21 avril 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-18.402

Chambre sociale - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:SO00542

Titres et sommaires

CONFLIT COLLECTIF DU TRAVAIL - Grève - Grève des services publics - Conditions - Préavis - Indications obligatoires - Point de départ - Heure de début - Absence de salariés grévistes dans la période de grève - Détermination - Portée

Selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation (Soc., 4 juillet 2012, pourvoi n° 11-18.404, Bull. 2012, V, n° 207; Soc., 11 février 2015, pourvoi n° 13-14.607, Bull. 2015, V, n° 25; Soc., 8 décembre 2016, pourvoi n° 15-16.078, Bull. 2016, V, n° 237), dans les services publics, la grève doit être précédée d'un préavis donné par un syndicat représentatif et si ce préavis, pour être régulier, doit mentionner l'heure du début et de la fin de l'arrêt de travail, les salariés qui sont seuls titulaires du droit de grève ne sont pas tenus de cesser le travail pendant toute la durée indiquée par le préavis. Il en résulte que l'employeur ne peut, dans la période ainsi définie, déduire de la constatation de l'absence de salariés grévistes que la grève est terminée, cette décision ne pouvant être prise que par le ou les syndicats représentatifs ayant déposé le préavis de grève. Dès lors, la cessation de travail d'un salarié pour appuyer des revendications professionnelles formulées dans le cadre d'un préavis de grève déposé par une organisation syndicale représentative dans une entreprise gérant un service public constitue une grève, peu important le fait qu'un seul salarié se soit déclaré gréviste. Il en résulte que viole les articles L. 2511-1, L. 2512-1, L. 2512-2 du code du travail et l'alinéa 7 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 la cour d'appel qui dit fondé sur une faute grave le licenciement d'un salarié seul en cessation de travail dans le cadre du préavis de grève déposé par un syndicat représentatif et pendant la période couverte par celui-ci au motif qu'il était demeuré absent de l'entreprise en dépit d'une mise en demeure de son employeur sans pouvoir prétendre au statut de gréviste

CONFLIT COLLECTIF DU TRAVAIL - Grève - Grève des services publics - Conditions - Préavis - Indications obligatoires - Durée limitée ou illimitée - Cessation du travail sur toute la durée envisagée - Obligation des salariés grévistes (non) - Portée

CONFLIT COLLECTIF DU TRAVAIL - Grève - Grève des services publics - Fin - Date - Détermination - Autorité habilitée - Portée

CONFLIT COLLECTIF DU TRAVAIL - Grève - Grève des services publics - Conditions - Préavis - Dépôt par une organisation syndicale représentative - Nombre de grévistes déclarés - Un seul salarié gréviste - Détermination - Portée

Texte de la décision

SOC.

LG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 21 avril 2022




Cassation


M. CATHALA, président



Arrêt n° 542 FS-B

Pourvoi n° R 20-18.402




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 21 AVRIL 2022

M. [H] [Y] [J], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° R 20-18.402 contre l'arrêt rendu le 9 juillet 2020 par la cour d'appel de Versailles (21e chambre), dans le litige l'opposant à la société Keolis CIF, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Lanoue, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [Y] [J], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Keolis CIF, et l'avis de Mme Laulom, avocat général, après débats en l'audience publique du 9 mars 2022 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Lanoue, conseiller référendaire rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, M. Rinuy, Mmes Ott, Sommé, Agostini, conseillers, Mme Chamley-Coulet, M. Le Masne de Chermont, Mme Ollivier, conseillers référendaires, Mme Laulom, avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 9 juillet 2020), M. [Y] [J] est salarié de la société Keolis CIF depuis 2009. Le 16 avril 2015, le syndicat CGT CIF Keolis a déposé un préavis de grève courant du 22 avril 2015 au 31 décembre 2015 pour l'ensemble du personnel de la société Keolis CIF.

2. Le salarié s'est déclaré gréviste le 5 mai 2015. Le 17 juin 2015, l'employeur lui a enjoint de reprendre son poste au motif que, seul de l'entreprise se déclarant encore gréviste, il ne pouvait prétendre poursuivre un mouvement de grève. Il a été licencié le 16 juillet 2015 pour abandon de poste.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de nullité du licenciement pour exercice normal du droit de grève et de ses demandes subséquentes en réintégration et condamnation, alors :

« 1°/ que tout licenciement prononcé à l'égard d'un salarié en raison de l'exercice de son droit de grève ou de faits commis pendant l'exercice de ce droit est nul, sauf faute lourde ; si dans les services publics, la grève doit être précédée d'un préavis donné par un syndicat représentatif et si ce préavis, pour être régulier doit mentionner l'heure de début et de fin de l'arrêt de travail, les salariés qui sont seuls titulaires du droit de grève ne sont pas tenus de cesser le travail pendant toute la durée indiquée par le préavis ; que l'absence de salariés grévistes au cours de la période visée par le préavis, même en cas de préavis de durée illimitée, ne permet pas de déduire que la grève est terminée, cette décision ne pouvant être prise que par le ou les syndicats représentatifs ayant déposé le préavis de grève ; qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que le préavis déposé le 16 avril 2015 par le syndicat CGT CIF Kéolis permettait l'exercice du droit de grève du 22 avril 2015 à 0 heure jusqu'au 31 décembre 2015 à 24 heures pour l'ensemble du personnel sur la totalité des dépôts et annexes des courriers d'Ile de France ; qu'en déduisant du seul fait que M. [Y] [J] s'était retrouvé être le seul salarié gréviste à compter du 8 juin 2015, la cessation de l'arrêt collectif de travail et en considérant que son absence à compter de cette date ne relevait pas de l'exercice normal de son droit de grève, la cour d'appel a violé les articles L. 2511-1, L. 2512-2 du code du travail, ensemble l'alinéa 7 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ;

2°/ que dans les services publics, la liberté reconnue aux salariés, seuls titulaires du droit de grève, de prendre part à l'action collective à l'instant et pour la durée qu'ils souhaitent s'oppose à ce que l'employeur licencie un salarié gréviste pour abandon de poste dans la période définie par le préavis déposé par un syndicat représentatif au motif qu'il est le seul à poursuivre le mouvement de grève ; qu'en retenant, pour juger fondé le licenciement pour faute grave motivé par un abandon de poste, qu'il importait peu que l'absence de M. [Y] [J], qui s'est déclaré gréviste, se situait durant la période de préavis de grève déposé par le syndicat CGT CIF Kéolis dès lors qu'il était le seul, après le 8 juin 2015, à cesser le travail, la cour d'appel a violé les articles L. 2511-1, L. 2512-2 du code du travail, ensemble l'alinéa 7 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 2511-1, L. 2512-1, L. 2512-2 du code du travail et l'alinéa 7 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 :

4. Selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation (Soc., 4 juillet 2012, pourvoi n° 11-18.404, Bull. 2012, V, n° 207 ; Soc., 11 février 2015, pourvoi n° 13-14.607, Bull. 2015, V, n° 25 ; Soc., 8 décembre 2016, pourvoi n° 15-16.078, Bull. 2016, V, n° 237), dans les services publics, la grève doit être précédée d'un préavis donné par un syndicat représentatif et si ce préavis, pour être régulier, doit mentionner l'heure du début et de la fin de l'arrêt de travail, les salariés qui sont seuls titulaires du droit de grève ne sont pas tenus de cesser le travail pendant toute la durée indiquée par le préavis. Il en résulte que l'employeur ne peut, dans la période ainsi définie, déduire de la constatation de l'absence de salariés grévistes que la grève est terminée, cette décision ne pouvant être prise que par le ou les syndicats représentatifs ayant déposé le préavis de grève.

5. Dès lors, la cessation de travail d'un salarié pour appuyer des revendications professionnelles formulées dans le cadre d'un préavis de grève déposé par une organisation syndicale représentative dans une entreprise gérant un service public constitue une grève, peu important le fait qu'un seul salarié se soit déclaré gréviste.

6. Pour dire le licenciement du salarié fondé sur une faute grave, l'arrêt retient qu'alors que le préavis de grève déposé par le syndicat CGT CIF Keolis à compter du 22 avril 2015 courait jusqu'au 31 décembre 2015, le salarié était seul en cessation de travail dans l'entreprise depuis le 8 juin 2015, et qu'informé par l'employeur de cette situation et mis en demeure de reprendre son poste, il est demeuré absent de l'entreprise, si bien qu'il ne pouvait prétendre au statut de gréviste.

7. En statuant ainsi, alors que le salarié était en cessation de travail dans le cadre du préavis de grève déposé par un syndicat représentatif et pendant la période couverte par celui-ci, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 9 juillet 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;

Condamne la société Keolis CIF aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Keolis CIF et la condamne à payer à M. [Y] [J] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un avril deux mille vingt-deux.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour M. [Y] [J]


M. [Y] [J] fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de sa demande de nullité du licenciement pour exercice normal du droit de grève et de ses demandes subséquentes en réintégration et condamnation.

1°) ALORS QUE tout licenciement prononcé à l'égard d'un salarié en raison de l'exercice de son droit de grève ou de faits commis pendant l'exercice de ce droit est nul, sauf faute lourde ; si dans les services publics, la grève doit être précédée d'un préavis donné par un syndicat représentatif et si ce préavis, pour être régulier doit mentionner l'heure de début et de fin de l'arrêt de travail, les salariés qui sont seuls titulaires du droit de grève ne sont pas tenus de cesser le travail pendant toute la durée indiquée par le préavis ; que l'absence de salariés grévistes au cours de la période visée par le préavis, même en cas de préavis de durée illimitée, ne permet pas de déduire que la grève est terminée, cette décision ne pouvant être prise que par le ou les syndicats représentatifs ayant déposé le préavis de grève ; qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que le préavis déposé le 16 avril 2015 par le syndicat CGT CIF Kéolis permettait l'exercice du droit de grève du 22 avril 2015 à 0 h jusqu'au 31 décembre 2015 à 24 h pour l'ensemble du personnel sur la totalité des dépôts et annexes des Courriers d'Ile de France ; qu'en déduisant du seul fait que M. [Y] [J] s'était retrouvé être le seul salarié gréviste à compter du 8 juin 2015, la cessation de l'arrêt collectif de travail et en considérant que son absence à compter de cette date ne relevait pas de l'exercice normal de son droit de grève, la cour d'appel a violé les articles L. 2511-1, L. 2512-2 du code du travail, ensemble l'alinéa 7 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ;

2°) ALORS QUE dans les services publics, la liberté reconnue aux salariés, seuls titulaires du droit de grève, de prendre part à l'action collective à l'instant et pour la durée qu'ils souhaitent s'oppose à ce que l'employeur licencie un salarié gréviste pour abandon de poste dans la période définie par le préavis déposé par un syndicat représentatif au motif qu'il est le seul à poursuivre le mouvement de grève ; qu'en retenant, pour juger fondé le licenciement pour faute grave motivé par un abandon de poste, qu'il importait peu que l'absence de M. [Y] [J], qui s'est déclaré gréviste, se situait durant la période de préavis de grève déposé par le syndicat CGT CIF Kéolis dès lors qu'il était le seul, après le 8 juin 2015, à cesser le travail, la cour d'appel a violé les articles L. 2511-1, L. 2512-2 du code du travail, ensemble l'alinéa 7 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.

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