4 mai 2022
Cour d'appel d'Agen
RG n° 21/00264

CHAMBRE CIVILE

Texte de la décision

ARRÊT DU

04 Mai 2022





CV/CR





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N° RG 21/00264

N° Portalis

DBVO-V-B7F-C3ZT

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S.A.R.L. LALANNE ET FILS



C/



SAS FUTUR AGRI (SAMIM)









------------------























GROSSES le

à









ARRÊT n°











COUR D'APPEL D'AGEN



Chambre Civile

Section commerciale







LA COUR D'APPEL D'AGEN, 1ère chambre dans l'affaire,







ENTRE :



S.A.R.L. LALANNE ET FILS

[Adresse 5]

[Localité 2]



Représentée par Me Erwan VIMONT, membre de la SCP LEX ALLIANCE, avocat inscrit au barreau d'AGEN



APPELANTE d'un Jugement du Tribunal de Commerce d'AGEN en date du 24 Février 2021, RG 2019007305





D'une part,







ET :



SAS FUTUR AGRI (SAMIM)

RCS d'Agen n°B 343 178 885

[Adresse 1]

[Adresse 4]

[Localité 3]



Représentée par Me Guy NARRAN, avocat postulant inscrit au barreau d'AGEN et par Me Olivier RICHARD, avocat plaidant au barreau de TOULOUSE



INTIMÉE





D'autre part,

COMPOSITION DE LA COUR :



L'affaire a été débattue et plaidée en audience publique le 07 Février 2022 devant la cour composée de :



Présidente : Claude GATÉ, Présidente de Chambre

Assesseurs : Dominique BENON, Conseiller

Cyril VIDALIE, Conseiller qui a fait un rapport oral à l'audience





Greffières : Lors des débats : Nathalie CAILHETON

Lors de la mise à disposition : Charlotte ROSA, adjoint administratif faisant fonction de greffier





ARRÊT : prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile



' '

'



Faits et procédure :



Par acte du 30 mars 2015, La SARL Agri Environnement, à laquelle a succédé la SARL Lalanne et Fils, a loué auprès de la SAS CNH Capital Europe un tracteur agricole Case IH Magnum pour une durée de 36 mois.



Il a été établi lors de la commande du tracteur un document à l'en-tête de la SARL Lacan, décrivant les conditions de l'opération, mentionnant 'Garantie 3 ans - 3 000 heures ; contrat d'entretien 3000 heures + déplacements'.



Le 17 juin 2017, La SAS Futur Agri a effectué une intervention mécanique sur l'engin à la suite d'une montée de température et d'une consommation d'huile, et procédé à un contrôle et au remplacement du bouchon d'expansion, à la suite desquels elle a émis deux factures datées du 30 juin 2017.



Le 21 juin 2017, elle a réalisé une révision après 1 500 heures de fonctionnement, facturée le 30 juin 2017, puis, elle est de nouveau intervenue le 16 août 2017 (facturation du 23 août 2017 prise en charge par la SAS Pacifica, assureur du locataire, sous déduction de la franchise contractuelle) et le 27 octobre 2017 (facturation du 21 novembre 2017 prise en charge par la SAS Pacifica sous déduction de la franchise contractuelle), à la suite de la rupture des stabilisateurs, puis de l'arbre de force du tracteur.



À la suite d'une nouvelle panne survenue le 1er mars 2018, que la SAS Pacifica a refusé de prendre en charge en se fondant sur une expertise du cabinet Deslandres, la SARL Lalanne et fils a reproché à la SAS Futur Agri d'être responsable d'un défaut d'entretien portant notamment sur le graissage du roulement de la boîte de vitesse, qui était selon elle à l'origine de l'incident.



Par acte du 12 novembre 2019, la SARL Lalanne et fils a assigné la SAS Futur-Agri devant le tribunal de commerce d'Agen, afin d'obtenir l'indemnisation des préjudices subis sur le fondement de sa responsabilité contractuelle.



Par jugement du 24 février 2021, le tribunal de commerce d'Agen a :



- dit que la SAS Futur-Agri n'a pas engagé sa responsabilité contractuelle,

- dit la SARL Lalanne et fils mal fondée en sa demande de condamnation de 78 377 euros au titre des pertes éprouvées et du gain manqué,

- débouté la SARL Lalanne et fils de l'ensemble de ses demandes,

- condamné la SARL Lalanne et fils à payer à la SAS Futur-Agri la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- condamné la SARL Lalanne et fils aux dépens,

- rejeté comme non fondé tous autres moyens, fins et conclusions contraires des parties,

- liquidé les dépens dont frais de greffe pour le jugement à la somme de 73,22 euros.




Le tribunal a considéré que la SARL Lalanne et fils n'apportait aucune preuve réelle et concrète concernant la cause d'absence d'huile dans la boîte de transfert, et qu'il apparaissait clairement qu'elle n'avait pas respecté les recommandations du constructeur Zuidberg, relatives à la réalisation de vidanges tous les 6 mois ou 450 heures.



Le tribunal a en outre observé que le tracteur Case objet du litige avait fonctionné pendant 2 mois et 10 jours au-delà des dites recommandations.



La SARL Lalanne et fils a formé appel le 12 mars 2021, désignant en qualité d'intimée la SAS Futur-Agri, et visant dans sa déclaration la totalité des dispositions du jugement, à l'exception de celle liquidant les dépens à la somme de 73,22 euros.



Prétentions :



Par uniques conclusions du 8 juin 2021, la SARL Lalanne et fils demande à la Cour de :



- réformer le jugement dans toutes ses dispositions,

- dire et juger que la SAS Futur Agri a engagé sa responsabilité contractuelle,

- condamner la SAS Futur Agri au paiement de la somme de 78 377 euros au titre des pertes éprouvées et du gain manqué,

- condamner la SAS Futur Agri au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,

- subsidiairement,

- ordonner une expertise du boîtier de transfert afin de déterminer la cause du sinistre,

les responsabilités et le préjudice.



La SARL Lalanne et fils présente l'argumentation suivante :



- la responsabilité contractuelle de la SAS Futur-Agri est engagée pour manquement à son obligation de résultat :

- la panne lui est directement imputable, elle a été dans l'incapacité de solutionner la montée en température du liquide de refroidissement apparue dès le 16 juin 2017,

- il résulte des rapports établis par le cabinet Talan à la demande de la SARL Lalanne et fils, et le cabinet Deslandres saisi par son assureur la compagnie Pacifica, que la SAS Futur Agri a omis de procéder à la lubrification du boîtier de liaison assurant le transfert de force entre le vilebrequin et l'actionnement du ventilateur de refroidissement du moteur,

- le cabinet Talan a interrogé la société Zuidberg, fabricant du boîtier, qui a indiqué que la vidange devait être effectuée tous les six mois ou 450 heures d'utilisation,



- la SARL Lalanne et fils n'a pas commis de faute, le tribunal a retenu à tort une utilisation excédant les préconisations du fabricant,



- la SAS Futur-Agri a assisté aux opérations d'expertise amiable et a pu faire valoir toutes observations, des éléments de preuve complémentaire ont en outre été produits, de sorte que la Cour peut se fonder sur les rapports et pièces produits pour retenir sa responsabilité,



- le rapport du cabinet Sothis produit par la SAS Agri-Futur n'est pas contradictoire et se fonde sur des hypothèses,









- le préjudice résulte de la perte subie et du gain manqué, l'expert-comptable de la SARL Lalanne et fils a chiffré la perte d'exploitation à 78 377 euros, compte tenu de la nécessité dans laquelle elle s'est trouvée de recourir à la location de tracteurs, et de la perte de marchés.



Par uniques conclusions du 26 août 2021, la SAS Futur-Agri demande à la Cour de :



- à titre principal,

- confirmer le jugement en ce qu'il a :

- dit que l'elle n'a pas engagé sa responsabilité contractuelle,

- dit la SARL Lalanne et fils mal fondée en sa demande de condamnation de

78 377 euros au titre des pertes éprouvées et du gain manqué,

- débouté la SARL Lalanne et fils de l'ensemble de ses demandes,

- condamné la SARL Lalanne et fils à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la SARL Lalanne et fils aux entiers dépens,

- rejeté comme non fondé tous autres moyens, fins et conclusions contraires des

parties,



- à titre subsidiaire, si par extraordinaire la Cour venait à réformer le jugement,

- constater que la société Lalanne et fils ne rapporte pas la preuve de l'existence d'un

manquement contractuel de sa part,

- débouter la SARL Lalanne et fils de toutes ses demandes, fins et conclusions,



- à titre infiniment subsidiaire, si par extraordinaire la cour venait à retenir sa responsabilité,

- constater que l'indemnisation du préjudice se limite aux dommages normalement prévisibles,

- en conséquence,

- dire et juger que le quantum du préjudice subi par la SARL Lalanne et fils est d'un

montant de 24 976,47 euros,

- dire et juger que l'exécution provisoire du jugement à intervenir est incompatible avec la nature de l'affaire,



- en tout état de cause,

- sur le fondement de l'article 696 du Code de procédure civile, condamner la SARL Lalanne et fils aux entiers dépens,

- sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, condamner la SARL Lalanne et fils à lui payer la somme de 5 000 euros.



La SAS Futur Agri présente l'argumentation suivante :



- les conditions nécessaires à la mise en cause de sa responsabilité contractuelle définies par l'article 1103 du Code civil ne sont pas démontrées :



- en l'absence de manquement contractuel de sa part : le garagiste n'est pas tenu d'une obligation de résultat, il peut s'exonérer par la preuve de l'absence de faute de sa part, l'obligation d'entretien, préventive, consiste à exécuter des opérations nécessaires à la conservation du véhicule dans le respect des règles de l'art ; la faute de la victime est en outre exonératoire pour le garagiste,



- les rapports des cabinets Tolan et Deslandres, qui ne sont pas des mesures d'instruction judiciaire au sens des articles 155 et suivants du Code de procédure civile, ne peuvent faire foi des affirmations de la SARL Lalanne et fils, une invitation à y participer ne suffit pas à leur conférer un caractère contradictoire, le rapport Tolan s'intitule rapport d'information et préconise d'ailleurs la poursuite d'opérations d'expertise,



- la cour ne peut se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée unilatéralement à la demande d'une partie qui n'est corroborée par aucun autre élément de preuve,



- de nombreuses affirmations du rapport d'information sont imprécises voire inexactes (s'agissant des huiles utilisées, du joint Spi détérioré, des mentions du livret d'entretien relatives à la vérification du niveau d'huile du boîtier de prise de force avant et non du boîtier de transfert, du fait que le niveau de l'huile du boîtier de transfert a été

contrôlé et complété bien que non facturé),



- le tracteur a fonctionné durant plus de neuf mois après la révision,



- la société Sothis, mandatée par l'assureur de la SAS Futur Agri, a retenu que le remplacement de l'huile de transmission a été fait après 264h avant la survenance de l'avarie, et qu'une insuffisance de niveau d'huile ou une fuite aurait provoqué l'avarie bien plus tôt, le boîtier ne pouvant fonctionner plus de quelques heures sans huile,



- les cabinets Tolan et Deslandres n'ont pas recherché la cause de la fuite qui résulte d'une défectuosité du joint Spi,



- la SAS Futur Agri a réalisé des réparations conformes aux règles de l'art :



- le cabinet Tolan reconnaît dans son rapport qu'elle a respecté la fiche des interventions prévues par le constructeur, et que le boîtier a présenté une panne indépendante de l'entretien du tracteur,

- le cabinet Deslandres préconise une mise en cause de l'intervenant sur l'entretien du circuit de refroidissement en 2017, et du constructeur de la pompe,



- le cabinet Tolan observe, dans son rapport, que la vidange de la prise de force à embrayage multidisques doit être effectuée tous les six mois ou après 450 heures, ce qui imposait à la SARL Lalanne et fils d'effectuer une opération d'entretien le 30 décembre 2017 au plus tard, or cette opération n'a pas été effectuée, étant observé que le tracteur a été confié à la SAS Futur Agri au mois d'octobre 2017 pour une réparation de l'arbre de prise de force et du capteur endommagés et non pour une vidange de la prise de force à embrayage ; la vidange devait en tout état de cause être effectuée après 1800 heures ou au mois de décembre 2017, seconde condition qui n'a pas été respectée,



- la SARL Lalanne et fils ne peut opposer son ignorance des préconisations du constructeur du boîtier, la société Zuidberg, la SAS Futur Agri n'étant pas intervenue en qualité de vendeur de matériel, et aucun contrat d'entretien n'ayant été conclu,



- l'imputabilité du dommage n'est pas établie,



- l'existence d'un dommage indemnisable n'est pas établie, il n'existe notamment pas de lien entre le préjudice d'exploitation d'une activité professionnelle résultant de l'indisponibilité du véhicule et la réparation litigieuse, seul le coût de la réparation et les frais de location d'un tracteur de remplacement pourraient être admis.



La Cour, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, fait expressément référence à la décision entreprise, et aux dernières conclusions déposées.



L'ordonnance de clôture est intervenue le 12 janvier 2022, et l'affaire a été fixée pour être examinée le 7 février 2022.




Motifs



Aux termes de l'article 16 du Code de procédure civile, le juge doit faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.



Il en résulte que, hormis les cas où la loi en dispose autrement, le juge ne peut se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l'une des parties, peu important qu'elle l'ait été en présence de celles-ci.



La SARL Lalanne et fils allègue un manquement de la SAS Futur Agri à son obligation contractuelle d'entretien du tracteur dont elle était locataire pour avoir omis de pourvoir à la lubrification d'un élément mécanique, en se fondant exclusivement sur l'expertise réalisée à la demande de la compagnie d'assurance Pacifica, assureur du tracteur, par la SAS Cabinet Deslandres, et sur l'expertise réalisée à sa demande par son propre assureur par la SARL Cabinet Tolan.



La SARL Lalanne et fils ne produit aucun élément permettant de décrire le désordre affectant le tracteur, et d'en déterminer les causes, en particulier son éventuelle imputabilité aux interventions de la SAS Futur Agri.



Elle ne produit ni document technique émanant de la Société Case, constructeur du tracteur, ou de la société Zuidberg, fabricant de la pièce défectueuse, ni manuel d'entretien, permettant de connaître les préconisations d'entretien du tracteur et du boîtier endommagé.



Elle ne verse aux débats ni justificatifs du suivi effectué dans le cadre du contrat d'entretien ou de la garantie consentis par la SARL Lacan, ni carnet d'entretien de son matériel, permettant de déterminer quelles opérations ont été réalisées, ni attestation, constat, ou élément quelconque permettant de fonder ses allégations.



Or, les deux rapports techniques recueillis en dehors du cadre judiciaire garantissant le respect du contradictoire, ne peuvent, en l'absence de tout autre élément, suffire à démontrer l'existence d'un manquement de la SAS Futur Agri à ses engagements contractuels.



Il ressort en outre du rapport établi par la SAS Cabinet Deslandres à la demande de la SAS Pacifica, que l'absence de graissage ayant entraîné le bris du roulement de la boîte de vitesse qui devait être vidangé toutes les 450 heures de fonctionnement selon le constructeur, qu'il était nécessaire de disposer des factures d'entretien, et qu'il y avait lieu de mettre en cause les intervenants sur le matériel notamment en 2017 ainsi que le constructeur de la pompe.



Par ailleurs, il résulte du rapport de la SARL Cabinet Tolan établi à la demande de l'assureur de la SARL Lalanne et Fiols, une impossibilité de détenir des informations certaines relatives aux préconisations d'entretien de l'élément défaillant, la nécessité de poursuivre les opérations d'expertise en y associant la société Lacan qui a assuré l'entretien du traceur, et une absence de connaissance des opérations d'entretien effectuées par cette dernière société durant ses 1 450 premières heures d'utilisation.



Ces éléments ne permettent donc pas de justifier la mise en cause de la responsabilité de la SAS Futur Agri.



Le jugement sera confirmé.



En application de l'article 696 du Code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie.



En l'espèce, la SARL Lalanne et fils, qui a succombé en première instance, a été à juste titre condamnée à supporter les dépens.



Son appel étant injustifié, elle sera tenue d'en supporter les dépens.



L'article 700 du Code de procédure civile prévoit que le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.



La SARL Lalanne et fils sera condamnée à payer à la SAS Futur Agri 2 500 euros en application de ces dispositions.



Par ces motifs,



La Cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe, et en dernier ressort,



Confirme le jugement du 24 février 2021,



Y ajoutant,



Condamne la SARL Lalanne et fils aux dépens d'appel,



Condamne la SARL Lalanne et fils à payer à la SAS Futur Agri 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.



Le présent arrêt a été signé par Claude GATÉ, présidente, et par Charlotte ROSA, adjointe administrative faisant fonction de greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.



La Greffière,La Présidente,

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