18 mai 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-20.117

Première chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2022:C100409

Texte de la décision

CIV. 1

SG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 18 mai 2022




Cassation partielle sans renvoi


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 409 F-D

Pourvoi n° E 20-20.117




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 18 MAI 2022

1°/ Mme [U] [N] [A], domiciliée [Adresse 2],

2°/ Mme [Z] [S] [K], domiciliée [Adresse 4],

ont formé le pourvoi n° E 20-20.117 contre l'arrêt rendu le 27 mai 2020 par la cour d'appel de Limoges (chambre civile), dans le litige les opposant :

1°/ à M. [D] [A], domicilié [Adresse 1],

2°/ à Mme [O] [W], veuve [A], domiciliée [Adresse 3],

défendeurs à la cassation.

Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Poinseaux, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme [N] [A] et de Mme [S] [K], de la SCP Bauer-Violas, Feschotte, Desbois et Sebagh, avocat de M. [A], après débats en l'audience publique du 22 mars 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Poinseaux, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, et Mme Berthomier, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Limoges, 27 mai 2020) et les productions, [B] [H] et [T] [A], mariés sous le régime de la communauté réduite aux acquêts, sont décédés respectivement les 1er avril 2009 et 28 février 2012, en laissant pour leur succéder leurs quatre enfants, [C], lui-même décédé et aux droits duquel vient son épouse, Mme [W], [D], [U] et [Z].

2. Par actes des 23 mars 2001 et 19 juillet 2005, [B] [H] avait consenti à son fils [D] des donations portant sur des immeubles, le second acte stipulant que les donations seraient rapportables en moins prenant pour leur valeur « à ce jour », dans l'état où les biens se trouvaient au jour du premier acte, soit pour 38 200 et 1 555 euros.

3. Par acte du 25 septembre 2003, les époux [H]-[A] avaient consenti à leur fils [C] la donation d'une somme de 57 955,07 euros.

4. Des difficultés sont survenues lors des opérations de comptes, liquidation et partage de leurs intérêts patrimoniaux et de leurs successions.

Examen des moyens

Sur le premier et le troisième moyens, ci-après annexés


5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

6. Mmes [U] et [Z] [A] font grief à l'arrêt de dire que les intérêts sur les sommes de 38 200 euros et 1 555 euros rapportables par M. [D] [A] au titre des donations du 23 mars 2001 et du 19 juillet 2005 courront au taux légal à compter de la date de l'arrêt, alors « que les intérêts des sommes sujettes à rapport sont dus du jour de l'ouverture de la succession dès lors que le montant du rapport est déterminé à cette date ; qu'il en va notamment ainsi lorsque le montant du rapport a été déterminé de façon forfaitaire dans l'acte de donation ; qu'en l'espèce, les juges ont eux-mêmes retenu que la donation faite par [B] [H] à son fils M. [D] [A] le 19 juillet 2005 avait fixé le montant du rapport des donations du 23 mars 2001 et du 19 juillet 2005 aux sommes de 38 200 euros et de 1 555 euros correspondant à la valeur des biens à cette dernière date ; qu'en décidant néanmoins de ne faire courir les intérêts des sommes dues par M. [D] [A] au titre du rapport de ces libéralités qu'au jour de sa décision, la cour d'appel a violé l'article 856 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 856, alinéa 2, du code civil :

7. Selon ce texte, les intérêts des choses sujettes à rapport ne sont dus qu'à compter du jour où le montant du rapport est déterminé

8. Il en résulte que, lorsque le montant du rapport est fixé par l'acte de donation à la valeur du bien au jour de la donation, les intérêts courent à compter du jour du décès.

9. Pour dire que les intérêts sur les sommes de 38 200 euros et 1 555 euros rapportables par M. [D] [A] au titre des donations des 23 mars 2001 et 19 juillet 2005 courront au taux légal à compter de la date où il est rendu, l'arrêt, après avoir fixé, au regard des stipulations dérogatoires de ce second acte, la valeur sujette au rapport à celle des biens donnés au 19 juillet 2005, retient que le montant du rapport est déterminé à cette date.

10. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que le montant du rapport avait été fixé par l'acte de donation du 19 juillet 2005 à la valeur des biens au jour de la donation, de sorte que les intérêts sur les sommes données étaient dus à compter du 1er avril 2009, date du décès de [B] [H], la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le deuxième moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

11. Mmes [U] et [Z] [A] font grief à l'arrêt de dire que les intérêts sur la somme de 57 955,07 euros rapportable par Mme [W], en sa qualité d'ayant droit d'[C] [A], au titre de la donation du 25 septembre 2003, courront au taux légal à compter de la date de l'arrêt, alors « que les intérêts des sommes sujettes à rapport sont dus du jour de l'ouverture de la succession dès lors que le montant du rapport est déterminé à cette date ; qu'il en va notamment ainsi lorsque le rapport est dû d'une donation de somme d'argent ; qu'en retenant en l'espèce que le rapport dû par M. [C] [A] au titre de la donation de la somme de 57 955,07 euros reçue de ses deux parents le 25 septembre 2003 n'était productif d'intérêts qu'à compter de sa décision, la cour d'appel a violé l'article 856 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 856, alinéa 2, du code civil :

12. Selon ce texte, les intérêts des choses sujettes à rapport ne sont dus qu'à compter du jour où le montant du rapport est déterminé

13. Il en résulte que, lorsque le rapport est celui d'une donation de deniers, les intérêts courent à compter du jour du décès.

14. Pour dire que les intérêts sur la somme de 57 955,07 euros rapportable par Mme [W], ès qualités, au titre de la donation du 25 septembre 2003 courront au taux légal à compter de la date où il est rendu, l'arrêt retient que le montant du rapport est déterminé à cette date.

15. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que l'acte de donation du 25 septembre 2003 prévoyait, conformément aux dispositions de l'article 860-1 du code civil, que le montant du rapport serait égal au montant de la somme donnée, de sorte que, s'agissant d'une donation de deniers provenant de la communauté, les intérêts au taux légal étaient dus, pour la moitié de la somme donnée, à compter du 1er avril 2009, date du décès de [B] [H], et, pour l'autre moitié, à compter du 28 février 2012, date du décès d'[T] [A], la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

16. Comme suggéré par le mémoire ampliatif, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

17. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.


PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que les intérêts sur les sommes de 38 200 euros et 1 555 euros rapportables par M. [D] [A] au titre des donations du 23 mars 2001 et du 19 juillet 2005 et sur la somme de 57 955,07 euros rapportable par Mme [W], en sa qualité d'ayant-droit d'[C] [A], au titre de la donation du 25 septembre 2003, courront au taux légal à compter de la date du présent arrêt, et ce avec capitalisation, l'arrêt rendu le 27 mai 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Limoges ;

Dit n'y avoir lieu à renvoi ;

Dit que les intérêts les sommes de 38 200 euros et 1 555 euros rapportables par M. [D] [A] au titre des donations du 23 mars 2001 et du 19 juillet 2005 et sur la somme de 57 955,07 euros, sujette à rapport par Mme [W], en sa qualité d'ayant droit d'[C] [A], au titre de la donation du 25 septembre 2003, courront au taux légal, pour la moitié de cette somme, à compter du 1er avril 2009 et, pour l'autre moitié, à compter du 28 février 2012 ;

Condamne M. [A] et Mme [W] aux dépens et maintient le sort des dépens tel que fixé par les juges du fond ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit mai deux mille vingt-deux.


Le conseiller rapporteur le president






Le greffier de chambre

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour Mme [N] [A] et Mme [S] [K]

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Mmes [U] et [Z] [A] FONT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir déclaré prescrite l'action en réduction des donations du 23 mars 2001 et du 19 juillet 2005 consenties à M. [D] [A] par leur mère ;

1° ALORS QUE l'action en réduction se prescrit par un délai de cinq ans à compter de l'ouverture de la succession, ou de deux ans à compter du jour où les héritiers ont eu connaissance de l'atteinte portée à leur réserve ; qu'en fixant en l'espèce le point de départ du délai de deux ans au jour où Mme [U] [A] a eu connaissance des donations litigieuses, sans constater que cette héritière avait eu connaissance à cette même date de l'atteinte que ces donations étaient susceptibles de porter à sa réserve, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 921 du code civil ;

2° ALORS QUE l'action en réduction appartient à chacun des héritiers réservataires ; qu'en jugement en l'espèce que l'action en réduction introduite par Mme [Z] [A] était prescrite pour cette raison que Mme [U] [A] avait eu connaissance des donations litigieuses par le courrier que lui avait adressé le notaire, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 921 du code civil.

DEUXIÈME MOYEN DE CASSATION

Mmes [U] et [Z] [A] FONT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir jugé, s'agissant des donations reçues par MM. [D] et [C] [A], que les intérêts sur les sommes sujettes à rapport courront au taux légal à compter de la date de l'arrêt ;

1° ALORS QUE les intérêts des sommes sujettes à rapport sont dus du jour de l'ouverture de la succession dès lors que le montant du rapport est déterminé à cette date ; qu'il en va notamment ainsi lorsque le montant du rapport a été déterminé de façon forfaitaire dans l'acte de donation ; qu'en l'espèce, les juges ont eux-mêmes retenu que la donation faite par Mme [H] à son fils [D] [A] le 19 juillet 2005 avait fixé le montant du rapport des donations du 23 mars 2001 et du 19 juillet 2005 aux sommes de 38.200 euros et de 1.555 euros correspondant à la valeur des biens à cette dernière date ; qu'en décidant néanmoins de ne faire courir les intérêts des sommes dues par M. [D] [A] au titre du rapport de ces libéralités qu'au jour de sa décision, la cour d'appel a violé l'article 856 du code civil ;

2° ALORS QUE les intérêts des sommes sujettes à rapport sont dus du jour de l'ouverture de la succession dès lors que le montant du rapport est déterminé à cette date ; qu'il en va notamment ainsi lorsque le rapport est dû d'une donation de somme d'argent ; qu'en retenant en l'espèce que le rapport dû par M. [C] [A] au titre de la donation de la somme de 57.955,07 euros reçue de ses deux parents le 25 septembre 2003 n'était productif d'intérêts qu'à compter de sa décision, la cour d'appel a violé l'article 856 du code civil.

TROISIÈME MOYEN DE CASSATION

Mmes [U] et [Z] [A] FONT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir fixé la créance de salaire différé de M. [D] [A] sur la succession de son père à la somme de « 10*smic horaire brut au jour du partage* 2080 * 2/3 » qu'il appartiendra au notaire de chiffrer au jour du partage ;

1° ALORS QUE le descendant d'un exploitant agricole qui a participé partiellement à l'exploitation ne peut bénéficier que d'une créance de salaire différé partielle ; qu'en l'espèce, les juges ont eux-mêmes constaté que M. [D] [A], pour la période considérée, avait été employé à plein temps dans une autre entreprise, ayant validé quatre trimestres par an pour ses droits à la retraite ; qu'en lui allouant malgré tout l'intégralité de la créance de salaire différé prévue par les textes en cas de travail à temps complet sur l'exploitation familiale, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, en violation de l'article L. 313-21 du code rural et de la pêche maritime ;

2° ALORS QUE le descendant d'un exploitant agricole qui a participé partiellement à l'exploitation ne peut bénéficier que d'une créance de salaire différé partielle ; qu'en l'espèce, Mmes [U] et [Z] [A] insistaient sur le fait que, lors de sa présence sur l'exploitation familiale, M. [D] [A] occupait une partie de son temps à élever ses propres animaux ; que les juges ont eux-mêmes observé à cet égard que plusieurs attestations confirmaient que M. [D] [A] y élevait des animaux dans son propre intérêt ; qu'en décidant néanmoins de lui attribuer une créance de salaire différé complète, sans tenir compte de ce que M. [D] [A] occupait une partie de son temps à ses propres élevages, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, en violation de l'article L. 313-17 du code rural


Le greffier de chambre

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