19 mai 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-21.585

Deuxième chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:C200499

Titres et sommaires

CHOSE JUGEE - Identité d'objet - Définition - Exclusion - Cas - Contrat de dépôt unique portant sur diverses oeuvres d'art

Il résulte de l'article 1355 du code civil que s'il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime être de nature à fonder celle-ci, il n'est pas tenu de présenter dans la même instance toutes les demandes fondées sur les mêmes faits. La demande d'indemnisation des dommages subis par une oeuvre d'art, formée, sur le fondement de l'inexécution de son obligation de restitution par le dépositaire, par les propriétaires auxquels elle a été restituée, n'a, pas le même objet que la demande d'indemnisation, formée par les mêmes propriétaires, au titre de l'absence de restitution, dans le cadre du même contrat de dépôt, de trois oeuvres vendues. Viole en conséquence les articles 1355 du code civil et 480 du code de procédure civile, la cour d'appel qui déclare irrecevable la demande en indemnisation de l'oeuvre détérioriée au motif que les deux demandes, en ce qu'elles étaient fondées sur le même contrat de dépôt, avaient le même objet et que les propriétaires devaient dès lors concentrer leurs moyens dès la première instance, alors que, s'agissant de demandes dont les objets étaient distincts, les propriétaires n'étaient pas tenus de toutes les présenter dès la première instance

CHOSE JUGEE - Identité de cause - Obligation de concentration des moyens - Domaine d'application - Exclusion - Cas - Demandes formées en vertu d'un contrat unique mais portant sur diverse oeuvres d'art

PROCEDURE CIVILE - Demande - Objet - Détermination - Prétentions respectives des parties - Moyens fondant les prétentions - Enonciation - Obligations des parties - Etendue

Texte de la décision

CIV. 2

LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 19 mai 2022




Cassation partielle


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 499 F-B

Pourvoi n° A 20-21.585




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 19 MAI 2022

1°/ Mme [W] [C], domiciliée [Adresse 3] (États-Unis),

2°/ M. [T] [Y], domicilié [Adresse 4] (États-Unis),

3°/ M. [K] [F] [Y], domicilié [Adresse 5] (États-Unis),

ont formé le pourvoi n° A 20-21.585 contre l'arrêt rendu le 20 octobre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 2, chambre 1), dans le litige les opposant :

1°/ à M. [N] [V], domicilié [Adresse 1],

2°/ à Mme [H] [B], domiciliée [Adresse 2],

défendeurs à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Kermina, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme [C], M. [T] [Y] et M. [K] [F] [Y], de la SCP Spinosi, avocat de M. [V] et Mme [B], et l'avis de M. Aparisi, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 29 mars 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Kermina, conseiller rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 20 octobre 2020), Mme [C], M. [T] [Y] et M. [K] [F] [Y], ces derniers venant aux droits de [D] [Y], héritiers de l'artiste [J] [Z] (les consorts [Z]), revendiquant la propriété de quatorze oeuvres d'[J] [Z], parmi lesquelles le mobile « un verre et deux cuillères », selon eux détenues en dépôt par [P] [V], galiériste et marchand d'art, ont, en 2005, agi à l'encontre de ses héritiers, M. [V] et Mme [B] (les consorts [V]) en restitution de ces oeuvres, soutenant qu'[P] [V] et [J] [Z] étaient liés par un contrat de dépôt et que les consorts [V] étaient mal fondés à invoquer à leur profit la règle selon laquelle, en matière de meubles, possession vaut titre.

2. Par un arrêt du 26 novembre 2010, devenu irrévocable par l'effet du rejet du pourvoi formé par les consorts [V] (1re Civ., 22 mars 2012, pourvoi n° 10-28.590, bull. n° 69), la cour d'appel de Paris a, pour l'essentiel, condamné les consorts [V] à remettre sous astreinte aux consorts [Z] sept oeuvres, dont le mobile « un verre et deux cuillères », a débouté les consorts [Z] de leur demande de revendication et d'expertise concernant quatre oeuvres, et, avant dire droit sur les demandes concernant les trois autres oeuvres, a ordonné la réouverture des débats pour que les consorts [V] produisent les documents concernant leur vente et que les parties concluent sur ce point.

3. La restitution du mobile « un verre et deux cuillères » est intervenue le 15 avril 2011 en présence d'un expert qui a constaté l'existence de dommages.

4. Après réouverture des débats, les consorts [Z] ont demandé la condamnation des consorts [V] à leur payer une certaine somme en réparation du préjudice résultant de la vente des trois dernières oeuvres restant en litige.

5. Par arrêt du 14 janvier 2015, la cour d'appel de Paris a déclaré prescrite la demande d'indemnisation concernant l'une des oeuvres et a condamné les consorts [V] à indemniser les consorts [Z] pour les deux autres oeuvres.

6. En 2016, les consorts [Z], invoquant les dommages causés au mobile « un verre et deux cuillères », imputables selon eux à [P] [V], qui en avait la garde, ont assigné les consorts [V] en paiement de différentes sommes en réparation de leurs préjudices matériel et moral résultant de cette détérioration.

7. Les consorts [V] ont soulevé une fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée attachée aux arrêts du 26 novembre 2010 et du 14 janvier 2015.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

8. Les consorts [Z] font grief à l'arrêt de déclarer irrecevables leurs demandes en réparation des préjudices causés par la restitution dans un état dégradé de l'oeuvre dénommée « Un verre et deux cuillères », alors « que s'il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci, il n'est pas tenu de présenter dans la même instance toutes les demandes fondées sur les mêmes faits ; qu'en déclarant irrecevable la demande d'indemnisation fondée sur la détérioration de l'oeuvre « Un verre et deux cuillères » qui n'a pas le même objet que la précédente demande en restitution de cette oeuvre, la cour d'appel a violé les articles 1355 du code civil et 480 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1355 du code civil et 480 du code de procédure civile :

9. Il résulte du premier de ces textes que s'il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime être de nature à fonder celle-ci, il n'est pas tenu de présenter dans la même instance toutes les demandes fondées sur les mêmes faits.

10. Pour déclarer irrecevables les demandes des consorts [Z] en réparation des préjudices causés par la restitution, dans un état dégradé, de l'oeuvre dénommée « Un verre et deux cuillères », l'arrêt retient que l'action engagée en 2016 est une action en indemnisation fondée sur un manquement aux obligations du contrat de dépôt, tandis que la première action contenait une demande indemnitaire fondée sur le contrat de dépôt, de sorte que les deux actions ont le même objet et qu'il appartenait aux consorts [Z], en application du principe de la concentration des moyens, de soulever dès la première instance le moyen tiré de la mauvaise exécution de l'obligation de restitution du dépositaire.

11. En statuant ainsi, alors que la demande d'indemnisation de l'état détérioré du mobile restitué « Un verre et deux cuillères » avait un objet distinct de celui de la demande d'indemnisation de l'absence de restitution des trois oeuvres vendues, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action, l'arrêt rendu le 20 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne M. [V] et Mme [B] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [V] et Mme [B] et les condamne à payer à Mme [C], M. [T] [Y] et M. [K] [F] [Y] la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf mai deux mille vingt-deux.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour Mme [C], M. [T] [Y] et M. [K] [F] [Y]

Mme [W] [C], M. [T] [Y] et M. [K] [F] [Y] reprochent à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré irrecevables leurs demandes en réparation des préjudices causés par la restitution dans un état dégradé de l'oeuvre de [Z] dénommée « Un verre et deux cuillères » ;

1/ ALORS QUE, l'action sur laquelle la cour d'appel de Paris a statué par ses arrêts des 26 novembre 2010 et 14 janvier 2015 était une action en revendication de quatorze oeuvres de [Z] détenues par les consorts [V] qui prétendaient en avoir prescrit la propriété, si bien qu'en retenant que cette action était de nature indemnitaire, la cour d'appel a méconnu l'autorité de chose jugée attachée aux arrêts précités violant ainsi l'article 1355 du code civil ;

2/ ALORS QU'il résulte des articles 1351, devenu 1355, du code civil et 480 du code de procédure civile que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui fait l'objet d'un jugement et a été tranché dans son dispositif ; que la demande en restitution d'un bien fondée sur le droit de propriété du demandeur n'a pas le même objet, ni la même cause que la demande en réparation du préjudice résultant des dégradations du bien constatées lors de sa restitution ; qu'en déclarant irrecevable comme se heurtant à l 'autorité de chose jugée des arrêts ordonnant la restitution de oeuvres la demande de réparation du préjudice causé par les détériorations de l'oeuvre constatées lors de sa restitution, la cour d'appel a violé les textes précités ;

3/ ALORS QUE s'il incombe au demandeur de présenter dès l'instance relative à la première demande l'ensemble des moyens qu'il estime de nature à fonder celle-ci, il n'est pas tenu de présenter dans la même instance toutes les demandes fondées sur les mêmes faits ; qu'en déclarant irrecevable la demande d'indemnisation fondée sur la détérioration de l'oeuvre « Un verre et deux cuillères » qui n'a pas le même objet que la précédente demande en restitution de cette oeuvre, la cour d'appel a violé les articles 1355 du code civil et 480 du code de procédure civile.

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