4 mai 2022
Cour d'appel de Reims
RG n° 21/00700

Chambre sociale

Texte de la décision

Arrêt n°

du 04/05/2022





N° RG 21/00700 - N° Portalis DBVQ-V-B7F-E7ND





OB / LS









Formule exécutoire le :







à :



Maître Hélène MARICHAL



SCP DELVINCOURT-CAULIER-RICHARD

COUR D'APPEL DE REIMS

CHAMBRE SOCIALE

Arrêt du 04 mai 2022







APPELANT :

d'un jugement rendu le 08 mars 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'EPERNAY, section INDUSTRIE (n° F 19/00024)



Monsieur [Z] [F]

4 rue du Puits Saint Vincent VILLESAINT

51480 BOURSAULT



Représenté par Maître Hélène MARICHAL, avocat au barreau de CHALONS-EN-CHAMPAGNE





INTIMÉE :



SAS INSTITUT OENOLOGIQUE DE CHAMPAGNE (IOC)

au capital de 6 500 000 euros, inscrite au RCS DE REIMS sous le n° 501 241 723, prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés de droit audit siège

Zone industrielle de Mardeuil

1 rue du Pré Breda

51530 MARDEUIL



Représentée par la SCP DELVINCOURT-CAULIER-RICHARD, prise en la personne de Maître Isabelle CASTELLO, avocat au barreau de REIMS et par le Cabinet ORPA Avocats prise en la personne de Maître Eve GARRIGUE, avocat au barreau de MONTPELLIER



DÉBATS :



En audience publique, en application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 07 mars 2022, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marie-Laure BERTHELOT, conseillère, et Monsieur Olivier BECUWE, conseiller, chargés du rapport, qui en ont rendu compte à la cour dans son délibéré ; elle a été mise en délibéré au 04 mai 2022.





COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :



Madame Christine ROBERT-WARNET, présidente

Madame Marie-Laure BERTHELOT, conseillère

Monsieur Olivier BECUWE, conseiller





GREFFIER lors des débats :



Madame Lozie SOKY, greffière placée



ARRÊT :



Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour d'appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Madame Christine ROBERT-WARNET, présidente, et Madame Lozie SOKY, greffière placée, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.




* * * * *





EXPOSE DU LITIGE



M. [F] a été engagé à durée indéterminée, à compter du 8 mai 2012, en qualité d'ouvrier spécialisé par la société Institut oenologique de Champagne (l'Institut).



Son contrat de travail stipulait un forfait annuel à raison de 218 jours travaillés.



Le salarié a été en arrêt de travail du 9 au 11 janvier 2015, puis du 19 mars au 31 octobre 2016, et enfin dans le cadre d'une rechute de son accident du travail, survenu en 1994 chez un autre employeur, du 1er novembre 2016 au 27 novembre 2017.



A la suite d'une étude de poste, l'intéressé a été déclaré inapte par le médecin du travail, selon avis du 28 novembre 2017 puis licencié, selon lettre du 3 février 2018, pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement.



Par requête déposée au greffe le 23 mai 2019, M. [F] a saisi le conseil de prud'hommes pour contester son licenciement, solliciter sa réintégration et obtenir la condamnation de l'Institut à lui payer un rappel de salaire pour heures supplémentaires d'un montant de 10 067,84 euros, outre les congés payés afférents, la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice distinct lié à la cadence de travail et celle de 10 000 euros pour non-respect de l'obligation de reclassement, outre des frais irrépétibles.



Il a, par ailleurs, saisi le pôle judiciaire du tribunal de Châlons-en-Champagne d'une demande de reconnaissance de faute inexcusable pour manquement à l'obligation de résultat ainsi que d'une demande de majoration de la rente allouée compte tenu de l'incapacité permanente partielle et d'une demande d'indemnisation avec expertise médicale.



Par un jugement du 22 janvier 2021, frappé d'appel, le tribunal judiciaire a déclaré irrecevable l'action en reconnaissance de la faute inexcusable.



Par ailleurs, par un jugement du 8 mars 2021, la juridiction prud'homale a, d'abord, déclaré irrecevables, comme prescrites sur le fondement des articles L.1471-1 et L.3245-1 du code du travail, les demandes du requérant au titre du contrat de travail avant, ensuite, de se déclarer incompétente, au profit du pôle social du tribunal judiciaire, pour statuer sur le préjudice distinct et de le condamner au titre des frais irrépétibles.



Par déclaration du 7 avril 2021, M. [F] a fait appel du chef du dispositif de ce jugement déclarant irrecevables ses demandes et le condamnant à payer une certaine somme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.



Saisi par l'Institut aux fins de tirer toutes conséquences de l'absence de critique, dans la déclaration d'appel, du chef de dispositif déclarant le conseil de prud'hommes incompétent, au profit du pôle social du tribunal judiciaire, pour statuer sur le préjudice distinct, le conseiller de la mise en état a, par une ordonnance du 1er décembre 2021 non frappée de déféré, renvoyé à la cour d'appel la demande tendant à la dire non saisie.



Dans ses conclusions récapitulatives, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens, l'appelant demande l'infirmation du jugement et réitère ses prétentions.



L'institut, s'appropriant les motifs du jugement, en sollicite, en réponse, la confirmation.






MOTIVATION





1°/ Sur la contestation du licenciement, la demande de réintégration et les dommages-intérêts pour non-respect de l'obligation de reclassement



L'appelant soutient que ce n'est qu'au fil des examens médicaux postérieurs au licenciement que la cause de la rechute d'accident du travail, à l'origine de l'inaptitude, serait clairement apparue comme étant la conséquence des conditions de travail qui lui étaient imposées.



M. [F] fixe donc le point de départ de la prescription au 7 mars 2019, date du dépôt du rapport d'expertise devant le tribunal des affaires de sécurité sociale.



C'est toutefois à juste titre que le conseil de prud'hommes, rappelant les termes de l'article L.1471-1 du code du travail, 2ème alinéa, selon lequel 'Toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture', en a déduit que les demandes étaient prescrites, le point de départ de la prescription annale étant fixé au 5 février 2018, date de réception de la lettre de licenciement, et celle-ci étant expirée au 23 mai 2019, date de la saisine du conseil de prud'hommes.



A la différence de l'alinéa 1er qui porte sur les actions au titre de l'exécution du contrat de travail, le deuxième alinéa de l'article L.1471-1 du code du travail ne conditionne pas le point de départ de la prescription à la connaissance par le salarié des faits lui permettant d'exercer son droit.



Cet alinéa ne distingue donc pas selon que l'imputabilité de la rupture soit tardivement apparue au salarié, le fait générateur de la prescription étant d'ailleurs un événement parfaitement connu, en l'occurrence, la notification du licenciement.



Le jugement sera confirmé.





2°/ Sur les heures supplémentaires



A - Sur la prescription



Le conseil de prud'hommes a fait une application erronée de l'article L.3245-1 du code du travail.



Aux termes de ce texte, 'L'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat'.



En l'espèce, la saisine du 23 mai 2019, intervenue dans les trois années de la rupture du 3 février 2018, permet donc de rétroagir jusqu'au 3 février 2015, et non simplement jusqu'au 23 mai 2016, 'sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat'.



C'est, en revanche, à tort que le salarié, assujetti à une convention de forfait qu'il conteste, soutient que la prescription ne pouvait courir avant la date du présent arrêt écartant ladite convention, son cours ayant été prétendument suspendu jusque là.



Comme le rappelle à bon droit l'Institut, la durée de la prescription applicable dépend de la nature de la créance, et cette dernière est relative à un paiement de salaire soumis à la prescription triennale.



Il s'ensuit que l'acte interruptif réside dans la contestation de la convention de forfait et ne saurait être fixé au jour où elle est écartée, sous peine de ne plus assujettir à un quelconque délai de prescription les demandes en rappel salarial en résultant.



M. [F] apparaît donc recevable à agir au titre de la période allant du 3 février 2015 au 28 février 2016, terme de sa demande.





B - Sur le bien-fondé



Le salarié expose, en pages 18 et 19 de ses conclusions, un décompte hebdomadaire faisant précisément état, conformément à l'article L.3171-4 du code du travail, de son temps de travail, du nombre d'heures supplémentaires et du taux horaire applicable.



Le décompte aboutit, au titre de la période non prescrite, à 167, 25 heures supplémentaires, soit une somme totale de 3 501, 55 euros, outre l'indemnité compensatrice de congés payés de 350,15 euros.



Pour s'opposer au paiement, l'employeur excipe de l'article I du chapitre IV de l'accord d'entreprise du 15 mars 2012 qui prévoit, en application de l'article L3121-58 du code du travail, le recours au forfait en jours.



Rappelant que M. [F] a conclu une convention de forfait en jours, il soutient qu'il remplissait les conditions de l'accord d'entreprise.



Cet accord prévoit, pour les salariés-non cadres, le recours à un tel forfait dès lors que leur durée du travail ne peut être prédéterminée et qu'ils disposent d'une réelle autonomie dans l'organisation de leur emploi du temps pour l'exercice des responsabilités qui leur sont confiées.



C'est toutefois à juste titre que M. [F], indépendamment de la discussion sur de tels critères qu'il prétend ne pas remplir, expose qu'en toute hypothèse, la convention de forfait doit également être privée d'effet faute de suivi de son temps de travail, de sa charge et la conciliation de celle-ci avec sa vie personnelle.



Et il est tout à fait exact que l'employeur, qui ne répond d'ailleurs pas à ce moyen, ne rapporte pas la preuve qu'il a respecté les stipulations de l'accord collectif destinées à assurer la protection de la santé et de la sécurité des salariés soumis au régime du forfait en jours.



La demande est donc partiellement fondée.



Les intérêts de retard ainsi que la capitalisation de droit, qui sont réclamés, doivent être accordés.



Le jugement sera infirmé.





3°/ Sur la demande en dommages-intérêts pour préjudice distinct



Faute d'avoir été critiqué dans la déclaration d'appel, la connaissance du chef de dispositif relatif à cette demande n'a pas été dévolue à la cour d'appel qui n'en est donc pas saisie, et cela peu important que M. [F] le fonde, non pas sur un accident de travail mais sur un préjudice moral distinct qui pourrait, en effet, relever du juge prud'homal.



Il appartenait à M. [F], s'il estimait que le conseil de prud'hommes avait mal compris le fondement de sa demande, d'attaquer ce chef de dispositif, ce qu'il n'a pas fait.



Faute d'effet dévolutif, ce chef de dispositif, qui n'a pas été attaqué, n'a pas à être confirmé.





4°/ Sur les frais irrépétibles



Il sera équitable de condamner l'Institut, qui sera débouté de ce chef ayant succombé au fond en ce qu'il reste débiteur, à payer à M. [F] la somme de 2 000 euros.





PAR CES MOTIFS





La cour d'appel, statuant publiquement, contradictoirement, et après en avoir délibéré conformément à la loi :



- dit que la cour d'appel n'est pas saisie du chef de dispositif par lequel le conseil de prud'hommes s'est déclaré incompétent, au profit du pôle social du tribunal judiciaire, pour statuer sur le préjudice distinct ;



- confirme le jugement rendu le 8 mars 2021, entre les parties, par le conseil de prud'hommes d'Epernay, mais sauf en ce qu'il déclare irrecevable la demande en paiement d'un rappel de salaire pour des heures supplémentaires accomplies du 3 février 2015 au 28 février 2016 ;



- infirme le jugement sur ce point et statuant à nouveau, dit que cette demande est recevable et condamne de ce chef la société Institut oenologique de Champagne à payer à M. [F] la somme de 3 501, 55 euros, outre l'indemnité compensatrice de congés payés afférents de 350,15 euros ;



- y ajoutant, assortit cette condamnation des intérêts légaux à compter du 25 mai 2019, date de réception par le débiteur de sa convocation devant le bureau de conciliation, et de l'anatocisme par année entière prévu à l'article 1343-2 du code civil ;



- dit que cette condamnation s'entend sous déduction à faire des cotisations applicables ;



- condamne également la société Institut oenologique de Champagne à payer à M. [F] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles ;



- rejette le surplus des prétentions ;



- condamne la société Institut oenologique de Champagne aux dépens de première instance et d'appel.







LE GREFFIIERLE PRÉSIDENT

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