11 mai 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-12.273

Chambre sociale - Formation de section

ECLI:FR:CCASS:2022:SO00571

Texte de la décision

SOC.

CDS



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 11 mai 2022




Rejet


M. CATHALA, président



Arrêt n° 571 FS-D

Pourvoi n° D 20-12.273




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 11 MAI 2022

La société Robot coupe technologies, société en nom collectif, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° D 20-12.273 contre l'arrêt rendu le 5 décembre 2019 par la cour d'appel de Dijon (chambre sociale), dans le litige l'opposant à Mme [Y] [H], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Thomas-Davost, conseiller référendaire, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Robot coupe technologies, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme [H], et l'avis de Mme Molina, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 16 mars 2022 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Thomas-Davost, conseiller référendaire rapporteur, M. Schamber, conseiller doyen, Mmes Cavrois, Monge, MM. Sornay, Rouchayrole, Flores, Mme Lecaplain-Morel, conseillers, Mmes Ala, Techer, conseillers référendaires, Mme Molina, avocat général référendaire, et Mme Lavigne, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Dijon, 5 décembre 2019), Mme [H] a été engagée par la société Manpower (entreprise de travail temporaire) et mise à disposition de la société Robot coupe technologies (entreprise utilisatrice) à compter 17 novembre 2011, selon plusieurs contrats de mission, dont le dernier a pris fin le 18 décembre 2015.

2. La salariée a saisi la juridiction prud'homale le 18 juillet 2016, afin de solliciter la requalification de ses contrats de mission en un contrat à durée indéterminée à l'encontre des sociétés de travail temporaire et utilisatrice et de les condamner à lui verser diverses sommes au titre de la requalification et de la rupture du contrat de travail.

Examen des moyens

Sur le second moyen, ci-après annexé


3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. L'entreprise utilisatrice fait grief à l'arrêt de rejeter la fin de non-recevoir fondée sur la prescription, alors :

« 1°/ que le délai de prescription de l'action en requalification d'un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée portant sur le motif de son recours est de deux ans ; qu'en appliquant à l'action en requalification du salarié la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil, la cour d'appel a violé ce texte par fausse application, ensemble l'article L. 1471-1 du code du travail ;

2°/ le délai de prescription de l'action en requalification d'un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée portant sur le motif de son recours est de deux ans ; que le délai dans lequel le salarié intérimaire peut engager une telle action à l'encontre de l'entreprise utilisatrice, dans l'hypothèse où les contrats conclus ne se succèdent pas strictement mais comportent entre eux des périodes d'inactivité, est décompté contrat par contrat au regard de la date de saisine de la juridiction prud'homale ; qu'en l'espèce, l'existence de périodes d'inactivité entre les contrats de travail n'était pas contestée ; que la société Robot Coupe Technologie avait fait valoir que les effets éventuels d'une requalification, compte-tenu d'une saisine de la juridiction prud'homale le 18 juillet 2016, ne pouvaient être reportés antérieurement au 18 juillet 2014 ; qu'en se fondant sur un contrat qui arrivait à échéance le 16 décembre 2011 et qui avait été suivi d'une période d'inactivité pour accueillir l'action en requalification à une date à laquelle la prescription était acquise, la cour d'appel a violé les articles L. 1471-1, L. 1245-1 et L. 1251-40 du code du travail. »

Réponse de la Cour

5. Selon l'article L. 1471-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.

6. Aux termes de l'article L. 1251-5 du code du travail, le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice.

7. Selon l'article L. 1251-40 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, lorsqu'une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d'une entreprise de travail temporaire, en méconnaissance des dispositions des articles L. 1251-5 à L. 1251-7, L. 1251-10 à L. 1251-12, L. 1251-30 et L. 1251-35, ce salarié peut faire valoir auprès de l'entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission.

8. Il résulte de la combinaison de ces textes que le délai de prescription d'une action en requalification d'une succession de contrats de mission en contrat à durée indéterminée à l'égard de l'entreprise utilisatrice, fondée sur le motif du recours au contrat de mission énoncé au contrat, a pour point de départ le terme du dernier contrat et que le salarié est en droit, lorsque la demande en requalification est reconnue fondée, de faire valoir auprès de l'entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa première mission irrégulière.

9. La requalification en contrat à durée indéterminée pouvant porter sur une succession de contrats séparés par des périodes d'inactivité, ces dernières n'ont pas d'effet sur le point de départ du délai de prescription.

10. La cour d'appel a constaté que le terme du dernier contrat de mission de l'intéressée au sein de l'entreprise utilisatrice était le 18 décembre 2015. Elle a relevé que la salariée avait introduit, le 18 juillet 2016, une action en requalification des contrats de mission souscrits à compter du 17 novembre 2011 en un contrat à durée indéterminée, en soutenant que la conclusion successive de contrats de mission avait pour objet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise.

11. Il en résulte que l'action de la salariée n'était pas prescrite.

12. Par ce motif de pur droit substitué à ceux critiqués dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Robot coupe technologies aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Robot coupe technologies et la condamne à payer à Mme [H] la somme de 1 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-deux.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Piwnica et Molinié, avocat aux Conseils, pour la société Robot coupe technologies

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la fin de non-recevoir de la SNC Robot Coupe Technologie fondée sur la prescription ;

AUX MOTIFS QUE la SNC Robot Coupe Technologie soutient que les effets éventuels d'une requalification ne pourraient porter antérieurement à la date du 18 juillet 2014 ;
Qu'il résulte de la combinaison des articles L. 1245-2 du code du travail, 2224 du code civil et 26 de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile que :
- d'une part que l'indemnité de requalification d'un contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée n'a pas la nature d'un salaire mais celle de dommages-intérêts,
- d'autre part, que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent désormais par cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ;
Que selon l'article L. 1251-40 du code du travail, lorsqu'une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d'une entreprise de travail temporaire, en méconnaissance des dispositions des articles L. 1251-5 à L. 1251-7, L. 1251-10 à L. 1251-12, L. 1251-30 et L. 1251-35, ce salarié peut faire valoir auprès de l'entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission ;
Qu'il en résulte que le délai de prescription prévu par l'article 2224 du code civil dans sa rédaction issue de la loi du 17 juin 2008 ne court qu'à compter du terme du dernier contrat de mission ;
Que l'action en requalification engagée par Mme [H] le 18 juillet 2016 n'est donc pas atteinte par la prescription ;
Que l'indemnité de préavis et l'indemnité de congés payés afférents, fussent-elles dues à la suite d'une requalification de contrats en contrat à durée indéterminée, ont un caractère de salaire ;
Que selon l'article L. 3245-1 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013, l'article 21 V de la loi du 14 juin 2013, l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, que la demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat ; que selon le deuxième de ces textes, les dispositions du nouvel article L. 3245-1 du code du travail s'appliquent aux prescriptions en cours à compter du 16 juin 2013, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure, soit cinq ans ; que la demande d'indemnité compensatrice de préavis n'est donc pas davantage susceptible d'être atteinte par la prescription ;
[ …] ; - du 17 novembre au 2 décembre, avec prolongation au 16 décembre 2011 pour accroissement temporaire d'activité (commandes client Robot Coupe UK, Robot Coupe Australie et Robot Coupe USA, délais imposés), - du 23 mars au 22 avril, avec prolongation au 30 avril 2012 pour remplacement de la monteuse [W] [I], malade, ; […] ; que cette société ne démontre donc pas l'existence d'un surcroît temporaire d'activité durant la période d'exécution du premier contrat de mission conclu pour ce motif avec Mme [H] (17 novembre au 16 décembre 2011) ; […] ; que les effets de cette requalification doivent remonter au premier jour de la première mission irrégulière effectuée par la salariée, soit le 17 novembre 2011 ;

1) ALORS QUE le délai de prescription de l'action en requalification d'un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée portant sur le motif de son recours est de deux ans ; qu'en appliquant à l'action en requalification du salarié la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil, la cour d'appel a violé ce texte par fausse application, ensemble l'article L. 1471-1 du code du travail ;

2) ALORS QUE le délai de prescription de l'action en requalification d'un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée portant sur le motif de son recours est de deux ans ; que le délai dans lequel le salarié intérimaire peut engager une telle action à l'encontre de l'entreprise utilisatrice, dans l'hypothèse où les contrats conclus ne se succèdent pas strictement mais comportent entre eux des périodes d'inactivité, est décompté contrat par contrat au regard de la date de saisine de la juridiction prud'homale ; qu'en l'espèce, l'existence de périodes d'inactivité entre les contrats de travail n'était pas contestée ; que la société Robot Coupe Technologie avait fait valoir que les effets éventuels d'une requalification, compte-tenu d'une saisine de la juridiction prud'homale le 18 juillet 2016, ne pouvaient être reportés antérieurement au 18 juillet 2014 ; qu'en se fondant sur un contrat qui arrivait à échéance le 16 décembre 2011 et qui avait été suivi d'une période d'inactivité pour accueillir l'action en requalification à une date à laquelle la prescription était acquise, la cour d'appel a violé les articles L. 1471-1, L. 1245-1 et L. 1251-40 du code du travail.

SECOND MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE)

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir requalifié en contrat à durée indéterminée, à compter du 17 novembre 2011, les contrats de mission conclus entre Mme [H] et la SNC Robot coupe technologies, condamnant cette dernière à payer à Mme [H] les sommes de 1 550,53 euros à titre d'indemnité de requalification, de 943,78 euros à titre d'indemnité légale de licenciement, de 2 311,30 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 231,13 euros pour les congés payés afférents et de 8 000 euros à titre de dommages-intérêts, en réparation du préjudice causé par la rupture de la relation de travail, analysée en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

AUX MOTIFS QU' aux termes de l'article L. 1242-1 du code du travail, le contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise ;
Que les contrats précités renvoient précisément, lorsqu'ils visent un accroissement temporaire d'activité, aux commandes de certains clients dénommés ;
Que, toutefois, les justificatifs produits aux débats par la société Robot Coupe Technologie (listes de commandes exceptionnelles, commandes, notifications de retour de marchandises, attestations du commissaire aux comptes) ne couvrent que la période allant de mai 2012 à juillet 2016 ;
Que cette société ne démontre donc pas l'existence d'un surcroît temporaire d'activité durant la période d'exécution du premier contrat de mission conclu pour ce motif avec Mme [H] (17 novembre au 16 décembre 2011) ;
Que les termes de ce contrat (« commandes client Robot Coupe UK, Robot Coupe Australie et Robot Coupe USA, délais imposés ») ne permettent pas de présumer que ces commandes relèvent d'un surcroît temporaire d'activité d'autant que le respect des délais de livraison relève de l'activité normale et permanente d'une entreprise ;
Que la cour en déduit, contrairement au conseil de prud'hommes, que ce premier contrat de mission a eu pour objet et pour effet de pourvoir de façon durable à un emploi lié à l'activité normale et permanente de la société utilisatrice ; qu'il y a donc lieu, sans qu'il soit besoin d'examiner les contrats ultérieurs, d'infirmer le jugement déféré et de requalifier les contrats de mission en contrat à durée indéterminée ; que les effets de cette requalification doivent remonter au premier jour de la première mission irrégulière effectuée par la salariée, soit le 17 novembre 2011 ;

1) ALORS QUE les juges du fond ne peuvent statuer en méconnaissance des termes du litige ; que dans ses conclusions Mme [H] ne remettait pas en cause le bien-fondé des contrats de mission dont le motif de recours relevait d'un accroissement temporaire d'activité, qu'elle critiquait seulement les contrats dont le motif de recours était tiré d'un remplacement de salarié ; qu'il ne résultait pas des conclusions de Mme [H] qu'elle contestait que le contrat conclu du 17 novembre 2011 au 16 décembre 2011 relevait d'un surcroît temporaire d'activité ; qu'en se fondant cependant sur ce contrat, motivé par un surcroît temporaire d'activité non contesté, pour décider de requalifier la relation de travail en contrat à durée indéterminée, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile ;

2) ALORS QUE subsidiairement, la juridiction qui prononce la requalification de plusieurs contrats à durée déterminée en une relation de travail à durée indéterminée, après avoir affirmé que le contrat qui impose la requalification a eu pour objet et pour effet de pourvoir de façon durable à un emploi lié à l'activité normale et permanente de la société utilisatrice, est tenue de préciser la dénomination et la nature de l'emploi concerné ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile.

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