26 avril 2022
Cour d'appel de Caen
RG n° 19/01301

1ère Chambre civile

Texte de la décision

AFFAIRE : N° RG 19/01301 -

N° Portalis DBVC-V-B7D-GJ7J





ARRÊT N°



JB.





ORIGINE : Décision du Tribunal de Grande Instance d'ALENCON du 26 Mars 2019

RG n° 16/00883







COUR D'APPEL DE CAEN

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 26 AVRIL 2022





APPELANTS :



Monsieur [E] [I]

Le Plessis

[Localité 4]



Madame [N] [R] épouse [I]

Le Plessis

[Localité 4]



représentés et assistés de Me Hubert GUYOMARD, avocat au barreau d'ALENCON









INTIMÉS :



Monsieur [O] [D]

né le [Date naissance 1] 1949 à [Localité 8]

'[Adresse 7]'

[Localité 4]



Madame [S] [Z] épouse [D]

née le [Date naissance 2] 1950 à [Localité 5]

'[Adresse 7]'

[Localité 4]









Monsieur [M] [D]

né le [Date naissance 3] 1988 à [Localité 6]

'[Adresse 7]'

[Localité 4]



Tous représentés par Me Jacques BLANCHET, avocat au barreau d'ALENCON,

Tous assistés de Me GALY, avocat au barreau de CHARTRES





DÉBATS : A l'audience publique du 17 février 2022, sans opposition du ou des avocats, Mme VELMANS, Conseillère, a entendu seule les plaidoiries et en a rendu compte à la cour dans son délibéré



GREFFIER : Mme LEPAGNEY



COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :



M. GUIGUESSON, Président de chambre,

Mme VELMANS, Conseillère,

M. GANCE, Conseiller,



ARRÊT : rendu publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile le 26 Avril 2022 et signé par M. GUIGUESSON, président, et Mme COLLET, greffier




* * *



EXPOSE DU LITIGE



Monsieur [E] [I] et Madame [N] [R] son épouse ont fait l'acquisition en 1982 d'un terrain situé à Condeau (61) sur lequel ils ont fait construire leur maison d'habitation.



Leur propriété jouxte celle des époux [D].



Se plaignant de troubles de voisinage générés par le développement du centre équestre exploité par ces derniers et leur fils [M], ils les ont assignés devant le tribunal de grande instance d'Alençon afin d'obtenir l'indemnisation de leur préjudice ainsi que leur condamnation sous astreinte à faire cesser les troubles anormaux de voisinage.



Par jugement du 26 mars 2019, le tribunal a déboutés les parties de leurs demandes respectives et condamné les époux [I] à payer aux consorts [D] une somme de 4.000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens avec droit de recouvrement direct au profit de Maître BLANCHET.



Monsieur et Madame [I] ont formé appel de la décision le 25 avril 2019, appel limité au rejet de leurs demandes et à leur condamnation au paiement d'une indemnité au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens.



Aux termes de leurs écritures en date du 2 juillet 2019, Monsieur et Madame [I] soutiennent que la professionnalisation du centre équestre de leurs voisins leur occasionne des troubles anormaux de voisinage tant sonores que visuels créant une dépréciation de leur propriété ainsi qu'une atteinte à leur tranquillité.



Ils concluent à la réformation du jugement entrepris et sollicitent :



- la condamnation solidaire des consorts [D] au paiement d'une somme de 120.000,00 € à titre de dommages-intérêts (sauf à parfaire),



- la condamnation solidaire des consorts [D] sous astreinte de 300 € par jour de retard à compter de la décision à intervenir, à prendre les dispositions nécessaires pour cesser les troubles anormaux de voisinage, la cour se réservant la liquidation de l'astreinte,



- à tout le moins la désignation d'un expert avec mission de mesurer les troubles subis par eux,



En toute hypothèse :



- la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté les consorts [D] de leur demande de dommages-intérêts pour procédure abusive,



- la condamnation solidaire des consorts [D] à leur payer une somme de 7.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens avec droit de recouvrement direct au profit de leur conseil.



Par ordonnance du 23 octobre 2019, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevables comme tardives les conclusions des consorts [D].



Par arrêt du 16 juin 2020, la cour a confirmé cette décision.



L'ordonnance de clôture est intervenue le 19 janvier 2022.






MOTIFS DE LA DÉCISION



Sur l'existence de troubles anormaux de voisinage



Il est constant que le droit par un propriétaire de jouir de sa chose de la manière la plus absolue, sauf usage prohibé par la loi ou les règlements, est limité par l'obligation qu'il a de ne causer à la propriété d'autrui aucun dommage dépassant les inconvénients anormaux de voisinage.



La responsabilité au titre des troubles de voisinage est une responsabilité sans faute.



En l'espèce, si tant les époux [I] que les époux [D] sont propriétaires de chevaux depuis de nombreuses années, il n'est pas contesté que ce n'est que récemment que ces derniers ont commencer à se professionnaliser, en vue de l'installation de leur fils [M] en qualité de gérant des Ecuries de la Mulotière, entraînant une aggravation des troubles de voisinage qui ne présentaient pas auparavant de caractère anormal.



Le critère de l'antériorité ne peut donc leur être opposés, puisque lors de l'achat de leur propriété par les appelants, la situation est toute autre.



Il ne résulte par ailleurs d'aucune pièce, que les époux [I] exerceraient également une activité de centre équestre, ce qu'ils contestent, et alors que le descriptif de leur propriété figurant sur les évaluations immobilières versées aux débats, ne fait état que de quatre boxes, ce qui ne me permet donc pas d'accueillir plus de quatre chevaux et est manifestement insuffisant pour l'exercice d'une telle activité.



Cet argument retenu par le tribunal est donc inopérant.



Les nuisances dont se plaignent les appelants, sont de nature tant visuelle que sonore.



Ils établissent en effet, par la production de photographies (Cf. Pièces N°25, 70, 71), d'attestations (Cf. Pièces N° 9,10, 11, 17, 26, 27) et d'un constat d'huissier en date du 6 octobre 2015 (Cf. Pièce N°12), d'une part que les constructions édifiées par les consorts [D] et tout particulièrement le très grand manège construit en hauteur sur un talus, en limite de propriété, les privent de la vue qu'ils avaient de leur maison et de leur jardin d'agrément sur la vallée de l'Huisne, peu important que l'édification desdites constructions aient été autorisées, et d'autre part, qu'ils subissent des nuisances sonores persistantes et excessives ( souffleur thermique, marcheur électrique, tracteur, camion démarrant au petit jour...) non seulement en journée, mais également en dehors des jours et heures autorisées par arrêté municipal, et ce malgré l'intervention du maire de la commune (Cf Pièces 14, 15).



De telles nuisances en pleine campagne, alors qu'il sont en droit de pouvoir bénéficier du paysage et de la tranquillité inhérente à ce type de lieu, constituent des troubles anormaux de voisinage engageant la responsabilité des consorts [D].



Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a débouté les époux [I] de leur action.



Sur les préjudices



Il est évident au regard des éléments du dossier visés ci-dessus et il résulte des attestations de valeurs immobilières ( Cf. Pièces N°28, 30,29, 30,73, 74, 75) que la propriété a subi une perte de valeur compte tenu de la privation de jouissance de vue et de la perte du calme et de la tranquillité du lieu.



Les consorts [D] seront condamnés in solidum à payer aux époux [I] une somme de 50.000,00 € à titre de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice à ce titre.



Par ailleurs, la demande des appelants tendant à la condamnation des consorts [D] à prendre les dispositions nécessaires pour faire cesser les troubles anormaux de voisinage sous astreinte, n'est pas détaillée.



En tout état de cause, les constructions édifiées l'ayant été légalement, aucune condamnation sous astreinte à faire cesser les nuisances visuelles ne peut être ordonnée.



Il sera par contre enjoint aux intimés de prendre toutes dispositions pour faire cesser les nuisances sonores rappelées ci-dessus dont se plaignent les appelants, en dehors des heures autorisées par arrêté municipal, soit :



- les jours ouvrables avant 8 h 30, entre 12 h 00 et 14 H 00 et après 19 h 30

- les samedis avant 9 h 00, entre 12 h 00 et 15 h 00 et après 19 h00

- les dimanches et jours fériés avant 10 h 00 et après 12 h 00.



ce, sous astreinte de 50 € par infraction constatée, cette astreinte commençant à courir pour une durée deux mois, un mois à compter de la signification de la présente décision.



Il n'y a pas lieu de dire que la cour se réservera la liquidation de l'astreinte.



Sur les frais irrépétibles et les dépens



Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a condamné les époux [I] au paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile aux consorts [D], ainsi qu'aux dépens.



L'équité commande de condamner in solidum les consorts [D] à payer à Monsieur et Madame [I], une somme de 5.000,00 € au titre des frais irrépétibles.



Succombant, les consorts [D] seront condamnés in solidum aux dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Maître GUYOMARD en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.





PAR CES MOTIFS



La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort, mis à disposition au greffe,



INFIRME le jugement du tribunal de grande instance d'Alençon du 26 mars 2019 en ses dispositions soumises à la cour,



Statuant à nouveau et y ajoutant,



CONDAMNE in solidum Monsieur [M] [D], Monsieur [O] [D] et Madame [S] [Z] son épouse à payer à Monsieur [E] [I] et Madame [N] [R] son épouse, une somme de 50.000,00 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi du fait des troubles anormaux de voisinage,



CONDAMNE in solidum Monsieur [M] [D], Monsieur [O] [D] et Madame [S] [Z] son épouse à faire cesser les nuisances sonores (souffleur thermique, marcheur électrique, tracteur, camion démarrant au petit jour...)





en dehors des heures autorisées par arrêté municipal, soit :



- les jours ouvrables avant 8 h 30, entre 12 h 00 et 14 H 00 et après 19 h 30

- les samedis avant 9 h 00, entre 12 h 00 et 15 h 00 et après 19 h00

- les dimanches et jours fériés avant 10 h 00 et après 12 h 00.



ce, sous astreinte de 50 € par infraction constatée, cette astreinte commençant à courir pour une durée deux mois, un mois à compter de la signification de la présente décision, sans que la cour ne se réserve sa liquidation,



CONDAMNE in solidum Monsieur [M] [D], Monsieur [O] [D] et Madame [S] [Z] son épouse à payer à Monsieur [E] [I] et Madame [N] [R] son épouse, une somme de 5.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,



CONDAMNE in solidum Monsieur [M] [D], Monsieur [O] [D] et Madame [S] [Z] son épouse aux dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Maître GUYOMARD en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.



LE GREFFIERLE PRÉSIDENT









M. COLLETG. GUIGUESSON

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