture de liquidation judiciaire tenant à la constatation d'un changement de nom du mandataire judiciaire, sans jugement rectificatif. La réponse n'a été fournie qu'à la faveur de l'inspection diligentée, soit le 13 octobre 2017.



Le suivi de cette inspection réalisé en avril 2019 a mis en évidence (page 5) s'agissant de la tenue des audiences de procédure collective et des relations avec le parquet que le procureur de la République a de nouveau signalé l'impossibilité d'obtenir les informations concernant les convocations dans les dossiers pour lesquels les procédures ont été initiées par le ministère public, et 'qu'il était difficile d'une manière générale d'obtenir des informations de la part de Me [P]'.



Les inspecteurs ont conclu leur rapport par des considérations générales sur les règles essentielles de fonctionnement concernant la comparution des parties à l'audience, l'amélioration de la tenue des dossiers de procédures collectives et du paramétrage du logiciel de tarification pour que les tarifs soient en parfaite cohérence avec les prestations accomplies.





- Sur les faits postérieurs à l'inspection et au suivi d'inspection, s'agissant des relations avec le parquet et son associé Maître [Y].



** les relations avec le procureur de la République d'Agen



L'enquête pénale sur les faits reprochés à [M] [P] a fait l'objet d'un dépaysement au tribunal correctionnel d'Auch.



Dans son acte introductif d'instance du 11 février 2021, le procureur de la République d'Agen fait grief à [M] [P] de «'n'avoir pas modifié son comportement depuis l'inspection et son suivi, de n'avoir sollicité aucun rendez-vous pour s'expliquer sur les difficultés rencontrées avec le Parquet, et de n'avoir pas informé le Parquet d'Agen des condamnations prononcées à son encontre et des conséquences prévisibles pour le greffe, ce faisant il a contrevenu gravement à ses obligations de loyauté et de diligence envers le parquet'».



Il est constant que l'ensemble des missions du greffier du tribunal de commerce s'exerce sous la surveillance du procureur de la République. Les rapports entre le greffier, le procureur, les autorités publiques et les partenaires habituels avec lesquels il est en relation, doivent être empreints de diligence et de loyauté.



En l'espèce comme retenu par le tribunal, il résulte essentiellement des deux rapports d'inspections 2017 et 2019 produits par le ministère public que des demandes multiples ont été émises par le parquet concernant les procédures collectives et que les relations avec Me [M] [P] n'étaient pas excellentes.



Ce dernier se prévaut du jugement du tribunal judiciaire d'Agen du 23 février 2021 qui a rejeté la demande de suspension provisoire présentée par le procureur de la République d'Agen. Le tribunal a néanmoins relevé que devant lui, [M] [P] avait admis «'n'avoir pas eu l'attitude adéquate envers le ministère public à la suite de sa condamnation'». [M] [P] rappelle aussi dans la présente instance avoir présenté «'ses excuses à Madame le procureur de la République à l'audience du 26 janvier 2021'».



Il reconnaît donc par là même avoir manqué en général à ses obligations de courtoisie et de diligence à l'égard du représentant du ministère public en charge d'une mission de surveillance de ses activités et de la régularité de celles-ci, sans qu'il soit nécessaire de se reporter à des éléments tangibles d'oppositions frontales ou de défaillances à des demandes particulières, mais leur absence permet à la Cour de relativiser le caractère de gravité de ce manquement.



** les relations avec son associé Me [B] [Y]



Le ministère public fait grief à [M] [P], outre les faits pénaux commis dans un dossier de son associé à l'insu de celui-ci, d'avoir eu avec l'intéressé des échanges tendus, sans recherche de solutions amiables ou d'apaisement, de s'être abstenu de toute venue au greffe durant la période de confinement liée à la pandémie de COVID-19, sans informer le parquet, ni son associé, pour définir les conséquences de cette décision qui pouvait être légitime à raison de son état de santé.



Sont versés au dossier les échanges de courriels et correspondances entre les associés qui caractérisent suffisamment cette discorde récurrente entre eux. [M] [P] prétend qu'il n'est pas le seul responsable de cette situation. Pour autant le rapport d'inspection des 23 et 24 septembre 2021 qu'il communique, a noté une amélioration sensible du fonctionnement du greffe, alors que [M] [P] n'est plus ou peu intervenu à raison des procédures dont il a fait l'objet. Il est noté au rapport (pages 41-42) à propos du personnel que selon l'ensemble de l'équipe la fin de la contrariété de consignes de travail permet «'d'avancer et de travailler dans une ambiance plus sereine'» soulignant en conclusion que les collaborateurs du greffe avaient été parfois «'durement éprouvés par l'association difficultueuse des greffiers'». Le soulagement ainsi exprimé alors que Me [B] [Y] reste seul greffier en charge de l'office, vient infirmer la position de [M] [P].

Comme retenu aussi à juste titre par le tribunal, il est avéré que [M] [P] a communiqué en cours de procédure diverses attestations et documents mettant en évidence pour certains, selon lui, des comportements fautifs voire délictueux à l'égard de maître [B] [Y], sans que celui-ci puisse faire valoir sa position. Le parquet relève que cette attitude démontre également le manque de loyauté de [M] [P] vis à vis du procureur de la République à qui il se devait de signaler ce qu'il considérait comme un dysfonctionnement du greffe.



Surtout la Cour constate que les inspecteurs, tant en 2017 qu'en 2019, ont fait mention de ces difficultés relationnelles entre les greffiers, conduisant à des pratiques opposées, et non conformes, soit aux règles du code de procédure civile ou à celles de la profession.



Or, les greffiers, doivent entretenir des rapports de courtoisie et de confraternité avec leurs homologues, se doivent mutuellement assistance et conseil. Ils ne doivent pas commettre d'actes ou prononcer des paroles qui seraient susceptibles de porter atteinte à l'honorabilité d'un confrère. Lorsqu'un différend naît entre eux, une solution amiable doit d'abord être recherchée. En cas d'échec d'un règlement amiable, les greffiers peuvent en référer au président du Conseil national.



Me [M] [P] se contente dans ses écritures d'adopter une attitude victimaire. Il a même écrit en commentaire du rapport d'inspection de 2019, pages 10-11-12, à propos des inspectrices «'leur commentaire est tendancieux et partial, avis qui vaut pour la lecture de l'ensemble du rapport de suivi'».



Ce manquement aux règles de la profession est donc également avéré.



Le jugement qui a retenu des fautes disciplinaires à l'encontre de [M] [P] sera en conséquence de ce qui précède confirmé.





3/ sur la sanction



Les faits commis par [M] [P] dans l'exercice de ses fonctions de greffier du tribunal de commerce d'Agen constituent des manquements à l'honneur et à la probité d'un officier public et ministériel justifiant le prononcé d'une sanction disciplinaire.



Aux termes de l'article L 743-3 du code de commerce les sanctions disciplinaires sont :

1° Le rappel à l'ordre ;

2° L'avertissement ;

3° Le blâme ;

4° L'interdiction temporaire ;

5° La destitution ou le retrait de l'honorariat.



Les faits commis par [M] [P] dans l'exercice de ses fonctions constituent des manquements à l'honneur, à la probité et à la loyauté mais également à l'exemplarité, et ce, pour les seuls faits ayant fait l'objet d'une poursuite pénale.



Par son comportement, et durant plusieurs mois, [M] [P] a empêché un fonctionnement normal du greffe du tribunal de commerce d'Agen ainsi que les inspections l'ont mis en exergue.



Pour autant aucun manquement n'a été relevé avant 2017, ceux établis n'ont pas entraîné de conséquences irrémédiables, pour le suivi des dossiers soumis au tribunal de commerce d'Agen, l'intérêt des justiciables ni pour la trésorerie du greffe. La sanction de la destitution est dès lors disproportionnée.



En conséquence, et dès lors également qu'il est justifié que par arrêté du 25 octobre 2021 du Ministre de la Justice, un projet de cession de ses parts sociales par [M] [P] au sein de la SELARL 'GREFFE DU TRIBUNAL DE COMMERCE D'AGEN' a été déposé, la Cour dispose des éléments d'appréciation suffisants pour prononcer la peine de l'interdiction temporaire durant trois ans. Le jugement sera infirmé en ce sens.



Compte tenu de la cession des parts en cours il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article L 743-10 du code de commerce.





4/ sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile



Compte tenu de l'issue du litige [M] [P] sera condamné aux dépens d'appel, le jugement qui l'a condamné sur ce point sera confirmé.



Il sera alloué au Conseil National des Greffiers des Tribunaux de commerce la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.





PAR CES MOTIFS :



La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par arrêt contradictoire, et en dernier ressort,



CONFIRME le jugement déféré SAUF en ce qu'il a prononcé à l'encontre de [M] [P] la peine de la destitution,



STATUANT A NOUVEAU de ce chef,



PRONONCE à l'encontre de [M] [P], greffier associé membre de la SELARL « GREFFE DU TRIBUNAL DE COMMERCE D'AGEN », titulaire de l'Office de greffier du tribunal de commerce d'Agen la peine de l'interdiction temporaire de 3 ans ;



CONDAMNE [M] [P] à payer au Conseil National des Greffiers des Tribunaux de commerce la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,



CONDAMNE [M] [P] aux dépens d'appel.



Le présent arrêt a été signé par Claude GATÉ, présidente de chambre, et par Nathalie CAILHETON, greffière.



La Greffière,La Présidente,

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