11 mai 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-11.182

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2022:SO00565

Texte de la décision

SOC.

LG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 11 mai 2022




Cassation partielle


M. SCHAMBER, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 565 F-D

Pourvoi n° P 21-11.182




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 11 MAI 2022

La société Aurel BGC, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° P 21-11.182 contre l'arrêt rendu le 2 décembre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 10), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [X] [M], domicilié [Adresse 2],

2°/ à Pôle emploi, dont le siège est [Adresse 3],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Techer, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Aurel BGC, de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [M], après débats en l'audience publique du 16 mars 2022 où étaient présents M. Schamber, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Techer, conseiller référendaire rapporteur, Mme Cavrois, conseiller, et Mme Dumont, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 décembre 2020), M. [M] a été engagé à compter du 1er juin 2010 par la société Aurel BGC, en qualité de « desk head », sa rémunération étant composée d'une partie fixe et d'une partie variable.

2. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale le 5 février 2016 à l'effet d'obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail.

3. Il a été licencié le 22 mars 2017.

Examen des moyens

Sur le premier moyen et le second moyen, pris en ses trois premières branches, ci-après annexés


4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Mais sur le second moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

5. L'employeur fait grief à l'arrêt de prononcer la résiliation judiciaire du contrat et de le condamner à payer au salarié diverses sommes à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral et manquement à l'obligation de sécurité, de complément d'indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés afférents, de complément d'indemnité conventionnelle de licenciement, de dommages-intérêts pour licenciement nul, de dommages-intérêts pour le préjudice tiré de l'accomplissement d'heures supplémentaires sans contrôle de la charge de travail et de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, alors « que le principe de la réparation intégrale du préjudice interdit au juge d'indemniser deux fois un même préjudice ; qu'en l'espèce, après avoir condamné la société Aurel BGC à payer à M. [M] la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice à sa santé et sa sécurité causé par l'application d'une convention de forfait sans aucun contrôle du temps de travail et 8 000 euros en réparation du préjudice résultant du harcèlement moral né notamment de l'absence de contrôle de la charge de travail du salarié, la cour d'appel l'a encore condamnée à verser à M. [M] la somme de 3 000 euros de dommages-intérêts en réparation de l'exécution déloyale du contrat caractérisée par les faits de harcèlement moral, les heures supplémentaires accomplies et les primes variables non payées ; qu'en réparant plusieurs fois un même préjudice, elle a violé le principe de la réparation intégrale du préjudice, ensemble l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

6. Le salarié conteste la recevabilité du moyen au motif que l'employeur s'est borné à défendre sur la preuve des préjudices invoqués sans à aucun moment soutenir qu'un même préjudice était réparé au titre de manquements distincts à ses diverses obligations.

7. Cependant, la critique naît de l'arrêt.

8. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu les articles 1134 et 1147 du code civil, dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et le principe de la réparation intégrale du préjudice :

9. En application de ces textes et de ce principe, les dommages-intérêts alloués à un salarié doivent réparer intégralement le préjudice subi sans qu'il en résulte pour lui ni perte ni profit.

10. Pour condamner l'employeur à payer au salarié, d'abord, des dommages-intérêts pour l'accomplissement d'heures supplémentaires sans contrôle de la charge de travail, l'arrêt retient que l'employeur, en appliquant une convention de forfait sans aucun contrôle du temps de travail du salarié et sollicitant ce dernier même lors de ses congés, quels que soient leurs motifs, a causé un préjudice à la santé et à la sécurité du salarié.

11. Pour condamner l'employeur à payer au salarié des dommages-intérêts, ensuite, pour harcèlement moral et manquement à l'obligation de sécurité, l'arrêt, après avoir relevé que le salarié invoquait, au titre des agissements de harcèlement moral, notamment, des sollicitations pendant ses congés, et, au titre des justifications proposées par l'employeur sur ce point, l'absence de contrôle de la charge de travail du salarié, retient que le salarié est bien fondé à solliciter le paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi.

12. Pour condamner l'employeur à payer au salarié des dommages-intérêts, enfin, pour exécution déloyale du contrat de travail, l'arrêt retient que les manquements de l'employeur s'agissant des faits de harcèlement moral, du rappel de salaire pour les heures supplémentaires et des primes variables caractérisent une exécution déloyale du contrat de travail à l'origine d'un préjudice qu'il évalue à une certaine somme.

13. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a réparé plusieurs fois le même préjudice, a violé les textes et le principe susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

14. La cassation à intervenir sur le second moyen, pris en sa quatrième branche, n'emporte pas la cassation des chefs de dispositif de l'arrêt relatifs à la rupture du contrat de travail, sans lien d'indivisibilité ni de dépendance nécessaire avec elle, ni celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Aurel BGC à payer à M. [M] les sommes de 5 000 euros de dommages-intérêts pour le préjudice tiré de l'accomplissement d'heures supplémentaires sans contrôle de la charge de travail, 8 000 euros de dommages-intérêts pour harcèlement moral et manquement à l'obligation de sécurité, et 3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail, l'arrêt rendu le 2 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne M. [M] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-deux.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Aurel BGC


PREMIER MOYEN DE CASSATION

La société Aurel BGC fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR condamnée à payer M. [M] les sommes de 12.104 € de rappel de rémunération variable pour l'année 2013, 49.661 € de rappel de rémunération variable pour l'année 2014, 88.455 € de rappel de rémunération variable pour l'année 2015, 42.909 € de rappel de rémunération variable pour l'année 2016 et 9.713 € au titre de l'attribution d'actions ;

1. ALORS QUE l'adage « nul ne peut se constituer de preuve à soi-même » n'est pas applicable à la preuve des faits juridiques et qu'en matière prud'homale, la preuve est libre ; qu'en conséquence, rien ne s'oppose à ce que le juge prud'homal examine un document dont les données sont certifiées exactes par un dirigeant de la société employeur ou une attestation d'un dirigeant de la société employeur, pour se prononcer sur les faits déterminant le montant de la rémunération variable du salarié; qu'en l'espèce, selon les stipulations du contrat de travail, la rémunération variable était fonction du chiffre d'affaires brut généré par le salarié, duquel devaient être déduits les rétrocessions à des tiers ou d'autres départements, les divers frais générés par la transaction et les coûts salariaux de l'équipe ; que, pour justifier du montant de la rémunération variable revenant à M. [M], la société Aurel BGC produisait en conséquence des tableaux, dont les données étaient certifiées exactes par son Directeur général, qui détaillaient l'ensemble des rétrocessions, frais et coûts salariaux déduits du chiffre d'affaires brut généré par l'équipe dont M. [M] était responsable, ainsi qu'une attestation de son président décrivant l'activité de M. [M] ; qu'en refusant par principe d'examiner ces pièces, au motif qu'elles seraient « non probantes en raison de la qualité de leur auteur », la cour d'appel a violé le principe de la liberté de la preuve en matière prud'homale, ensemble les articles 201 et 202 du code de procédure civile ;

2. ALORS QUE le droit à la preuve, qui constitue un élément essentiel du droit à un procès équitable, impose de reconnaître à l'employeur la possibilité de justifier, par une description détaillée des différents éléments pris en compte, le calcul du montant de la rémunération variable, sans avoir à produire toutes les pièces comptables justifiant de chacune des données prises en compte dans son calcul ; qu'en l'espèce, la société Aurel BGC avait établi des tableaux de calcul particulièrement précis et détaillés pour expliquer le calcul de la rémunération variable due à M. [M] sur la base du chiffre d'affaires brut généré ; qu'en refusant, par principe, d'examiner ces tableaux, au prétexte que les tableaux émanaient de dirigeants de la société et que cette dernière ne produisait pas des pièces comptables établissant chacune des données chiffrées figurant dans ces tableaux, la cour d'appel, qui a soumis la preuve du montant du salaire variable dû à la production de centaines, voire de milliers de pièces justificatives, et ainsi posé des exigences probatoires disproportionnées, a violé l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;

3. ALORS QUE l'égalité des armes implique l'obligation d'offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause, y compris ses preuves, dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire ; qu'en refusant d'examiner les tableaux de calcul produits par la société Aurel BGC, au motif qu'elle ne produisait pas de justificatif de chacun des montants y figurant, avant de se fonder sur les éléments de calcul versés aux débats par le salarié, qui n'étaient eux-mêmes étayés par aucun élément de preuve, ni aucun justificatif, pour retenir qu'il était bien fondé à réclamer le paiement d'un rappel de rémunération variable, la cour d'appel a violé de plus fort l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;

4. ALORS EN TOUTE HYPOTHESE QU' en l'absence d'accord des parties, le juge doit déterminer la rémunération variable due au salarié, en fonction des critères définis au contrat de travail ; qu'en l'espèce, le contrat de travail prévoyait expressément que « la période de référence (« Bonus year ») pour les paiements (de la rémunération variable annuelle) s'entend de la période de 12 mois qui court à compter du 1er janvier au 31 décembre », le paiement de la rémunération variable intervenant cependant sous forme d'acomptes trimestriels et d'un solde dans les deux mois suivant la fin de la période de référence ; que la société Aurel BGC soutenait que les calculs de M. [M] étaient erronés, pour retenir le trimestre comme période de référence, et non l'ensemble de l'année ; qu'en condamnant la société Aurel BGC à payer à M. [M] les rappels de rémunération variable qu'il sollicitait, sans rechercher si ses calculs étaient conformes aux stipulations contractuelles, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016.

SECOND MOYEN DE CASSATION

La société Aurel BGC fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR prononcé la résiliation judiciaire du contrat et de l'AVOIR condamnée à payer à M. [M] la somme de 8.000 € de dommages et intérêts pour harcèlement moral et manquement à l'obligation de sécurité, 17.486,64 € de complément d'indemnité compensatrice de préavis, outre 1.748,66 euros de congés payés afférents, 92,65 € de complément d'indemnité conventionnelle de licenciement, 120.000 € de dommages et intérêts pour licenciement nul, 5.000 € de dommages et intérêts pour le préjudice tiré de l'accomplissement d'heures supplémentaires sans contrôle de la charge de travail et 3.000 € de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;

1. ALORS QUE pour retenir l'existence d'un harcèlement moral et de manquements suffisamment graves de l'employeur empêchant la poursuite de la relation de travail, la cour d'appel s'est fondée sur le non-paiement de l'intégralité de la rémunération variable due au salarié ; qu'en conséquence, la cassation qui ne manquera pas d'intervenir, sur le premier moyen du pourvoi, entraînera la cassation des chefs de dispositif de l'arrêt visé par le second moyen, en application de l'article 624 du code de procédure civile ;

2. ALORS QUE l'employeur et le CHSCT qui, saisis de la dénonciation par un salarié, de faits de harcèlement moral, ne sont pas tenus de suivre une procédure particulière pour enquêter sur ces faits ; qu'en l'espèce, la société Aurel BGC justifiait que M. [M] avait écrit en même temps au CHSCT et aux dirigeants de l'entreprise pour se plaindre de prétendus agissements répétés de harcèlement moral à son encontre, ce qui expliquait que la DRH et le CHSCT aient décidé de mener conjointement une enquête interne et, dans un premier temps, de préparer un questionnaire pour obtenir des précisions sur les faits, pour certains non précisés, dénoncés par le salarié ; qu'à la suite d'un entretien avec M. [M], qui avait refusé de citer le nom d'un seul salarié témoin des faits dénoncés, les personnes mises en cause avaient été entendues par les enquêteurs, lesquels avaient rendu compte des résultats de leurs auditions au CHSCT ; qu'en refusant cependant de tenir compte des conclusions de cette enquête, approuvées par les membres du CHSCT, au motif que la formulation de l'une des questions posées par les enquêteurs et l'absence d'audition d'autres salariés laisseraient supposer un manque d'impartialité dans la conduite de l'enquête, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;

3. ALORS QUE l'absence de contrôle la durée du travail du salarié soumis à un forfait jour n'implique ni n'établit une surcharge de travail ; qu'il appartient au salarié, qui prétend avoir dû travailler pendant ses congés et jours de repos, d'apporter la preuve d'une surcharge de travail ou de sollicitations de l'employeur ; qu'en se bornant à relever, pour reprocher à la société Aurel BGC d'avoir causé un préjudice à la santé et la sécurité du salarié, qu'elle ne justifie pas avoir tenu le décompte des jours de repos dont le salarié a bénéficié, organisé les entretiens individuels annuels de suivi de l'organisation et de la charge de travail, ni effectué un quelconque contrôle de la charge de travail du salarié, en dehors d'un entretien du 24 janvier 2017 et que le salarié établi, par des courriers électroniques, qu'il travaillait lorsqu'il était en vacances ou en arrêt de travail, sans rechercher si ce travail était accompli à la demande de l'employeur ou avec son accord au moins implicite, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1152-1 et L. 4121-1 du code du travail ;

4. ALORS QUE le principe de la réparation intégrale du préjudice interdit au juge d'indemniser deux fois un même préjudice ; qu'en l'espèce, après avoir condamné la société Aurel BGC à payer à M. [M] la somme de 5.000 euros en réparation du préjudice à sa santé et sa sécurité causé par l'application d'une convention de forfait sans aucun contrôle du temps de travail et 8.000 euros en réparation du préjudice résultant du harcèlement moral né notamment de l'absence de contrôle de la charge de travail du salarié, la cour d'appel l'a encore condamnée à verser à M. [M] la somme de 3.000 euros de dommages et intérêts en réparation de l'exécution déloyale du contrat caractérisée par les faits de harcèlement moral, les heures supplémentaires accomplies et les primes variables non payées ; qu'en réparant plusieurs fois un même préjudice, elle a violé le principe de la réparation intégrale du préjudice, ensemble l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016.

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