3 mai 2022
Cour d'appel de Metz
RG n° 21/00054

Chambre Sociale-Section 3

Texte de la décision

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





















ARRÊT N°22/00189



N° RG N° RG 21/00054 - N° Portalis DBVS-V-B7F-FM7O



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Caisse CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES VOSGES

C/

[Y]

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Tribunal des Affaires de Sécurité sociale des Vosges du 23 Novembre 2016



Cour d'Appel de NANCY

06 Juin 2019



Cour de cassation

Arrêt du 22 Octobre 2020



COUR D'APPEL DE METZ



RENVOI APRÈS CASSATION



ARRÊT DU 03 MAI 2022







DEMANDERESSE À LA SAISINE et APPELANTE :



LA CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DES VOSGES prise en la personne de son représentant légal domicilié, es qualité au dit siège

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Jean-Luc HENAFF, avocat au barreau de METZ





DÉFENDEUR À LA SAISINE et INTIME :



Monsieur [L] [Y]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté Me Laurent ZACHAYUS, avocat postulant au barreau de METZ

Représenté Me BOULANGER, avocat au barreau d'EPINAL





GREFFIER PRÉSENT AUX DÉBATS : Madame Sylvie MATHIS, Greffier

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 21 Février 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Mme Carole PAUTREL, Conseillère, magistrat chargé d'instruire l'affaire.



Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :



Madame Clarisse SCHIRER, Présidente de Chambre

Mme Carole PAUTREL, Conseillère

Mme Sophie RECHT, Vice-Présidente placée



Greffier, lors des débats : Madame Sylvie MATHIS, Greffier



ARRÊT : contradictoire



Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile;



Signé par Madame Clarisse SCHIRER, Présidente de Chambre, et par Madame Sylvie MATHIS, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.




EXPOSE DU LITIGE



Monsieur [L] [Y], titulaire d'une licence de taxi, exerce son activité sous l'enseigne [5], anciennement dénommée [6]. II a passé une convention avec la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) des Vosges lui permettant d'effectuer des transports d'assurés sociaux affiliés à cette caisse et de bénéficier d'une prise en charge des frais de transport sous certaines conditions.



Dans le cadre d'un programme de contrôle contentieux lancé par la Caisse nationale d'assurance maladie, des anomalies et irrégularités de facturation ont été reprochées à Monsieur [L] [Y] pour la période du 1er janvier 2006 au 28 février 2008.



Le 25 janvier 2013, la CPAM des Vosges a assigné Monsieur [L] [Y] devant le tribunal de grande instance (TGI) d'Epinal aux fins de paiement des sommes de 431343,42 € à titre principal, 10 000 € à titre de frais de gestion et 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



Par ordonnance rendue le 10 mars 2014, le juge de la mise en état a constaté son incompétence sur la fin de non-recevoir soulevée par Monsieur [L] [Y], a déclaré le TGI d'Epinal incompétent pour connaître de l'instance et a renvoyé celle-ci devant le tribunal des affaires de sécurité sociale des Vosges.



Par jugement du 27 mai 2015, le Tribunal des affaires de sécurité sociale des Vosges a :

- reçu la CPAM des Vosges en son recours,

- constaté l'absence de conciliation des parties,

- ordonné à la CPAM des Vosges de conclure au fond selon les modalités définies aux motifs du jugement,

- ordonné à M. [L] [Y] de répondre aux conclusions de la CPAM des Vosges,

- sursis à statuer sur toutes les autres demandes,

- renvoyé l'examen de l'affaire à date fixe,

- ordonné l'exécution provisoire.



Dans ses écritures, Monsieur [Y] a soulevé la prescription biennale de l'action en répétition de l'indu engagée par la CPAM des Vosges sur le fondement des dispositions de l'article L.332-1 du code de la sécurité sociale.



Par jugement du 23 novembre 2016, le Tribunal des affaires de sécurité sociale des Vosges a:

- déclaré la CPAM des Vosges irrecevable en son action en répétition d'indu, pour cause de prescription,

- constaté l'absence de conciliation des parties,

- condamné la CPAM des Vosges à payer à M. [L] [Y] 1 000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la CPAM des Vosges de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.



Le 21 décembre 2016, la CPAM des Vosges a relevé appel de ce jugement.



Par arrêt du 6 juin 2019, la Cour d'Appel de Nancy a :

- confirmé en toutes ses dispositions le jugement rendu par le TASS des Vosges, le 23 novembre 2016,

Y ajoutant,

- laissé à la charge des parties les frais irrépétibles par elles exposés en appel,

- condamné la CPAM des Vosges aux dépens dont les chefs sont nés postérieurement au 1er janvier 2019.



La CPAM des Vosges a alors formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt.











Le 22 octobre 2020, la 2ème chambre civile de la Cour de Cassation a accueilli le pourvoi, cassé et annulé l'arrêt rendu par la Cour d'Appel de Nancy au motif que l'action exercée par la CPAM n'était pas dirigée contre un assuré bénéficiaire de prestations mais contre l'entreprise de taxi pour le remboursement d'un indu au titre des anomalies relevées et que, dès lors, la prescription biennale de l'article L.332-1 du code de la sécurité sociale n'était pas applicable, et a renvoyé les parties devant la Cour d'Appel de Metz.



La CPAM des Vosges a, le 8 janvier 2021, saisi la Cour de renvoi.



Par conclusions datées du 23 juillet 2021, soutenues oralement à l'audience de plaidoirie par son conseil, la caisse primaire d'assurance Maladie des Vosges demande à la Cour de :

- dire recevable et bien fondé l'appel interjeté par la CPAM des Vosges contre le jugement rendu le 23 novembre 2016 par le Tribunal des Affaires Sociales des Vosges

Y faisant droit, infirmant le jugement entrepris et statuant à nouveau

- condamner Monsieur [Y] à verser à la CPAM des Vosges une somme de 431343,42 € avec intérêts au taux légal à compter du 25 mars 2013, date de l'assignation à comparaître devant le Tribunal de Grande Instance d'Epinal

- condamner Monsieur [Y] à verser à la CPAM des Vosges une somme de 10 000 € au titre de l'indemnisation des coûts de gestion;

- condamner Monsieur [Y] à verser à la CPAM des Vosges une somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- condamner Monsieur [Y] en tous les frais et dépens d'instance et d'appel.



Par conclusions datées du 29 avril 2021, soutenues oralement à l'audience de plaidoirie par son conseil, Monsieur [Y] demande à la Cour :

- CONFIRMER le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

CE FAISANT,

A titre principal,

- DECLARER IRRECEVABLE l'action en répétition de l'indu engagée par la Caisse primaire d'assurance Maladie des Vosges comme étant manifestement prescrite en application des dispositions de l'article L.133-4 du code de la Sécurité Sociale, ce qui constitue une fin de non-recevoir conformément aux dispositions de l'article 122 du Code de Procédure Civile.

A titre subsidiaire et sur le fond,

- DEBOUTER la caisse primaire d'assurance Maladie des Vosges de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

Y AJOUTANT,

- CONDAMNER la Caisse Primaire d'assurance maladie des Vosges à payer à Monsieur [L] [Y] la somme de 15.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- CONDAMNER la caisse Primaire d'assurance maladie des Vosges aux entiers frais et dépens.



Il est renvoyé aux conclusions précitées pour un examen complet des moyens et prétentions des parties.




SUR CE,



SUR LA PRESCRIPTION DE L'ACTION



La caisse primaire d'assurance maladie des Vosges soutient que son action, initiée le 25 janvier 2013, n'apparaît pas prescrite, dès lors que, cette action relevant des dispositions de l'article 2224 du code civil relatives à la prescription quinquennale, la prescription était acquise le 15 février 2013, soit 5 ans après la date de la dernière prestation litigieuse (datée du 12 février 2008).



La CPAM des Vosges conteste par ailleurs l'application des dispositions de l'article L.133-4 du code de la sécurité sociale qui prévoient une prescription triennale pour les actions en recouvrement sauf en cas de fraude. Elle soutient tout d'abord que, malgré un jugement de relaxe prononcé à l'égard de Monsieur [Y] par le Tribunal correctionnel d'Epinal le 19 janvier 2012, la violation de la convention par l'intimé constitue une fraude qui exclut l'application de la prescription triennale. La CPAM fait valoir également que l'action pénale intentée contre Monsieur [Y], suite à la plainte déposée le 28 décembre 2008, a nécessairement interrompu le délai de prescription puisque la relaxe qui est intervenue a entraîné un débouté de l'action civile.

Monsieur [Y] soutient que l'action initiée par la CPAM des Vosges reste prescrite sur le fondement de l'article L.133-4 du code de la sécurité sociale qui a seul vocation à s'appliquer et dont le point de départ doit être fixé au 12 février 2008, date de règlement de la dernière prestation litigieuse. Il souligne que, contrairement aux dires de la CPAM des Vosges, le dépôt de plainte et la procédure pénale subséquente n'ont pas interrompu le délai de prescription, que l'autorité de la chose jugée doit s'appliquer, et qu'ainsi, le jugement de relaxe qui est intervenu consacre l'absence de fraude, permettant ainsi l'application de la prescription triennale.



**********************



Aux termes de l'article L.133-4 du Code de la sécurité sociale, dans sa version applicable au litige, « en cas d'inobservation des règles de tarification ou de facturation :

1° Des actes, prestations et produits figurant sur les listes mentionnées aux articles L.162-1-7, L.162-17, L.165-1, L.162-22-7 ou relevant des dispositions des articles L.162-22-1 et L.162-22-6;

2° Des frais de transports mentionnés à l'article L.321-1, l'organisme de prise en charge recouvre l'indu correspondant auprès du professionnel ou de l'établissement à l'origine du non-respect de ces règles et ce, que le paiement ait été effectué à l'assuré, à un autre professionnel de santé ou à un établissement.

Il en est de même en cas de facturation en vue du remboursement, par les organismes d'assurance maladie, d'un acte non effectué ou de prestations et produits non délivrés.

Lorsque le professionnel ou l'établissement faisant l'objet de la notification d'indu est également débiteur à l'égard de l'assuré ou de son organisme complémentaire, l'organisme de prise en charge peut récupérer la totalité de l'indu. Il restitue à l'assuré et, le cas échéant, à son organisme complémentaire les montants qu'ils ont versés à tort.

L'action en recouvrement, qui se prescrit par trois ans, sauf en cas de fraude, à compter de la date de paiement de la somme indue, s'ouvre par l'envoi au professionnel ou à l'établissement d'une notification de payer le montant réclamé ou de produire, le cas échéant, leurs observations (...) »



Par ailleurs, l'article L.321-1 dans sa version applicable au présent litige énonce que « L'assurance maladie comporte :

1°) La couverture des frais de médecine générale et spéciale, des frais de soins et de prothèses dentaires, des frais pharmaceutiques et d'appareils, des frais d'examens de biologie médicale, y compris la couverture des frais relatifs aux actes d'investigation individuels, des frais d'hospitalisation et de traitement dans des établissements de soins, de réadaptation fonctionnelle et de rééducation ou d'éducation professionnelle, ainsi que des frais d'interventions chirurgicales nécessaires pour l'assuré et les membres de sa famille, au sens fixé par l'article L. 313-3, y compris la couverture des médicaments, produits et objets contraceptifs et des frais d'examens de biologie médicale ordonnés en vue de prescriptions contraceptives ;

2°) La couverture des frais de transport de l'assuré ou des ayants droit se trouvant dans l'obligation de se déplacer pour recevoir les soins ou subir les examens appropriés à leur état ainsi que pour se soumettre à un contrôle prescrit en application de la législation de sécurité sociale, selon les règles définies par les articles L. 162-4-1 et L. 322-5 et dans les conditions et limites tenant compte de l'état du malade et du coût du transport fixées par décret en Conseil d'Etat ; (...) ».



Les deux textes susvisés prévoient donc, pour les actions en recouvrement de prestations liées aux frais de transport des assurés, une règle spéciale de prescription qui déroge aux dispositions générales prévues à l'article 2224 du code civil sur les actions personnelles et mobilières, et ce en vertu de l'adage specialia generalibus derogant.



Dès lors qu'il n'est pas contesté que l'action introduite par la CPAM des Vosges devant le tribunal de grande instance d'Epinal, par assignation du 25 janvier 2013, est une action en recouvrement de l'indû, les règles de prescription de l'article L.133-4 précité trouvent à s'appliquer.



Ce texte dispose que l'action en recouvrement se prescrit par 3 ans sauf en cas de fraude, à compter du paiement de la somme indue.













Monsieur [Y] indiquant, sans être contredit que le règlement de la dernière prestation litigieuse date du 12 février 2008, cette date constitue au regard des dispositions de l'article L 133-4 , le point de départ du délai de prescription.



S'agissant de la fraude, force est de constater que le jugement du tribunal correctionnel d'Epinal devenu définitif (pièce n°1 de l'intimé) a estimé qu'aucun élément du dossier pénal ne permettait d'établir formellement que Monsieur [Y] avait sciemment trompé la CPAM des Vosges en ne respectant pas la convention passée avec cette dernière. Le tribunal a ainsi retenu l'hypothèse que l'intimé ait pu se tromper de bonne foi.



Or, pour prouver l'existence d'une fraude, la CPAM des Vosges, sur laquelle repose la charge de la preuve, ne peut se contenter d'affirmer que la seule violation de la convention, même non constitutive d'une escroquerie au sens pénal, constitue en soi une fraude, sans apporter la preuve d'agissements volontaires de la part de Monsieur [Y] qui aurait agi en toute connaissance de cause pour percevoir des sommes en sachant pertinemment qu'il n'y avait pas le droit.



Dès lors, c'est bien la règle de prescription triennale édictée par l'article L.133-4 susvisé du code de la sécurité sociale qui doit s'appliquer au présent litige.



Par ailleurs, il appert que l'article L.133-4-6 du même code prévoit que « la prescription est interrompue par une des causes prévues par le code civil. A l'exception des taxes, cotisations et contributions dues ou recouvrées par les organismes chargés du recouvrement, l'interruption de la prescription peut, en outre, résulter de l'envoi d'une lettre recommandée avec demande d'avis de réception, quels qu'en aient été les modes de délivrance ».



Les articles 2241 et 2242 du code civil quant à eux énoncent que la demande en justice interrompt le délai de prescription et que l'interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance.



Au regard de ces dispositions, la plainte de la CPAM, le 29 décembre 2008 ,adressée au Procureur de la République d' Epinal dénonçant les irrégularités de facturations et chiffrant son préjudice ( pièce n°9 de la caisse)), n'est pas interruptive de prescription dès lors que la mise en mouvement de l'action publique , seul acte interruptif de prescription, est intervenue par voie de citation en justice, le 29 novembre 2011, ainsi qu'il ressort du jugement du tribunal correctionnel d'Epinal du 15 mars 2012, soit postérieurement au délai de prescription qui expirait le 12 février 2011.



Il s'ensuit que l'action intentée par la CPAM des Vosges le 25 janvier 2013 apparaît prescrite comme n'ayant pas été initiée avant le 13 février 2011, aucun acte interruptif n'étant intervenu dans ce délai.



Le jugement du 23 novembre 2016 du Tribunal des affaires de sécurité sociale des Vosges ayant déclaré la CPAM des Vosges irrecevable en son action pour cause de prescription est donc confirmé pour les motifs du présent arrêt.



S'il convient de confirmer les frais irrépétibles de première instance, l' équité ne commande pas de faire application de l'article 700 du code de procédure civile au profit de M. [Y] à hauteur d'appel.



Par ailleurs, la CPAM des Vosges, partie succombante dans son recours, sera condamnée aux entiers dépens d'appel dont les chefs sont nés postérieurement au 31 décembre 2018.





PAR CES MOTIFS



LA COUR,



CONFIRME le jugement entrepris du 23 novembre 2016 du Tribunal des affaires de sécurité sociale des Vosges pour les motifs du présent arrêt.







DEBOUTE Monsieur [Y] sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



CONDAMNE la CPAM des Vosges aux dépens d'appel dont les chefs sont nés postérieurement au 31 décembre 2018.



Le Greffier Le Président

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