12 mai 2022
Cour d'appel de Pau
RG n° 19/03635

Chambre sociale

Texte de la décision

JPL/SB



Numéro 22/1903





COUR D'APPEL DE PAU

Chambre sociale







ARRÊT DU 12/05/2022







Dossier : N° RG 19/03635 - N° Portalis DBVV-V-B7D-HNMJ





Nature affaire :



Contestation du motif non économique de la rupture du contrat de travail









Affaire :



SARL PAIN 974



C/



[I] [S]









Grosse délivrée le

à :





















RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS











A R R Ê T



Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 12 Mai 2022, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.









* * * * *







APRES DÉBATS



à l'audience publique tenue le 10 Mars 2022, devant :



Monsieur LAJOURNADE, magistrat chargé du rapport,



assisté de Madame BARRERE, faisant fonction de greffière.





Monsieur LAJOURNADE, en application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries et en a rendu compte à la Cour composée de :



Madame CAUTRES, Présidente

Monsieur LAJOURNADE, Conseiller

Madame SORONDO,Conseiller





qui en ont délibéré conformément à la loi.





























dans l'affaire opposant :









APPELANTE :



SARL PAIN 974 agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège

[Adresse 1]

[Adresse 1]



Représentée par Maîre PIAULT de la SELARL LEXAVOUE, avocat au barreau de PAU et Maître BRIVOIS de la SELAS FIDAL, avocat au barreau de DAX











INTIME :



Monsieur [I] [S]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Adresse 2]



Comparant assisté de Maître ESCUDE QUILLET, avocat au barreau de PAU























sur appel de la décision

en date du 28 OCTOBRE 2019

rendue par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE DAX

RG numéro : F18/00107






































EXPOSÉ DU LITIGE



M. [I] [S] a été embauché le 8 janvier 1998 par la société Dax délices en qualité de boulanger, niveau II, échelon 1, suivant contrat à durée indéterminée régi par la convention collective nationale de la boulangerie pâtisserie industrielle.



Le 16 février 2015, la société Dax délices a cédé son fonds de commerce à la société Pain 974 et le contrat de travail a été transféré.



Le 6 février 2016, il a fait l'objet d'un avertissement qu'il a contesté.



Le 16 août 2016, il lui a été reproché de dépasser ses horaires de travail sans que cela ne lui ait été demandé par la direction, ce qu'il a contesté.



Le 17 février 2017, il a fait l'objet d'un avertissement qu'il a contesté.



Il a déposé une première main courante.



Le 12 mars 2017, la société Pain 974 lui a formulé des reproches.



Le 14 mars 2017, M. [I] [S] a déposé une seconde main courante.



À compter du 16 mars 2017, il a été placé en arrêt de travail.



Le 28 juillet 2017, il a saisi la juridiction prud'homale en référé.



Le 11 septembre 2017, il s'est désisté de sa demande suite à la régularisation opérée par la société Pain 974 relativement à sa rémunération complémentaire.



Le 14 septembre 2017, le médecin du travail a déclaré M. [I] [S] « inapte à tout poste, pas de reclassement à proposer dans l'entreprise ».



Le 30 septembre 2017, il a été convoqué à un entretien préalable fixé le 10 octobre suivant.



Le 13 octobre 2017, il a été licencié pour inaptitude.



Le 23 août 2018, il a saisi la juridiction prud'homale.



Par jugement du 28 octobre 2019, le conseil de prud'hommes de Dax a notamment':

- dit que le licenciement notifié à M. [I] [S] est nul,

- condamné la société Pain 974 à payer à M. [I] [S] :

* 30'000 € à titre d'indemnité pour licenciement nul et sans cause réelle et sérieuse,

* 5'445,14 € bruts au titre du préavis,

* 544,51 € bruts au titre des congés payés afférents,

* 1'000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Pain 974 à remettre à M. [I] [S] l'attestation destinée au Pôle emploi rectifiée,

- débouté M. [I] [S] du surplus de ses demandes, fins et conclusions,

- débouté la société Pain 974 de ses demandes, fins et conclusions,

- condamné la société Pain 974 aux entiers dépens,



Le 19 novembre 2019, la société Pain 974 a interjeté appel de ce jugement dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas contestées.



Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par voie électronique le 12 août 2020, auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé des faits et des moyens, la société Pain 974 demande à la cour de :

- réformer le jugement entrepris,

- à titre principal :

- constater l'absence d'éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement,

- constater que les éléments contestés par M. [I] [S] sont en réalité la conséquence d'un exercice normal de son pouvoir,

- dire qu'aucun harcèlement moral n'est constitué à l'encontre de M. [I] [S],

- dire qu'aucun manquement à l'obligation de sécurité de résultat ne peut lui être imputé,

- rejeter en conséquence les demandes de M. [I] [S] à ce titre,

- juger le licenciement prononcé à l'encontre de M. [I] [S] doté d'une cause réelle et sérieuse,

- rejeter en conséquence l'ensemble des demandes de M. [I] [S] au titre d'un licenciement nul, d'une indemnité compensatrice de préavis ainsi que de congés payés sur préavis,

- rejeter tout autant les demandes de M. [I] [S] au titre de l'article 700 du code de procédure civile, des dépens et frais d'exécution,

- donner acte de son remboursement de 542,10 € à M. [I] [S],

- à titre subsidiaire, et à supposer que la cour estime que les éléments soumis par M. [I] [S] laissent supposer l'existence d'un harcèlement :

- constater que les décisions prises par la société PAIN 974 étaient exclusives de tout harcèlement et justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement,

- à titre infiniment subsidiaire, et à supposer que la cour estime qu'il doit être fait droit aux demandes de M. [I] [S] :

- limiter le montant des dommages et intérêts au strict préjudice subi et démontré par M. [I] [S],

- à titre reconventionnel, condamner M. [I] [S] au paiement d'une indemnité de 3'000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens,

- autoriser Maître Piault, avocat au barreau de Pau et membre de la selarl Lexavoué Pau-Toulouse, à procéder au recouvrement direct des dépens de première instance et d'appel conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.



Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par voie électronique le 20 décembre 2021, auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé des faits et des moyens, M. [I] [S] demande à la cour de':

- le déclarer recevable et bien fondé en son appel incident et en toutes ses demandes,

- sur la nullité du licenciement pour harcèlement moral,

* confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré nul son licenciement notifié en application de l'article L.'1152-3 du code du travail,

* débouter la société Pain 974 à voir juger le licenciement prononcé à son encontre doté d'une cause réelle et sérieuse,

- sur son indemnisation au titre de la nullité de son licenciement,

* sur l'indemnité compensatrice de préavis,

o confirmer le jugement du 28 octobre 2019 en ce que la Sarl Pain 974 a été condamnée à lui payer les sommes de 5'445,14 € bruts à titre de préavis et 544,51 € bruts à titre de congés payés afférents,

o débouter la société Pain 974 de sa demande à voir rejeter ses demandes au titre d'une indemnité compensatrice de préavis ainsi que de congés payés sur préavis,

* sur l'indemnité pour licenciement nul,

o infirmer le jugement entrepris en ce que l'indemnité pour licenciement nul et sans cause réelle et sérieuse a été fixée à 30'000 €,

o fixer à 50'000 € le montant de l'indemnité à lui allouer en réparation de la nullité de son licenciement,

- sur le préjudice distinct pour harcèlement moral et violation de l'obligation de sécurité de résultat,

* infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a débouté de sa demande au titre du préjudice distinct pour harcèlement moral et violation d'une obligation de sécurité de résultat,

* fixer à 13'000 € le montant des dommages et intérêts à lui allouer pour harcèlement moral et violation d'une obligation de sécurité de résultat,

* confirmer le jugement entrepris pour le surplus (article 700 du code de procédure civile, dépens à charge de la société Pain 974 et condamnation de la société Pain 974 à lui remettre une attestation destinée à Pôle emploi rectifiée),

- y ajoutant,

- condamner la société Pain 974 à lui régler la somme de 2'500 € titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Pain 974 aux entiers dépens de première instance et d'appel.



L'ordonnance de clôture est intervenue le 10 février 2022.




MOTIFS DE LA DÉCISION



Sur la nullité du licenciement.



En application des articles':

- L.1152-1 du code du travail dans sa version applicable aux faits:

«Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel »,

- L.1152-2'du même code : aucun salarié ne peut, être sanctionné ('..) pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral et pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

- L.1152-3'du même code : toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L 1152-1 et L 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.

- L.1154-1du même code dans sa version applicable aux faits':

«'Lorsque survient un litige, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute harcèlement.

Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.'»



En l'espèce, le salarié soutient qu'il a été victime d'agissements de harcèlement moral par son employeur à l'origine de son inaptitude et de son licenciement en exposant que':

- jusqu'à la reprise du fonds de commerce par la Sarl Pain 974, ses conditions de travail ont toujours été bonnes et sereines,

- par la suite il a vu ses conditions de travail se dégrader d'abord par la remise en question de la qualité de son travail et la notification d'avertissements auxquels il a toujours apporté une réponse objective et mesurée ,

- il a même payé de la boulangerie invendue à son employeur pour ne pas avoir à recevoir de remarques de sa part et montrer sa bonne volonté,

- il a été invité par son employeur à régler 29 galettes pour un total de 461,10 €,

- alors qu'il n'hésitait pas à venir plus tôt et repartir plus tard de l'entreprise, ce dévouement lui a été reproché et de façon inappropriée au demeurant,

- il a subi des reproches et des humiliations qu'il a dénoncés dans les mains courantes déposées en février et mars 2017.



Il produit plusieurs attestations établies par d'autres anciens salariés et ainsi celles de':

- M. [H] qui indique : « A de nombreuses reprises, pour ne pas dire tous les jours, j'ai assisté à une pression de la part de M. [A] envers M. [S]. Celle-ci était disproportionnée et acharnée':des propos blessants et volontairement méchants ont été employés quotidiennement dans un but évident de forcer le départ de M. [S]. Rabaissé devant ses collègues en permanence, M. [A] ne se gênait pas pour le discréditer dans son dos auprès des autres salariés »';



- Mme [M] qui indique « Travaillant tous les après-midis avec M. [S], j'ai constaté ce que M. [A] faisait subir au quotidien. Quotidiennement, M. [A] et Mme [V] laissait des listes de tâches effectuer à M. [S] comme si c'était un débutant dans la boulangerie. Appel de M. [A] quasiment tous les après-midis pour rabaisser et reprocher M. [S] par rapport à son travail qu'il suivait en direct de chez lui devant ses caméras. J'ai pu constater au fil des mois cette pression quotidienne sur M. [S] »';



- M [C] qui indique':« J'ai constaté une attitude totalement déplacée et inappropriée envers M. [S] ; pression en continue, usage des caméras abusif, le fait de devoir sans cesse se justifier sur son travail a rendu M. [S] dépressif et franchement je le comprends' »';



- M. [J] qui indique':« A plusieurs reprises, M. [A] a téléphoné à M. [S] en dehors de ses heures de travail et allé même jusqu'à lui demander de venir au plus vite à la boulangerie tout ça pour lui faire de reproches ou juste des remarques sur son travail ! Le fait le plus marquant pour moi est le jour où M. [A] a obligé [I] à payer beaucoup de galettes au prix client et qu'ensuite, ces galettes ont été vendues aux clients »';



- Mme [T] qui indique « 'avoir été témoin à plusieurs reprises de harcèlement régulier à l'égard de M. [S] [I]. Des remarques disproportionnées, des sanctions très injustes mettaient mon ancien collègue dans un état de stress important. Mme [V] et M. [A] ont en effet une attitude très négative envers tous leurs employés qui se sont succédé en mettant une pression néfaste sur le bon déroulement d'un travail en équipe. Pourtant M. [S] montrait de la bonne volonté et a toujours eu une attitude exemplaire malgré les pressions subies »';



- Mme [Y] qui indique « Avoir été témoin d'un acharnement continuel de M. [A] envers M. [S] quotidiennement. Ça n'était que des réflexions, persécution, des critiques alors qu'il n'y avait pas lieu d'être'il trouvait toujours le moindre prétexte afin de s'en prendre à lui afin de créer le conflit et une tension insoutenable sur un lieu de travail. Les remarques perpétuelles mettaient M. [S] dans un tel état de stress qu'il venait à avoir peur de tout'je trouve inacceptable de s'acharner à un tel point sur une personne qui donnait énormément »';



- M. [E] qui indique': « J'ai constaté en travaillant dans cet établissement un comportement inapproprié à l'encontre de M. [S] [I], manque de respect, pression énorme, langage déplacé, M. [S] étant une personne simple et gentille, M. [A] profitait de ses faiblesses. Il savait très bien avec qui user de son statut.»';



- M. [P] qui indique « Avoir assisté à plusieurs débordements de M. [A] insultant et menaçant M. [S] de licenciement. D'autre part, je vous fais part d'une conversation de M. [A] envers moi concernant M. [S] « [R]'n'est pas comme nous, il n'est pas direct (M. [S] était intimidé par M. [A] et n'osait pas l'affronter verbalement). Il n'est pas comme nous, il est homosexuel ». J'ai répondu que cela ne me regardait pas. M. [A] voulait créer un climat de méfiance et de tension entre M. [S] et moi ».



Il produit également':

- des arrêts de travail à compter du 16 mars 2017 mentionnent « burn out », « épisode dépressif caractérisé »';



- un compte rendu du médecin conseil du 22 juin 2017 qui mentionne qu'il est en « arrêt de travail pour dépression + idées suicidaires suite à conflit au travail'tristesse, moins d'entrain, sommeil induit, asthénie. Allègue qu'il ne veut plus travailler dans la boulangerie';



- un certificat médical de son psychiatre qui mentionne « M. [S] a vu son état affectif se décompenser suite à un facteur de stress professionnel mettant à mal ses capacités d'adaptation ».



Pour sa part, l'employeur fait valoir que les témoignages produits sont le fruit de salariés qui n'ont que peu travaillé avec M. [S] au sein de la société Pain 974, soit qu'ils n'aient pas travaillé longtemps au sein de la société après le changement de direction (le principal de l'effectif ayant renouvelé au terme de l'été 2016), soit que leurs horaires de travail étaient différents de ceux de M. [S]. Il ajoute que les attestations ne comportent pas de précision, de date, d'illustrations et reflètent en définitive un ressenti imprécis bien plus proche de la retranscription de confidences de M. [S] que de faits personnellement constatés.



Pour autant, les attestations produites rapportent de manière concordante des agissements de l'employeur que les témoins affirment avoir constaté de manière régulière. La cour considère dès lors que les éléments produits par le salarié pris dans leur ensemble laissent supposer l'existence de faits de harcèlement moral.



Il incombe donc à l'employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.



En l'espèce, l'employeur soutient que les reproches qui lui sont fait concernent des décisions relevant de l'exercice normal de son pouvoir de direction.



Il fait valoir que :



- selon un relevé des appels téléphoniques qu'il produit M. [A] a appelé M. [S] par téléphone 17 fois entre février 2015 et mars 2017';



- M. [S] ayant du mal à respecter les consignes qui lui étaient données et la qualité de ses réalisations pouvant laisser à désirer lorsqu'il appliquait les recettes de manière approximative, il devait lui laisser des notes pour qu'il s'organise mieux dans la réalisation des tâches qui lui étaient confiées en l'absence de la direction les après-midi';



- les dirigeants n'intervenant que le matin dans l'entreprise, ils avaient identifié un homme de confiance en la personne de M. [S], et initié de nouvelles méthodes de travail visant à professionnaliser les process de production utilisés jusqu'alors';



- l'ensemble des courriers adressés au salarié correspondent à des recadrages nécessités par son refus d'appliquer les méthodes que la nouvelle Direction souhaitait mettre en 'uvre';



- c'est bien M. [S] qui a décidé, de sa propre initiative, de payer les produits perdus pour couvrir ses erreurs' notamment à propos des galettes qu'il avait sorties en trop grand nombre et des 29 perdues le 15 janvier 2017'; la direction lui a précisé qu'il s'agissait là d'une démarche inutile mais, excédée, n'a pas eu la présence d'esprit de procéder au remboursement des sommes'; dans le cadre du présent contentieux, il entend procéder au remboursement des 461,10 € payés le 15 janvier 2017 ainsi que des 81 € payés le 6 février 2017.



Cela étant, l'employeur ne produit aucun élément de nature à contredire la réalité des propos blessants et humiliants à l'encontre du salarié tels que rapportés par les témoignages concordants produits par le salarié.



Il sera de plus relevé que l'employeur indique lui-même qu'il avait après la reprise du fonds en 2015, institué M. [S] comme «'homme de confiance'» et qu'il a été confronté à des départs en nombre, certains liés à des ruptures amiables, d'autres à des démissions ou à des licenciements de sorte qu'à l'été 2016, le principal de l'effectif était renouvelé.



Si la modification de l'organisation et des méthodes de travail que la société a mise en place relevait de son pouvoir de direction, la pression qu'elle a exercée à l'encontre du salarié qui était dans l'entreprise depuis 1998, a excédé ce pouvoir. Cette pression s'est manifestée plus particulièrement par une recension pointilleuse des tâches à effectuer par un salarié malgré une ancienneté de plus de 17 ans et sa nomination comme «'homme de confiance'», ainsi que par la mise en place d'une surveillance continue avec un accroissement du nombre de caméras dans l'entreprise, surveillance sur laquelle s'est appuyé l'un des griefs mentionnés dans l'avertissement notifié le 17 février 2017 ainsi énoncé «'le 6 février 2017 vous avez été surpris par nos caméra de vidéo-surveillance en train de placer 90 pâtons de baguettes non cuites dans des sacs poubelles'».



Si le salarié n'a pas sollicité l'annulation des avertissements qui lui ont été notifiés le 6 février 2016(pour ne pas avoir mis en cuisson un lot de baguettes en début de soirée) puis le 17 février 2017 (pour plusieurs erreurs de fabrication), il a adressé à l'employeur des lettres d'explication circonstanciées'; il précisait notamment dans la dernière en date du 4 mars 2017 que s'il avait jeté le 6 février 2017 90 pâtons de baguettes, il en avait payé la valeur pour un montant de 81 € correspondant au prix de vente magasin, ajoutant qu'il avait également payé le 15 janvier 2017 le prix de 29 galettes après avoir été convoqué en dehors des heures de travail, pour un entretien avec M. [A] qui lui avait reproché 'd'avoir sorti en chambre froide trop de galettes et l'avait «'invité à en payer la valeur au prix de vente clientèle afin d'arrêter là tout litige'».



Si l'employeur indique dans le cadre de la présente instance être disposé à restituer les règlements effectués par le salarié, ceux-ci permettent de caractériser l'état de sujétion dans lequel la pression exercée l'avait placé et l'atteinte à sa dignité qui en résultait.



Au regard de ces éléments pris dans leur ensemble, la cour considère que l'existence de faits de harcèlement est établie et que le licenciement notifié au salarié doit être annulé. Le jugement entrepris sera confirmé de ce chef.



Le salarié victime d'un licenciement nul et qui ne réclame pas sa réintégration, a droit, quelle que soit son ancienneté dans l'entreprise, d'une part aux indemnités de rupture, d'autre part à une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et, au moins, égale à six mois de salaire.



Le salarié est en droit d'obtenir également des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait du harcèlement.



En l'espèce, au moment de son licenciement, le salarié avait un salaire moyen de 2.291 € bruts, une ancienneté de 19 ans, était âgé de 43 ans et il justifie qu'il n'a pu retrouver d'emploi et a eu pour seule ressource les allocations chômage et que par ailleurs son état de santé a été gravement altéré du fait de ses conditions d'emploi.



Il doit lui être alloué une somme de 30.000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul, par confirmation du jugement entrepris.



De plus, selon l'article L.1234-5 du code du travail, lorsque le salarié n'exécute pas le préavis, il a droit, sauf s'il a commis une faute grave, à une indemnité compensatrice. Elle est égale au salaire brut, assujetti au paiement des cotisations sociales, que le salarié aurait perçu s'il avait travaillé pendant la durée du délai-congé. Ce salaire englobe tous les éléments de rémunération auxquels le salarié aurait pu prétendre s'il avait exécuté normalement son préavis, à l'exclusion des sommes représentant des remboursements de frais.



L'employeur fait valoir sans être contesté sur ce point que la rémunération mensuelle brute du salarié doit être fixée à 2.115,20 € bruts pour la détermination de son indemnité de préavis sans inclure le treizième mois versé en fin d'année, la convention collective prévoyant que ce treizième mois n'est pas dû en cas de départ en cours d'année.



Il doit être alloué au salarié une indemnité compensatrice de préavis d'un montant de 4.230,40 € outre celle de 423,04 € au titre des congés payés afférents. Le jugement entrepris sera infirmé sur le quantum de la somme allouée.



En outre le salarié qui a subi des faits de harcèlement est bien fondé à obtenir une somme de 3.000 € en réparation du préjudice direct et certain qu'il justifie avoir subi du fait de ce harcèlement. Le jugement entrepris sera réformé de ce chef.



Sur les demandes accessoires.



La Sarl Pain 974 qui succombe sera condamnée aux dépens d'appel outre ceux de première instance ainsi qu'à verser à M. [I] [S] une somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, en sus de la somme allouée par les premiers juges sur le même fondement.



PAR CES MOTIFS



La Cour statuant par mise à disposition au greffe, publiquement contradictoirement et en dernier ressort,




Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a rejeté la demande indemnitaire pour harcèlement moral, et alloué au salarié une indemnité compensatrice de préavis de 5.445,14 € et une somme de 544,51 € au titre des congés payés afférents,





Statuant de nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,





Condamne la Sarl Pain 974 à payer à M. [I] [S] les sommes de':


- 3.000 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

- 4.230,40 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre celle de 423,04 € au titre des congés payés afférents,




Condamne la Sarl Pain 974 aux entiers dépens ainsi qu' à payer à M. [I] [S] une somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,




Arrêt signé par Madame CAUTRES, Présidente, et par Madame LAUBIE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.





LA GREFFIÈRE,LA PRÉSIDENTE,

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