20 avril 2022
Cour d'appel de Paris
RG n° 19/02264

Pôle 6 - Chambre 9

Texte de la décision

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 9



ARRÊT DU 20 AVRIL 2022

(n° , 16 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 19/02264 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B7JSL



Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Novembre 2018 - Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS - RG n° F17/08397





APPELANT



Monsieur [E] [U]

[Adresse 1]

[Localité 2]



Représenté par Me Judith BOUHANA, avocat au barreau de PARIS, toque : C0656







INTIMÉE



SAS CANDRIAM FRANCE

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 4]



Représentée par Me François TEYTAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : J125











COMPOSITION DE LA COUR :



En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 09 Février 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant M. Philippe MICHEL, président, et M. Fabrice MORILLO, conseiller, chargé du rapport.



Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Philippe MICHEL, président de chambre

Mme Valérie BLANCHET, conseillère

M. Fabrice MORILLO, conseiller





Greffier : Mme Pauline BOULIN, lors des débats













ARRÊT :

- contradictoire

- mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile, prorogé à ce jour.

- signé par Monsieur Philippe MICHEL, président et par Madame Pauline BOULIN, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.






RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES



Suivant contrat de travail à durée indéterminée à compter du 23 janvier 2006, M. [U] a été engagé par la société Dexia CLF Banque en qualité de gestionnaire d'actifs (statut cadre), l'intéressé ayant ensuite exercé les fonctions de directeur gestion d'actif au sein du département banque commerciale France à compter du 1er septembre 2009.



Le contrat de travail liant M. [U] et la société Dexia CLF Banque a été transféré à la société Dexia Crédit Local à compter du 1er septembre 2010, et ce selon contrat de travail à durée indéterminée du 8 juillet 2010 et avenant du 5 août 2010, avec reprise d'ancienneté groupe au 23 janvier 2006.



Suivant contrat de travail à durée indéterminée du 15 janvier 2013, M. [U] a été engagé par la société Dexia Asset Management, aux droits de laquelle vient désormais la société Candriam France, en qualité de relationship manager, statut cadre, et ce avec reprise d'ancienneté au sein de la société Dexia Crédit Local à compter du 23 janvier 2006, l'intéressé ayant exercé en dernier lieu les fonctions de head of institutional sales France (directeur commercial France) à compter du 10 juin 2013.



La société Candriam France emploie habituellement au moins 11 salariés et applique la convention collective nationale des sociétés financières du 22 novembre 1968.



Après avoir été convoqué à un entretien préalable suivant courrier recommandé du 25 janvier 2017, M. [U] a été licencié pour insuffisance professionnelle suivant courrier recommandé du 7 février 2017.



Par ordonnance du 11 juillet 2017, le conseil de prud'hommes de Paris, en sa formation de référé présidée par le juge départiteur, a ordonné, sur le fondement des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile, à la société Candriam France de communiquer sous astreinte les contrats de travail, avenants et bulletins de salaire du ler janvier 2016 au 31 mai 2017 d'un certain nombre de salariés de la société ainsi que le détail certifié conforme par le représentant légal de la société de toutes les primes attribuées aux salariés précités pour 2016 et versées en 2017et les années suivantes.



Suivant arrêt du 15 mars 2018, la cour d'appel de Paris a confirmé l'ordonnance déférée et a condamné la société Candriam France à payer à M. [U] la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les dépens.



Suivant arrêt du 11 décembre 2019, la chambre sociale de la Cour de cassation a cassé et annulé, mais seulement en ce qu'il ordonne à la société Candriam France la communication sous astreinte de divers documents et la condamne au paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens, l'arrêt rendu le 15 mars 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remis, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les a renvoyées devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.



Suivant arrêt du 11 février 2021, la cour d'appel de Paris, statuant dans le cadre du renvoi après cassation, a infirmé l'ordonnance du 11 juillet 2017 et, statuant à nouveau, a rejeté l'intégralité des demandes de M. [U] et laissé les dépens de l'instance de référé à sa charge, y ajoutant, a déclaré irrecevable l'appel incident de M. [U] et dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande en restitution des documents présentée par la société Candriam France..



Contestant le bien-fondé de son licenciement et s'estimant insuffisamment rempli de ses droits, M. [U] a saisi la juridiction prud'homale le 12 octobre 2017.



Par jugement du 5 novembre 2018, le conseil de prud'hommes de Paris a :

- condamné la société Candriam France à verser à M. [U] les sommes suivantes :

- 120 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé du jugement,

- 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté M. [U] du surplus de ses demandes,

- débouté la société Candriam France de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile et l'a condamnée au paiement des entiers dépens.



Par déclaration du 29 janvier 2019, M. [U] a interjeté appel du jugement notifié le 18 janvier 2019.



Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 28 décembre 2021, M. [U] demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a :

- jugé son licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

- alloué en son principe des dommages-intérêts avec intérêt au taux légal à compter du jour du prononcé du jugement,

- alloué en son principe une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la société Candriam France de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné celle-ci au paiement des entiers dépens,

- débouter la société Candriam France des fins de son appel incident et de ses demandes,

- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Candriam France à lui payer les sommes de 120 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse avec intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé du jugement et 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et en ce qu'il l'a débouté du surplus de ses demandes, et, statuant de nouveau,

- juger qu'il est victime d'une inégalité salariale en matière de prime, subsidiairement, le déclarer bien fondé en ses demandes d'inégalité salariale et y faire droit intégralement,

- condamner la société Candriam France au paiement des sommes suivantes :

- 446 666 euros brut à titre de rappel de salaire sur prime pour l'exercice 2016,

- 44 666 euros brut à titre de congés payés y afférents,

- fixer son salaire mensuel moyen à la somme de 56 984,87 euros,

- fixer le rappel de salaire aux sommes suivantes :

- 222 218,83 euros à titre de rappel d'indemnité conventionnelle de licenciement (article 4 de la convention collective nationale des sociétés financières),

- 138 832,08 euros à titre de rappel d'indemnité compensatrice de préavis,

- 13 883,20 euros à titre de rappel de congés payés afférents au rappel d'indemnité compensatrice de préavis,

- condamner la société Candriam France au paiement des sommes suivantes :

- 683 818,44 euros, somme équivalente à 12 mois de salaire, sur le fondement de l'article L.1235-3 du code du travail,

- 14 640,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- fixer l'intérêt au taux légal pour les créances indemnitaires à compter de la convocation en conciliation et pour les créances salariales à compter du jour de la demande,

- ordonner la capitalisation des intérêts sur le fondement de l'article 1343-2 du code civil,

- ordonner la remise du solde de tout compte, certificat de travail, bulletin de salaire et attestation employeur destinée à Pôle Emploi rectifiés suivant les termes de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard et par document, à compter de la notification de la signification de l'arrêt à intervenir, la cour se déclarant compétente pour liquider l'astreinte,

- débouter la société Candriam France en toutes ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la société Candriam France aux entiers dépens,

- dire que les dépens d'appel pourront être directement recouvrés par Selarl JBOUHANA AVOCAT, représentée par Maître Bouhana, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.



Dans ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 3 janvier 2022, la société Candriam France demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [U] du surplus de ses demandes,

- infirmer le jugement en ce qu'il a jugé le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et l'a condamnée au paiement de 120 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé du jugement et de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que les dépens et en ce qu'il l'a déboutée de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

et, statuant à nouveau,

- juger fondé sur une cause réelle et sérieuse le licenciement,

- juger, en toute hypothèse, que M. [U] ne peut prétendre à un bonus au titre de l'année 2016, n'ayant à tout le moins pas donné satisfaction et juger qu'il n'est pas fondé à invoquer une inégalité salariale en matière de bonus et pas davantage à invoquer les arrêts du 12 juin 2013 et l'arrêt de la présente cour d'appel du 11 février 2021 sachant qu'il a été parfaitement déféré aux sommations,

- débouter M. [U] de l'intégralité de ses demandes,

- condamner M. [U] à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



À titre subsidiaire, elle demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a limité l'indemnisation de M. [U] au titre des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 120 000 euros et en ce qu'il a débouté ce dernier du surplus de ses demandes,

- débouter en tout état de cause M. [U] de sa demande de voir fixer un salaire mensuel moyen de 56 984,87 euros,

- juger que le salaire brut moyen sur les douze derniers mois de la notification de son licenciement est de 19 019,78 euros.



À titre plus subsidiaire, elle demande à la cour de :

- limiter le bonus qui pourrait être alloué pour 2016 à la moyenne des bonus perçus par les salariés de même coefficient 700, soit au montant maximum de 74 266,67 euros, ou, au maximum, au montant perçu au titre du bonus pour 2015, soit au montant maximum de 99 500 euros,

- exclure de l'assiette de calcul de l'indemnité conventionnelle de licenciement comme de l'indemnité compensatrice de préavis un quelconque bonus au titre de l'année 2016 et débouter M. [U] de ses demandes de rappel d'indemnité conventionnelle de licenciement comme de rappel d'indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents au rappel d'indemnité compensatrice de préavis.



À titre infiniment subsidiaire, elle demande à la cour de :

- limiter l'indemnisation au titre d'éventuels dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au montant du préjudice réel subi par l'appelant, lequel ne saurait excéder la somme de 9 778,65 euros par mois de chômage,

- exclure le bonus perçu au titre de l'année 2015 de l'assiette de calcul du salaire de référence pour le calcul des indemnités de rupture dans le cas où un bonus au titre de l'année 2016 y serait réintégré.



En toute hypothèse, elle demande à la cour de :

- dire que les éventuelles indemnités allouées emporteront intérêts au taux légal à compter du jour du prononcé de l'arrêt d'appel à intervenir ou en cas de confirmation du jugement à compter de la notification du jugement et concernant un éventuel rappel de bonus au titre de l'exercice 2016, de la date de réception de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes,

- débouter M. [U] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ou à tout le moins la ramener à de plus justes proportions,

- débouter M. [U] de sa demande d'astreinte concernant la remise d'éventuels documents,

- laisser les éventuels dépens à la charge de M. [U].



A titre encore plus subsidiaire sur la demande subsidiaire de M. [U] d'ordonner la communication des pièces ayant fait l'objet de restitution en exécution de l'arrêt du 11 février 2021, elle demande à la cour de juger qu'elle a déféré à la sommation de communiquer, qu'en tout état de cause cette sommation n'est pas légitime eu égard aux motifs du licenciement légitimant l'absence de bonus sur l'exercice 2016, que la communication non anonymisée était légitime et conforme à ses intérêts dès lors que les fonctions et les responsabilités des salariés cités sont parfaitement distinctes et qu'elle est parfaitement légitime à vouloir en justifier et, dans l'hypothèse de nouvelles écritures ou communications de M. [U], ordonner la réouverture des débats, et le débouter en tout état de cause de l'intégralité de ses demandes.



La clôture de l'instruction est intervenue le 4 janvier 2022 et l'affaire a été fixée à l'audience du 9 février 2022.






MOTIFS





Sur l'égalité de traitement



Soulignant que le principe d'égalité de traitement s'applique à la prime discrétionnaire, l'appelant fait valoir que des objectifs lui ont été régulièrement fixés dans ses entretiens d'évaluation chaque année jusqu'en 2016, qu'à l'exception de l'année 2013, des primes d'objectif lui ont été versées chaque année de 2007 à 2016, que pour la première fois en 2017, il n'a perçu aucune prime d'objectif et n'a bénéficié d'aucun entretien annuel d'évaluation fixant sa prime d'objectif alors qu'il justifie avoir dépassé tous les objectifs qui lui ont été fixés en 2016 et que les résultats obtenus par lui-même et son équipe sont extrêmement positifs pour la société. Il précise que les cadres de la société, les vendeurs de son équipe et même les assistantes ont tous perçu des primes pour 2016 et qu'il est donc le seul salarié cadre de la société à n'avoir perçu aucun bonus en 2017 sur les objectifs de l'année 2016. Il indique que la comparaison avec ses collègues cadres dirigeants (MM. [H], [K] et [R]) est bien fondée et justifie l'inégalité salariale invoquée, en ce qu'il démontre être dans une situation équivalente à celles de ces trois cadres même si les fonctions exercées sont différentes, l'intimée s'abstenant pour sa part de caractériser une raison objective et pertinente venant justifier les inégalités salariales subies. Subsidiairement, vu l'arrêt du 11 février 2021 de la cour d'appel de renvoi après cassation saisie par la société intimée infirmant l'ordonnance rendue le 11 juillet 2017, il conclut à application de la jurisprudence dite « KODAK » résultant de l'arrêt de la Cour de cassation du 12 juin 2013.



L'intimée conclut en réplique à l'absence d'inégalité de traitement en ce qu'il est possible de prévoir un bonus discrétionnaire dont le versement et le montant sont laissés à la libre appréciation de l'employeur et elle précise que le bonus prévu au contrat de travail avait un caractère discrétionnaire, qu'il n'était pas fonction d'objectifs (collectifs ou individuels) mais de la performance individuelle du salarié et que ce dernier n'a pas atteint, dans plusieurs domaines, les divers objectifs qui lui étaient fixés pour 2016, l'appelant ne pouvant en tout état de cause se prévaloir de l'atteinte d'objectifs pour la plupart collectifs alors que l'attribution de son bonus était expressément conditionnée par sa seule performance individuelle. Elle affirme par ailleurs que toute comparaison est impossible entre les compétences, fonctions et responsabilités respectives de l'appelant et des trois salariés retenus par l'intéressé, en précisant que ce dernier n'a jamais été un cadre dirigeant de la société, qu'il n'a en rien des responsabilités dans le fonctionnement de l'entreprise comparables à celles de MM. [H], [K] et [R] (il n'a pas les mêmes responsabilités que celles d'un gérant d'actifs, ses fonctions ne comportent aucune responsabilité internationale ni aucune responsabilité groupe, la certification de l'AMF détenue par de nombreux collaborateurs n'était pas exigée de l'intéressé, de même qu'il n'a pas de responsabilité personnelle concernant TRACFIN, MIF1 et les outils informatiques), que les fonctions de directeur commercial France et celles des trois gérants précités n'engendrent aucunement une charge nerveuse du même ordre, que l'appelant ne relevait pas d'un même niveau hiérarchique que ces derniers, qu'il n'exerçait pas des travaux exigeant un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle et qu'il ne peut justifier de capacités comparables découlant de l'expérience acquise. Subsidiairement, elle indique que si les fonctions susvisées devaient être jugées comme comparables, il ne pourrait alors qu'être constaté que des différences de bonus sont justifiées compte tenu notamment de leur périmètre de responsabilités très différents, de la technicité particulière des fonctions de gérant d'actifs et de l'expérience professionnelle respective des salariés dans leurs fonctions. Plus subsidiairement, elle précise que si la cour devait considérer que l'appelant ne pouvait pas avoir été privé de bonus en 2016, elle ne pourrait qu'attribuer un niveau de bonus correspondant nécessairement à la moyenne des bonus attribués aux salariés de même coefficient 700 et qu'elle devrait en conséquence immanquablement limiter ce montant à la somme de 74 266,67 euros. À titre infiniment subsidiaire, elle souligne que si l'appelant est reconnu fondé à demander un rappel de bonus au titre de l'année 2016, le montant alloué à ce titre ne pourra excéder le montant du bonus qui lui a été attribué en février 2016 au titre de l'année 2015, soit 99 500 euros. Elle souligne enfin que l'appelant ne peut demander à la cour de tirer toute conséquence du refus de l'intimée de communiquer les pièces demandées par itératives sommations ainsi que de l'abstention ou du refus de la société de déférer à la décision de la cour qui ordonnerait la production de ces pièces alors qu'il avait eu toutes ces pièces entre les mains, qu'elles étaient dans le débat jusqu'en juin 2021 puisqu'il ne les avait pas restituées et qu'elle les lui avait en toute hypothèse à nouveau communiquées sans pour autant estimer légitime cette sommation et cette communication.



En application du principe d'égalité de traitement, l'employeur est tenu d'assurer l'égalité de rémunération entre tous les salariés pour autant que les salariés en cause sont placés dans une situation identique, et il lui appartient, le cas échéant, de démontrer qu'il existe des raisons objectives à la différence de rémunération entre des salariés effectuant un même travail ou un travail de valeur égale dont il revient au juge de contrôler la réalité et la pertinence, étant rappelé que c'est à celui qui invoque une atteinte au principe d'égalité de traitement de démontrer qu'il se trouve dans une situation identique ou similaire à ceux auxquels il se compare en établissant qu'il exerçait des fonctions identiques ou similaires à celles des salariés concernés.



Il sera rappelé que s'agissant du caractère discrétionnaire de la prime ou du bonus, l'employeur ne peut opposer son pouvoir discrétionnaire pour se soustraire à son obligation de justifier de façon objective et pertinente, une différence de rémunération, le caractère discrétionnaire d'une rémunération ne permettant pas à un employeur de traiter différemment des salariés placés dans une situation comparable au regard de l'avantage considéré.



Le contrat de travail conclu par les parties le 15 janvier 2013 contient un article 3 ainsi rédigé : « [...] La société peut par ailleurs décider d'attribuer à Monsieur [E] [U], de manière exceptionnelle et discrétionnaire, un bonus d'un montant variable pour tenir compte de ses performances individuelles, sans que ce bonus ne soit en aucune façon garanti.

Monsieur [E] [U] reconnaît expressément et accepte que ce bonus a un caractère purement discrétionnaire.

Si Monsieur [E] [U] venait à quitter la société pour quelque motif que ce soit avant la date de paiement dudit bonus, il ne pourra en aucun cas prétendre à en bénéficier.»



Au vu des différents bulletins de paie produits par l'appelant, il apparaît que l'intéressé a perçu:

- un « bonus » de 30 000 euros en mars 2014,

- un « bonus » de 55 000 euros en mars 2015,

- un « bonus » de 99 500 euros en février 2016.



Par ailleurs, il résulte des entretiens annuels d'évaluation (performance development process) versés aux débats que :

- s'agissant de l'année 2013, l'appelant a été évalué le 24 mars 2014 et a atteint 2 objectifs fixés à 100%, le 3ème à 70%, un 4ème étant non atteint compte tenu de circonstances particulières, son score global de performance étant B (répond aux attentes), le commentaire de l'évaluateur étant le suivant : « [E] a commencé sa nouvelle mission avec une grande confiance et est parvenu à stabiliser et inspirer son équipe afin d'être bien placé pour la reconstruction du business français en 2014 après le closing et le rebranding de Dexia AM. Cette année sera décisive pour le succès à long terme de son leadership pour nos efforts commerciaux en France »,

- s'agissant de l'année 2014, l'appelant a été évalué le 27 janvier 2015 (1 objectif dépassé, 2 objectifs atteints et 1 objectif légèrement en dessous de l'objectif), son score global de performance étant A (dépasse les attentes), le commentaire de l'évaluateur étant le suivant : « L'année 2014 a été marquée par une belle contribution de l'équipe française aux résultats de vente de Candriam. [E] a très bien mené son team vers une approche plus dynamique et de forte visibilité vis-à-vis de la place financière. Sans compter les sorties en produits monétaires et compte tenu de l'augmentation de revenus cette année a été très satisfaisante »,

- s'agissant de l'année 2015, l'appelant a été évalué le 20 janvier 2016 (évalué B « répond à l'objectif » en termes de réalisation des objectifs), son score global de performance étant B (répond aux attentes), le commentaire de l'évaluateur étant le suivant : « 2015 a été une année dans laquelle l'équipe a bien presté, même si l'objectif n'a pas été atteint. [E] a bien coordonné les efforts de son équipe et préparé une petite réallocation de la clientèle qui était nécessaire pour exprimer en 2016 le vrai potentiel du marché français. En 2016, je m'attends encore plus de leadership vers l'intérieur et l'extérieur de l'entreprise avec le but d'atteindre nos objectifs, en particulier dans la distribution, et de faire encore monter notre visibilité sur le marché. J'attire l'attention de [E] et son équipe sur la remontée des informations vers le haut afin d'avoir une approche coordonnée et efficace »,

- s'agissant de l'année 2016, le salarié n'a pas fait l'objet d'un entretien annuel d'évaluation et n'a perçu aucun bonus, étant observé que les objectifs fixés lors de l'entretien du 20 janvier 2016 étaient les suivants :

- 500 millions d'euros de net new cash (nnc), poids 60 %,

- 100 visites par sales par an ([E] inclus), poids 10 %,

- 15 nouveaux clients avec encours sur les 12 mois, poids 10 %,

- 5 délégués au IPE Awards, 40 délégués à l'Investor Seminar, organisation des évènements locaux (par exemple SRI, Macro, Fund Présentations), poids 10 %,

- lancer le projet CGPI comme présenté au Comex, poids 10 %,

lesdits objectifs ayant été atteints selon les modalités suivantes ainsi que cela résulte des différentes pièces justificatives y afférentes :

- 1,549 milliards d'euros de net new cash sur l'année 2016, étant observé que le fait que l'une des vendeuses de l'équipe ait été la principale contributrice est sans incidence dans ce cadre s'agissant d'une attente globale pour l'équipe,

- 610 visites réalisées par l'appelant et son équipe dont 131 par l'appelant à titre individuel (monthly activity report - CRD France - 31/12/2016 et listing des rendez-vous auxquels l'appelant a participé), l'intimée, qui conteste ce chiffrage, ne justifiant pas suffisamment de son caractère erroné ou inexact au vu d'un simple mail et d'une attestation rédigés par l'assistante de l'équipe près d'une année après la date du licenciement,

- 75 nouveaux clients avec encours sur les 12 mois (site option finance), l'intimée, qui conteste ce chiffrage, ne justifiant à nouveau pas suffisamment de son caractère erroné ou inexact au vu des seuls éléments produits en réplique (mail de l'assistante de l'équipe rédigé près d'une année après le licenciement et non corroboré par d'autres éléments),

- 8 IPE et 55 Investor Seminar outre organisation d'événements locaux au cours de l'année 2016 (petit-déjeuner perspectives économiques et financières, déjeuner-conférence clients, soirée clients et roadshow), l'intimée, qui conteste ce chiffrage et les éléments produits par l'appelant, ne justifiant pas de leur caractère erroné ou inexact au vu des seuls éléments produits en réplique,

- rapport projet CGPI (conseillers en gestion de patrimoine indépendants) selon memo du 30 octobre 2016 adressé à la hiérarchie par un membre de l'équipe de l'appelantdes différents membres de son équipe au cours du mois de janvier 2017.



Il sera également observé que les différents salariés membres de l'équipe de l'appelant ont tous bénéficié d'un bonus au titre de l'année 2016 perçu en 2017 :

- Mme [N], vendeuse : 380 000 euros,

- Mme [M], vendeuse : 25 000 euros,

- M. [X], vendeur : 35 000 euros,

- M. [V], vendeur : 51 000 euros,

- Mme [D], vendeuse : 25 000 euros,

- Mme [C], assistante : 5 000 euros,

- Mme [Y], assistante : 6 000 euros,

ce qui est à tout le moins de nature à permettre de retenir que les résultats et objectifs attendus de l'équipe ont été atteints au titre de l'année 2016 et que l'équipe commerciale dirigée par l'appelant a fonctionné de manière satisfaisante, l'absence de tout entretien d'évaluation 2016 pour l'appelant ne permettant en toute hypothèse pas de lui imputer les carences de management alléguées à son encontre.



Au vu des différents éléments justificatifs versés aux débats par l'appelant concernant les trois autres cadres également directeurs d'équipe avec lesquels il se compare (MM. [H], [K] et [R]) et ce s'agissant des fonctions/titres, périmètres d'intervention, niveaux de rémunération, descriptifs des responsabilités permanentes, éventuelles attributions annexes, niveau des encours et actifs gérés, taille des équipes encadrées, ancienneté au sein de la société ou du groupe Dexia, diplômes et certifications obtenus ainsi qu'expérience professionnelle acquise antérieurement, la cour relève que l'intéressé établit qu'ils possédaient un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, qu'ils bénéficiaient d'un niveau hiérarchique comparable, qu'ils avaient des responsabilités d'importance comparable dans le fonctionnement de l'entreprise et qu'ils exerçaient des fonctions engendrant une charge nerveuse du même ordre, l'appelant apparaissant ainsi avoir effectué un travail de valeur égale à ceux des autres salariés concernés. Il sera observé de ce chef que le fait que l'appelant soit le seul à avoir la qualité de directeur commercial France alors que les trois autres cadres avaient des fonctions de gérants d'actifs ou que ces derniers aient été en charge de la gestion financière des portefeuilles pour le compte des clients, sont en eux-mêmes inopérants pour dénier l'existence d'un travail de valeur égale, et ce alors que, comme justement souligné par l'appelant, la société ne bénéficie de fonds confiés à la gestion d'actifs que s'il a lui-même préalablement accompli avec succès ses fonctions de commercialisation, étant de surcroît rappelé que l'appelant avait antérieurement eu des responsabilités de gestionnaire d'actifs puis de directeur gestion d'actif lors de ses précédentes fonctions au sein du groupe Dexia. De même, il sera relevé que les affirmations péremptoires de la société intimée, selon lesquelles les fonctions de directeur commercial France et celles de gérant n'engendrent aucunement une charge nerveuse du même ordre notamment en ce que les prises de risque respectives et les stratégies élaborées ne seraient nullement comparables, ne sont pas corroborées par des pièces versées aux débats, la société ne pouvant sérieusement remettre en cause la charge nerveuse engendrée par le montant total des actifs sous la responsabilité de l'appelant. Enfin, il sera constaté que la société intimée ne peut valablement contester le fait que les fonctions de l'intéressé comprenaient également une dimension de représentation et de promotion de l'entreprise , et ce parfois au niveau international, ainsi que cela résulte des propres déclarations de l'employeur dans le cadre de la lettre de licenciement du 7 février 2017.



Cependant, en application de l'article L. 3111-2 du code du travail dont il résulte que sont considérés comme ayant la qualité de cadre dirigeant les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l'importance implique une grande indépendance dans l'organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement, ainsi que de l'article 4.1 de l'accord collectif d'entreprise sur l'aménagement du temps de travail du 22 janvier 2010 dont il résulte que remplissent effectivement les conditions pour justifier leur inclusion dans la catégorie des cadres dirigeants, les cadres de la direction générale, classés au coefficient 900, la cour relevant que parmi les 3 salariés précités, seul M. [H], membre votant du comité crédit risque du groupe Candriam, directeur général délégué et mandataire social de la société inscrit au Kbis, bénéficiant par ailleurs d'une classification de 900 ainsi que cela ressort des pièces justificatives produites par l'intimée, pouvait effectivement se voir reconnaître la qualité de cadre dirigeant au sens des différentes dispositions précitées, et ce contrairement à l'appelant (coefficient 700), à M. [K] (700) ainsi qu'à M. [R] (625), il apparaît que l'employeur justifie dès lors qu'il existait des raisons objectives réelles et pertinentes à la différence de rémunération entre l'appelant et M. [H].



S'agissant des deux autres cadres concernés (MM. [K] et [R]), au vu de l'ensemble des développements précédents, la cour ne pouvant que relever que l'intimée ne démontre pas, compte tenu des seuls éléments versés aux débats et mises à part ses propres affirmations se limitant notamment à reprendre les mêmes arguments déjà développés pour contester la possibilité pour l'appelant de se comparer avec lesdits salariés, qu'il existait des éléments objectifs pertinents de nature à justifier de la différence entre des salariés exerçant des fonctions similaires s'agissant de l'absence de versement de tout bonus au titre de l'année 2016 pour l'appelant, et ce alors qu'il résulte par ailleurs des éléments susvisés que le niveau et la qualité de ses performances individuelles ne peuvent être remises en question, il apparaît que l'employeur a dès lors méconnu le principe d'égalité de traitement.



Par conséquent, sur la base des éléments chiffrés produits par les parties permettant de retenir un bonus moyen de 275 000 euros (compte tenu des sommes respectivement perçues par MM. [K] et [R] à titre de bonus pour l'année 2016, soit 50 000 euros et 500 000 euros), la cour accorde à l'appelant, par infirmation du jugement, un rappel de bonus 2016 d'un montant de 275 000 euros outre 27 500 euros au titre des congés payés y afférents.







Sur la rupture du contrat de travail



L'appelant indique avoir régulièrement évolué dans ses fonctions et sa rémunération à la pleine satisfaction de son employeur et souligne l'absence de toute graduation de critiques de l'employeur jusqu'au licenciement pour insuffisance professionnelle alors que ses entretiens annuels d'évaluation des 3 dernières années étaient très satisfaisants, son licenciement étant intervenu en plein succès commercial dont tous les cadres dirigeants ont été récompensés à sa seule exception. S'agissant du motif de licenciement lié à la gestion commerciale, il précise n'avoir reçu aucune alerte ni écrite ni orale de la part de ses supérieurs hiérarchiques, mais au contraire des félicitations et encouragements ainsi qu'en attestent ses entretiens annuels, que les excellents résultats obtenus ont abouti au référencement de la société sur la plateforme bancaire Fortuneo « sélection stars », que le net new cash obtenu pour lui-même et son équipe était de 1,549 milliards d'euros, qu'il justifie de sa présence active auprès des clients les plus importants ainsi que de ses interventions au cours de présentations orales fructueuses et que les différentes pièces justificatives versées aux débats permettent de démontrer l'incongruité des critiques caricaturales de l'employeur dans la lettre de licenciement. Sur sa communication en anglais, il indique que la société intimée ne justifie pas avoir été alertée d'une difficulté le concernant à communiquer en anglais avant son licenciement. Il souligne avoir pratiqué un excellent management à l'égard de son équipe, aucune critique n'ayant été élevée par la société jusqu'à la procédure de licenciement, l'intéressé indiquant avoir motivé et encouragé son équipe, avoir eu une vision stratégique et avoir partagé ses réussites avec ses collaborateurs, lesquels ont pu participer aux événements clientèles. Il affirme enfin avoir suivi de nombreuses formations.



L'intimée réplique que l'insuffisance professionnelle caractérisée de l'appelant est largement démontrée dans de nombreux domaines essentiels : insuffisance de visite clients, de prospection, de suivi sur le terrain, de conseils et d'aides aux commerciaux, ajoutés à la non-réalisation des objectifs autant personnels que collectifs, ainsi que la perte non négligeable de clientèle avec au surplus une non maîtrise de l'anglais. Elle précise qu'il avait de nombreuses lacunes en matière de gestion de la relation client, le référencement sur la plateforme Fortunéo « sélection stars » n'étant en rien liée à ses prétendus excellents résultats, l'intéressé tentant de donner à sa présence lors de présentations à des clients une importance qu'elle n'a pas. Elle relève l'absence de nouvelles affaires apportées par l'appelant ainsi qu'une absence de suivi des clients existants. Elle soutient qu'il avait un niveau d'anglais insatisfaisant en dépit de la formation individuelle que la société lui a permis de suivre durant 4 ans et qu'il présentait de grandes carences managériales, l'intéressé n'ayant pas su encadrer et motiver son équipe, n'ayant pas eu de vision stratégique et ayant à plusieurs reprises tenté de s'attribuer les réussites de ses collaborateurs. Elle indique enfin que l'intéressé était en échec sur les principales missions liées à son poste.



Aux termes de l'article L. 1235-1 du code du travail, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instructions qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.



Si l'insuffisance professionnelle peut constituer une cause légitime de licenciement, l'incompétence alléguée doit cependant reposer sur des éléments concrets et ne peut être fondée sur une appréciation purement subjective de l'employeur, étant rappelé qu'il suffit à l'employeur d'invoquer le grief d'insuffisance professionnelle, motif matériellement vérifiable, pour que la lettre soit dûment motivée, l'insuffisance de résultats pouvant constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement lorsque le fait de ne pas avoir atteint les objectifs résulte d'une insuffisance professionnelle, lesdits objectifs devant présenter un caractère réaliste et correspondre à des normes sérieuses et raisonnables.



La lettre de licenciement est rédigée de la manière suivante :



« En dépit de l'assistance qui vous a été fournie et des multiples alertes de vos supérieurs hiérarchiques, nous constatons que vous faites preuve de multiples lacunes et insuffisances dans la réalisation de vos missions tant en ce qui concerne la partie commerciale que dans le management de votre équipe.



S'agissant tout d'abord de l'aspect commercial de vos fonctions, vous faites preuve de graves maladresses dans la gestion de la relation avec les clients, ce qui conduit à des tensions et des crispations particulièrement préjudiciables au développement de la clientèle.



A cet égard, nous constatons que la situation ne s'est pas améliorée sur les derniers mois et que vous ne faites toujours preuve d'aucun relationnel vis-à-vis des clients.



C'est ainsi que des clients, irrités par votre attitude, s'en sont plaints et ont décrit votre attitude en tenant des propos particulièrement forts à votre égard.



De même, lors des grands événements commerciaux, à l'occasion desquels vous êtes censé représenter et promouvoir la société CANDRIAM FRANCE, vous ne faites preuve d'aucune aisance relationnelle.



A titre d'exemple, à l'occasion d'une conférence au sommet organisée avec nos principaux clients, qui s'est tenue à Berlin en décembre 2016, vous n'avez pas prononcé un seul mot à l'attention des clients qui se trouvaient à vos côtés à table lors du déjeuner.



Cette attitude a particulièrement choqué l'ensemble de vos collaborateurs.



Elle a d'ailleurs été très nuisible à l'image de l'entreprise dans la mesure où les clients présents lors de ce sommet étaient de hauts responsables de sociétés importantes.



Outre ces lacunes dans la gestion de la relation client, nous constatons par ailleurs que vous n'avez pas apporté de nouvelles affaires alors même que le développement commercial est l'essence même de votre poste, contrairement à vos homologues en Belgique et en Italie.



En outre, votre niveau en anglais constitue un handicap pour le niveau de votre fonction, en dépit d'une formation individuelle de 3 ans comportant des cours réguliers.

Rappelons en effet que notre entreprise est filiale d'un groupe américain et que l'anglais est la langue la plus utilisée dans le milieu financier.



S'agissant ensuite du management de votre équipe, nous déplorons également de graves lacunes.



En effet, notamment, les membres de votre équipe ont le sentiment de ne pas avoir réellement de responsable qui les encadre et les motive, ce qui conduit à un manque de motivation qu'il vous appartient pourtant d'insuffler à vos collaborateurs.



La perte croissante de motivation qui en résulte au sein de votre équipe est d'autant plus préoccupante que votre équipe se compose de commerciaux de haut niveau qui interviennent dans un contexte très concurrentiel.



Par ailleurs, certains commerciaux de votre équipe nous ont fait part du fait qu'ils ne se sentaient pas à l'aise lorsque vous étiez en rendez-vous clients avec eux. Ceci étant nuisible au bon fonctionnement de votre équipe et au développement commercial de notre société.



Au quotidien, votre management se cantonne à un contrôle des tâches effectuées alors même que les commerciaux que vous êtes censé manager sont autonomes et auraient davantage besoin d'un responsable qui leur donne une vision stratégique commune de la clientèle couverte.



A cet égard, nous relevons que vous n'avez pas su en trois ans, et en dépit de toute l'aide que nous vous avons apportée, réorganiser suffisamment votre service lequel nécessitait pourtant une nouvelle répartition des secteurs couverts par chacun des commerciaux.



Nous déplorons également votre manque persistant d'encouragement à l'égard des membres de votre équipe, voire même des actes de démotivation.



A titre d'illustration, vous avez tenu des propos particulièrement négatifs à une salariée qui venait d'être promue sur la base du mérite par votre hiérarchie.



De même, plus généralement, vous ne vous réjouissez jamais des succès obtenus par vos collaborateurs et vous êtes allés jusqu'à vous attribuer les réussites de ces derniers.



C'est ainsi qu'en décembre 2016 vous vous êtes attribué la réussite d'un succès résultant du travail d'une équipe de 40 collaborateurs menée par le Directeur des Ventes Europe alors que vous n'y aviez participé à aucun moment.



De même, vous interdisez aux commerciaux de votre équipe de participer aux « évènements clientèle » auquel vous vous rendez seul, dans l'unique but de ne pas avoir de « concurrence » de leur part.

Pourtant vous n'êtes pas sans savoir que de tels évènements ont pour objet d'accroître le portefeuille de clients et qu'il est essentiel tant pour la motivation de vos collaborateurs que pour le développement de notre entreprise que les commerciaux que vous êtes censé manager y assistent, ce d'autant plus qu'en trois ans, vous n'avez pas apporté de nouveaux clients.



Ainsi, au regard de ces éléments, nous déplorons notamment votre manque d'aptitudes,

d'implication, de motivation au poste que vous occupez et vos lacunes dans la prise de vos responsabilités, la tenue de votre rôle de manager, et plus généralement votre incapacité à évoluer favorablement en dépit des moyens mis en 'uvre par l'entreprise pour vous aider et en dépit du temps que nous vous avons laissé pour progresser. [...]»



En l'espèce, au vu des pièces versées aux débats par les parties et de la lettre de licenciement précitée faisant état, de manière générale et partiellement imprécise, de l'existence de différentes lacunes et insuffisances dans la réalisation des missions du salarié tant en ce qui concerne la partie commerciale de ses fonctions que le management de son équipe, il sera tout d'abord constaté que lesdits griefs ne reposent pas sur des éléments concrets et vérifiables mais au contraire sur une appréciation subjective de l'employeur, et ce alors qu'il apparaît que l'appelant avait fait l'objet d'évaluations pour le moins solides et élogieuses au titre des années 2013, 2014 et 2015 ainsi que cela résulte des développements précédents concernant l'inégalité de traitement, l'intéressé s'étant en outre vu octroyer par son employeur un bonus de 30 000 euros au titre de l'année 2013, un bonus de 55 000 euros au titre de l'année 2014 et un bonus de 99 500 euros au titre de l'année 2015, lesdites évaluations étant ainsi rédigées en des termes contredisant directement les manquements allégués dans la lettre de licenciement (« [E] a commencé sa nouvelle mission avec une grande confiance et est parvenu à stabiliser et inspirer son équipe » (année 2013), « [E] a très bien mené son team vers une approche plus dynamique et de forte visibilité vis-à-vis de la place financière » (année 2014), « 2015 a été une année dans laquelle l'équipe a bien presté, même si l'objectif n'a pas été atteint. [E] a bien coordonné les efforts de son équipe et préparé une petite réallocation de la clientèle qui était nécessaire pour exprimer en 2016 le vrai potentiel du marché français » (année 2015), le montant et la progression des bonus accordés au titre des années 2013, 2014 et 2015 étant de même peu compatibles avec les multiples dysfonctionnements allégués par l'employeur.



Il convient par ailleurs de relever que l'appelant, qui n'avait fait l'objet d'aucun entretien annuel d'évaluation au titre de l'année 2016 de nature à permettre éventuellement à l'employeur de faire état de certains manquements ou carences de l'intéressé dans l'exercice de ses fonctions, a, de manière pour le moins soudaine et inattendue, été convoqué suivant courrier recommandé du 25 janvier 2017 à un entretien préalable fixé au 3 février 2017, entretien au cours duquel l'appréciation portée sur le travail fourni est subitement devenue extrêmement et totalement négative avec des qualificatifs très sévères appliqués à son activité ne correspondant pas aux évaluations précédentes ainsi qu'à son parcours professionnel antérieur au sein du groupe Dexia, l'employeur découvrant ainsi tout à coup, ainsi que cela résulte du compte-rendu d'entretien préalable, que le salarié a un relationnel faible, qu'il a des compétences techniques mais que cela n'est pas suffisant, qu'il n'est pas parvenu à s'adapter et à accompagner son équipe dont les membres ne sont pas épanouis et se sentent étouffés, que son profil ne correspond pas à la fonction et qu'il manque de vision stratégique, et ce alors qu'il ressort des développements précédents que l'appelant et son équipe ont réalisé une excellente année 2016 en termes de résultats commerciaux et financiers, que les objectifs fixés à l'appelant dans le cadre de l'entretien d'évaluation du 20 janvier 2016 ont été atteints (en ce compris les objectifs afférents au nombre de visites réalisées et aux nouveaux clients avec encours) et que les différents membres de son équipe ont tous perçu une prime au titre de leur activité 2016, la liste de carences du salarié dans l'exercice de ses missions ainsi égrenée lors de l'entretien préalable apparaissant avoir été établie dans la seule perspective de la procédure de licenciement. Il sera de surcroît observé que l'appelant, qui bénéficiait d'une ancienneté de plus de 10 ans au sein du groupe Dexia, ne s'est ainsi jamais vu reprocher une quelconque difficulté quant à la qualité de sa prestation de travail et n'a fait l'objet d'aucun courrier de mise en garde ou de rappel à l'ordre concernant d'éventuelles difficultés relevées dans l'exercice de ses fonctions, en ce compris son niveau de maîtrise de l'anglais, avant l'engagement de la procédure de licenciement le 25 janvier 2017.



La cour ne peut en toute hypothèse que relever que la société intimée s'abstient de produire dans le cadre du présent litige des éléments de nature à justifier, d'une part, de l'existence de manquements personnellement imputables au salarié ayant effectivement perturbé le bon fonctionnement de l'entreprise et, d'autre part, du fait que l'intéressé a pu bénéficier, au cours de la période litigieuse, d'un temps suffisant ainsi que des moyens et éventuelles actions de formation nécessaires pour s'adapter pleinement à ses fonctions et redresser éventuellement la situation, l'employeur se limitant principalement de ces chefs à procéder par voie de simples affirmations péremptoires concernant les différents manquements allégués à l'encontre du salarié, étant observé que la seule attestation établie plus de 4 ans après les faits par son ancien supérieur hiérarchique (M. [G]), qui avait lui-même procédé aux évaluations au titre des années 2014 et 2015 contredisant directement les termes de la lettre de licenciement ainsi que cela a déjà été indiqué, apparaît pour le moins dépourvue de force probante suffisante et est en tout état de cause manifestement inopérante dans ce cadre.



Par conséquent, au vu de l'ensemble de ces éléments, la cour confirme le jugement en ce qu'il a dit le licenciement pour insuffisance professionnelle dépourvu de cause réelle et sérieuse.





Sur les conséquences financières de la rupture



S'agissant du salaire de référence, sur la base de la moyenne des salaires effectivement perçus durant les 12 derniers mois (hors intéressement et bonus 2015) à laquelle il convient de réintégrer au prorata sur 12 mois le rappel de bonus 2016 précité en ce qu'il se rapporte effectivement à la même période d'activité du salarié, la cour retient à ce titre une somme mensuelle brute de 33 644,78 euros.



S'agissant des indemnités de rupture, en application des dispositions du code du travail ainsi que de celles de la convention collective nationale des sociétés financières et sur la base de la rémunération de référence précitée, la durée du préavis étant en l'espèce de 3 mois et l'appelant indiquant avoir déjà perçu de ce chef la somme de 32 120,13 euros, la cour lui accorde, par infirmation du jugement, un rappel d'indemnité compensatrice de préavis d'un montant de 68 814,21 euros outre 6 881,42 euros au titre des congés payés y afférents. De même, en application des dispositions de l'article 4, section 2, chapitre II, livre II (dispositions particulières applicables aux salariés relevant de la qualification cadre) de la convention collective nationale des sociétés financières prévoyant le versement d'une indemnité de licenciement déterminée sur la base de 1/2 mois par année de présence et de 3/4 de mois par année de présence pour la tranche dépassant 10 ans dans la limite de la valeur de 18 mois de traitement, l'appelant étant dès lors en droit de bénéficier de la somme de 198 216,14 euros dont il convient de déduire la somme déjà payée de 113 500 euros, la cour lui accorde, par infirmation du jugement, la somme de 84 716,14 euros à titre de rappel d'indemnité conventionnelle de licenciement.



Conformément aux dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail dans leur version applicable au litige, eu égard à l'ancienneté dans l'entreprise (11 ans) et à l'âge du salarié (43 ans) lors de la rupture du contrat de travail et compte tenu des éléments produits concernant sa situation personnelle et professionnelle postérieurement à ladite rupture, l'intéressé, qui justifie de ses recherches d'emploi, ayant perçu l'allocation d'aide au retour à l'emploi de décembre 2017 à avril 2019 avant de finalement procéder à une reconversion professionnelle en reprenant un commerce, la cour lui accorde, par infirmation du jugement sur le quantum, la somme de 300 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.





Sur les autres demandes



Il convient, par infirmation du jugement, d'ordonner la remise à l'appelant d'un bulletin de paie récapitulatif, d'un solde de tout compte, d'un certificat de travail et d'une attestation Pôle Emploi conformes à la présente décision, sans qu'il apparaisse nécessaire d'assortir cette décision d'une mesure d'astreinte.



En application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les condamnations porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes pour les créances salariales et, s'agissant des créances indemnitaires, à compter du jugement pour le montant confirmé et de l'arrêt pour le surplus.



La capitalisation des intérêts sera ordonnée conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil, par infirmation du jugement.



Selon l'article L. 1235-4 du code du travail, dans sa version applicable au litige, il y a lieu d'ordonner à l'employeur fautif de rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées au salarié du jour de son licenciement au jour du jugement, dans la limite de trois mois d'indemnités.



En application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, l'employeur sera condamné à verser au salarié, au titre des frais exposés en cause d'appel non compris dans les dépens, la somme supplémentaire de 3 000 euros, la somme accordée en première instance étant confirmée.



L'employeur, qui succombe, supportera les dépens d'appel que Maître Bouhana (Selarl JBouhana Avocat) pourra recouvrer directement contre la partie condamnée, pour ceux dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision, selon les modalités de l'article 699 du code de procédure civile.





PAR CES MOTIFS





La Cour,



Infirme le jugement sur le quantum des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et en ce qu'il a débouté M. [U] de ses demandes au titre de l'égalité de traitement ainsi que de ses demandes de rappel d'indemnités de rupture, de remise de documents sociaux conformes et de capitalisation des intérêts ;



Le confirme pour le surplus,



Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,



Condamne la société Candriam France à payer à M. [U] les sommes suivantes :



- 275 000 euros à titre de rappel de bonus 2016 outre 27 500 euros au titre des congés payés y afférents,

- 68 814,21 euros à titre de rappel d'indemnité compensatrice de préavis outre 6 881,42 euros au titre des congés payés y afférents,

- 84 716,14 euros à titre de rappel d'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 300 000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;



Dit que les condamnations portent intérêts au taux légal à compter de la réception par la société Candriam France de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes pour les créances salariales et, pour les créances indemnitaires, à compter du jugement pour le montant confirmé de 120 000 euros et de l'arrêt pour le surplus ;



Ordonne la capitalisation des intérêts selon les modalités de l'article 1343-2 du code civil ;



Ordonne à la société Candriam France de remettre à M. [U] un bulletin de paie récapitulatif, un solde de tout compte, un certificat de travail et une attestation Pôle Emploi conformes à la présente décision ;



Rejette la demande d'astreinte ;



Ordonne à la société Candriam France de rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées à M. [U] du jour de son licenciement au jour du jugement, dans la limite de trois mois d'indemnités ;



Condamne la société Candriam France à payer à M. [U] la somme supplémentaire de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;



Déboute M. [U] du surplus de ses demandes ;



Condamne la société Candriam France aux dépens d'appel ;





Dit que Maître Bouhana (Selarl JBouhana Avocat) pourra recouvrer directement contre la partie condamnée les dépens dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision selon les modalités de l'article 699 du code de procédure civile.



LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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