19 mai 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-23.529

Deuxième chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:C200509

Titres et sommaires

CHOSE JUGEE - Identité d'objet - Exclusion - Applications diverses - Application en matière de réparation d'un préjudice - Contentieux locatif - Objets distincts - Délivrance frauduleuse d'un congé et troubles de jouissance

L'action tendant à obtenir la nullité du congé et l'indemnisation des troubles de jouissance subis durant l'occupation du logement n'a pas le même objet que l'action en réparation des préjudices subis du fait de la délivrance frauduleuse du congé pour vendre, de sorte que la seconde demande ne se heurte pas à l'autorité de la chose jugée qui s'attache à la première

PROCEDURE CIVILE - Fin de non-recevoir - Définition - Chose jugée - Domaine d'application - Demandes successives ne tendant pas au même objet - Application diverse - Contentieux locatif - Congé frauduleux et troubles de jouissance

Texte de la décision

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 19 mai 2022




Cassation


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 509 F-B

Pourvoi n° P 20-23.529

Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de Mme [T], épouse [P].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 22 octobre 2020.

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 MAI 2022

1°/ Mme [X] [T], épouse [P], domiciliée [Adresse 3], assistée de son curateur, l'Association tutélaire protection (ATP),

2°/ l'Association tutélaire protection (ATP), dont le siège est [Adresse 1], agissant en qualité de curateur de Mme [X] [T],

ont formé le pourvoi n° P 20-23.529 contre l'arrêt rendu le 12 décembre 2019 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-7), dans le litige les opposant :

1°/ à Mme [G] [R], domiciliée [Adresse 4], assistée de son curateur, M. [J] [C],

2°/ à M. [J] [C], domicilié [Adresse 2], pris en qualité de curateur de Mme [G] [R],

défendeurs à la cassation.

Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Bohnert, conseiller référendaire, les observations de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de Mme [T] et de l'Association tutélaire protection (ATP), en qualité de curateur de Mme [T], de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de Mme [R] et de M. [C], en qualité de curateur de Mme [R], et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 29 mars 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Bohnert, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 12 décembre 2019), Mme [R], propriétaire d'un appartement donné à bail à Mme [T] et M. [B], leur a délivré un congé pour vente.

2. Estimant ce congé frauduleux, Mme [T] a assigné Mme [R] devant un tribunal d'instance pour obtenir notamment la nullité du congé et le paiement de dommages-intérêts en réparation d'un préjudice de jouissance. Un jugement du 5 décembre 2012, confirmé par un arrêt d'une cour d'appel du 4 juillet 2014, a rejeté ces demandes.

3. En 2017, Mme [T] a assigné Mme [R] devant un tribunal d'instance afin d'obtenir l'indemnisation des préjudices découlant du congé frauduleusement délivré.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

4. Mme [T] fait grief à l'arrêt de déclarer ses demandes irrecevables au regard de l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 4 juillet 2014, alors « que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement, qu'il faut notamment que la chose demandée soit la même ; qu'en jugeant irrecevables les demandes de Mme [T] comme se heurtant à l'autorité de chose jugée attachée à l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence en date du 4 juillet 2014 devant laquelle cette dernière avait demandé, à titre subsidiaire, la nullité du congé pour vente en raison d'un prix manifestement excessif proposé par la bailleresse et l'octroi de dommages et intérêts en réparation du trouble de jouissance causé par l'état du logement, la cour d'appel, saisie en l'occurrence par Mme [T] d'une demande tendant à la condamnation de Mme [R] à des dommages et intérêts en raison du seul caractère frauduleux du congé que cette dernière lui avait délivré, a violé les articles 1355 du code civil et 480 du code de procédure. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

5. Mme [R] conteste la recevabilité du moyen au motif que celui-ci est nouveau.

6. Cependant, Mme [T] ayant soutenu dans ses écritures devant la cour d'appel que la demande formée dans cette nouvelle instance n'était pas la même que celle ayant donné lieu à l'arrêt du 4 juillet 2014, le moyen n'est pas nouveau.

7. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles 1355 du code civil et 480 du code de procédure civile :

8. Il résulte du premier de ces textes que s'il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime être de nature à fonder celle-ci, il n'est pas tenu de présenter dans la même instance toutes les demandes fondées sur les mêmes faits.

9. Pour déclarer irrecevables les demandes présentées par Mme [T], comme se heurtant à l'autorité de chose jugée de l'arrêt du 4 juillet 2014, l'arrêt retient que celle-ci a déjà saisi le tribunal d'instance de Marseille d'une demande tendant à voir prononcer la nullité du congé et qu'elle a été déboutée de cette demande par arrêt confirmatif du 4 juillet 2014 et qu'au regard de l'autorité de chose jugée attachée à cet arrêt, ses demandes qui tendent notamment à obtenir le prononcé de la nullité du congé, dont est invoqué le caractère frauduleux, doivent être déclarées irrecevables.

10. En statuant ainsi, alors que l'action tendant à obtenir la nullité du congé et l'indemnisation des troubles de jouissance subis durant l'occupation du logement n'avait pas le même objet que l'action en réparation des préjudices subis du fait de la délivrance frauduleuse du congé pour vendre, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 décembre 2019, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence autrement composée ;

Condamne Mme [R], assistée de son curateur M. [C], aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [R] assistée de son curateur M. [C] et la condamne à payer à la SAS Buk Lament-Robillot, la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf mai deux mille vingt-deux.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SAS Buk Lament-Robillot, avocat aux Conseils, pour Mme [T] et l'Association tutélaire protection (ATP), en qualité de curateur de Mme [T]

Mme [T] fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré ses demandes irrecevables au regard de l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence du 4 juillet 2014.

1°) ALORS QUE Mme [T], dans le dispositif de ses dernières conclusions en date du 26 septembre 2019, demandait en l'espèce à la cour d'appel d'Aix-en-Provence de dire et juger que le congé pour vendre délivré à la requête de Mme [R] avait un caractère frauduleux et de condamner en conséquence cette dernière à lui verser une somme de 4.000 euros à titre de dommages et intérêts ; qu'en énonçant, pour juger irrecevables les demandes de Mme [T] comme se heurtant à l'autorité de chose jugée attachée à l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence en date du 4 juillet 2014 devant laquelle cette dernière avait demandé, à titre subsidiaire, la nullité du congé pour vente en raison d'un prix manifestement excessif proposé par la bailleresse, que les demandes dont elle était présentement saisie tendaient à obtenir le prononcé de la nullité du congé, la cour d'appel a violé le principe interdisant au juge de dénaturer les documents de la cause ;

2°) ALORS QUE l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement, qu'il faut notamment que la chose demandée soit la même ; qu'en jugeant irrecevables les demandes de Mme [T] comme se heurtant à l'autorité de chose jugée attachée à l'arrêt de la cour d'appel d'Aix-en-Provence en date du 4 juillet 2014 devant laquelle cette dernière avait demandé, à titre subsidiaire, la nullité du congé pour vente en raison d'un prix manifestement excessif proposé par la bailleresse et l'octroi de dommages et intérêts en réparation du trouble de jouissance causé par l'état du logement, la cour d'appel, saisie en l'occurrence par Mme [T] d'une demande tendant à la condamnation de Mme [R] à des dommages et intérêts en raison du seul caractère frauduleux du congé que cette dernière lui avait délivré, a violé les articles 1355 du code civil et 480 du code de procédure civile.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.