12 mai 2022
Cour d'appel de Rouen
RG n° 19/04537

Chambre Sociale

Texte de la décision

N° RG 19/04537 - N° Portalis DBV2-V-B7D-IK4C





COUR D'APPEL DE ROUEN



CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE

SECURITE SOCIALE



ARRET DU 12 MAI 2022











DÉCISION DÉFÉRÉE :





Jugement du CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE ROUEN du 17 Octobre 2019





APPELANTE :





SAS ADECCO FRANCE

[Adresse 2]

[Localité 3]



représentée par Me Victoric BELLET, avocat au barreau de DIEPPE







INTIME :





Monsieur [W] [J]

[Adresse 1]

[Localité 4]



représenté par Me Arnaud ROUSSEL de la SELARL ARNAUD ROUSSEL, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Camille ETANCELIN, avocat au barreau de ROUEN





(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/001707 du 24/03/2020 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Rouen)































COMPOSITION DE LA COUR  :





En application des dispositions de l'article 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 06 Avril 2022 sans opposition des parties devant Madame BERGERE, Conseillère, magistrat chargé du rapport.



Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :



Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente

Madame BACHELET, Conseillère

Madame BERGERE, Conseillère





GREFFIER LORS DES DEBATS :





Mme DUBUC, Greffière







DEBATS :





A l'audience publique du 06 Avril 2022, où l'affaire a été mise en délibéré au 12 Mai 2022





ARRET :





CONTRADICTOIRE



Prononcé le 12 Mai 2022, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,



signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.








EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES



Après avoir été mis à disposition de plusieurs entreprises utilisatrice par la SAS Adecco France à compter du 16 février 2017, M. [W] [J] a été engagé en qualité d'employé de caféteria ' manutentionnaire ' agent de production par la SAS Adecco France par contrat de travail à durée indéterminée intérimaire du 20 novembre 2017.



Les relations contractuelles des parties étaient soumises à la convention collective nationale du travail temporaire.



Le 20 juillet 2018, la société Adecco France a notifié à M. [J] un avertissement et le 27 juillet 2018, elle lui a notifié une mise à pied conservatoire.



Le licenciement pour faute grave a été notifié au salarié le 31 août 2018.



Par requête du 12 octobre 2018, M. [J] a saisi le conseil de prud'hommes de Rouen en contestation de son licenciement ainsi qu'en paiement de rappels de salaire et d'indemnités.



Par jugement du 17 octobre 2019, le conseil de prud'hommes a annulé l'avertissement notifié le 20 juillet 2018, condamné la société Adecco France à verser à M. [J] les sommes suivantes :




sanction abusive : 150 euros net,

rappel de salaire : 576,40 euros brut,

congés payés sur le rappel de salaire : 580 euros brut,

indemnité compensatrice de préavis : 1 661 brut euros,

congés payés sur le préavis : 166 euros brut,

indemnité de licenciement : 346 euros net,

dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 1 661 euros net,

indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile : 800 euros,




ordonné l'exécution provisoire du jugement, dit que la moyenne des trois derniers mois de salaire est de 1 661 euros, débouté la société Adecco France de ses demandes, condamné la société Adecco France aux entiers dépens.



La société Adecco France a interjeté appel le 21 novembre 2019.



Par conclusions remises le 25 août 2020, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, la société Adecco France demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions, en conséquence, débouter M. [J] de l'intégralité de ses demandes, le condamner aux entiers dépens.



Par conclusions remises le 14 mai 2020, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, M. [W] [J] demande à la cour de déclarer la société Adecco France irrecevable et mal fondée en toutes ses demandes, et l'en débouter, confirmer la décision en ce qu'elle a annulé l'avertissement notifié le 20 juillet 2018, jugé son licenciement sans cause réelle et sérieuse, condamné la société Adecco France à lui verser les sommes suivantes :






sanction abusive : 150 euros net,

rappel de salaire : 576,40 euros brut,

congés payés sur le rappel de salaire : 580 euros brut,

indemnité compensatrice de préavis : 1 661 brut euros,

congés payés sur le préavis : 166 euros brut,




-le déclarer recevable et bien fondé en son appel incident, en conséquence, infirmer la décision en ce qu'elle a condamné la société Adecco France à lui verser les sommes suivantes :




indemnité de licenciement : 346 euros net,

dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 1 661 euros net,




-statuant à nouveau, fixer son ancienneté au sein de l'entreprise à 1 an et 7 mois, en conséquence, à titre principal, condamner la société Adecco France à lui verser les sommes suivantes :




indemnité de licenciement : 675 euros,

dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 3 322 euros,




-subsidiairement, condamner la société Adecco France à lui verser les sommes suivantes :




indemnité de licenciement : 346 euros,

dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 1 661 euros,




-en tout état de cause, condamner la SAS Adecco France à lui verser la somme de 2 500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.



L'ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 17 mars 2022.




MOTIFS DE LA DÉCISION



Sur l'avertissement



En vertu de l'article L. 1332-2 du code du travail, lorsque l'employeur envisage de prendre une sanction, il convoque le salarié en lui précisant l'objet de la convocation, sauf si la sanction envisagée est un avertissement ou une sanction de même nature n'ayant pas d'incidence, immédiate ou non, sur la présence dans l'entreprise, la fonction, la carrière ou la rémunération du salarié. Lors de son audition, le salarié peut se faire assister par une personne de son choix appartenant au personnel de l'entreprise. Au cours de l'entretien, l'employeur indique le motif de la sanction envisagée et recueille les explications du salarié.

La sanction ne peut intervenir moins de deux jours ouvrables, ni plus d'un mois après le jour fixé pour l'entretien. Elle est motivée et notifiée à l'intéressé.



Et selon les articles L. 1333-1 et L.1333-2 du même code, en cas de litige, le conseil de prud'hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction. L'employeur fournit au conseil de prud'hommes les éléments retenus pour prendre la sanction. Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l'appui de ses allégations, le conseil de prud'hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.



Le conseil de prud'hommes peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise.



L'insuffisance professionnelle n'est pas constitutive d'une faute et ne peut donc justifier une sanction disciplinaire, sauf lorsqu'elle résulte d'une volonté délibérée de mal exécuter son contrat de travail.



L'insuffisance professionnelle s'entend de la situation dans laquelle un salarié, faute de formation, de compétence, se révèle incapable, quelle que soit sa bonne volonté, d'exécuter correctement sa prestation de travail. Il en va autrement lorsque la volonté délibérée est établie, la défaillance du résultat s'expliquant non par l'incompétence ou le défaut de formation du salarié mais par sa volonté délibérée de mal faire qui traduit un refus d'exécuter la prestation qui lui incombe et s'apparente à de l'insubordination.



En l'espèce, par courrier du 20 juillet 2018, la société Adecco France a notifié à M. [J] un avertissement pour sanctionner les faits suivants :

'- en date du 02/07/2018, vous êtes rentré en mission chez notre client MONDIAL RELAY pour une mission d'agent de quai (poste de manutentionnaire) pour un contrat d'une semaine sur une période prévue de 6 mois. Vous avez été mis en fin de mission dès le premier jour car vous ne suiviez pas les cadences imposées.

- en date du 04/07/2018,vous êtes rentré en mission chez notre client Action pour une mission d'ELS sur des contrats à la semaine, nous avons eu un retour du client comme quoi vous ne respectiez pas les consignes données, d'où votre fin de mission le 21/07/2018.

Ces faits constituent une violation de vos obligations contractuelles, et justifient le présent avertissement.'



Pour caractériser ces faits contestés par le salarié, la société Adecco France produit les éléments suivants :

- un courriel de M. [D], coordinateur logistique au sein de la société Mondial Relay, aux termes duquel il explique que M. [J] n'était 'pas assez performant et ne convenait pas au poste'

- un courriel de Mme [U], salariée chez Action qui explique que 'M. [J] [W] ne correspond pas aux normes Action, il n'assimilait pas les normes de remplissage demander par la société. Il n'était pas assez rapide lors de la mise en rayon 'trop lent'. Il remplissait les produits au mauvais endroit. En ce qui concerne les infos pris, un comportement redondant de lenteur ce qui nuit au bon fonctionnement du magasin lorsqu'il est ouvert.'



Au vu de ces éléments, il est incontestable que les faits reprochés à M. [J] constituent une insuffisance professionnelle en ce qu'ils traduisent des erreurs ou insuffisances dans l'exécution technique de la prestation de travail qui lui était réclamée, situation totalement distincte de toute méconnaissance des règles de fonctionnement des entreprises utilisatrices ou des instructions de l'employeur, étant de surcroît précisé que c'est à tort que la société Adecco France déduit de l'expérience professionnelle de M. [J] qu'elle tente de présenter comme solide que son comportement ne peut résulter que d'un manque d'investissement fautif et non d'une difficulté de compétences sur les deux postes occupés.



Il s'en suit que ces faits ne pouvaient valablement fonder l'avertissement litigieux.



En conséquence, il convient de confirmer le jugement entrepris.



Sur le licenciement



Conformément aux dispositions de l'article L.1232-1 du code du travail, le licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, laquelle implique qu'elle soit objective, établie, exacte et suffisamment pertinente pour justifier la rupture du contrat de travail.



L'article L. 1235-1 du même code précise qu'à défaut d'accord, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.



La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.



Il appartient à l'employeur qui l'invoque d'en rapporter la preuve.



En l'espèce, la lettre de licenciement pour faute grave du 31 août 2018, qui fixe les limites du litige, est rédigée comme suit :



'Nous vous avons reçu le 28/08/2018 pour l'entretien préalable à la sanction que nous envisageons de prendre à votre encontre.

Les explications que vous nous avez fournies, en réponse aux griefs qui vous ont été exposés, ne nous permettent pas de modifier notre appréciation des éléments reprochés.

C'est pourquoi nous vous informons par la présente que nous avons décidé de vous licencier pour faute grave au titre du non-respect des articles 10 et 16 de votre contrat de travail en CDI chez nous.

Cette mesure est justifiée par les éléments suivants:

en date du 20/11/2017, vous avez signé avec ADECCO France un contrat à durée indéterminée (CDI), en application de l'accord de branche du 10 juillet 2013 sur al sécurisation des parcours professionnels des intérimaires.

Dans ce cadre, nous sommes amenés à vous confier différentes missions, qui doivent répondre aux trois critères fondamentaux suivants:

- les missions doivent porter sur les emplois suivants : Aide de cuisine/Manutentionnaire/Ouvrier non qualifié ;

- les missions doivent se situer dans un rayon de 50km et 1h30 de trajet ;

- les missions doivent être au moins rémunérées à hauteur de 70 % de la précédente mission;

Or, en date du 20/07/2018, vous avez reçu un avertissement pour le non-respect de l'article 10 de votre contrat de travail (obligations professionnelles/ '[W] [J] est tenu de se conformer aux directives de l'EU et de ses représentants pour l'exécution de son contrat...'), cf. Courrier LRAR d'avertissement du 20/07/2018.

À la suite de ce courrier, nous avons reçu une nouvelle doléance de la part d'un client pour votre mission chez Elior du 23 au 27/07/2018, en effet, le chef gérant nous remontait un manque d'investissement mais surtout de la vaisselle rangée dans un état sale.... (non respect du règlement intérieur de l'EU en matière d'hygiène/non-respect article 16 de votre contrat de travail).

Votre comportement est inacceptable. Votre attitude pour le moins inappropriée et déloyale, ne peut qu'altérer notre relation contractuelle et nuire à son bon fonctionnement.

La rupture de votre contrat de travail prend donc effet à compter de la date d'envoi de la présente lettre recommandée.'











Pour corroborer le nouveau grief visé dans la lettre de licenciement, la société Adecco France produit un mail envoyé par la société Elior aux termes duquel elle reproche à M. [J] un 'manque de dynamisme, la vaisselle à été ranger dans un état sale, il y a un gros manque d'organisation de sa part, le personnel de mon équipe à dû terminer son travail avec lui, après leur heure de fin'.



Contrairement à ce que soutient le salarié, les critiques ainsi faites ne peuvent être qualifiées d'insuffisance professionnelle. Il s'agit d'une absence certaine d'investissement qui, alors que M. [J] peut se prévaloir de plus d'un an et demi d'expérience dans l'exercice de missions de travail temporaire sur des postes similaires ou assimilés, caractérise incontestablement un manquement d'ordre disciplinaire.



Toutefois, eu égard à la nature de cette faute et à l'annulation de l'avertissement visé dans la lettre de licenciement, cette situation ne justifie ni un licenciement pour faute grave, ni même un licenciement pour cause réelle et sérieuse qui sont des réponses sanctionnant de manière disproportionnée ce comportement.



Au vu de ces éléments, c'est à juste titre que les premiers juges ont considéré que le licenciement pour faute grave était dénué de cause réelle et sérieuse, la cour confirmant donc ce chef de jugement.



Les sommes allouées au titre du rappel de salaire dû pendant la mise à pied conservatoire injustifiée et de l'indemnité compensatrice de préavis ne sont pas critiquées, de sorte qu'elle sont confirmées, sauf à rectifier le montant alloué au titre des congés payés sur rappels de salaires et d'allouer à ce titre non pas la somme de 580 euros, supérieure à la somme principale due à ce titre, mais la somme de 57,64 euros.



Sur l'indemnité de licenciement et les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, M. [J] critique les sommes allouées par le conseil de prud'hommes au motif que ces sommes ont été évaluées en prenant en compte uniquement son ancienneté à compter de la signature du contrat à durée indéterminée, ce qui est contraire aux dispositions de l'article L. 1251-55 du code du travail.



La critique de M. [J] est fondée et pertinente, de sorte qu'il convient de retenir qu'il justifie d'une ancienneté d'un an et sept mois comme ayant débuté le 16 février 2017 et en conséquence, sur la base d'un salaire mensuel non contesté de 1 161 euros, de lui allouer une indemnité de licenciement d'un montant de 657,50 euros conformément à l'application de l'article L 1234-9 du code du travail.



S'agissant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, conformément à l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa version postérieure à la loi n°2018-217 du 29 mars 2018 qui prévoit le versement d'une indemnité comprise entre un et deux mois en considération de la taille de l'entreprise et l'ancienneté acquise par M. [J], et compte tenu de son âge (34 ans au moment de la rupture), du montant de son salaire, de ce qu'il justifie avoir retrouvé un emploi à temps partiel à compter du 23 janvier 2019, il y a lieu de lui accorder une indemnité d'un montant de 3 000 euros.













Sur les dépens et frais irrépétibles



En qualité de partie succombante, il y a lieu de condamner la société Adecco France aux entiers dépens, y compris ceux de première instance, de la débouter de sa demande formulée en application de l'article 700 du code de procédure civile et de la condamner à payer à M. [J] la somme de 2 200 euros sur ce même fondement pour les frais générés en appel et non compris dans les dépens.



PAR CES MOTIFS



LA COUR



Statuant contradictoirement,



Infirme le jugement entrepris au titre des sommes allouées pour les congés payés afférents au rappel de salaire, pour l'indemnité de licenciement et les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;



Condamne la SAS Adecco France à payer à M. [W] [J] les sommes suivantes :




congés payés afférents au rappel de salaire : 57,64 euros

indemnité de licenciement : 657,50 euros

dommages et intérêts pour licenciement sans


cause réelle et sérieuse : 3 000,00 euros



Confirme le jugement entrepris pour le surplus ;



Y ajoutant,



Déboute la SAS Adecco France de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;



Condamne la SAS Adecco France à payer à M. [W] [J] la somme de 2 200 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;



Condamne la SAS Adecco France aux dépens de la présente instance.



La greffièreLa présidente

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