29 avril 2022
Cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion
RG n° 17/00171

Chambre commerciale

Texte de la décision

ARRÊT N°22/61

PC



N° RG 17/00171

N° Portalis DBWB-V-B7B-E2BC













S.A. ELECTRICITE DE FRANCE (EDF)





C/



S.A. SOL AUSTRAL







COUR D'APPEL DE SAINT - DENIS



ARRÊT DU 29 AVRIL 2022



Chambre commerciale







Vu l'arrêt de la Cour de Cassation en date du 6 décembre 2016 ayant cassé et annulé l'arrêt rendu le 19 décembre 2014 par la Cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion suite au jugement rendu le 24 avril 2013 par le tribunal mixte de commerce de Saint-Denis de la Réunion ;



Vu la déclaration de saisine en date du 20 janvier 2017 ;



Vu l'arrêt avant dire droit en date du 3 décembre 2021 ;





APPELANTE :



SA ELECTRICITE DE FRANCE (EDF), au capital de 911 000 000 euros, immatriculée au R.C.S. de PARIS sous le numéro 552 081 317, dont le siège social est : [Adresse 1], agissant poursuites et diligences en la personne de son représentant légal en exercice.



Représentant : Me Eric DUGOUJON, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION





INTIMEE :



SA SOL AUSTRAL Prise en la personne de son représentant légal domicilié audit siège.

[Adresse 2]



Représentant : Me François FERRARI de la SELARL ACTAH, avocat au barreau de BEZIERS

Représentant : Me Laurent BENOITON, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION



CLOTURE LE : 1er février 2022



DÉBATS : En application des dispositions des articles 778, 779 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 18 Février 2022 devant la cour composée de :



Président :Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre

Conseiller :Madame Pauline FLAUSS, Conseillère

Conseiller :Madame Magali ISSAD, Conseillère



Qui en ont délibéré après avoir entendu les avocats en leurs plaidoiries.



Greffier lors des débats : Madame Monique LEBRUN, greffière

Greffier lors de la mise a disposition : Madame Hélène MASCLEF, directrice des services de greffe judiciaires.



A l'issue des débats, le président a indiqué que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition le 29 Avril 2022.






EXPOSÉ DU LITIGE :



La société SOL AUSTRAL (la société) a pour activité la production d'électricité d'origine renouvelable. Cette activité a été encouragée afin de permettre le développement des énergies renouvelables en France. Afin de rendre économiquement viable ces opérations, de production électrique, la société EDF achetait en 2010 l'électricité produite entre 40 centimes d'euros par kWh produit, soit 3,5 fois le prix auquel elle était distribuée au consommateur final (12 centimes). Cette différence faisait l'objet de calculs et d'arrêtés du Ministère des Finances afin de permettre un rendement normal des capitaux investis.



La société SOL AUSTRAL (le producteur) a adressé une demande de raccordement à la société EDF, gestionnaire dans les départements d'Outre-Mer, par le biais de sa direction Systèmes Énergétiques Insulaires, du réseau public de distribution d'électricité, pour une centrale photovoltaïque. Avec un grand retard (pièce 3) EDF-SEI accusait réception de la demande de contrat de raccordement de la société SOL AUSTRAL. Le dossier était déclaré complet.



Un décret N° 2010/1510 du 9 décembre 2010 a suspendu l'obligation d'achat d'électricité pour 3 mois pour les demandes de raccordements pour lesquels une Proposition Technique et Financière (PTF) n'avait pas fait l'objet d'une acceptation avant le 2 décembre 2010. A l'issue du moratoire expirant le 11 mars 2011, les producteurs pouvaient présenter une nouvelle demande sur la base d'un nouvel arrêté fixant le tarif de rachat de l'électricité photovoltaïque. Un arrêté du 4 mars 2011 a fixé le tarif d'achat à 28,83 centimes d'euros, se substituant au précédent tarif.



Faisant grief à la société EDF de ne pas lui avoir délivré une proposition technique et financière de raccordement au réseau (PTF), dans le délai qu'elle estimait de rigueur de trois mois suivant le dépôt de son dossier, et faisant valoir que cette carence avait abouti à une obligation de rachat de l'énergie produite à un tarif moins favorable (28,83 centimes au lieu de 50 centimes), la société SOL AUSTRAL, par acte du 20 décembre 2011 délivré sous le visa de l'article 1147 du code civil, complété par ses dernières conclusions établies sous le visa de l'article 1382 du code civil, a attrait la société EDF devant le tribunal mixte de commerce de Saint- Denis afin de la voir condamner au paiement de la somme de 1.018.641 euros correspondant à son préjudice.



Par jugement du 24 avril 2013, le tribunal a retenu la responsabilité d'EDF et l'a condamnée à réparer son préjudice en ces termes :



Rejette l'exception d'incompétence,

Condamne la S.A. EDF à payer à la SARL SOL AUSTRAL les sommes suivantes :

- 60.000 euros en réparation du préjudice subi avec intérêts au taux légal à compter de ce jugement,

- 4.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.



Saisie par EDF, la cour d'appel a confirmé le jugement par un arrêt du 19 décembre 2014.



La société EDF s'est pourvue en cassation.



Par arrêt en date du 6 décembre 2016, la chambre commerciale de la cour de cassation a statué en ces termes :



CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il condamne la société Electricité de France à payer à la société SOL AUSTRAL la somme de 60.000 euros, et en ce qu'il statue sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 19 décembre 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, autrement composée.



Selon l'arrêt de la cour de cassation, pour condamner la société EDF à indemniser le producteur, l'arrêt, après avoir constaté que cette société n'a adressé aucune PTF dans le délai qui lui était imparti, retient que la cause déterminante du préjudice allégué par le producteur réside dans le défaut de réponse à la demande de raccordement dans le délai impératif de trois mois prévu dans la documentation technique de référence et que ce manquement, consommé avant le 10 décembre 2010, date d'entrée en vigueur du décret précité, est constitué par la perte de chance de poursuivre la réalisation d'un projet d'investissement. En se déterminant ainsi, sans vérifier si, en l'absence de retard, le producteur aurait pu accepter l'offre d'EDF avant la date de suspension de l'obligation de conclure un contrat selon les modalités précisées par le décret précité, de sorte que la demande de raccordement n'aurait pas été atteinte par la mesure de suspension de l'obligation de conclure un contrat d'achat, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.



La société EDF a saisi la cour d'appel par acte du 20 janvier 2017.



Elle a déposé ses premières conclusions d'appelante le 17 avril 2017 par RPVA.



L'intimée s'est constituée le 13 mars 2017. Elle a déposé ses conclusions par RPVA le 13 juin 2017.



L'appelante a déposé ses dernières conclusions le 18 octobre 2019.



La SARL SOL AUSTRAL a déposé ses dernières conclusions le 21 octobre 2019.



La clôture est intervenue le 25 octobre 2019, l'affaire devant être plaidée le 3 avril 2020.



Compte tenu de la crise sanitaire, l'examen de l'affaire a été reportée au 19 février 2021 puis au 17 septembre 2021.



La SARL SOL AUSTRAL a adressé des conclusions par RPVA le 10 septembre 2021, tendant à la révocation de l'ordonnance de clôture.



La société EDF a répliqué par conclusions déposées le jour de l'audience, le 17 septembre 2021, en s'opposant à la demande de réouverture des débats.



Par arrêt avant dire droit en date du 3 décembre 2021, la cour de céans a révoqué l'ordonnance de clôture et ordonné la réouverture des débats afin que certains éléments nouveaux puissent être discutés par les parties.





PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES



Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 15 février 2022, la société EDF demande à la cour de :



1. A TITRE LIMINAIRE

a) A titre principal

DECLARER irrecevables les écritures notifiées le 31 janvier 2022,

ECARTER DES DEBATS la ou les pièces non communiquées par la partie adverse,

b) Subsidiairement

ORDONNER la réouverture des débats,

REVOQUER l'ordonnance de clôture du 1er février,

ENJOINDRE la production de la pièce,



2. A TITRE PRINCIPAL, sur l'illicéité du préjudice,

Vu la procédure de traitement des demandes de raccordement,

Vu le décret n° 2010-1510 du 9 décembre 2010,

Vu les articles 107 et 108 du Traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne,

Vu la décision de la CJUE du 15 mars 2017,

Vu la jurisprudence, notamment les arrêts de la Cour de cassation du 18 septembre 2019,

Vu les pièces versées aux débats,

CONSTATER, DIRE et JUGER que l'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative du soleil à un prix supérieur à sa valeur de marché, dans les conditions définies par l'arrêté du 12 janvier 2010, a le caractère d'une aide d'Etat ;

CONSTATER, DIRE et JUGER que l'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative du soleil à un prix supérieur à sa valeur de marché, dans les conditions définies par l'arrêté du 31 août 2010, a le caractère d'une aide d'État ;

CONSTATER que ces arrêtés n'ont pas été notifiés préalablement à la Commission européenne en violation de l'article 108 paragraphe 3 du TFUE ;

CONSTATER, DIRE ET JUGER que ces arrêtés sont illégaux et que leur application doit, en tout état de cause, être écartée ;

REJETER, en conséquence, la demande de l'intimée fondée sur une cause illicite ;

En conséquence,

INFIRMER le jugement entrepris,

DEBOUTER la SARL intimée de l'intégralité de ses demandes,



3. A TITRE SUBSIDIARE, sur l'absence de faute de la société EDF,

DIRE ET JUGER que la société EDF n'a commis aucune faute dans le traitement de la demande de raccordement de la SARL intimée,

INFIRMER le jugement entrepris,

DEBOUTER la SARL intimée susvisée de l'intégralité de ses demandes,



4. PLUS SUBSIDIAIREMENT, sur l'absence de lien de causalité,

Si, par extraordinaire, une faute de la société EDF était retenue,

CONSTATER, DIRE et JUGER qu'il n'existe pas de lien de causalité entre le préjudice allégué de la SARL intimée et la prétendue faute d'EDF,

En conséquence,

INFIRMER le jugement entrepris,

DEBOUTER la SARL intimée de l'intégralité de ses demandes,



5. Plus subsidiairement encore, sur le caractère erroné et injustifié du chiffrage du préjudice,

CONSTATER, DIRE et JUGER que le préjudice allégué par l'intimée est injustifié en son principe et en son quantum,

En conséquence,

INFIRMER le jugement entrepris,

DEBOUTER la SARL intimée de l'intégralité de ses demandes,



6. A titre infiniment subsidiaire, sur le caractère hypothétique du préjudice,

CONSTATER, DIRE et JUGER que ce préjudice ne pourrait en tout état de cause résulter que d'une perte de chance et qu'en l'espèce que cette perte de chance est inexistante et dès lors non indemnisable,

En conséquence,

INFIRMER le jugement entrepris,

DEBOUTER la SARL intimée de l'intégralité de ses demandes,



7. EN TOUT ETAT DE CAUSE,

REJETER toute prétention contraire ;

CONDAMNER la SARL intimée à verser à la société EDF la somme de 5. 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

La CONDAMNER aux entiers dépens.



Liminairement, la société EDF considère que les conclusions de l'intimée ont été remises tardivement, nuisant au principe contradictoire en empêchant l'appelante d'y répondre avant l'audience.

Sollicitant la mise à l'écart d'une pièce nouvelle non régulièrement communiquée, EDF soutient que l'intimée prétend a priori disposer d'un courrier de transmission d'une convention de raccordement mais cette pièce n'apparaît nullement sur son bordereau de communication, ni mentionnée dans ses écritures.



A titre principal, la société EDF considère que le préjudice allégué par la société intimée n'est pas réparable car totalement illégitime. Elle fonde son préjudice sur l'application, à son profit, des arrêtés tarifaires existants ante-moratoire. Or, l'arrêté tarifaire du 12 janvier 2010, comme celui du 31 août 2010, qui ont le caractère d'une aide d'État, sont illégaux, au regard du droit de l'Union européenne, pour défaut de notification préalable à la Commission européenne. Ils ne peuvent servir de fondement à ses prétentions, ce qui a été confirmé à plusieurs reprises par la Cour de cassation. Selon la société EDF, en première instance comme en appel, l'intimée a systématiquement soutenu qu'elle a adressé un dossier complet le 31 août 2010 et que son dossier est donc entré en file d'attente à cette date. Elle a ainsi toujours estimé avoir été privée, par la faute de la société EDF, du tarif d'achat de 0,50 €/kWh issu de l'arrêté tarifaire du 12 janvier 2010. Elle a donc toujours fondé son préjudice sur l'application dudit arrêté tarifaire. Mais dans ses dernières écritures, et pour les besoins de la cause, elle indique à tort que l'arrêté applicable au 31 août 2010 serait l'arrêté du 31 août 2010, publié au journal officiel le 1er septembre 2010. Or, l'arrêté tarifaire du 31 août 2010 n'a pas fixé de date spécifique d'entrée en vigueur mais a été publié au journal officiel le 1er septembre 2010. Il est donc entré en vigueur le lendemain de sa publication, soit le 2 septembre 2010. Ainsi pour les dossiers, qui seraient adressés complets et entrés en file d'attente au 31 août 2010, l'arrêté tarifaire applicable est l'arrêté du 12 janvier 2010.

L'appelante invite la cour à juger que l'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative du soleil à un prix supérieur à sa valeur de marché, dans les conditions définies par l'arrêté tarifaire du 12 janvier 2010 ou celui du 31 août 2010, a le caractère d'une aide d'État.

En outre, elle plaide l'illégalité des arrêtés du 12 janvier 2010 et du 31 août 2010, qui sont intervenus sans notification préalable à la Commission européenne. En effet, en vertu de l'article 107 paragraphe 1 du TFUE, les aides d'État sont, par nature, incompatibles avec le marché intérieur sauf dérogations prévues par les Traités. Pour cette raison, l'article 108 paragraphe 3 du TFUE prévoit un mécanisme de contrôle a priori de la compatibilité des aides d'Etat, avant leur mise en 'uvre, par la Commission Européenne. Les États membres ont ainsi l'obligation de notifier préalablement à la Commission les régimes d'aide pour examen. A défaut, toute aide d'État non notifiée à la Commission Européenne est contraire au TFUE.

Considérant que le juge national a l'obligation d'assurer le plein effet du droit de l'Union européenne en écartant, au besoin de sa propre autorité, toute règle nationale contraire, la société EDF demande à la cour de tirer toutes les conséquences d'une violation du droit communautaire des aides d'Etat en écartant, au besoin, toute disposition contraire. Corollairement, leurs décisions ne peuvent pas tendre à aggraver la violation du droit de l'Union européenne selon le principe de prohibition de l'extension du cercle des bénéficiaires d'une aide d'État illégale. A cet égard, l'appelante indique que cette solution a été consacrée en jurisprudence pour les contentieux photovoltaïques similaires, définitivement retenue par la cour de cassation depuis six arrêts rendus le 18 septembre 2019 et publiés au Bulletin.



L'appelante plaide que sont inopérants les moyens soutenus par l'intimée pour contourner le caractère illicite du préjudice allégué.



Subsidiairement, la société EDF plaide que les faits reprochés ne constituent pas un manquement constitutif d'une faute de nature à engager sa responsabilité sur le fondement de l'article 1382 du code civil (dorénavant 1240 du code civil) et qu'en conséquence la demande indemnitaire se trouve totalement infondée.



D'une part, la société EDF affirme que l'intimée est mal fondée à se prévaloir d'un prétendu délai de six semaines à compter de la remise du dossier complet, alors que la société EDF SEI disposait d'un délai de trois mois et non de six semaines pour instruire et transmettre une proposition de raccordement.



D'autre part, s'agissant de la faute invoquée, aucun délai d'instruction de trois mois n'est opposable à EDF à cause du défaut de complétude du dossier de la société SOL AUSTRAL.



La société EDF prétend en outre que la jurisprudence a, à plusieurs reprises, retenu que le dépassement « objectif » du délai de trois mois n'était pas constitutif d'une faute.



Plus subsidiairement, la société EDF plaide que le raisonnement de la société intimée est totalement erroné sur la question du lien de causalité. Ainsi, la Cour de cassation considère que le lien de causalité n'est pas établi si, en l'absence de retard d'EDF, le producteur n'aurait de toute façon pas pu accepter l'offre d'EDF avant la date de suspension de l'obligation d'achat.

Elle souligne que l'acte volontaire du gouvernement de suspendre l'obligation d'achat (décret moratoire du 9/12/2010) est seul à l'origine du préjudice allégué.



Aussi, à défaut d'avoir déposé une demande de raccordement complète, le dossier de la SARL intimée n'est pas entré en file d'attente au 31 août 2010. Dans une hypothèse très favorable aux intérêts de la société SOL AUSTRAL, il pourrait au mieux être considéré que son dossier est entré en file d'attente au 28 septembre 2010, date du dernier courrier d'EDF réclamant une copie de la demande d'autorisation d'urbanisme de cette société. Dans ce cas, la société intimée ne pouvait exiger de la société EDF la transmission d'une proposition de raccordement, dans un délai de trois (3) mois, avant le 28 décembre 2010. La demande de la société SOL AUSTRAL s'est trouvée annuler du fait de la survenance du décret moratoire du 9 décembre 2010 avant même qu'expire le délai d'instruction de trois mois. La prétendue faute, tirée de l'absence de transmission de la PDR dans un délai de trois mois à compter du courrier du 28 septembre 2010, n'a été aucunement dommageable pour l'intimée.

Dans le cas d'espèce, en l'absence de retard d'EDF, le producteur n'était de toute façon pas en mesure d'accepter l'offre d'EDF avant la date de suspension de l'obligation d'achat prescrite par l'article 3 du décret du 9 décembre 2010.

Force est donc de constater que, même s'il est pris en compte l'argumentaire erroné de la SARL intimée sur la prétendue faute d'EDF, la perte des tarifs avantageux ne résulte pas de cette prétendue faute mais bien de la survenance du décret moratoire. Il n'y a aucun lien de nécessité entre le fait du défendeur et l'acte volontaire du gouvernement.

C'est donc, bel et bien, la survenance du décret moratoire qui a causé le préjudice allégué.



Selon l'appelante, le décret moratoire a prévu un principe de suspension générale de l'obligation de conclure des contrats d'achat d'électricité pour les installations de type photovoltaïque (article 1er). Seules les deux exceptions suivantes permettaient d'échapper à cette suspension :

- Une première exception concernant les installations photovoltaïques de très faible puissance inférieure à 3 kW (article 2) ;

- Une seconde exception concernant les installations « dont le producteur a notifié au gestionnaire de réseau, avant le 2 décembre 2010, son acceptation de la proposition technique et financière de raccordement [PTF] au réseau » (article 3).



En réservant la dérogation à la suspension de l'obligation d'achat aux seuls projets pour lesquels les producteurs avaient renvoyé leurs « PTF » acceptées aux gestionnaires de réseau avant le 2 décembre 2010, le décret moratoire a manifestement oublié de prévoir les cas particuliers dans lesquels des propositions de convention de raccordement avaient directement été adressées aux producteurs.

Ces cas particuliers visaient notamment les projets de puissance inférieure à 250 kVA, pour lesquels, à [Localité 3], l'étape de la PTF était supprimée par EDF SEI et remplacée par la transmission d'une proposition de convention de raccordement et qui sont donc à un stade plus avancé (Pièce n° 2' article 4 de l'avenant modificatif).

Face à cette situation de vide juridique, EDF SEI a fait le choix d'appliquer l'article 3 du décret moratoire aux propositions de conventions de raccordement et donc de les assimiler aux PTF.

Ce choix permettait ainsi d'éviter toute discrimination entre les producteurs et d'assurer la sécurité juridique de ces dispositions.



La société EDF ajoute que la Cour de cassation n'a jamais statué sur les conséquences de l'exécution desdits contrats sur le bénéfice ou non des anciens tarifs d'achat ante-moratoire, faute d'avoir été saisie de la question. Mais le juge administratif, seul compétent pour statuer en matière d'obligation d'achat d'électricité, a clairement affirmé que le processus d'obtention du contrat d'achat et donc du bénéfice des anciens tarifs d'achat était interrompu à compter du 2 décembre 2010. Car il est bien ici question des contrats d'achat et non des contrats de raccordement.



Plus subsidiairement, la société EDF affirme que le préjudice allégué par l'intimée n'est pas réparable car totalement erroné et injustifié, notamment sur le chiffrage de la perte de marge retenu. L'imprécision et l'absence de justifications des hypothèses de calcul ne permettent pas de regarder les montants invoqués comme représentatifs du préjudice subi. Face à de telles imprécisions, la Cour ne pourra que considérer la demande comme non justifiée et à ce titre purement et simplement irrecevable.



L'appelante plaide enfin à titre infiniment subsidiaire que le préjudice réparable de la société intimée ne pourrait qu'être constitué par une perte de chance. La notion de gain manqué n'a donc aucun sens en l'espèce. Seule la perte de chance de réaliser un bénéfice pourrait éventuellement être considérée.

Mais en l'espèce, selon la société EDF, la perte de chance ne pourrait être réparée qu'après avoir affecté au préjudice théorique un coefficient de minoration correspondant au jeu des aléas. Ce coefficient de minoration est déterminé en prenant en compte la nature et l'importance des différents aléas.

Ainsi, il convient d'apprécier l'aléa dépendant de l'aptitude de la société intimée à renvoyer la convention de raccordement acceptée avant le 2 décembre 2010, à l'expiration d'un éventuel délai de trois mois. Or, en l'espèce, le dossier de l'intimée n'est jamais entré en file d'attente puisqu'elle a remis un dossier incomplet le 31 août 2010, qu'elle ne justifie pas avoir transmis à la société EDF une copie de sa demande d'autorisation d'urbanisme alors même que ce document était pourtant nécessaire à l'entrée en file d'attente. Le dossier n'étant jamais entré en file d'attente, faute de complétude, le délai d'instruction n'a donc jamais commencé à courir. La SARL intimée n'avait donc aucune chance de renvoyer une convention de raccordement avant le 2 décembre 2010.

A supposer même qu'il soit pris en considération la date de dépôt du dossier incomplet du 31 août 2010, un éventuel délai de trois mois viendrait à expiration le 30 novembre 2010. Même si EDF avait transmis la proposition de raccordement le 30 novembre 2010 avant minuit, comme elle y était fondée, il était inconcevable que la société intimée prenne connaissance de la proposition et renvoie la convention acceptée dès le lendemain soit le 1er décembre 2010 avant minuit, compte non tenu des délais postaux.



Ensuite, le deuxième aléa porte sur la capacité pour la société exploitante de mener à terme son projet et notamment d'obtenir un emprunt bancaire pour le financer. En l'espèce, la société intimée, qui n'a pas poursuivi son projet à l'expiration du moratoire, ne démontrait pas qu'elle avait la capacité et la volonté de porter un projet d'une telle ampleur.



Selon la société EDF, il était impossible pour la SARL intimée de renvoyer la convention de raccordement acceptée avant le 2 décembre 2010 et donc de réaliser le premier aléa évoqué.



***



Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 17 février 2022, la société SOL AUSTRAL demande à la cour de :

ECARTER la demande de rejet des écritures déposées le 31 janvier 2022.

Si lesdites écritures devaient être rejetées, rejeter également les écritures de 115 pages déposées par EDF-SEI deux jours ouvrés avant la clôture ;

JUGER que le litige est circonscrit à la seule problématique remise en cause par l'arrêt de la Cour de cassation du 6 décembre 2016 : la possibilité de retourner la PDR acceptée avant l'application du moratoire en l'absence de faute d'EDF ; ceci ayant pour effet d'empêcher de juger à nouveau la faute, la consistance du préjudice ou encore la réparabilité du préjudice,

JUGER que, par application de l'article 42 du règlement du 17 juin 2014, il n'est plus nécessaire de notifier les arrêtés du 12 janvier 2010 et 10 juillet 2006, et qu'ils ne peuvent donc être déclarés illégaux,

Jugeant que le propre de la responsabilité civile est de replacer la victime dans la situation qui aurait été la sienne si la faute n'avait pas été commise et, par voie de conséquence, en l'absence d'annulation des contrats en cours, que la concluante aurait obtenu un contrat d'achat insusceptible d'être remis en cause,

- Constatant que EDF n'invoque pas que les contrats en cours soient annulables,

- Jugeant que même une illégalité de l'arrêté ne peut avoir pour effet de remettre les contrats conclus en cause et que le contrat d'achat aurait nécessairement été conclu en 2011 sans difficulté puisque l'arrêté du 12 janvier 2010 ne fait l'objet d'aucun recours et qu'il est définitif,

- Constatant que la demande ne consiste pas à obtenir un contrat d'achat en application de l'arrêté du 12 janvier 2010,

- Jugeant la faute d'ERDF consistant en l'absence de transmission dans le délai réglementaire de trois mois d'une proposition technique et financière et en la violation de l'obligation d'instruction des dossiers de manière non-discriminatoire,

- Jugeant l'existence du lien de causalité aussi bien sur la causalité adéquate que sur l'équivalence des conditions,

- Jugeant qu'il est démontré qu'il était possible de se déplacer dans les locaux d'EDF pour retourner sa PTF acceptée le mercredi 1er décembre 2010, et confirmant ainsi le lien de causalité,

- Rejeter toute conséquence du défaut de notification de l'arrêté du 12 janvier 2010,

- Rejeter l'argument de l'illégitimité et de l'illicéité de la demande,

- Confirmer le jugement en ce qu'il a retenu la faute commise par EDF et la responsabilité de celle-ci,

- Constatant que même l'application de la théorie de la perte de chance aboutit à l'indemnisation de près de 100% de la perte de marge,

- Infirmer partiellement le jugement sur le quantum,

- Par voie de conséquence, condamner EDF sur la base de la somme de 763 731 € outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation,

- A titre subsidiaire, si la méthode de la VAN devait être retenue, condamner EDF sur la base de la somme de 856 266 €,

- A titre très subsidiaire, s'il devait être retenu que l'aide d'Etat, acte d'exécution de l'arrêté tarifaire, est invalide, condamner EDF au sur la base de la somme de 183 589 euros outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation,

- Constatant qu'en tout état de cause, si l'arrêté du 12 janvier 2010 ne pouvait servir de base au calcul de l'indemnisation, la Cour peut valablement l'évaluer à titre forfaitaire et non plus consécutivement au calcul lié à l'arrêté, à la somme de 763 731 €

- Condamner en outre EDF au paiement de la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du C.P.C. ainsi qu'aux entiers dépens, distraits au profit de Maître Laurent BENOITON.



Selon l'intimée, la violation du délai d'instruction de la demande de raccordement au réseau public d'électricité est une faute. La société ERDF avait l'obligation de transmettre au demandeur une PTF dans un délai n'excédant pas trois mois à compter de la réception de la demande de raccordement complétée, de sorte que le manquement à cette obligation ouvrait droit à réparation.

Par cet attendu dénué d'ambiguïté, la Cour de cassation détermine que l'obligation de transmettre dans le délai de trois mois est une obligation de résultat et que sa violation constitue la faute prévue par l'article 1382 du Code civil. Elle confirme sa position exprimée dès le 9 juin 2015 dans un arrêt publié au bulletin et stipulant que (..)



La société intimée prétend donc qu'il n'existe plus aucun doute sur le fait que la violation du délai d'instruction prévu par de très nombreux textes (cf. annexe I) est constitutive de la faute nécessaire pour l'application de l'article 1382 du Code civil (cf annexe II).

Elle reproche à la société EDF de soutenir faussement qu'elle avait uniquement l'obligation d'adresser la PDR au plus tard le dernier jour du délai de trois mois. Or, les textes font tous état d'un délai de transmission d'une durée maximale de trois mois ou de la fourniture de la PTF sous trois mois. En l'espèce, s'agissant d'une installation de moins de 250 kW en Corse, seule devait être produite une PDR dans un délai de 6 semaines.

Dans sa série d'arrêts du 30 mars 2016, la Cour de cassation est venue fixer le principe en la matière : le délai maximum de trois mois dans lequel la PTF doit être transmise au demandeur, qui court à compter de la réception par le gestionnaire de réseau de la demande de raccordement complétée, s'apprécie à la date de réception de la PTF par le demandeur.

La société intimée affirme que le lien de causalité est établi entre la faute et son préjudice. Il est acquis que la violation du délai de trois mois, même au 30 novembre 2010, ouvre droit à réparation, et, par voie de conséquence, que la faute est bien complétée par le lien de causalité, y compris dans une hypothèse où le producteur ne disposait que d'un jour pour retourner sa PTF acceptée. En outre, le lien de causalité est établi automatiquement lorsque l'obligation en cause est une obligation de résultat.

Selon l'intimée, la Cour de cassation a procédé à une cassation partielle et a renvoyé devant la même Cour de Saint-Denis-de-la-Réunion (ce qui prouve qu'il ne s'agit en aucun cas d'un arrêt de principe) pour qu'elle précise les raisons pour lesquelles des dossiers dont les demandes de raccordement sont postérieures au 31 août 2010 ont pu être jugées recevables.

Cette jurisprudence n'est donc en aucun cas contradictoire avec les arrêts rendus quelques mois plus tôt par la même Cour de cassation et mentionnant expressément qu'un dossier déclaré complet au 31 août 2010 « ouvre droit à réparation ».



La société affirme aussi que la société EDF a commis une troisième faute en appliquant le moratoire à un dossier n'y étant pas soumis. En effet, la centrale étant d'une puissance inférieure à 250 kW, aucune PTF ne devait être produite mais uniquement un contrat de raccordement sous six semaines à renvoyer par le demandeur dans le délai de trois mois.



Invoquant l'article 10 de la loi du 10 février 2000, elle considère que celle-ci prévoit la possibilité de suspendre la conclusion des contrats d'achat mais pas les opérations de raccordement. Or, c'est dans ce cadre que le décret 2010-1510 du 9 décembre 2010 a été rédigé.

L'article 1er du décret prévoit : L'obligation de conclure un contrat d'achat de l'électricité produite par les installations mentionnées au 3° de l'article 2 du décret du 6 décembre 2000 susvisé est suspendue pour une durée de trois mois courant à compter de l'entrée en vigueur du présent décret. Aucune nouvelle demande ne peut être déposée durant la période de suspension.

Les installations visées sont donc celles définies à l'article 3 qui prescrit que les dispositions de l'article 1er ne s'appliquent pas aux installations de production d'électricité issue de l'énergie radiative du soleil dont le producteur a notifié au gestionnaire de réseau, avant le 2 décembre 2010, son acceptation de la proposition technique et financière de raccordement au réseau.



Le critère d'application du décret est donc bien le fait d'avoir renvoyé sa PTF avant le 2 décembre 2010. Le dossier en cause était ainsi exclu de l'application du moratoire au 2 décembre 2010 et ERDF a commis une faute supplémentaire en lui appliquant ces dispositions et en sollicitant qu'une nouvelle demande de raccordement soit déposée. Il est donc incontestablement acquis que l'article 5 du décret "moratoire" ne trouve pas à s'appliquer avant le 10 décembre 2010 aux dossiers soumis à PDR. Ainsi, le dossier de la concluante n'aurait pas été impacté par le moratoire avant le 10 décembre 2010.



Enfin, la société productrice affirme que le préjudice qu'elle invoque est licite et justifié dans son principe et dans son montant compte tenu de sa méthode de calcul étayée par experts.



***



Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées figurant au dossier de la procédure en application de l'article 455 du code de procédure civile.






MOTIFS



La cour rappelle, à titre liminaire, qu'elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes de « constatations » ou de « dire et juger » qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions en ce qu'elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques mais constituent, en réalité, les moyens invoqués par les parties au soutien de leurs demandes.



Sur la demande tendant à écarter des conclusions et des pièces des débats :



La société EDF demande que les conclusions de son adversaire, notifiées le 31 janvier 2022, soient écartées des débats en considérant que leur tardiveté nuit au respect du principe de la contradiction.



Toutefois, la cour observe que l'appelant a elle-même déposé ses conclusions le 15 février 2022, trois jours avant l'audience alors que la réouverture des débats avait été ordonnée pour permettre aux parties d'évoquer seulement d'éventuels changements dans l'ordre juridique, résultant de la jurisprudence du Conseil d'état, d'une Décision du Conseil constitutionnel saisi à propos d'un article de la dernière Loi de finances.



Ainsi, compte tenu de l'ancienneté du litige et de l'actualisation des moyens des parties depuis déjà l'audience précédente, il n'y a pas lieu d'accueillir les demandes relatives à la réouverture des débats ou la mise à l'écart de conclusions de l'intimée, le principe contradictoire ayant été respecté.



Sur la demande relative à l'irrecevabilité d'une pièce qui n'aurait pas été communiquée, la société EDF ne précise pas sa prétention ni ne cite cette pièce.



La demande doit aussi être rejetée.



Sur la faute alléguée de la société EDF :



Vu l'article 1382 du code civil dans sa version en vigueur à l'époque des faits, devenu l'article 1240 du code civil.



Les délais d'instruction des demandes de raccordement au réseau public de transport, formalisées par les producteurs d'énergie, dont l'activité est organisée par la loi du 10 février 2000 permettant le développement des énergies renouvelables en France, même s'ils résultent de documents techniques, ont un caractère impératif en ce qu'ils concrétisent l'obligation fixée par la loi et ses décrets d'application impartie au gestionnaire de garantir, de manière transparente et non discriminatoire à tous les producteurs bénéficiant de l'obligation d'achat, leur droit d'accès au réseau.



L'article 10 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000, relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité, dispose que « sous réserve de la nécessité de préserver le bon fonctionnement des réseaux, Électricité de France et, dans le cadre de leur objet légal et dès lors que les installations de production sont raccordées aux réseaux publics de distribution qu'ils exploitent, les distributeurs non nationalisés mentionnés à l'article 23 de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 précitée sont tenus de conclure, si les producteurs intéressés en font la demande, un contrat pour l'achat de l'électricité produite sur le territoire national par : (...) les installations de production d'électricité qui utilisent des énergies renouvelables ».

Le tarif d'achat de l'électricité produite par ces installations était selon l'article 8 du décret n° 2001-410 du 10 mai 2001, fixé par arrêté des ministres chargés de l'économie et de l'énergie. Pour assurer le développement des énergies renouvelables, le prix initialement fixé était supérieur au prix du marché. C'est ainsi que sont notamment intervenus les arrêtés des 10 juillet 2006 et 12 janvier 2010.



Pour bénéficier de ce dispositif, l'exploitant d'une installation de production d'énergie renouvelable devait adresser à EDF-SEI (pour la Réunion) une demande de raccordement au réseau. EDF-SEI disposait d'un délai de trois mois pour traiter sa demande. À l'issue, si la demande était complète, EDF devait adresser une proposition technique et financière (PTF) et l'exploitant disposait alors lui-même d'un délai de trois mois pour l'accepter.



En l'occurrence, il appartenait à la société EDF gestionnaire, via sa direction des systèmes énergétiques insulaires, du réseau de transport et de distribution d'électricité du département de la Réunion, de répondre à la demande de raccordement qui lui était présentée en émettant une proposition technique et financière de raccordement au réseau, dans les trois mois de la réception de la demande, délai résultant des référentiels techniques élaborés par le gestionnaire en application du dispositif normatif instituant son obligation de rachat, sauf à ce qu'il puisse être retenu que la demande en cause était concernée par le moratoire institué par le Décret N° 2010-1510 du 9 décembre 2010 ou à établir l'existence d'une situation de force majeure.



En l'espèce, la demande de la société intimée a été adressée à la société EDF-SEI, réceptionnée et déclarée complète le 30 août 2010. Le délai de trois mois, durant lequel la société EDF devait impérativement transmettre sa proposition de raccordement, expirait le 30 novembre 2010. Il s'agissait d'une centrale photovoltaïque d'une puissance de 112,8 kW.



La société EDF est ainsi mal fondée à prétendre que son avis de réception de la demande ne constitue pas le point de départ du délai alors qu'elle n'a pas évoqué lors de l'examen initial, une quelconque incomplétude du dossier, susceptible de repousser le délai dont elle disposait pour présenter une proposition de PTF.



La société EDF avait donc l'obligation de transmettre à l'exploitant une PTF dans un délai n'excédant pas trois mois à compter de la réception de la demande de raccordement complète, le 30 août 2010.

Elle a donc commis une faute délictuelle puisque le délai de trois mois dont elle dispose pour adresser une PTF à un candidat au raccordement au réseau électrique n'a pas été respecté.



L'entrée en vigueur du décret du 9 décembre 2010 suspendant, pendant trois mois à compter de son entrée en vigueur, l'obligation de conclure un contrat d'achat sauf pour les installations pour lesquelles les producteurs avaient notifié au gestionnaire de réseau leur acceptation à la proposition de raccordement avant le 2 décembre 2010, n'est pas susceptible d'exonérer la société EDF de sa responsabilité déclarée en raison d'un manquement à ses obligations, déjà survenu avant la date d'entrée en vigueur du décret, soit le 10 décembre 2010, date de sa publication au journal officiel.



Sur le lien de causalité entre la faute et le dommage allégué :



Le lien de causalité doit être recherché avec les préjudices allégués.



En l'espèce, la société intimée soutient que son préjudice est constitué par la perte de chance de bénéficier des tarifs très avantageux fixés avant le Décret du 9 décembre 2010 si la convention de raccordement au réseau avait été proposée et acceptée avant le 10 décembre 2010. En lui adressant une PTF avant le 1er décembre 2010, elle aurait alors disposé de quelques jours pour accepter cette PTF.



La société EDF réplique que la perte de l'ancien tarif avantageux a pour cause exclusive l'adoption par le gouvernement du décret du 9 décembre 2010. Elle affirme que, sans l'édiction de ce décret, le dépassement du délai de 3 mois n'aurait eu aucune des conséquences invoquées.



Or, la faute de la société EDF-SEI n'a été constituée qu'à l'expiration du délai de trois mois dont elle disposait pour envoyer une PTF, soit le 30 novembre 2010 après minuit.



Si l'appelante avait envoyé une PTF dans le délai, la société intimée aurait dû renvoyer son acceptation avant le mercredi 1er décembre 2010 à minuit pour échapper au moratoire et ne pas subir le préjudice allégué.



Elle aurait donc disposé de seulement 48 heures pour procéder à cette formalité entre le 1er décembre 0 heure et le 2 décembre à minuit.



Ce délai s'avère en réalité suffisant, alors que la société EDF ne plaide pas l'impossibilité matérielle de recevoir une telle acceptation dans un délai bref, ce qui est vraisemblable compte tenu des moyens technologiques de communication disponibles en 2010, complétant aisément les transmissions par voie postale.



La cour observe au surplus que le décret moratoire n'est survenu que le 9 décembre 2010, à effet du 10 décembre 2010, soit postérieurement au délai de présentation d'une PTF par EDF et au délai court de la société intimée pour l'accepter.



Le lien de causalité entre la faute de la société EDF-SEI et les préjudices invoqués par la société intimée est ainsi établi.



Sur la licéité du préjudice allégué :



Vu l'article 1382 du code civil, devenu l'article 1240,



Pour faire valoir que son préjudice résultant de la faute alléguée de la société EDF est licite, la société SOL AUSTRAL invoque l'absence de réaction de l'Union européenne à propos de l'illégalité de l'arrêté du 12 janvier 2010 pour défaut de notification, l'admission de sa régularité par le Conseil constitutionnel lors de sa saisine sur la loi de finances pour 2021 et la jurisprudence du Conseil d'Etat validant le principe des contrats d'achat par EDF soumis à l'arrêté litigieux.



Selon la société intimée, la Commission de Bruxelles a été saisie d'une plainte concernant le défaut de notification de l'arrêté et elle a conclu la réponse à cette plainte en indiquant que la Commission les enregistrera comme des informations générales relatives au marché. Il est donc acté par la Commission Européenne qu'elle n'entend pas engager une procédure formelle à l'encontre de la France à propos de l'arrêté en cause. La Commission Européenne étant dans l'obligation d'engager une telle procédure si elle constate aide d'Etat illégale ou, pire encore, incompatible, il ne fait aucun doute qu'elle n'entend pas remettre en cause la validité des actes d'exécution de l'arrêté tarifaire.



Elle affirme en outre que, par deux décisions des 22 janvier et 5 février 2020 (CE n° 418737 et CE n° 420753), postérieures aux arrêts du 18 septembre 2019 de la Cour de cassation, le Conseil d'Etat a validé la légalité des contrats d'achat en contraignant EDF à les signer malgré la position prise par la Cour de cassation. Cette juridiction, seule juge de la validité de l'arrêté tarifaire et, consécutivement, du contrat d'achat, n'a pas fait état du défaut de notification à la Commission pour rejeter la demande du producteur photovoltaïque. Le second arrêt cité rejette le pourvoi formé par EDF contre un arrêt d'une Cour administrative d'appel qui a condamné cette société à conclure un contrat d'achat régi par l'arrêté du 12 janvier 2010.



L'intimée affirme que ces jurisprudences démontrent pas que le Conseil d'Etat considère que le défaut de notification initiale à la Commission Européenne n'a pas pour effet de rendre invalides les actes d'exécution de l'arrêté du 12 janvier 2010. Si le Conseil d'Etat condamne EDF à conclure un contrat, c'est bien que l'arrêté sur lequel ledit contrat est conclu est légal.

Que ce soit en droit interne ou en droit communautaire, la position prise par la Cour de cassation ne peut être maintenue et suivie.



En outre, la société intimée expose que l'article 225 de la loi de finances pour 2021 prévoit expressément que les contrats d'achat photovoltaïques sur la période concernée (2006-2010) vont faire l'objet d'un décret puis d'un nouvel arrêté tarifaire.



L'arrêté du 26 octobre 2021, qui remplace les deux arrêtés des 10 juillet 2006 et 12 janvier 2010, vise expressément l'arrêté du 12 janvier 2010 qu'il vient remplacer. La notification de ce texte à la Commission Européenne n'est pas requise depuis l'entrée en vigueur du règlement communautaire du 17 juin 2014. Elle invoque l'article 42 de ce Règlement, prévoyant que « Les aides au fonctionnement en faveur de la promotion de l'électricité produite à partir de sources renouvelables sont compatibles avec le marché intérieur au sens de l'article 107, paragraphe 3, du traité et sont exemptées de l'obligation de notification prévue à l'article 108, paragraphe 3, du traité, pour autant que les conditions prévues par le présent article et au chapitre I soient remplies. » Selon l'intimée, le nouveau seuil de notification obligatoire a été porté à UN Mégawatt de puissance des centrales photovoltaïques. Elle soutient que les tarifs propres aux installations d'une puissance telle que celle de la concluante sont donc validés et que cela entraine la disparition du seul argument utilement opposé par EDF, rendant la jurisprudence de la Cour de cassation obsolète.



Enfin, l'intimée invoque le point N° 39 de la Décision du Conseil constitutionnel du 28 décembre 2020, statuant sur l'article 225 de la loi de finances pour 2021. Selon cette Décision, « les contrats conclus entre 2006 et 2010 l'ont été en considération des tarifs prévus par les arrêtés pris à cet effet. Or, les dispositions contestées réduisent ces tarifs, alors que ces contrats sont encore en cours. Elles portent donc atteinte au droit au maintien des conventions légalement conclues. » La société intimée prétend que le Conseil constitutionnel vient donc considérer que les contrats d'achat sont des conventions légalement conclues et que seul un motif d'intérêt général peut amener à les remettre en cause.



Ceci étant exposé, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, le mécanisme d'obligation d'achat par la société EDF de l'électricité d'origine photovoltaïque à un prix supérieur à celui du marché et mis à exécution par les arrêtés des 10 juillet 2006 et 12 janvier 2010 constitue une aide d'État, illégale en ce qu'elle n'a pas été notifiée à la Commission. Il s'en déduit que le préjudice constitué de la perte de la chance de bénéficier d'un tarif procédant de cette aide d'Etat illégale n'est pas réparable.



En effet, en confirmation d'une jurisprudence antérieure (notamment Cass. Com. 18 septembre 2019 arrêt n° 722 FS-D), il a été récemment jugé (Cass. Com. 23 juin 2021 n° 19-25.859), au visa des articles 107 et 108 du TFUE et l'article 1149 ancien du code civil et à la lumière de l'ordonnance rendue par la CJUE le 15 mars 2017 ainsi que de la jurisprudence de la CJUE, qui s'imposent au juge national et ne peuvent recevoir une interprétation contraire, que «'Le mécanisme d'obligation d'achat par la société EDF de l'électricité d'origine photovoltaïque à un prix supérieur à celui du marché et mis à exécution par les arrêtés des 10 juillet 2006 et 12 janvier 2010 constituant une aide d'État illégale en ce qu'elle n'a pas été notifiée à la Commission [européenne], le préjudice constitué de la perte de chance de bénéficier d'un tarif procédant de cette aide d'État illégale n'est pas réparable'».

Ce principe est exactement transposable à l'espèce.



L'arrêté du 12 janvier 2010, sur lequel se base la société intimée pour solliciter l'indemnisation de son préjudice, est définitivement déclaré illégal alors que la Commission européenne, en réponse à une plainte de candidats à la production photovoltaïque, a le 28 juillet 2020, noté que la Cour de cassation avait appliqué correctement le droit de l'Union quant à cet arrêté.



L'intimée n'est ainsi pas fondée à revendiquer l'application d'une ancienne jurisprudence du Conseil d'État ayant compétence sur le contrat d'achat, contrat de droit public qui n'est pas objet du litige, ou d'une décision du Conseil constitutionnel du 28 décembre 2020 ayant également visé le contrat d'achat qui, justement n'a jamais été conclu entre les parties.



Est tout aussi inopérant son visa de l'article 225 de la loi de finances pour 2021 qui a conduit à la publication d'un arrêté tarifaire du 28 octobre 2021, qu'elle prétend avoir remplacé (notamment) celui du 12 janvier 2010, dès lors qu'elle revendique elle-même l'application du tarif issu de cet arrêté du 12 janvier 2010. De plus, cette loi de finances a prévu l'édiction d'un nouveau régime de substitution avec des tarifs d'achat à la baisse selon un objectif de rémunération raisonnable pour les seules installations d'une puissance supérieure à 250 kW, ce qui ne s'applique pas à l'espèce.



Par voie de conséquence, la société intimée, dont le préjudice n'est pas réparable puisque calculé sur la base d'un arrêté tarifaire illégal comme procédant d'une aide d'État illégale, et qui ne peut pas plus utilement être calculé forfaitairement, doit être déboutée de toutes ses demandes y compris son appel incident.



Le jugement déféré doit être infirmé.



Sur les autres demandes :



Il est équitable, eu égard à la nature du litige, que les parties conservent leurs propres dépens et leurs frais irrépétibles.





PAR CES MOTIFS



La cour, statuant publiquement, contradictoirement et sur renvoi de cassation et par mise à disposition au greffe conformément à l'article 451 alinéa 2 du code de procédure civile,



DEBOUTE la société EDF de sa demande de réouverture des débats, de sa demande tendant à déclarer irrecevables les dernières conclusions de l'intimée et celle visant à écarter des pièces non communiquées ;



INFIRME le jugement querellé en toutes ses dispositions ;



Statuant à nouveau,



DEBOUTE la société SOL AUSTRAL de toutes ses prétentions comprenant son appel incident ;



REJETTE les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile ;



LAISSE les parties supporter leurs propres dépens.



Le présent arrêt a été signé par Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre, et par Madame Hélène MASCLEF, directrice des services de greffe judiciaires, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.





LA DIRECTRICE DES SERVICES LE PRÉSIDENT

DE GREFFE JUDICIAIRES

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