3 mai 2022
Cour d'appel de Besançon
RG n° 21/01186

1ère Chambre

Texte de la décision

ARRÊT N°



EM/LZ



COUR D'APPEL DE BESANÇON

- 172 501 116 00013 -



ARRÊT DU 03 MAI 2022



PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE ET COMMERCIALE









Contradictoire

Audience publique du 22 mars 2022

N° de rôle : N° RG 21/01186 - N° Portalis DBVG-V-B7F-EMS2



S/ renvoi :



- Jugement du Tribunal de Grande Instance de Macon en date du 09 février 2015

- Arrêt de la Cour d'appel de Dijon en date du 10 mars 2020

- Arrêt de la Cour de Cassation en date du 06 mai 2021



Code affaire : 73A Demande formée par l'usufruitier





[S], [R], [C] [D] C/ [M] [Z] VEUVE [D] veuve [D]





PARTIES EN CAUSE :





Monsieur [S], [R], [C] [D] De nationalité française retraité

né le 13 Avril 1958 à SAINT BONNET DE VIEILLE VIGNE (71430)

de nationalité française, demeurant VELLE - 71430 SAINT BONNET DE VIEILLE VIGNE



Représenté par Me Arnaud BIBARD de la SCP LITTNER-BIBARD, avocat au barreau de CHALON-SUR-SAONE

Représenté par Me Caroline LEROUX, avocat au barreau de BESANCON



APPELANT





ET :











Madame [B] [R] [Z] veuve [D]

agissant tant à titre personnel qu'es-qualité de conjoint survivant de son époux décédé [I] [D]

née le 15 Mai 1934 à CHAMPLECY (71120)de nationalité française

demeurant 25 rue de Payerne - 71600 PARAY LE MONIAL



Représentée par Me Laurent MORDEFROY de la SELARL ROBERT & MORDEFROY, avocat au barreau de BESANCON



INTIMÉE



MINISTERE PUBLIC :

Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée.







COMPOSITION DE LA COUR :



Lors des débats :



PRÉSIDENT : Monsieur Edouard MAZARIN, Président de chambre.



ASSESSEURS : Messieurs Jean-François LEVEQUE et Cédric SAUNIER, Conseillers.



GREFFIER : Madame Leila Zait, Greffier.



Lors du délibéré :



PRÉSIDENT : Monsieur Edouard MAZARIN, Président de chambre



ASSESSEURS : Messieurs Jean-François LEVEQUE et Cédric SAUNIER, conseillers.






L'affaire, plaidée à l'audience du 22 mars 2022 a été mise en délibéré au 03 mai 2022. Les parties ont été avisées qu'à cette date l'arrêt serait rendu par mise à disposition au greffe.



**************

Faits et prétentions des parties



Par acte de donation partage en date du 31 octobre 1998, les époux [I] [D] - [B] [Z] ont attribué à leur fils [S], sous réserve de leur usufruit, 4/9èmes de la nue-propriété d'une maison avec cour, jardin et pré à Saint-Bonnet-de-Vieille-Vigne (Saône-et-Loire) dénommée Château de [P], les 5/9èmes en nue-propriété restants lui étant donnés en rémunération d'une créance de salaire différé.



Saisi le 16 juillet 2013 à la demande des époux [D] qui réclamaient à leur fils le paiement d'une indemnité pour l'occupation sans droit ni titre des biens qu'ils prétendaient avoir dû quitter sous sa pression, le tribunal de grande instance de Mâcon, par jugement rendu le 9 février 2015, a déclaré M. [S] [D] occupant sans droit ni titre des biens immobiliers dont ses parents s'étaient réservés la jouissance, et a fixé le montant mensuel de l'indemnité d'occupation due depuis le 16 juillet 2008, période non couverte par la prescription .



Par arrêt infirmatif du 10 mars 2020, la cour d'appel de Dijon a débouté Mme [Z], veuve survivante, de sa demande au motif qu'elle aurait renoncé à son droit d'usufruit.



Sur le pourvoi formé par Mme [Z], la troisième chambre civile de la Cour de cassation, par arrêt prononcé le 6 mai 2021, a cassé l'arrêt d'appel en toutes ses dispositions et a renvoyé la cause et les parties devant la présente cour en reprochant aux juges d'appel, au visa de l'article 578 du code civil, de n'avoir caractérisé aucun acte de nature à manifester sans équivoque sa volonté de renoncer à son usufruit.



M. [D] a régulièrement repris l'instance par déclaration parvenue au greffe le 30 juin 2021 et, au dernier état de ses écrits transmis le 28 février 2022, il conclut à l'infirmation du jugement déféré et demande à la cour, au visa des articles 578 et subsidiairement 618 du code civil, de :

- dire que les époux [D] ont, tacitement mais de manière certaine, renoncé à leur droit d'usufruit,

- subsidiairement, les en déchoir faute pour eux d'avoir respecté leurs obligations d'entretien,

- débouter Mme [Z] de l'ensemble de ses demandes,

- ordonner la publication de l'arrêt au service de la publicité foncière,

- subsidiairement, réduire le montant des indemnités d'occupation qui ne porteront intérêt au taux légal qu'à compter de l'arrêt à intervenir et débouter Mme [Z] de ses réclamations tendant à la capitalisation des intérêts et à l'indexation du montant de l'indemnité d'occupation dès 2009,

- condamner Mme [Z] à lui payer 20 593,85 euros au titre des travaux d'entretien,

- en tout état de cause, la condamner à lui payer 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens distraits au profit de son conseil.



Il fait principalement valoir que :

- les époux [D], qui n'ont pas été évincés de leur droit d'usufruit, n'ont jamais agi pour recouvrer cette jouissance qu'ils ont volontairement abandonnée ce qui caractérise une renonciation tacite à leur droit,

- il a toujours supporté seul l'ensemble des charges courantes exposées par les deux familles,

- les usufruitiers n'ont pas réalisé les travaux d'entretien leur incombant.





Mme [Z] a répliqué en dernier lieu le 21 février 2022 pour demander à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré M. [D] occupant sans droit ni titre de la partie dont, avec son époux, elle s'était réservée la jouissance et débiteur d'une indemnité d'occupation, de l'infirmer pour le surplus, de fixer cette indemnité à la somme mensuelle de 1 164 euros à compter du 16 juillet 2008 avec indexation sur l'indice des loyers (IRL), et de condamner l'appelant à lui verser 3 000 euros en réparation de son préjudice moral et 3 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens distraits au profit de son conseil.



Elle expose que :

- la Cour de cassation a définitivement tranché la question de l'absence de renonciation tacite à l'usufruit,

- elle et son mari ont dû quitter [P] par la force,

- l'expert judiciaire a constaté que les clés laissées à leur disposition ne leur permettaient plus d'accéder à la maison,

- l'indemnité d'occupation court à compter de leur éviction fin 2003, soit pour la partie non prescrite, à compter du 16 juillet 2008.





L'ordonnance de clôture a été rendue le 21 mars 2022.






Motifs de la décision





- sur la portée de la cassation,



L'arrêt de la cour d'appel de Dijon en date du 10 mars 2020 ayant été cassé et annulé en toutes ses dispositions, la cour de renvoi est saisie de l'entier litige.



Et contrairement aux affirmations de Mme [Z], la Cour de cassation n'a pas définitivement tranché la question de sa renonciation à son droit d'usufruit mais a simplement reproché aux juges d'appel de n'avoir, dans leurs motifs, caractérisé aucun acte de nature à manifester sans équivoque sa volonté d'y renoncer.





- sur la renonciation par Mme [Z] à son droit d'usufruit,



Aux termes de l'article 578 du code civil, l'usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d'en conserver la substance.



Si l'article 617 du code civil, relatif aux causes d'extinction de l'usufruit, ne cite pas la renonciation de l'usufruitier à son droit, celle-ci est mentionnée par les articles 621, alinéa 2, et 622 et il est de jurisprudence qu'une telle renonciation :

- ne se présume pas de sorte qu'il appartient à celui qui s'en prévaut d'en faire la preuve,

- n'est en principe soumise à aucune forme spéciale,

- peut être tacite, pourvu qu'elle soit certaine et non équivoque (Com., 1er juillet 2008, pourvoi n° 07-17.786),

- doit, lorsqu'elle est tacite, résulter d'un fait ou d'un acte positif manifestant sans équivoque la volonté de son auteur d'y renoncer en ce que ce fait ou cet acte est directement contraire au droit considéré ou incompatible avec la volonté de l'exercer,

- ne se déduit pas de la seule inaction ou du silence de son titulaire (Civ. 2ème, 10 mars 2005, pourvoi n° 03-11.302 ; Civ. 1ère, 7 mars 2000, pourvoi n° 97-20.858).



Afin de tenter d'administrer la preuve de la renonciation par Mme [Z] à son droit d'usufruit, M. [D] invoque les faits suivants :

- les époux [D], qui n'ont pas été évincés de leur droit, n'ont jamais agi pendant 18 ans pour recouvrer cette jouissance alors qu'ils auraient pu user des actions possessoires,

- il a lui-même supporté seul l'ensemble des charges courantes exposées par les deux familles,

- il a vécu avec sa famille dans les lieux depuis 1982, d'abord chez ses parents, seuls propriétaires de l'immeuble, puis à compter de la donation du 31 octobre 1998 lui en attribuant la nue-propriété sans que ses parents, jusqu'en 2013, ne lui réclament d'indemnité d'occupation.



Mais aucun de ces faits ou actes, lesquels ne consistent qu'en de simples abstentions qui ne sont pas directement contraires au droit considéré ou incompatibles avec la volonté de l'exercer, ne manifeste la volonté certaine et non équivoque de Mme [Z] de renoncer à son usufruit alors au surplus que celle-ci démontre avoir toujours acquitté les taxes foncières.





Il s'ensuit que c'est à bon droit que le premier juge a dit que M. [D] est occupant sans titre des biens immobiliers dont ses parents se sont réservés la jouissance et qu'il est débiteur à ce titre d'une indemnité d'occupation depuis le 16 juillet 2008, période non couverte par la prescription, de sorte que sa décision sera confirmée sur ce point.





- sur la demande tendant à déchoir Mme [Z] de son droit d'usufruit,



Outre que cette demande est nouvelle en appel, l'article 618 du code civil ne trouve application qu'en cas d'abus par l'usufruitier de sa jouissance, soit en commettant des dégradations sur le fonds, soit en le laissant dépérir faute d'entretien, conditions qui ne sont manifestement pas réunies en l'espèce dès lors que Mme [Z] ne s'est rendue coupable d'aucune dégradation, n'a jamais été mise en demeure de procéder à quelque réparation que ce soit alors, qu'avec son époux, elle a quitté les lieux en 2003 et que le fonds n'a nullement dépéri.



M. [D] sera par conséquent débouté de cette demande.





- sur le montant de l'indemnité d'occupation à la charge de M. [D],



Le caractère forcé du départ des époux [D] en 2003 n'est pas démontré pas plus que le refus que leur aurait opposé M. [S] [D] de se maintenir dans les lieux ou de revenir y vivre.



En effet Mme [Z] ne démontre pas avoir été mise dans l'incapacité de jouir de la partie qu'elle s'était réservée ; elle ne justifie d'aucunes demande, mise en demeure, tentative d'occuper le bien et ne prouve pas que son fils [S] a pris possession, pour les occuper, des biens qu'elle s'était réservée avec son époux.

Dès lors aucune indemnité d'occupation n'est due par M. [D] de ce chef.



Il est en revanche constant qu'il occupe le surplus des biens immobiliers alors qu'il n'en est que nu-propriétaire de sorte qu'à défaut de convention contraire, en l'état non démontrée, il est redevable d'une indemnité d'occupation.



L'expert a évalué cette indemnité en novembre 2018 en fonction de l'état de l'immeuble constaté le 11 septembre 2017 contrairement à la mission qui lui avait été confiée.

Il s'en est expliqué en faisant valoir qu'aucun élément ne lui avait été transmis afin de lui permettre de décrire le bien à la date du 16 juillet 2008.

Il n'en demeure pas moins que l'indemnité d'occupation, qui ne se confond pas avec la valeur locative dès lors que l'occupant ne bénéficie pas de la protection accordée à un locataire et qu'elle n'a pour objet que d'indemniser l'usufruitier de la perte de revenus nette qu'il aurait pu retirer de ses biens, doit nécessairement être estimée en fonction de l'état de ces derniers abstraction faite des améliorations ou agrandissements réalisés par le nu-propriétaire à ses frais.



Or comme l'a relevé avec pertinence le premier juge, il ressort des productions (annexe appelant n° 2) qu'au jour du départ des parents [D], l'habitation était en très mauvais état général, le gîte ne consistait qu'en une simple dépendance à usage d'atelier ne comprenant pas d'étage et il est constant que les usufruitiers n'y ont entrepris aucune réparation postérieurement à leur départ.

En revanche, même non expressément visées, ces dépendances étaient nécessairement incluses dans la donation puisque celle-ci porte sur les 9/ 9èmes de l'ensemble immobilier.



Dans ces conditions, eu égard à la situation géographique, juridique et urbanistique des biens immobiliers, à leur état et aux charges importantes d'entretien et de chauffage, la cour dispose d'éléments suffisants pour fixer l'indemnité d'occupation due par M. [D] à la somme moyenne mensuelle de 600 euros à compter du 16 juillet 2008.



L'indemnité d'occupation étant évaluée ce jour, les intérêts au taux légal ne sont dus qu'à compter du présent arrêt et l'indexation sur la variation de l'indice des loyers ne sera calculée qu'à compter du 1er mai 2023 par référence à celui publié à la date de prononcé du présent arrêt.



La capitalisation des intérêts étant de droit dès lors qu'elle est sollicitée, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il l'a ordonnée.





- sur les autres demandes de Mme [Z],



S'il est constant que ses relations avec son fils sont devenues très conflictuelles, Mme [Z] ne démontre pas que la peine qu'elle en éprouve est imputable à ce dernier qui en serait le seul responsable de sorte que le jugement déféré sera aussi confirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages-intérêts en réparation d'un préjudice moral.





- sur la demande subsidiaire en indemnisation de M. [D],



M. [D] ne propose aucun fondement juridique à cette demande (répétition de l'indu, gestion d'affaires ') étant relevé qu'il a exposé ces frais spontanément, sans justifier d'une quelconque autorisation de la part des usufruitiers et qu'il n'en a jamais, jusqu'à la présente procédure, réclamé le remboursement.



En outre, il ne démontre pas que les sommes dont il sollicite le remboursement correspondent à des travaux d'entretien qu'il était indispensable d'engager et dont le coût aurait dû être assumé par l'usufruitier.



En effet, les factures qu'il verse aux débats sont relatives à des frais exposés entre 2000 et juillet 2013 dont il faut déjà déduire celles antérieures au 16 juillet 2008 et correspondent principalement à des frais de grosses réparations au sens de l'article 605 du code civil qui sont à la charge normale du nu-propriétaire ou à des réparations locatives mises à la charge du bailleur par l'article 1720 du même code.



Le jugement déféré sera par suite encore confirmé en ce qu'il a débouté M. [D] de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles.





PAR CES MOTIFS



La cour, statuant contradictoirement, après débats en audience publique et en avoir délibéré conformément à la loi,



Vu l'arrêt de la cour d'appel de Dijon en date du 10 mars 2020,



Vu l'arrêt prononcé le 6 mai 2021 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation,



Confirme le jugement rendu le 9 février 2015 par le tribunal de grande instance de Mâcon sauf en ce qu'il a :

- fixé à 450 euros le montant de l'indemnité due chaque mois par M. [S] [D] à M. [I], [R], [C] [D] et à Mme [B], [R] [Z] épouse [D],

- dit que le montant de l'indemnité sera révisé chaque année à partir du 1er juillet 2009 sur la base de l'évolution de l'indice de référence des loyers,

- dit que les intérêts de retard courent à compter du prononcé du présent jugement.



Statuant des chefs infirmés et y ajoutant,



Déboute M. [S] M. [D] de sa demande tendant à déchoir Mme [B] [Z] veuve M. [D] de son droit d'usufruit.



Le condamne à lui payer, à titre d'indemnité d'occupation à compter du 16 juillet 2008, la somme mensuelle de 600 euros laquelle sera indexée sur la variation de l'indice des loyers à compter du 1er mai 2023 par référence à celui publié à la date de prononcé du présent arrêt.



Déboute Mme [B] [Z] veuve M. [D] du surplus de ses prétentions.



Condamne M. [S] [D] aux dépens d'appels comprenant les frais d'expertise judiciaire et accorde aux avocats de la cause le droit de se prévaloir des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.



Et, vu l'article 700 du même code, rejette les demandes.



Ledit arrêt a été signé par monsieur Edouard Mazarin, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré, et par Mme Leila Zait, greffier.





Le greffier,le président de chambre

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