11 mai 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-15.250

Chambre sociale - Formation plénière de chambre

ECLI:FR:CCASS:2022:SO00657

Texte de la décision

SOC.

LG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 11 mai 2022




Cassation


M. CATHALA, président



Arrêt n° 657 FP-D

Pourvoi n° K 21-15.250






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 11 MAI 2022

La société FSM, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 4], anciennement dénommée Fives Stein Manufacturing, a formé le pourvoi K 21-15.250 contre l'arrêt rendu le 15 février 2021 par la cour d'appel de Nancy (chambre sociale, section 2), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [G] [E], domicilié [Adresse 3],

2°/ à Pôle emploi de Paris, dont le siège est [Adresse 5],

défendeurs à la cassation.

Parties intervenant volontairement :

1°/ le Syndicat des avocats de France (SAF), dont le siège est [Adresse 2],

2°/ le syndicat d'Avocats d'entreprise en droit social (Avosial), dont le siège est [Adresse 1].

M. [E] a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le demandeur au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation également annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Barincou, conseiller, et de Mme Prache, conseiller référendaire, assistés de Mme Safatian, auditeur au service de documentation, des études et du rapport, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société FSM, de la SCP Didier et Pinet, avocat de M. [E], de la SCP Zribi et Texier, avocat du Syndicat des avocats de France (SAF), de Me Ridoux, avocat du syndicat Avosial, les plaidoiries de Me Célice pour la société FSM, de Me [O] pour M. [E], de Me Zribi pour le SAF et celles de Me Ridoux pour le syndicat Avosial, et l'avis de Mme Berriat, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 31 mars 2022 où étaient présents M. Cathala, président, M. Barincou, conseiller corapporteur, Mme Prache, conseiller référendaire corapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, Mme Farthouat-Danon, M. Schamber, Mme Mariette, MM. Rinuy, Pion, Mme Van Ruymbeke, M. Pietton, Mmes Cavrois, Monge, Ott, conseillers, Mmes Ala, Chamley-Coulet, Valéry, conseillers référendaires, Mme Berriat, premier avocat général, et Mme Piquot, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application des articles R. 421-4-1 et R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Examen d'office de la recevabilité des interventions volontaires, après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du code du procédure civile

1. Selon les articles 327 et 330 du code de procédure civile, les interventions volontaires ne sont admises devant la Cour de cassation que si elles sont formées à titre accessoire, à l'appui des prétentions d'une partie et ne sont recevables que si leur auteur a intérêt, pour la conservation de ses droits, à soutenir cette partie.

2. Le Syndicat des avocats de France (SAF) et le syndicat d'Avocats d'entreprise en droit social (Avosial) ne justifiant pas d'un tel intérêt dans le présent litige, leurs interventions volontaires ne sont pas recevables.

Faits et procédure

3. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 15 février 2021), M. [E] a été engagé par la société Fives Stein Manufacturing, aux droits de laquelle se trouve la société FSM, à compter du 1er janvier 2015, en qualité d'acheteur.

4. Un projet de restructuration et de réduction des effectifs, emportant la suppression de sept postes, a été mis en oeuvre à compter du 27 mars 2017.

5. Par lettre du 18 septembre 2017, le salarié a été convoqué à un entretien préalable au licenciement, fixé au 2 octobre 2017, puis licencié pour motif économique par lettre du 13 octobre 2017. Le salarié a adhéré au congé de reclassement qui a débuté le 14 octobre 2017 pour s'achever le 24 avril 2018.

6. Le 2 octobre 2018, le salarié a contesté son licenciement devant la juridiction prud'homale.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

7. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire qu'il n'a pas respecté son obligation de reclassement et qu'en conséquence le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, de le condamner à payer au salarié une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'ordonner le remboursement des indemnités de chômage effectivement payées au salarié à la suite de son licenciement dans la limite de six mois, alors « que dans le cadre de son obligation de reclassement, l'employeur est tenu de rechercher et de proposer au salarié tous les postes disponibles compatibles avec ses compétences, ce qui peut le conduire à proposer les mêmes postes à plusieurs salariés menacés de licenciement économique ; qu'en conséquence, si l'employeur doit garantir au salarié une priorité d'attribution des postes proposés par rapport à des candidats extérieurs et à des salariés non menacés de licenciement, il ne peut lui garantir l'octroi d'un poste, sans tenir compte des candidatures des autres salariés concernés par le reclassement ; qu'en l'espèce, dans les courriers de recherche de postes adressés aux différentes sociétés du groupe, versés aux débats, la société Fives Stein Manufacturing avait informé les responsables de recrutement que les salariés menacés de licenciement économique bénéficiaient d'un accès prioritaire aux postes compatibles avec leurs compétences et leur avait demandé, en conséquence, de geler toute embauche d'un candidat externe jusqu'à l'issue de la procédure de reclassement ; qu'elle justifiait par ailleurs avoir fourni aux autres entreprises du groupe des informations précises sur le profil de chacun des salariés menacés de licenciement, de manière à leur permettre de vérifier l'adéquation des postes disponibles aux qualifications de ces salariés ; qu'elle faisait encore valoir que les cinq postes proposés au salarié étaient adaptés à ses compétences ; qu'en se bornant à relever, pour dire que l'employeur n'avait pas satisfait à son obligation de reclassement, que ces offres invitaient le salarié à faire part de son intérêt pour les postes proposés, sans lui garantir l'attribution effective du poste demandé, ni justifier du processus décisionnel d'attribution des postes aux candidats, la cour d'appel a ajouté à la loi une condition qu'elle ne comporte pas et violé l'article L. 1233-4 du code du travail dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1233-4 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, en vigueur du 8 août 2015 au 24 septembre 2017 :

8. Selon ce texte, le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie.
Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure.
Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises.

9. Pour dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse en raison d'un manquement de l'employeur à son obligation de reclassement et condamner celui-ci à payer au salarié une somme à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt retient qu'aucune indication sur le processus décisionnel d'attribution d'un poste de reclassement éventuellement demandé par le salarié ne figure dans les conclusions ou les pièces versées par l'employeur, que le courrier du 11 juillet 2017 adressé par l'employeur au salarié, concernant son reclassement, invite ce dernier « à faire part de son intérêt » pour l'un des postes qui lui étaient proposés, termes qui sous-entendent que l'attribution du poste demandé n'est pas conditionnée par la seule acceptation du salarié, et que dans ses conclusions écrites l'employeur, s'agissant des postes de reclassement proposés au salarié, emploie les mots « candidat » et « candidater » ce qui, là encore, sous-entend que l'attribution du poste demandé n'est pas conditionnée par la seule acceptation du salarié.

10. L'arrêt énonce ensuite que le reclassement étant une obligation pour l'employeur et un droit pour le salarié, la décision d'accepter ou non un poste de reclassement ne relève de la volonté que du seul salarié.

11. Il en conclut que l'employeur ayant ainsi manqué à l'obligation de reclassement lui incombant, le licenciement prononcé se trouve dénué de cause réelle et sérieuse, sans qu'il soit nécessaire de rechercher si la cause économique du licenciement était ou non avérée.

12. En statuant ainsi, après avoir relevé que l'employeur avait proposé au salarié différents postes, dont il n'était pas soutenu qu'ils ne correspondaient pas à ses aptitudes et compétences, sur lesquels il pouvait se porter candidat, et alors que l'employeur a l'obligation de proposer aux salariés concernés tous les postes disponibles susceptibles de répondre aux conditions légales, quand bien même cela le conduirait à proposer le même poste à plusieurs salariés, la cour d'appel, qui a ajouté à la loi une condition qu'elle ne comporte pas, a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

13. La cassation de l'arrêt des chefs critiqués entraîne, par voie de conséquence, cassation du chef de dispositif déboutant le salarié de sa demande d'indemnisation au titre de la violation de l'ordre des licenciements qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.

14. La cassation emporte également cassation des chefs de dispositif condamnant l'employeur à payer au salarié une somme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen du pourvoi incident, la Cour :

DECLARE IRRECEVABLES les interventions volontaires du Syndicat des avocats de France (SAF) et du syndicat d'Avocats d'entreprise en droit social (Avosial) ;

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 15 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;

Condamne M. [E] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-deux.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société FSM, demanderesse au pourvoi principal


La société Fives Stein Manufacturing (aujourd'hui dénommée FSM SASU) fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR dit que l'employeur n'avait pas respecté son obligation de reclassement et qu'en conséquence le licenciement de M. [E] était sans cause réelle et sérieuse, d'AVOIR condamné la société Fives Stein Manufacturing à payer à M. [E] 8.200 euros de dommages et intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'AVOIR ordonné le remboursement par l'employeur à l'organisme concerné des indemnités de chômage effectivement payées au salarié à la suite de son licenciement sans la limite de six mois ;

ALORS QUE dans le cadre de son obligation de reclassement, l'employeur est tenu de rechercher et de proposer au salarié tous les postes disponibles compatibles avec ses compétences, ce qui peut le conduire à proposer les mêmes postes à plusieurs salariés menacés de licenciement économique ; qu'en conséquence, si l'employeur doit garantir au salarié une priorité d'attribution des postes proposés par rapport à des candidats extérieurs et à des salariés non menacés de licenciement, il ne peut lui garantir l'octroi d'un poste, sans tenir compte des candidatures des autres salariés concernés par le reclassement ; qu'en l'espèce, dans les courriers de recherche de postes adressés aux différents sociétés du groupe, versés aux débats, la société Fives Stein Manufacturing avait informé les responsables de recrutement que les salariés menacés de licenciement économique bénéficiaient d'un accès prioritaire aux postes compatibles avec leurs compétences et leur avait demandé, en conséquence, de geler toute embauche d'un candidat externe jusqu'à l'issue de la procédure de reclassement ; qu'elle justifiait par ailleurs avoir fourni aux autres entreprises du groupe des informations précises sur le profil de chacun des salariés menacés de licenciement, de manière à leur permettre de vérifier l'adéquation des postes disponibles aux qualifications de ces salariés ; qu'elle faisait encore valoir que les cinq postes proposés à M. [E] étaient adaptés à ses compétences ; qu'en se bornant à relever, pour dire que l'employeur n'avait pas satisfait à son obligation de reclassement, que ces offres invitaient le salarié à faire part de son intérêt pour les postes proposés, sans lui garantir l'attribution effective du poste demandé, ni justifier du processus décisionnel d'attribution des postes aux candidats, la cour d'appel a ajouté à la loi une condition qu'elle ne comporte pas et violé l'article L. 1233-4 du code du travail dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017. Moyen produit par la SCP Didier et Pinet, avocat aux Conseils, pour M. [E], demandeur au pourvoi incident


M. [G] [E] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que l'article L. 1235-2 [lire, « 1235-3 »] du code du travail n'est pas contraire à l'article 24 de la Charte sociale européenne et, en conséquence, d'AVOIR limité le montant des dommages-intérêts dus par la société FSM à M. [G] [E] pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 8.200 € ;

1°) ALORS QUE l'article 24 de la Charte sociale européenne dispose qu'« en vue d'assurer l'exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s'engagent à reconnaître (…) le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée » ; que ce texte est d'effet direct en droit interne dans les litiges entre particuliers pour accorder un droit aux individus et ne requérir l'intervention d'aucun acte complémentaire pour produire effet à l'égard des autres particuliers ; qu'en jugeant au contraire, pour faire application du barème prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail en sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 et, ainsi, limiter l'indemnisation accordée à M. [E], qu'« eu égard à l'importance de la marge d'appréciation laissée aux parties contractantes par les termes de l'article 24 de la Charte sociale, rapprochés de ceux des parties I et III du même texte, les dispositions de l'article 24 de ladite Charte ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers », la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

2°) ET ALORS, subsidiairement, QUE, lorsqu'un acte du droit de l'Union appelle des mesures nationales de mise en oeuvre, il reste loisible aux autorités et aux juridictions nationales d'appliquer des standards nationaux de protection des droits fondamentaux, pourvu que cette application ne compromette pas le niveau de protection prévu par la Charte, telle qu'interprétée par la Cour, ni la primauté, l'unité et l'effectivité du droit de l'Union ; qu'ainsi, la marge d'appréciation laissée aux parties contractantes par l'article 24 de la Charte n'implique pas le droit pour elles de déroger aux exigences minimales de ce texte ; que le mécanisme d'indemnisation du salarié licencié sans motif valable d'une législation nationale n'est conforme à ce texte qu'à la condition qu'il prévoie le remboursement des pertes financières subies entre la date du licenciement et la décision de l'organe de recours, la possibilité de réintégration du salarié et/ou des indemnités d'un montant suffisamment élevé pour dissuader l'employeur et pour compenser le préjudice subi par la victime ; qu'il s'ensuit que le barème prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail en sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 -en ce qu'il prévoit l'allocation d'une indemnité compensatoire plafonnée ne couvrant pas les pertes financières effectivement encourues par le salarié depuis la date du licenciement et n'ayant pas de véritable effet dissuasif pour l'employeur dans la mesure où l'indemnisation ne peut excéder un montant prédéfini et que la compensation octroyée au salarié devient ainsi au fil du temps inadéquate par rapport au préjudice subi- ne permet pas au salarié licencié sans motif valable d'obtenir réparation adéquate, proportionnée au préjudice subi et de nature à dissuader le recours aux licenciements illégaux et contrevient ainsi aux dispositions de l'article 24 de la Charte sociale européenne révisée ; qu'en statuant comme elle l'a fait, quand la marge de manoeuvre laissée aux États contractants n'autorisait pas l'État français à s'affranchir des exigences minimales fixées par l'article 24 de la charte sociale européenne révisée relatives aux modalités d'indemnisation du salarié licencié sans motif valable, par la fixation d'un barème d'indemnisation uniquement fonction de l'ancienneté du travailleur et des effectifs dans l'entreprise, la cour d'appel a derechef violé ce texte, ensemble l'article L. 1235-3 du code du travail en sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017.

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