12 mai 2022
Cour d'appel de Chambéry
RG n° 21/00974

Chbre Sociale Prud'Hommes

Texte de la décision

COUR D'APPEL DE CHAMBÉRY

CHAMBRE SOCIALE







ARRÊT DU 12 MAI 2022



N° RG 21/00974 - FP/DA

N° Portalis DBVY-V-B7F-GWHP



S.A.S. OPCO SAINT CHARLES

C/ [B] [W]



Décision déférée à la Cour : Jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ALBERTVILLE en date du 08 Avril 2021, RG F 20/00108





APPELANTE :



S.A.S. OPCO SAINT CHARLES venant aux droits de la SCA Hôtel le Saint Charles,

dont le siège social est sis Chemin des Crueux

73480 VAL-CENIS

prise en la personne de son représentant légal



Représentée par Me David ZIMMERMANN, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE





INTIMEE :



Madame [B] [W]

6 place de la Vanoise - Appartement 4

73500 VAL CENIS TERMIGNON



Représentée par M. [R] [X] défenseur syndical inscrit sur la liste établie par le DIRECCTE Auvergne Rhône Alpes





COMPOSITION DE LA COUR :



En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue en audience publique le 22 Mars 2022, devant Monsieur Frédéric PARIS, Président désigné par ordonnance de Madame la Première Présidente, qui s'est chargé du rapport, les parties ne s'y étant pas opposées, avec l'assistance de Madame Sophie MESSA, Greffier lors des débats, et lors du délibéré :

Monsieur Frédéric PARIS, Président, qui a rendu compte des plaidoiries,

Monsieur Cyril GUYAT, Conseiller,


Madame Françoise SIMOND, magistrate honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles





********





Faits et procédure



Mme [B] [W] été embauchée par la société Hôtel Saint Charles située à Lanslebourg Mont-Cenis du 12 décembre 2019 au 13 avril 2020 sous contrat à durée déterminée saisonnier en qualité de gourvenante moyennant un salaire mensuel brut de 2 000,31 € et une indemnité journalière de repas de 3,65 €.



La convention collective des Hôtels, Cafés et restaurants est applicable.



L'employeur a rompu le contrat de travail par lettre du 15 mars 2020 pour force majeure, consécutif à la crise sanitaire.



Mme [W] contestant la rupture du contrat de travail a saisi le conseil des prud'hommes d'Albertville le 1er juillet 2020 à l'effet d'obtenir des dommages et intérêts pour rupture abusive, des dommages et intérêts pour préjudice distinct et un rappel d'indemnités de repas.



Par jugement du 8 avril 2021 le conseil des prud'hommes a :

- condamné la société Hôtel Saint Charles à payer à Mme [W] les sommes suivantes :

* 1 730,64 € à titre d'indemnité pour rupture anticipée de contrat de travail,

* 700 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté Mme [W] du surplus de ses demandes,

- condamné la société Hôtel Saint Charles aux dépens.



Par déclaration au réseau privé virtuel des avocats en date du 6 mai 2021, la société Hôtel Saint Charles a interjeté appel.



Par conclusions notifiées le 30 juillet 2021 auxquelles la cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et de ses moyens la société Hôtel Saint Charles demande à la cour de :

- déclarer recevable son appel,

- infirmer le jugement déféré,

- débouter Mme [W] de toutes ses demandes,

A titre subsidiaire,

- ramener le montant du quantum au préjudice prouvé,

- indemniser Mme [W] sur la base d'un salaire sans avantage repas,

- fixer le salaire à la somme de 1 920 € brut hors repas,

- condamner Mme [W] à lui payer la somme de 1 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner aux dépens.



Elle soutient que le jugement portant sur une demande indéterminée, à savoir la rupture du contrat de travail et son motif est en premier ressort.



Au fond, elle ne pouvait plus donner de travail à la salariée, et la payer en raison de la fermeture de l'établissement.



La salariée a saisi le conseil des prud'homme sur le fondement des articles L 1243-4 et L 3141-3 du code du travail, et acquiesçait donc à l'existence d'un cas de force majeure en demandant le bénéficie de l'alinéa 2 de l'article L 1243-4.



Concernant la rupture l'article L 1243-4 distingue le cas de forme majeure ne donnant droit à aucune indemnité, au cas d'un sinistre relevant d'un cas de force majeure .



Il ne s'agit pas en l'espèce d'un sinistre relevant du droit des assurances, se définissant comme la réalisation d'un risque contre lequel l'employeur aurait pu s'assurer, le sinistre devant être assurable, ce qui n'est pas le cas de l'épidémie du Cofid 19.



La décision de l'Etat de fermer la station de ski et les établissements s'y trouvant est un 'fait du prince' rendant impossible l'exécution du contrat de travail, réunissant les conditions de la force majeure, l'imprévisibilité, l'irrésistibilité et l'extériorité.



L'empêchement était définitif et le contrat était résolu de plein droit.



Sur le préjudice, la salariée ne rapporte pas la preuve d'un préjudice distinct.



La salariée est mal fondée à réclamer une indemnité de repas qu'elle ne peut percevoir en cas de chômage partiel.



Par conclusions notifiées le 6 octobre 2021 auxquelles la cour renvoie pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et de ses moyens, Mme [W] demande à la cour de confirmer le jugement et d'ajouter une somme de 1 920 € à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive, outre une somme de 2 500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



Elle fait valoir que le jugement statuant en dernier ressort n'est pas susceptible d'appel.



L'instruction de l'affaire a été clôturée le 3 décembre 2021.




Motifs de la décision



Sur la recevabilité, le juge d'appel n'est pas tenu par la qualification donnée au jugement par les premiers juges.



Le litige sur la rupture du contrat de travail porte sur une demande indéterminée susceptible d'appel.



L'appel est donc recevable.



Au fond, la lettre de rupture du contrat saisonnier expose :

La direction générale de la santé a annoncé samedi soir le stade 3 de l'épidémie de covid-19 ; le coronavirus circule maintenant activement sur l'ensemble du territoire français.

Un durcissement drastique des mesures pour limiter la prorogation du virus a été annoncé impliquant la fermeture imposée des restaurants, bars, discothèques, cinémas et autres lieux publics non essentiels à partir de samedi 14 mars minuit. Toutes les stations de ski française fermeront ce dimanche 15 mars.

Dans ce contexte, la protection des personnes est la priorité absolue.

L'épidémie de conoravirus impacte de plein fouet le secteur de l'hôtellerie qui enregistre une baisse d'activité conséquente. Notre établissement a vu son activité fortement diminuée car fermeture de l'établissement au 16 mars 2020 au lieu du 13 avril 2020 à la suite de la fermeture du domaine skiable de Val Cenis.

Le cas de force majeure consécutif au coronavirus conjugué à notre obligation de sécurité nous contraint de mettre un terme de manière anticipée à votre contrat de travail à durée déterminée conclu le 12 décembre 2019 qui devait se terminer le 13 avril 2020.

Cet événement extérieur à l'entreprise, imprévisible, inévitable et insurmontable rend impossible la poursuite de l'exécution du contrat de travail. En effet les conséquences financières sont tout aussi insurmontables que la propagation du virus alors même que nous sommes fragilisés par une période financière complexe ; l'ensemble de ces éléments nous contraint à reconnaître l'existence d'un cas de force majeure...



Il ressort de l'adresse du 16 mars 2020 émanant du Président de la république que 's'agissant des entreprises, nous mettons en place un dispositif exceptionnel de report de charges fiscales et sociales de soutien au report d'échéances bancaires et de garanties de l'Etat à hauteur de 300 milliards d'euros pour tous les prêts bancaires... En outre, afin que personne ne soit laissé sans ressources, pour les salariés, le dispositif de chômage partiel sera massivement élargi, comme je vous l'avais annoncé jeudi dernier et comme le Gouvernement a commencé à le préciser.



Ainsi que l'a motivé le conseil de prud'hommes par des motifs pertinents que la cour adopte, cette annonce a été suivie par la parution de décrets notamment le décret n° 2020-325 du 25 mars 2020 permettant à toutes entreprises qui ont vu leur activité stoppée ou leur établissement fermé de recourir au dispositif d'activité partielle pour le maintien du personnel dans leur emploi et la poursuite des contrats de travail à durée déterminée de caractère saisonnier.



Dès lors, si la crise sanitaire est un événement soudain et imprévisible, il n'était pas impossible de maintenir le contrat de travail de la salariée, l'Etat ayant mis en oeuvre rapidement des mesures permettant le recours au travail partiel et le versement d'allocations compensatrices versées par l'Etat à l'employeur, ce qui permettait de sauvegarder des emplois et de garantir aux salariés dont l'entreprise était fermée un revenu.



Le recours au cas de force majeure pour rompre le contrat n'était donc pas justifié.



Le jugement sera confirmé.



Il ne sera pas fait droit à la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive, l'appelante ayant fait valoir des moyens sérieux.



Par ces motifs,



La cour, statuant contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,



Déclare recevable l'appel formé par la société Opco Saint Charles,



Confirme le jugement rendu par le conseil des prud'hommes d'Albertville en date du 8 avril 2021,



Déboute Mme [B] [W] de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive,



Vu l'article 700 du code de procédure civile,



Condamne la société Opco Saint Charles à lui payer une somme de 1 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;



Condamne la société Opco Saint Charles aux dépens d'appel.



Ainsi prononcé publiquement le 12 Mai 2022 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Monsieur Frédéric PARIS, Président, et Madame Delphine AVERLANT, faisant fonction de Greffier, pour le prononcé, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

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