18 mai 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-15.113

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2022:SO00585

Texte de la décision

SOC.

LG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 18 mai 2022




Cassation


Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 585 F-D

Pourvoi n° R 20-15.113






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 18 MAI 2022

M. [W] [Y], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° R 20-15.113 contre l'arrêt rendu le 16 janvier 2020 par la cour d'appel de Bordeaux (chambre sociale, section B), dans le litige l'opposant à la société Lafon, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Pietton, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [Y], de la SCP Spinosi, avocat de la société Lafon, après débats en l'audience publique du 22 mars 2022 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Pietton, conseiller rapporteur, M. Seguy, conseiller, et Mme Lavigne, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 16 janvier 2020), M. [Y] a été engagé le 1er décembre 1970 par la société Lafon (la société) en qualité d'agent technico-commercial.

2. Désigné administrateur de la société en 1987, il a été nommé en 1990 directeur général puis, en 1992, président du conseil d'administration. En 1993, il a démissionné de ces dernières fonctions et a été nommé directeur général et en 2006, directeur général délégué.

3. Le 25 février 2014, la société a révoqué ce dirigeant de ses fonctions.

4. Le 7 avril 2014, l'intéressé a saisi la juridiction prud'homale pour obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de la société et la condamnation de celle-ci à lui payer diverses indemnités de rupture, des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et les salaires jusqu'à la date de la rupture du contrat de travail.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. L'intéressé fait grief à l'arrêt de le débouter de l'ensemble de ses demandes et de le condamner au paiement d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, alors « que la démission est un acte juridique unilatéral par lequel le salarié manifeste une volonté claire, sérieuse et non équivoque de rompre le contrat de travail et que ne constitue pas une manifestation claire et non équivoque de démission la signature par le salarié d'un procès-verbal du conseil d'administration actant sa nomination comme mandataire social, et mentionnant qu'il "déclare renoncer au bénéfice de son contrat de travail et ne sera plus rémunéré au titre de ce dernier", l'équivoque résultant du non cumul des fonctions de mandataire social et des fonctions de salarié, et la formule en cause n'emportant nullement renonciation du salarié au principe de suspension du contrat de travail et à sa remise en oeuvre dès la cessation de son mandat social, de sorte que la cour d'appel a violé les articles L. 1231-1, L. 1235-1 et L. 1237-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 1231-1, L. 1235-1, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 et L. 1237-1 du code du travail :

6. Le contrat de travail d'un salarié investi d'un mandat social exclusif de tout lien de subordination est, en l'absence de convention contraire, suspendu pendant le temps d'exercice du mandat.

7. Il résulte de l'article L.1237-1 du code du travail que la démission ne peut résulter que d'une manifestation claire et non équivoque de volonté du salarié de rompre le contrat de travail.

8. Pour rejeter les demandes de l'intéressé, l'arrêt retient qu'il ressort de l'examen du procès-verbal du conseil d'administration du 28 décembre 1990 que, nommé directeur général, il a déclaré renoncer au bénéfice de son contrat de travail et ne plus être rémunéré au titre de ce dernier, sa rémunération au titre de son mandat social devant être fixée ultérieurement. Il en déduit qu'à compter de ce conseil d'administration, il n'était plus lié à la société par un contrat de travail et que cette déclaration claire et non équivoque correspond à une démission de son activité salariée.

9. En statuant ainsi, alors qu'il ne résultait pas de ses constatations que le salarié avait manifesté une volonté claire et non équivoque de démissionner, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 16 janvier 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;

Condamne la société Lafon aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Lafon et la condamne à payer à M. [Y] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit mai deux mille vingt-deux.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour M. [Y]


IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir débouté M. [Y] de l'ensemble de ses demandes et de l'avoir condamné au paiement d'une somme de 1.500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel ;

AUX MOTIFS QUE « l'existence d'un contrat de travail suppose la réunion de trois conditions cumulatives, à savoir l'exécution d'une tâche, rémunérée en contrepartie, et exécutée dans un rapport de subordination. En application de l'article L. 1221-1 du code du travail le contrat de travail est soumis aux règles de droit commun et il peut être établi selon les formes que les parties contractantes décident d'adopter. S'il appartient à celui qui se prévaut d'un contrat de travail d'en établir l'existence, la présence d'un contrat de travail apparent impose à celui qui invoque son caractère fictif d'en rapporter la preuve.

Il ressort de l'examen du procès-verbal du conseil d'administration du 28 décembre 1990 que "M. [W] [Y], directeur général, déclare renoncer au bénéfice de son contrat de travail et ne sera plus rémunéré au titre de ce dernier. Sa rémunération au titre de son mandat social sera fixée ultérieurement". Il en résulte qu'à compter de ce conseil d'administration, M. [Y] n'était plus lié à la société Lafon par un contrat de travail. Cette déclaration claire et non équivoque correspond à une démission de l'activité salariée de M. [Y].

De plus, les bulletins de salaires produits aux débats postérieurement au mois de décembre 1990 mentionnent dirigeant comme catégorie, directeur général comme emploi et un salaire forfaitaire, éléments qui ne permettent pas de déduire l'existence de la qualité de salarié. Comme l'a indiqué à juste titre le premier juge, le relevé de créance de 2005 lors du dépôt de bilan ne fait pas apparaître M. [Y] comme salarié. En outre, M. [Y] ne démontre pas s'être trouvé dans une situation de subordination, les fonctions de directeur commercial ou responsable de zone export, sa présence à des réunions de présentation des résultats de la société n'étant pas synonymes de la qualité de salarié. Contrairement à ce qu'il affirme, les courriels produits ne caractérisent pas son absence d'autonomie mais reflètent des échanges et demandes d'avis courants entre dirigeants d'importants secteurs. L'attribution de la médaille du travail n'est pas réservée aux seuls salariés.

Ainsi, la renonciation à son contrat de travail par M. [Y] est claire et sans équivoque et aucun élément ne permet de conclure que le contrat a été suspendu et a repris ultérieurement, aucune date de reprise n'étant par ailleurs indiqué par l'appelant. » ;

1°) ALORS QUE la démission est un acte juridique unilatéral par lequel le salarié manifeste une volonté claire, sérieuse et non équivoque de rompre le contrat de travail ; que ne constitue pas une manifestation claire et non équivoque de démission la signature par le salarié d'un procès-verbal du conseil d'administration actant sa nomination comme mandataire social, et mentionner qu'il « déclare renoncer au bénéfice de son contrat de travail et ne sera plus rémunéré au titre de ce dernier » l'équivoque résultant du non cumul des fonctions de mandataire social et des fonctions de salarié, et la formule en cause n'emportant nullement renonciation du salarié au principe de suspension du contrat de travail et à sa remise en oeuvre dès la cessation de son mandat social ; que la cour d'appel a violé les articles L. 1231-1, L. 1235-1 et L. 1237-1 du code du travail ;

2°) ALORS QUE la formule en cause n'emporte en toute hypothèse pas démission du salarié ; que la cour d'appel a dénaturé le procès-verbal du 28 décembre 2010 et violé le principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer les documents de la cause ;

3°) ALORS QU'est salarié le prestataire de service qui exécute sa prestation contre rémunération sous un lien de subordination juridique avec le donneur d'ordres lequel est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; qu'après avoir constaté que M. [Y] avait poursuivi, après sa nomination en qualité de directeur général, ses fonctions techniques de « directeur commercial ou responsable de zone export », la cour d'appel qui a jugé qu'il n'apportait pas la preuve d'un pouvoir de contrôle, de direction et de sanction exercé par la société Lafon à son endroit dans le cadre de l'exercice de ses fonctions techniques, aux motifs que les courriels produits « reflètent des échanges et demandes d'avis courants entre dirigeants d'importants secteurs » quand le courriel du 5 octobre 2012 de M. [V], directeur général de la société, produit aux débats par M. [Y] (pièce n° 16, production n° 5), énonçait « « Bonjour, Pour info, j'ai refusé la dernière note de frais de [W] [Y] : 3 jours à [Localité 3] sans "justificatif de son activité" Billet d'avion pour le Portugal un vendredi soir ? » et celui du 6 février 2013 (pièce n° 18, production n° 6) ajoutait : « Dans le cadre de notre politique de coût, toute demande de billet d'avions pour l'export devra obligatoirement avoir ma validation. Chaque demande devra être justifiée par un programme de RDV associé au voyage », ce dont il résultait des directives et un contrôle exercé par la société Lafon sur l'activité du salarié, la cour d'appel qui en a dénaturé les termes clairs et précis a violé le principe suivant lequel le juge ne doit pas dénaturer les documents de la cause ;

4°) ALORS QUE le bénéfice de la médaille d'honneur du travail ne peut être sollicité que pour les salariés ou assimilés, lesquels sont entendu comme étant les retraités et anciens salariés décédés ; qu'en jugeant que la proposition faite par société Lafon à M. [Y] de présenter son dossier au titre de la Médaille d'Honneur du Travail ne pouvait être prise en considération au titre d'un élément de preuve permettant de retenir l'exécution entre eux et de manière ininterrompue d'un contrat de travail salarié en dépit de son mandat de directeur général, au motif que la médaille du travail ne serait pas accordée uniquement aux salariés et pourrait donc bénéficier à un mandataire social, la cour d'appel a violé l'article L. 1221-1 du code du travail, l'article 1103 du code civil et le décret n° 84-591 du 4 juillet 1991 ;

5°) ALORS QU'en l'absence de convention contraire, le contrat de travail d'un salarié devenu mandataire social et qui a cessé d'être lié à la société par un lien de subordination juridique est uniquement suspendu pendant la durée du mandat social et s'exécute de nouveau au terme du mandat ; qu'en reprochant à M. [Y] de ne pas avoir apporté la preuve de ce que l'exécution de son contrat de travail avait repris au terme de son mandat social de directeur général, quand cette reprise était un effet automatique lié à la rupture du mandat social, la cour d'appel a violé l'article L. 1221-1 du code du travail et l'article 1103 du code civil ;

6°) ALORS QU'en reprochant à M. [Y] de ne pas avoir indiqué la date à laquelle son mandat de directeur général avait pris fin et corrélativement, celle à laquelle l'exécution de son contrat de travail avait repris, quand le salarié faisait valoir dans ses conclusions d'appel : « par courrier du 25 février 2014, M. [S] met fin au mandat social de M. [Y]. Pour autant, il ne met pas fin au contrat de travail liant la société à M. [Y] puisqu'aucune procédure de licenciement n'a été entamée » (conclusions de M. [Y], p. 31, § 4) et ajoutait à titre subsidiaire « si par extraordinaire la cour devait ne pas retenir le bien fondé de la règle du cumul du mandat social et du contrat de travail dans le cas d'espèce, la conséquence serait en aucun cas la disparition du contrat de travail par la suspension de celui-ci pendant la durée du mandat » (conclusions d'appel de M. [Y], p. 29 dernier §), la cour d'appel qui a dénaturé les conclusions d'appel du salarié desquelles il résultait qu'il entendait voir reconnaître la poursuite de son contrat de travail à tout le moins à compter du 25 février 2014, a violé l'article 4 du code de procédure civile.

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