21 avril 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-82.877

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:CR00512

Titres et sommaires

ACTION PUBLIQUE - Mise en mouvement - Plainte préalable - Formalisme particulier (non)

Constitue une plainte, au sens de l'article 85 du code de procédure pénale, une information portée, même sans formalisme particulier, à la connaissance de l'autorité judiciaire ou d'un service de police, ou d'une unité de gendarmerie, et relative à des faits susceptibles de revêtir une qualification pénale. Encourt la cassation l'arrêt de la chambre de l'instruction qui déclare irrecevable la plainte avec constitution de partie civile des demandeurs, au motif qu'ils n'ont pas déposé une plainte préalable, alors même qu'elle a constaté que ces derniers avaient sollicité, dans un courrier adressé au procureur de la République, des investigations complémentaires afin que soient déterminées les circonstances exactes de la mort de leur fille, et qu'ils avaient communiqué, dans un courrier postérieur, un rapport d'expertise réalisé à leur initiative, destiné à déterminer si le conducteur circulant sur la voie inverse utilisait son téléphone au moment de la collision

Texte de la décision

N° T 21-82.877 F-B

N° 00512


MAS2
21 AVRIL 2022


CASSATION


M. SOULARD président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 21 AVRIL 2022


Mme [T] [S] et M. [U] [J], parties civiles, ont formé des pourvois contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes, en date du 9 avril 2021, qui a déclaré irrecevable leur constitution de partie civile contre personne non dénommée, du chef d'homicide involontaire.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Un mémoire, commun aux demandeurs, a été produit.

Sur le rapport de Mme Barbé, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gaschignard, avocat de Mme [T] [S] et M. [U] [J], et les conclusions de M. Salomon, avocat général, après débats en l'audience publique du 23 mars 2022 où étaient présents M. Soulard, président, Mme Barbé, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 27 décembre 2014, [I] [J], qui, circulait à bord d'un véhicule automobile sur une route départementale, dans les Côtes d'Armor, est décédée dans une collision avec un véhicule circulant sur la voie opposée.

3. La procédure, ouverte après l'accident, a été classée par le procureur de la République.

4. Les parents de la victime, Mme [T] [S] et M. [U] [J], ont alors déposé plainte avec constitution de partie civile du chef d'homicide involontaire le 26 novembre 2018.

5. Le 27 décembre 2019, le juge d'instruction a rendu une ordonnance d'irrecevabilité de cette plainte avec constitution de partie civile.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance ayant déclaré irrecevable la plainte avec constitution de partie civile de Mme [S] et M. [J] en l'absence de plainte préalable, alors :

« 1°/ que constitue une plainte le courrier adressé au procureur de la République par la victime de faits susceptibles de recevoir une qualification pénale, lui demandant d'enquêter sur ces faits afin que puissent être rassemblées les preuves de la responsabilité pénale de leur auteur ; que dans leur courrier adressé le 23 avril 2015 au procureur de la République, Mme [S] et M. [J] indiquaient expressément que l'accident ayant provoqué le décès de leur fille [I] avait pu être causé par « la vitesse » du véhicule conduit par M. [G] [H], ou encore par « un acte de malveillance sur le véhicule », en soulignant que cela pouvait « entraîner une recherche en responsabilité pénale », et sollicitaient tout aussi expressément « une réouverture du dossier pour un complément d'enquête » afin que leur soient offerts « les moyens de cette preuve » que les lacunes de l'enquête effectuée par la gendarmerie ne leur avaient pas permis d'obtenir ; qu'en retenant, pour juger que ce courrier ne pouvait s'analyser comme une plainte préalable, qu'« il ressort de la lecture de ce document qu'ils sollicitent l'organisation d'investigations complémentaires afin que soient déterminées les circonstances exactes du décès de leur fille, sans qu'à aucun moment ils n'indiquent déposer plainte », quand il en ressortait pourtant que Mme [S] et M. [J] y informaient le procureur de faits susceptibles de recevoir une qualification pénale en lui demandant d'user de ses prérogatives pour qu'une enquête approfondie soit menée, ce qui constitue le propre d'une plainte pénale, la chambre de l'instruction a violé les articles 40 et 85 du code de procédure pénale et 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme ;

2°/ que la personne qui, s'étant constituée partie civile en portant plainte devant le juge d'instruction, a omis de justifier du dépôt préalable d'une plainte auprès du procureur de la République ou d'un service de police judiciaire, demeure recevable à apporter cette justification devant la chambre de l'instruction au soutien de son appel de l'ordonnance du magistrat instructeur ayant sanctionné sa carence en déclarant sa constitution de partie civile irrecevable ; que pour juger que « la condition d'une plainte préalable à la constitution de partie civile prévue par l'article 85, alinéa 2, du code de procédure pénale n'est pas remplie », la chambre de l'instruction a également retenu que « le courrier du 23 avril 2015 que les requérants présentent comme étant une plainte n'était pas joint à leur plainte avec constitution de partie civile contrairement à ce prévoit le texte susvisé », qu'en statuant ainsi, elle a, de nouveau, violé l'article 85 du code de procédure pénale et l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 85 du code de procédure pénale :

7. Constitue une plainte, au sens de cet article, toute information portée, sans formalisme particulier, à la connaissance de l'autorité judiciaire ou d'un officier ou agent de police judiciaire, et relative à des faits susceptibles de revêtir une qualification pénale.

8. La personne qui, s'étant constituée partie civile en portant plainte devant le juge d'instruction, a omis de justifier du dépôt préalable d'une plainte auprès du procureur de la République ou d'un service de police judiciaire dans les conditions fixées par le deuxième alinéa du texte susvisé, demeure recevable à apporter ces justifications devant la chambre de l'instruction au soutien de son appel de l'ordonnance du juge d'instruction ayant sanctionné sa carence en déclarant sa constitution de partie civile irrecevable.

9. Pour déclarer irrecevable la constitution de partie civile des demandeurs devant le juge d'instruction, l'arrêt attaqué énonce qu'aucune plainte n'a été déposée dans le cadre de la procédure établie par les services de gendarmerie à la suite de l'accident dans lequel leur fille est décédée et que leur courrier adressé, le 23 avril 2015, au procureur de la République ne constitue pas une plainte.

10. Les juges relèvent que, s'ils y sollicitent l'organisation d'investigations complémentaires afin que soient déterminées les circonstances exactes du décès de leur fille, ils ne déclarent pas porter plainte.

11. Ils ajoutent que la correspondance adressée par leur avocat au procureur de la République le 29 novembre 2016, laquelle a pour objet de communiquer à ce magistrat le rapport de l'expertise qu'ils ont fait réaliser et de solliciter la mise en oeuvre de réquisitions téléphoniques destinées à déterminer si M. [H], conducteur de l'autre véhicule impliqué dans l'accident, utilisait son téléphone portable au moment de la collision, ne mentionne pas que cette demande ferait suite à une plainte déposée par les intéressés.

12. Les juges ajoutent que le courrier du 23 avril 2015, que les requérants présentent comme étant une plainte préalable, n'était pas joint à leur constitution de partie civile.

13. Ils en concluent que celle-ci est irrecevable.

14. En prononçant ainsi, alors qu'il résulte des constatations de l'arrêt que les demandeurs avaient entendu saisir le procureur de la République de faits constituant une infraction pénale, d'une part, et qu'ils avaient justifié devant la chambre de l'instruction du dépôt d'une plainte préalable, d'autre part, la chambre de l'instruction a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

15. La cassation est par conséquent encourue.

Portée et conséquences de la cassation

16. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes, en date du 9 avril 2021 ;

DÉCLARE recevables les constitutions de partie civile de Mme [T] [S] et M. [U] [J] ;


ORDONNE le retour du dossier au doyen des juges d'instruction du tribunal judiciaire de Saint-Brieuc aux fins d'application des articles 88 et suivants du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt et un avril deux mille vingt-deux.

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