3 mai 2022
Cour d'appel de Grenoble
RG n° 19/04748

2ème Chambre

Texte de la décision

N° RG 19/04748 - N° Portalis DBVM-V-B7D-KICO



N° Minute :



C2









































































Copie exécutoire délivrée



le :

à :



Me Florence SERPEGINI



Me Nelly ABRAHAMIAN

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE GRENOBLE



DEUXIEME CHAMBRE CIVILE



ARRÊT DU MARDI 3 MAI 2022





Appel d'un Jugement (N° R.G. 18/01556) rendu par le Tribunal de Grande Instance de VALENCE en date du 11 juillet 2019, suivant déclaration d'appel du 25 Novembre 2019





APPELANTE :



Mme [O] [J] née [H]

née le 19 mars 1983 à Romans sur Isère

de nationalité Française

13 Rue des Alexandrins

26120 CHABEUIL



Représentée par Me Florence SERPEGINI, avocat au barreau de VALENCE, postulant, et Me Fleur-Anne LESEC, Avocat au Barreau de LYON,





INTIMÉE :



SARL SYSTEME BEAUTE exerçant sous l'enseigne Loft Coiffure prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège

Quartier le Chantre Plateau des Couleures

Route de Romans

26000 VALENCE



Représentée par Me Nelly ABRAHAMIAN, avocat au barreau de VALENCE, postulant, plaidant par Me Olivier DEMANGE, avocat au barreau de VERSAILLES





COMPOSITION DE LA COUR : LORS DU DÉLIBÉRÉ :



Emmanuèle Cardona, présidente

Laurent Grava, conseiller,

Anne-Laure Pliskine, conseillère





DÉBATS :



A l'audience publique du 25 janvier 2022, Emmanuèle Cardona, Présidente chargée du rapport, assistée de Caroline Bertolo, Greffière, a entendu les avocats en leurs conclusions et Me Demange en sa plaidoirie, les parties ne s'y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile.



Elle en a rendu compte à la Cour dans son délibéré et l'arrêt a été rendu à l'audience de ce jour.












FAITS ET PROCÉDURE



Le 23 août 2013, Mme [O] [H] épouse [J] (ci-après Mme [J]) a fait procéder par son coiffeur, la société Système beauté exerçant sous l'enseigne Loft coiffure, à la coloration par mèches de ses cheveux, avec un produit commercialisé par la société L'Oréal France.



Le 2 septembre 2013, le Dr [F] [P], médecin traitant de Mme [J], a constaté une chute de cheveux « par poignées » avec zones de cuir chevelu nues, et de nombreux cheveux cassés.



Le 17 janvier 2014, le Dr [C] [G], dermatologue, a constaté l'alopécie du cuir chevelu de Mme [J] en mentionnant sur le certificat médical : « diagnostic toujours en suspend : Pelade ' Réaction secondaire couleur ' ».



Le 13 janvier 2014, le Dr [X] après avoir examiné Mme [J] sur demande de l'assureur de la société L'Oréal France, a mentionné qu'elle avait subi une alopécie totale. Il a conclu que la consolidation de Mme [J] n'était pas acquise à ce jour.



Mme [J] a alors reçu de la société L'Oréal France des indemnités destinées à couvrir ses frais médicaux et de matériel prothétique.



Par ordonnance du 3 décembre 2015, confirmée par arrêt du 7 mars 2017 de la cour d'appel de Grenoble, le juge des référés du tribunal de Valence a ordonné une expertise judiciaire de Mme [J].



Par actes des 21 juillet et 2 août 2016, Mme [J] a assigné les sociétés Système beauté et L'Oréal France devant le tribunal de grande instance de Valence pour les voir condamner à réparation de ses préjudices.



Le médecin expert a déposé un rapport de ses opérations le 20 février 2018 et a conclu que Mme [J] présentait une pelade, maladie auto-immune, sans lien de causalité direct et certain avec le traitement capillaire reçu.



Par jugement contradictoire du 11 juillet 2019, le tribunal de grande instance de Valence a':



Donné acte à Mme [J] de son désistement de l'instance et de l'action engagée à l'encontre de la société L'Oréal France ;



Donné acte à la société L'Oréal France de son acceptation de ce désistement ;



Constaté que le désistement de l'instance et de l'action engagée à l'encontre de la société L'Oréal France par Mme [J] ;



Constaté que Mme [J] a abandonné sa demande indemnitaire à l'encontre de la société Système beauté ;



Condamné Mme [J] à verser à la société Système beauté les sommes de :

- 3 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral,

- 7 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;



Rejeté toute prétention plus ample de la société Système beauté ;



Condamné Mme [J] aux dépens comprenant ceux de l'instance en référé et d'appel de l'ordonnance de référé, ainsi que les frais d'expertise judiciaire ;





Dit qu'ils seront distraits au profit de Me Abrahamian, dans les conditions prévues par l'article 699 du code de procédure civile ;



Ordonné l'exécution provisoire de la décision en toutes ses dispositions.





Le tribunal a retenu que :



- Mme [B] [I], employée de la société Système beauté, a attesté que le produit utilisé pour colorer les mèches de cheveux de Mme [J] était le produit Platinium au 20 volumes,



- Mme [J] a présenté, à tout le moins, dix jours après l'application d'un produit de décoloration de la marque L'Oréal, une chute brutale et massive de cheveux,



- les différents médecins ont été incapables de déterminer les causes de survenance de la pelade,



- l'alopécie de Mme [J], initialement occipitale et temporale, s'est étendue aux autres poils ultérieurement à une date non déterminée,



- Mme [J] a fait preuve d'une réticence fautive en n'informant pas les différents médecins qu'elle présentait également une perte de densité des poils sous les aisselles et au niveau du pubis, ce qui aurait pu les amener à écarter tout lien avec l'application du produit de marque L'Oréal par la société Système beauté,



- l'instance au fond peut être qualifiée de téméraire dès lors que Mme [J] l'a engagée avant même de connaître le résultat de l'expertise judiciaire,



- à l'appui de sa demande en dommages-intérêts pour procédure abusive, la société Système beauté n'invoque pas de préjudice distinct de celui du préjudice moral dont elle sollicite la réparation,



- il n'est pas démontré que Mme [J] se soit livrée à une campagne de dénigrement de la société Système beauté dont l'atteinte à l'image et à la réputation n'est pas avérée,



- les accusations portées par Mme [J] ont perturbé le fonctionnement normal du salon de coiffure, en semant l'inquiétude auprès des dirigeants et des salariés qui ont craint que leur activité ne soit mise en péril.



Le 25 novembre 2019, Mme [J] a interjeté appel de cette décision, en assignant uniquement la société Système beauté, en ce qu'elle l'a condamnée :



- à verser à la société Système beauté les sommes de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral et 7 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- aux dépens comprenant ceux de l'instance en référé et d'appel de l'ordonnance de référé, ainsi que les frais d'expertise judiciaire.





Par conclusions notifiées le 20 février 2020, Mme [J] demande à la cour de':



Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

- donné acte acte à Mme [J] de son désistement de l'instance et de l'action engagée à l'encontre de la société L'Oréal France ;

- donné acte à la société L'Oréal France de son acceptation de ce désistement ;



- constaté que le désistement de l'instance et de l'action engagée à l'encontre de la société L'Oréal France par Mme [J] ;

- constaté que Mme [J] a abandonné sa demande indemnitaire à l'encontre de la société Système beauté ;

- rejeté toutes prétentions plus amples de la société Système beauté ;



Réformant le jugement entrepris, et dans la limite des dispositions faisant l'objet de l'appel limité, statuant à nouveau et voir :



Débouter la société Système beauté de :

- sa demande de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral,

- sa demande indemnitaire au visa de l'article 700 du code de procédure civile, sachant que Mme [J] est bénéficiaire de l'aide juridictionnelle d'une part, que cette demande est totalement injustifiée d'autre part, et la rapporter à la somme de 1 euro ;



Laisser les dépens à la charge de l'Etat, comprenant ceux de l'instance en référé et d'appel de l'ordonnance de référé, ainsi que les frais d'expertise judiciaire.





Elle fait valoir que':



- le préjudice moral des personnes morales doit être caractérisé comme relevant d'une atteinte à l'image financière de la société par la diffusion d'informations erronées,



- le préjudice allégué par la société Système beauté n'est pas justifié, pas plus qu'il n'est fait état d'une quelconque incidence sur la société elle-même,



- ne constitue pas un préjudice réparable pour la société Système beauté, l'inquiétude faisant naître une crainte quant à la mise en péril de l'activité professionnelle des dirigeants et salariés,



- il n'est pas fait démonstration de faits constitutifs de dénigrement ou d'atteinte à l'image de la société Système beauté, étant relevé qu'elle n'a jamais émis la moindre accusation publique à son encontre,



- sa situation est fragile, et elle est actuellement sans emploi avec trois enfants à charge, étant rappelé qu'elle a fait le choix raisonné de se désister de l'intégralité de ses demandes après le dépôt du rapport de l'expert judiciaire,



- elle est bénéficiaire d'une aide juridictionnelle partielle par effet d'une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 25 novembre 2016, et ne pouvait à ce titre être condamnée aux dépens, en ce compris les frais d'expertise.





Par conclusions d'intimé contenant appel incident notifiées le 18 mai 2020, la société Système beauté demande à la cour de':



Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

- jugé Mme [J] responsable de son préjudice moral,

- reconnu Mme [J] débitrice à son égard des frais irrépétibles de l'article 700 du code de procédure civile ;



Réformer le jugement déféré en ce qu'il a :

- condamné Mme [J] à lui verser la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral,

- condamné Mme [J] à lui verser la somme de 7 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté toute prétention plus ample de la société Système beauté ;



Et statuant de nouveau,



Débouter Mme [J] de ses entières demandes, fins et prétentions ;



Condamner Mme [J] à lui payer les sommes de :

- 8 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral que Mme [J] lui a causé,

- 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive sur le fondement des dispositions de l'article 1240 du code civil,

- 35 000 euros, somme afférente aux frais irrépétibles liés au référé, à l'appel du référé, au suivi de l'expertise judiciaire, à la procédure devant le tribunal de grande instance de Valence et à la présente procédure ;



Condamner Mme [J] aux entiers dépens du référé, de l'appel du référé, de la présente procédure au fond, ainsi qu'aux frais d'expertise judiciaire, dont distraction au profit de Me Abrahamian.



Elle fait valoir que :



- l'expert-judiciaire a conclu que Mme [J] était victime d'une maladie auto-immune, appelée « pelade » cause de son alopécie, révélant ses mensonges pendant 2 ans lorsqu'il s'est aperçu qu'elle souffrait d'une perte de poils au niveau des aisselles et du pubis en plus des cils et sourcils,



- cet examen médical a révélé que Mme [J] ne pouvait pas imaginer une seule seconde que sa perte de poils généralisée était due à l'application d'un quelconque produit capillaire, et que le soin capillaire ne pouvait être un élément causal d'une pelade,



- les médecins ont indiqué que Mme [J] était victime d'une maladie auto-immune,



- Mme [J] a été victime d'une perte des sourcils et des cils, outre des poils des aisselles et du pubis, alors que le produit utilisé pour réaliser les mèches n'a pas été appliqué sur ces zones,



- Mme [J] a essayé de retirer de sa maladie le bénéfice financier le plus important possible en abusant de mensonges et de fausses attestations et grâce aux avertissements d'une de ses amies coiffeuse,



- elle n'a pas utilisé le produit Inoa ultra blonde de L'Oréal dans la mesure où elle a réalisé des mèches de cheveux et non une décoloration, de sorte que le produit n'a pas été appliqué sur le cuir chevelu de Mme [J], ce qu'elle ne pouvait ignorer,



- Mme [J] a déposé une plainte pour faux contre son employée qui n'avait fait que relater la réalité de son intervention,



- Mme [J] a sollicité la gérante de la société Système beauté de faire établir une fausse attestation et a demandé à son amie Mme [M] [D] de faire une fausse attestation destinée à laisser penser que le produit Inoa ultra blond lui aurait été appliqué,



- le certificat médical du Dr [P] a été établi 5 mois après son passage au salon de coiffure, et ce, à la demande de Mme [J] pour l'aider dans son projet d'escroquerie,



- Mme [J] a produit une note technique du Dr [A] [T] afin de tenter de tromper les juges en affirmant que les termes de pelade et alopécie seraient des termes génériques descriptifs de la perte de cheveux, ce qui est faux, et avait pour but de palier les carences de Mme [J] dans l'administration de la preuve de la causalité de son dommage,



- elle a déposé plainte contre Mme [J] pour escroquerie et tentative d'escroquerie au jugement, faux et usage de faux,



- au regard de la gravité des agissements de Mme [J], la cour pourra prononcer une amende civile à l'encontre de Mme [J],



- elle a subi un préjudice moral devant être réparé par l'allocation de dommages-intérêts, en ce que les agissements de Mme [J] ont eu un impact sur l'organisation et le fonctionnement de la société en ce qu'elle a sollicité sa gérante afin de faire une fausse attestation et en ce que Mme [J] s'est livrée à une campagne de dénigrement à son encontre,



- l'acharnement procédure est générateur en lui-même de préjudice moral, étant précisé que Mme [J] n'a pas simplement fait preuve d'une simple légèreté mais a employé des manoeuvres trompeuses dégénérant en un abus de droit au regard de l'article 1240 du code civil,



- elle a du se faire assister et représenter dans six procédures, ce qui a généré des frais à hauteur de 29 440 euros HT pour le cabinet de Me [Y], 1 370 euros HT pour le cabinet de Me [L], 3 000 euros pour le Dr [E] outre 225 euros de frais de timbre fiscal, en raison des mensonges de Mme [J] depuis 5 ans,



- Mme [J] a la possibilité de procéder au règlement des condamnations prononcées à son encontre dans la mesure où elle a perçu 20 000 euros de la part de la société L'Oréal France.





La clôture de l'instruction est intervenue le 1er décembre 2021.






MOTIFS DE LA DÉCISION :





A titre liminaire, il convient de relever que Mme [J] s'est désistée en première instance de son action engagée à l'encontre de la société L'Oréal France et qu'elle ne demande plus la condamnation de la société Système beauté à l'indemniser de ses préjudices résultant de son alopécie. Dès lors, l'appel porte uniquement sur la contestation de la réalité et le montant des préjudices moral et financier de la société Système beauté et sur le caractère abusif de la procédure engagée par Mme [J].





Sur les demandes de la société Système beauté



L'article 1382, devenu 1240, du code civil, dispose que tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige par la faute duquel il est arrivé, à le réparer.



Il est de principe que pour obtenir réparation du préjudice moral subi, une personne morale doit justifier avoir subi une atteinte concrète à un intérêt extrapatrimonial.



Il est établi que l'exercice d'une action en justice ne peut constituer un abus de droit que dans des circonstances particulières le rendant fautif.



Il est également de principe que les frais non compris dans les dépens ne constituent pas un préjudice réparable et ne peuvent être remboursés que sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.



En l'espèce, la société Système beauté, qui est une personne morale, soutient avoir subi un préjudice moral en raison des agissements commis par Mme [J]. Il lui appartient donc de justifier avoir subi une atteinte concrète à son image ou à sa réputation. La société Système beauté soutient également avoir subi un préjudice financier en raison de la procédure abusive initiée par Mme [J] à son encontre.



Il n'est pas contesté que le 2 octobre 2013 Mme [J] a publié un témoignage sur un site internet dédié aux consommateurs relatant une chute importante de ses cheveux à la suite de l'application du produit Inoa ultra blond, qui a été retiré du marché au cours de la seconde quinzaine du mois d'août 2013 par la société L'Oréal France.



Toutefois, ce message publié sur le site internet 60millions-mag.com ne visait pas la société Système beauté ni ne permettait d'identifier le salon de coiffure.



L'attestation de Mme [U] [V] (pièce n° 17 de la société Système beauté) est fondée sur des propos rapportés « une jeune dame qui connaît Mme [J] m'a raconté que [...] », à laquelle il ne peut donc être accordé aucune force probante. Cette attestation n'est d'ailleurs corroborée par aucun autre élément faisant état d'une mauvaise publicité qui aurait été prodiguée par Mme [J].



De plus, la société Système beauté ne démontre, pas contrairement à ce qu'elle prétend, que la procédure entamée par Mme [J] aurait eu un impact sur son chiffre d'affaires ou sur la pérennité des emplois de ses salariés.



La société Système beauté allègue, sans verser de pièce probante susceptible de le démontrer, que Mme [J] aurait demandé à Mme [K], salariée de l'entreprise, de produire une fausse attestation et qu'elle se serait livrée à une campagne de dénigrement du salon de coiffure.



La société Système beauté se contente ainsi de prétendre que les années de procédures judiciaires ont généré « du stress » à ses salariés sans toutefois justifier d'élément susceptible de caractériser son préjudice moral ou la prétendue atteinte à son fonctionnement interne.



Au regard de ces éléments, l'atteinte à l'image ou la réputation de la société Système beauté n'est pas démontrée.



L'exercice d'une action en justice ne dégénère en faute pouvant donner lieu à des dommages-intérêts que si l'appelant a agi par malice ou de mauvaise foi ou avec une légèreté blâmable.



Le simple fait que la procédure soit injustifiée ne la rend pas pour autant abusive.



En l'espèce, la société Système beauté soutient que Mme [J] aurait réalisé un « acharnement procédural » à son encontre, qui constituerait, par lui-même, des agissements constitutifs de son préjudice moral.















Il est constant que Mme [J] a assigné la société Système beauté, d'une part, en référé, par actes des 1er et 2 octobre 2015, devant le président du tribunal de grande instance de Valence pour voir ordonner une expertise médicale pour décrire ses lésions, en déterminer les causes et évaluer ses préjudices et, d'autre part, au fond, par acte du 2 août 2016 devant le tribunal de grande instance de Valence aux fins de voir indemniser ses préjudices avant que l'expert judiciaire ne rende compte de ses conclusions d'expertise.



Si Mme [J] a assigné la société Système beauté c'est uniquement après avoir consulté de nombreux professionnels de santé, ayant tous constaté son alopécie mais dont l'origine était incertaine. Il s'évince notamment du certificat médical du Dr [G] du 17 janvier 2014 que si son diagnostic était en suspens, il envisageait que l'origine de l'alopécie consiste en une « réaction secondaire couleur ' », et du certificat du Dr [R] [Z], dermatologue, du 29 février 2016 que l'alopécie de Mme [J] est apparue à la suite de l'application de produits de marque L'Oréal.



Les multiples avis des docteurs en médecine pouvaient légitimement laisser supposer à Mme [J] que l'origine de son alopécie résidait dans l'application d'un produit capillaire au regard de la concomitance entre l'apparition de sa chute de cheveux et la pose d'un produit de coloration de ses mèches de cheveux.



Il n'est pas démontré par la société Système beauté que Mme [J] savait pertinemment que la perte des cheveux ne pouvait être la conséquence de l'application d'un produit de coloration des mèches de ses cheveux. La circonstance selon laquelle la perte de poils se situerait également au niveau des cils, des aisselles et du pubis, est insuffisante pour caractériser la mauvaise foi.

En effet, d'une part, seules les pertes de cheveux au niveau du cuir chevelu et de poils au niveau des sourcils ont finalement été retenues dans le rapport de l'expert judiciaire et, d'autre part, l'état antérieur de Mme [J] n'est pas à l'origine de son alopécie.



Il est en outre souligné que dès son assignation du 2 août 2016 (page n° 6), Mme [J] faisait état de la perte de cheveux, puis de cils et sourcils, dont la date d'apparition très proche de celle de l'application du produit de coloration pouvait lui laisser penser qu'il en était à l'origine dans la mesure où, en août 2013, la société L'Oréal suspendait l'utilisation de plusieurs produits capillaires provoquant des effets indésirables.



Dans ces conditions, Mme [J] a pu, de bonne foi, se méprendre sur l'origine de son préjudice ainsi que sur la teneur et l'étendue de ses droits.



Il ne peut être soutenu par la société Système beauté que Mme [J] aurait fait preuve à son égard d'un acharnement procédural, le nombre et la durée des procédures ne suffisant pas à caractériser une faute de Mme [J], étant par ailleurs relevé que l'objet de son appel porte uniquement sur le rejet de la demande de dommages-intérêts de la société Système beauté dans la mesure où Mme [J] s'est alors promptement désistée de ses demandes indemnitaires à la suite du dépôt du rapport d'expertise du 20 février 2018.



En outre, la cour relève que ni les suites de la plainte déposée contre X le 18 août 2016 par la société Système beauté ni celles de la plainte déposée contre Mme [I], son employée, par Mme [J] le 3 juin 2016, n'ont été communiquées par les parties.









Ainsi, ni les circonstances du litige ni les éléments de la procédure, ne permettent de caractériser la mauvaise foi de Mme [J], un comportement dilatoire ou encore une faute de nature à faire dégénérer son droit d'ester en justice en abus de procédure, pas plus que la société Système beauté ne caractérise le préjudice qui en serait pour elle résulté à ce titre.



L'intimée n'établissant pas l'intention malicieuse, la mauvaise foi ou la légèreté blâmable de Mme [J], aucune faute de sa part dégénérant en abus de droit n'est donc caractérisée.



Enfin, la société Système beauté soutient qu'elle a subi un préjudice financier dans la mesure où elle a dû supporter des frais non compris dans les dépens.



Or, ces frais ne peuvent constituer un préjudice réparable en dehors du remboursement des frais au titre de l'article 700 du code de procédure civile, de sorte que la demande société Système beauté d'indemnisation de son préjudice financier sera rejetée.



En conséquence, il n'y a pas lieu de condamner Mme [J] à payer des dommages-intérêts pour préjudice moral ou procédure abusive à la société Système beauté qui sera déboutée de ses demandes à ce titre.



Le jugement déféré sera donc infirmé en ce qu'il a condamné Mme [J] à verser à la société Système beauté la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral.





Sur les demandes accessoires



L'article 559 du code de procédure civile énonce qu'en cas d'appel principal dilatoire ou abusif, l'appelant peut être condamné à une amende civile d'un montant de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui lui seraient réclamés.

Une partie ne peut engager sa responsabilité pour avoir exercé une action en justice ou s'être défendue que si l'exercice de son droit a dégénéré en abus. L'appréciation inexacte qu'une partie fait de ses droits n'étant pas, en soi, constitutive d'une faute, l'abus ne peut se déduire du seul rejet des prétentions par la juridiction.



L'article 399 du même code prévoit que le désistement emporte, sauf convention contraire, soumission de payer les frais de l'instance éteinte.



En l'espèce, au regard de ce qui a été dit précédemment sur l'absence de faute de Mme [J] pour avoir exercé une action en justice et en raison de l'infirmation partielle du jugement déféré, elle ne peut être condamnée sur le fondement de l'article 559 du code de procédure civile au paiement d'une amende civile.



S'agissant des dépens, Mme [J] fait valoir qu'elle est bénéficiaire de l'aide juridictionnelle et qu'à ce titre elle ne saurait être condamnée à leur paiement.



Or, il résulte de l'article 42 de la loi du 10 juillet 1991 que le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, quand il est condamné aux dépens, doit supporter la charge des dépens exposés par les parties non condamnées aux dépens.



De plus, Mme [J] s'est désistée de son action indemnitaire, de sorte qu'elle est tenue aux dépens de première instance conformément à l'article 399 du code de procédure civile.





Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a condamné Mme [J] aux dépens au titre de la procédure de première instance.



Mme [J], partie perdante, sera également condamnée aux dépens de la procédure d'appel.



La société Système beauté fait valoir qu'elle a été contrainte de supporter des frais d'avocat, d'expert amiable et des frais de timbre en raison de l'action contentieuse entreprise par Mme [J].



A ce titre elle produit :

- des notes de provision sur honoraires du 1er octobre 2015 au 22 janvier 2018 pour une somme totale de 28 428 euros,

- des factures d'honoraires de 1 560 euros des 21 octobre 2015, 7 janvier et 15 septembre 2016,

- des notes d'honoraires du Dr [E] de 3 000 euros des 12 janvier et 10 août 2017,

- des factures d'honoraires de 6 900 euros pour la période du 6 novembre 2019 au 15 mai 2020,

soit une somme totale de 39 888 euros.



Toutefois, la société Système beauté limite ses demandes dans le dispositif de ses conclusions à la somme de 35 000 euros au titre des frais irrépétibles.



Mme [J] soutient qu'elle est dans une situation fragile au regard de ses problèmes de santé et de sa situation professionnelle comme familiale, étant sans emploi avec trois enfants à charge et demande que les frais irrépétibles de la société Système beauté soient limités à la somme de 1 euro.



S'il est exact que Mme [J] produit des actes de naissance de ses trois enfants, elle ne justifie cependant pas de sa situation financière prétendument difficile alors même qu'il ressort ses propres pièces qu'elle a perçu plus de 10 000 euros d'indemnités auprès de la société L'Oréal.



De plus, la société Système beauté justifie de ce que Mme [J] lui a déjà réglé la somme de 5 000 euros au titre de l'exécution du jugement déféré.



Pour autant, la société Système beauté ne démontre ni l'existence d'une faute de Mme [J], qui a pu légitimement défendre ses intérêts sans que la présente procédure soit considérée comme constitutive d'un abus ouvrant droit à indemnisation, ni l'existence d'un préjudice autre que celui subi du fait des frais exposés pour sa défense qui sera justement compensé par l'allocation d'une indemnité de procédure de 7 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure de première instance, confirmant le jugement sur ce point.



De plus, l'équité commande de condamner Mme [J] à payer à la société Système beauté la somme complémentaire de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la procédure d'appel.





PAR CES MOTIFS





La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, mis à disposition au greffe après en avoir délibéré conformément à la loi :









Infirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné Mme [O] [H] épouse [J] à verser à la société Système beauté la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral ;



Statuant à nouveau et y ajoutant,



Rejette toutes les autres demandes ;



Condamne Mme [O] [H] épouse [J] à payer à la société Système beauté la somme complémentaire de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de l'instance d'appel ;



Condamne Mme [O] [H] épouse [J] aux dépens de la procédure d'appel, qui seront distraits en application des dispositions de l'article 699 code de procédure civile.



Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



Arrêt signé par Mme Emmanuèle Cardona, Présidente de la deuxième chambre civile et par la Greffière Caroline Bertolo, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.





LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE,

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