20 avril 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-10.852

Chambre sociale - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:SO00520

Titres et sommaires

CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - article 10 - liberté d'expression - restriction - cause - protection de la réputation ou des droits d'autrui - conditions - proportionnalité au but recherché - applications diverses - licenciement d'un salarié humoriste tenant des propos discriminatoires à raison du sexe

La rupture du contrat de travail, motivée par des propos tenus par le salarié, constituant une ingérence de l'employeur dans l'exercice de son droit à la liberté d'expression, tel que garanti par l'article 10, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il appartient au juge de vérifier si, concrètement, dans l'affaire qui lui est soumise, une telle ingérence est nécessaire dans une société démocratique, et, pour ce faire, d'apprécier la nécessité de la mesure au regard du but poursuivi, son adéquation et son caractère proportionné à cet objectif. Doit être approuvé l'arrêt qui, ayant fait ressortir que le licenciement, fondé sur la violation par le salarié d'une clause de son contrat de travail d'animateur, poursuivait le but légitime de lutte contre les discriminations à raison du sexe et les violences domestiques et celui de la protection de la réputation et des droits de l'employeur, en a déduit, compte tenu de l'impact potentiel des propos réitérés du salarié, reflétant une banalisation des violences à l'égard des femmes, sur les intérêts commerciaux de l'employeur, que cette rupture n'était pas disproportionnée et ne portait donc pas une atteinte excessive à la liberté d'expression du salarié

Texte de la décision

SOC.

LG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 20 avril 2022




Rejet


M. CATHALA, président



Arrêt n° 520 FS-B

Pourvoi n° J 20-10.852









R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 20 AVRIL 2022

M. [A] [S], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° J 20-10.852 contre l'arrêt rendu le 3 décembre 2019 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 11), dans le litige l'opposant à la société Satisfy, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], anciennement dénommée Sony Pictures télévision production France, défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Barincou, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [S], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Satisfy, les plaidoiries de Me Grévy et celles de Me Célice, et l'avis de Mme Grivel, avocat général, après débats en l'audience publique du 8 mars 2022 où étaient présents M. Cathala, président, M. Barincou, conseiller rapporteur, Mme Mariette, conseiller doyen, M. Pietton, Mme Le Lay, M. Seguy, Mme Grandemange, conseillers, Mmes Prache, Prieur, Marguerite, M. Carillon, conseillers référendaires, Mme Grivel, avocat général, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 3 décembre 2019), M. [S], humoriste connu sous le nom de scène « Tex », a été engagé en qualité d'animateur, entre septembre 2000 et décembre 2017, par de multiples contrats à durée déterminée d'usage conclus avec la société Sony Pictures télévision production France, aux droits de laquelle vient la société Satisfy, pour animer un jeu télévisé dénommé « Les Z'amours », diffusé sur la chaîne France 2.

2. Le 6 décembre 2017, le salarié a été mis à pied et convoqué à un entretien préalable en vue d'une possible sanction pouvant aller jusqu'à la rupture de son contrat de travail. Le 14 décembre 2017, l'employeur lui a notifié la rupture de son contrat pour faute grave.

3. Contestant cette décision et sollicitant la requalification de ses contrats de travail en un contrat à durée indéterminée, le salarié a saisi la juridiction prud'homale.

Examen des moyens

Sur le premier moyen et sur le second moyen, pris en ses troisième et quatrième branches, ci-après annexés


4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui sont, pour le premier, irrecevable, et, pour le second, pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le second moyen, pris en ses première et deuxième branches

Enoncé du moyen

5. Le salarié fait grief à l'arrêt de juger motivée la rupture des relations contractuelles, de rejeter ses demandes tendant à voir prononcer la nullité de son licenciement et, subsidiairement, dire ce licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, de rejeter ses demandes tendant à la condamnation de son employeur à lui verser des indemnités à titre de licenciement nul et, subsidiairement, pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que ses demandes d'indemnité légale de licenciement, d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents, de rappel de salaire sur mise à pied et de congés payés afférents, alors :

« 1°/ que sauf abus résultant de propos injurieux, diffamatoires ou excessifs, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées ; que ne commet aucun abus dans l'exercice de sa liberté d'expression, ni aucun manquement à son engagement d'éthique, le salarié qui formule, même en public lors d'une émission de télévision, un trait d'humour provocant, a fortiori lorsqu'il le fait en sa qualité d'humoriste ; qu'en se fondant sur un tel trait d'humour, pour dire fondé sur une faute grave le licenciement, la cour d'appel a violé l'article L. 1121-1 du code du travail et l'article 10, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ sauf abus résultant de propos injurieux, diffamatoires ou excessifs, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées ; que ne commet aucun abus dans l'exercice de sa liberté d'expression, ni aucun manquement à son engagement d'éthique, le salarié qui s'exprime, même de façon sarcastique, dans un cercle restreint ; qu'en se fondant également, pour dire fondé sur une faute grave le licenciement, sur des propos que le salarié avait tenu à des collègues en « off », et n'avaient donc fait l'objet d'aucune publicité, la cour d'appel a violé l'article L. 1121-1 du code du travail et l'article 10, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

6. Selon l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière.

7. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire.

8. Il résulte de l'article L. 1121-1 du code du travail que, sauf abus, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché peuvent être apportées.

9. Si la rupture du contrat de travail, motivée par les propos tenus par le salarié, constitue manifestement une ingérence de l'employeur dans l'exercice de son droit à la liberté d'expression tel que garanti par l'article 10, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il appartient cependant au juge de vérifier si, concrètement, dans l'affaire qui lui est soumise, une telle ingérence est nécessaire dans une société démocratique, et, pour ce faire, d'apprécier la nécessité de la mesure au regard du but poursuivi, son adéquation et son caractère proportionné à cet objectif.

10. Pour procéder à la mise en balance des intérêts en présence, la cour d'appel a d'abord constaté qu'aux conditions particulières du contrat de travail figurait une clause par laquelle l'animateur reconnaissait avoir pris connaissance et s'engageait à respecter l'ensemble des dispositions du cahier des missions et des charges de France 2 et de la Charte des antennes de France Télévisions et notamment « le respect des droits de la personne », comme constituant « une des caractéristiques majeures de l'esprit devant animer les programmes des chaînes publiques de télévision » tandis que la clause figurant à l'article 4.2 du contrat précisait que « toute atteinte à ce principe par Tex, qu'elle se manifeste à l'antenne ou sur d'autres médias, constituerait une faute grave permettant à Sony Pictures Télévision Production, dès que celle-ci en serait informée, de rompre immédiatement le contrat ».

11. Elle a ajouté que la Charte des antennes France Télévisions prévoyait au chapitre « Respect de la personne et de la dignité », en son paragraphe 2.9, le refus de toute complaisance à l'égard des propos risquant d'exposer une personne ou un groupe de personnes à la haine ou au mépris, notamment pour des motifs fondés sur le sexe, et en son paragraphe 2.11, le refus de toute valorisation de la violence et plus particulièrement des formes perverses qu'elle peut prendre telles que le sexisme et l'atteinte à la dignité humaine.

12. La cour d'appel a constaté que le 30 novembre 2017, participant à l'émission « C'est que de la télé ! » sur la chaîne C8, le salarié a été invité à conclure par un dernier trait d'humour et a alors tenu les propos suivants : « Comme c'est un sujet super sensible, je la tente : les gars vous savez c'qu'on dit à une femme qu'a déjà les deux yeux au beurre noir ? - Elle est terrible celle-là ! - on lui dit plus rien on vient déjà d'lui expliquer deux fois ! ».

13. La cour d'appel a ensuite relevé que ces propos avaient été tenus alors, d'une part, que l'actualité médiatique était mobilisée autour de la révélation début octobre de « l'affaire [D] » et de la création de blogs d'expression de la parole de femmes tels que « #metoo » et « #balancetonporc » et d'autre part, que quelques jours auparavant, à l'occasion de la journée internationale pour l'élimination de la violence à l'égard des femmes du 25 novembre 2017, le Président de la République avait annoncé des mesures visant à lutter contre les violences sexistes et sexuelles, rappelant que 123 femmes étaient décédées sous les coups, en France, au cours de l'année 2016.

14. Elle a encore, d'une part, souligné le contexte particulier dans lequel le salarié avait tenu ses propos, au terme d'une émission diffusée en direct et à une heure de grande écoute, dans des circonstances ne permettant pas à leur auteur de s'en distancier pour tenter d'en atténuer la portée, malgré des précautions oratoires qui traduisaient la conscience qu'il avait de dépasser alors les limites acceptables et, d'autre part, constaté que, dans les jours suivants, à l'occasion d'un tournage de l'émission dont il était l'animateur, le salarié, après s'être vanté auprès de l'un des collègues d'avoir ainsi « fait son petit buzz », avait adopté, vis-à-vis d'une autre candidate, une attitude déplacée, consistant en plusieurs questions sur la fréquence de ses relations sexuelles avec son compagnon, qui ne correspondait manifestement pas aux engagements qu'il avait renouvelés auprès de son employeur lorsque celui-ci l'avait alerté sur la nécessité de faire évoluer le comportement qu'il avait sur le plateau avec les femmes.

15. Elle a conclu que le comportement adopté par le salarié dans les jours qui ont suivi son intervention dans l'émission « C'est que de la télé ! », loin de le distancier de la banalisation apparente de la violence vis-à-vis des femmes résultant des termes de la « blague » proférée, renforçait au contraire cette banalisation, sous le prétexte d'une censure imputée à son employeur, indirectement mis en cause à plusieurs reprises au cours de ces tournages, et que la réitération de propos misogynes, déplacés et injurieux ne permettait pas de retenir la légitimité des transgressions que s'était autorisées le salarié en abusant de sa liberté d'expression et en s'affranchissant de la clause d'éthique à laquelle il avait contractuellement souscrit, de tels propos étant, en outre de nature à ternir durablement l'image de la société qui l'employait, clairement menacée par un courrier du 5 décembre 2017 de France Télévisions, exigeant le remplacement « sans délai » de l'animateur en application des clauses contractuelles liant les parties.

16. De l'ensemble de ces éléments, la cour d'appel qui a fait ressortir que le licenciement, fondé sur la violation par le salarié d'une clause de son contrat de travail d'animateur, poursuivait le but légitime de lutte contre les discriminations à raison du sexe et les violences domestiques et celui de la protection de la réputation et des droits de l'employeur, a exactement déduit, compte tenu de l'impact potentiel des propos réitérés du salarié, reflétant une banalisation des violences à l'égard des femmes, sur les intérêts commerciaux de l'employeur, que cette rupture n'était pas disproportionnée et ne portait donc pas une atteinte excessive à la liberté d'expression du salarié.

17. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. [S] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt avril deux mille vingt-deux.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour M. [S]


PREMIER MOYEN DE CASSATION

Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré non fondée pour le surplus (c'est-à-dire pour les contrats conclus après le 20 décembre 2015), la demande d'indemnité du salarié pour non-respect des mentions impératives devant figurer aux contrats à durée déterminée.

AUX MOTIFS QUE l'absence de mention de la date de la dernière visite médicale ainsi que du salaire minimal applicable, informations certes prévues par l'article V.2.2. de la convention collective applicable, ne figurent pas au rang des mentions requises par les dispositions légales à peine de requalification du contrat ; qu'enfin, l'existence d'engagements contractuels au-delà de la durée du contrat en terme de disponibilité dans les mois postérieurs au tournage, l'interdiction d'effectuer une prestation télévisuelle pendant plusieurs mois postérieurs à la conclusion du contrat, avec une rémunération future garantie ne constituent pas non plus des mentions de nature à entraîner la requalification des contrats.

1° ALORS QU'aux termes de l'article V.2.2. de la convention collective nationale de la production audiovisuelle, le contrat à durée déterminée d'usage doit impérativement mentionner la date de la dernière visite médicale et le salaire minimum applicable ; que si l'omission de ces mentions ne peut entraîner la requalification du contrat en contrat à durée indéterminée, elle peut donner lieu à dommages-intérêts lorsque le salarié démontre l'existence d'un préjudice causé par cette omission ; qu'en se bornant à énoncer que ces indications ne figuraient pas au rang des mentions requises par les dispositions légales à peine de requalification du contrat, sans rechercher si leur omission n'avait pas néanmoins causé un préjudice au salarié, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil et l'article V.2.2. de la convention collective nationale de la production audiovisuelle.

2° ALORS QU'en retenant que l'existence d'engagements contractuels au-delà de la durée du contrat en terme de disponibilité dans les mois postérieurs au tournage, et l'interdiction d'effectuer une prestation télévisuelle pendant plusieurs mois postérieurs à la conclusion du contrat ne constituaient pas des mentions de nature à entraîner la requalification des contrats, la cour d'appel, qui n'a pas davantage recherché si le salarié avait subi un préjudice, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382, devenu 1240, du code civil.


SECOND MOYEN DE CASSATION

Le moyen fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR jugé motivée la rupture des relations contractuelles, d'avoir débouté le salarié de ses demandes tendant à voir prononcer la nullité de son licenciement et, subsidiairement, à voir dire que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, de l'avoir débouté de ses demandes tendant à voir condamner l'employeur à lui verser des indemnités à titre de licenciement nul et, subsidiairement, pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et de ses demandes d'indemnité légale de licenciement, d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents, de rappel de salaire sur mise à pied et de congés payés afférents.

AUX MOTIFS propres QUE la lettre adressée à M. [S] le 14 décembre 2017, qui fixe les termes du litige, repose sur une violation des obligations contractuelles par référence à la clause d'éthique insérée au contrat, violation résultant d'une part, des propos tenus lors de l'émission « C'est que de la télé ! », d'autre part, de la réitération de déclarations sexistes et des allusions à la polémique et à une prétendue censure lors des tournages du jeu « Les Z'amours » les 1er, 4 et 5 décembre 2017 ; que contrairement à ce que soutient M. [S], les faits invoqués sont précis et circonstanciés, la lettre n'encornant pas la critique d'une imprécision des motifs et l'employeur n'a pas l'obligation de reproduire intégralement l'ensemble des propos incriminés, même s'il lui appartient dans le cadre d'un litige, d'apporter la preuve de ces faits invoqués à l'appui d'une faute grave ; que par ailleurs, il ressort très clairement des attestations de M. [N] [H], directeur de production de l'émission « Les Z'amours » et de M. [F] [B], directeur général de la société Studios de France, prestataire technique chargé du tournage (pièces 64 et 65 société), que le dispositif technique mis en place entraîne la transmission, en permanence et pendant toute la durée du tournage, des sons et images captés sur le plateau et ce, même pendant les interruptions du jeu télévisé ; que tant M. [H] que M. [B] précisent qu'aucune interruption des flux audio-vidéo n'est envisageable pendant le tournage qui dure environ 50 minutes ; que ces déclarations ne sont nullement en contradiction avec celles faites par M. [Z] [G] (pièce 40 appelant) qui indique seulement que dans une même journée, il y a des arrêts ou coupures de tournage (coupure repas, changement de décor, ...), pendant lesquelles les conversations privées ne sont pas enregistrées ; qu'elles sont au demeurant confortées par celles de Mme [K] [C]-[R], productrice artistique de l'émission, qui indique que le passage en tournage dématérialisé, en 1993, a entraîné l'enregistrement des sons et images sous forme numérique (et non plus sur bandes) et leur envoi dans un serveur ; que Mme [C]-[R] précise qu'entre le moment où le tournage d'une émission commence et celui où il se termine, l'enregistrement des images et des sons continue, y compris pendant les pauses inter-plateaux ; qu'elle ajoute qu'en 2017, elle a commencé à poster sur Facebook, des extraits de séquences « off » de ces inter-plateaux et que « Tex lui faisait régulièrement part de ses remarques pour en améliorer le contenu » ; qu'elle précise enfin que si « Tex » voulait lui parler discrètement, il couvrait son micro de sa main afin que personne ne puisse les entendre ; que M. [S] ne peut donc valablement soutenir qu'il ignorait avoir été enregistré lors des tournages réalisés les 1er, 4 et 5 décembre 2017 et, par conséquent qu'il se serait trouvé dans l'impossibilité d'identifier les propos qui lui ont ensuite été reprochés par son employeur, étant ajouté que celui-ci justifie que les extraits régulièrement communiqués tant en première instance qu'en cause d'appel, correspondent à des « rushes » de tournage et non à des conversations privées enregistrées entre deux émissions, les micros étant coupés lors du lancement du générique de fin de l'émission, ce dont atteste M. [H] ; que M. [S] ne peut pas non plus dès lors invoquer le caractère déloyal du mode de preuve ainsi utilisé par la société Sony Pictures Télévision Production ; que s'agissant du premier motif invoqué à l'appui de la rupture, il est incontestable qu'un humoriste dispose et doit disposer d'une liberté d'expression plus grande que d'autres acteurs du monde médiatique tels que les journalistes ou les critiques ; que cependant, il n'existe pas d'impunité de principe et la liberté d'expression de l'humoriste doit demeurer dans certaines limites et, même si l'excès, l'outrance sont la loi du genre, la frontière séparant le comique et la dérision de la polémique grave ne peut pas être franchie ; qu'or, en l'espèce, d'une part, en vertu de la clause d'éthique figurant à son contrat, M. [S] s'était engagé au respect des droits de la personne, et notamment des femmes, et donc à refuser toute valorisation de la violence à leur égard par des propos tenus sur des antennes de télévision ; que d'autre part, il ne pouvait ignorer le contexte particulier dans lequel il a tenu les propos litigieux, s'inscrivant à la suite de la révélation d'abus de pouvoir commis par une personnalité commis sur des jeunes femmes et de la journée de mobilisation pour la lutte contre les violences faites aux femmes ; qu'enfin, cette « blague » a été racontée à une heure de grande écoute, en direct, à l'issue de la prestation de l'humoriste juste avant qu'il ne quitte le plateau, situation rendant impossible une mise à distance de celui-ci par rapport aux propos tenus, distanciation seule de nature à en atténuer et à en contre-balancer la portée ; que les précautions oratoires utilisées par M. [S] traduisent d'ailleurs la conscience qu'il avait lui-même de dépasser les limites acceptables de l'exercice de sa liberté d'expression, le présentateur de l'émission ayant également réalisé immédiatement le caractère particulièrement déplacé de cette « blague » puisqu'il évoque la possibilité de perdre sa place ; que par ailleurs, sous prétexte du support du mode comique, il a réitéré des propos particulièrement dégradants et indignes de sa fonction lors des tournages qui ont suivi ; après s'être vanté auprès d'un collègue le 1er décembre 2017, en réitérant la « blague » sortie dans l'émission « C'est que de la télé ! », d'avoir « fait son petit buzz » ; que le 4 décembre 2017, il parle de l'une des candidates du jeu qui attend sur le plateau, en ces termes : « Hey, tu sais quoi ? Elle est un peu grosse mais je suis sûr que ça doit être une chiennasse. Elle a un pompier dans le dos. 37 ans ! Putain, ça ça doit être ...37 ans elle a ! Je suis sûre qu'au lit ça c'est.... Tu sais où ça doit être le mieux ? Parce qu'elle a l'air d'avoir une belle paire de meules. C'est quand elle te pompe le dard et que tu as les loches qui viennent taper sur tes couilles. Là c'est le meilleur passage [...] » ; qu'à la fin de cette conversation avec un collègue en coulisses, celui-ci répond : « Du coup c'est bien je vais la voir de profil », M. [S] déclarant alors, avant de repartir sur le plateau interroger les candidats : « Ah mais moi qui l'ai vue de profil, tu ne vois que ça, elle estsurlochée [...] » ; que ces échanges, tels que reproduits dans leur intégralité dans les écritures et en pièce 18c de la société, qui correspondent à l'enregistrement vidéo communiqué, sont particulièrement contraires à l'engagement éthique pris par le salarié ainsi qu'aux fonctions qu'il exerçait et spécialement inopportuns, compte tenu de la vague de critiques qu'avaient déjà suscitée ses propos précédents sur la chaîne C8 ; qu'or, contrairement à ce que prétend M. [S], au-delà de son engagement éthique contractuel, il avait été alerté à plusieurs reprises sur la nécessité d'évoluer dans son rôle d'animateur, notamment dans l'attitude et le comportement qu'il pouvait avoir sur le plateau avec les femmes, ainsi qu'en attestent Mmes [C]-[R] et [L] (pièce 48 et 49 société), qui précisent qu'il s'était engagé, à l'issue d'une réunion en novembre, à « faire un effort pour s'intéresser plus aux femmes dans l'émission » ; que Mme [C]-[R] indique qu'elle avait appelé son attention sur le fait qu'il « faisait de l'humour au détriment des candidates plutôt qu'avec elles » et qu'elle avait tenté de faire comprendre à « Tex » que lui aussi devait évoluer ; elle ajoute qu'elle avait demandé aux membres de l'équipe post prod d'être de plus en plus vigilants lors du montage des émissions ; que l'attitude adoptée le 4 décembre 2017 vis-à-vis d'une autre candidate, telle qu'elle est décrite en pièce 18 b de la société, consistant en plusieurs questions sur la fréquence de ses relations sexuelles avec son compagnon, ne correspondait manifestement pas à cet engagement, l'animateur persistant dans son comportement malgré la gêne manifeste dans laquelle il plaçait cette jeune femme ; qu'ainsi que l'employeur l'a relevé dans la lettre de rupture, le comportement adopté par M. [S] dans les jours qui ont suivi son intervention dans l'émission « C'est que de la télé ! », loin de le distancier de la banalisation apparente de la violence vis-à-vis des femmes résultant des termes de la « blague » proférée, renforçait au contraire cette banalisation, sous le prétexte d'une censure imputée à son employeur, indirectement mis en cause à plusieurs reprises au cours de ces tournages ; que la réitération de propos misogynes, déplacés et injurieux ne permet pas de retenir la légitimité des transgressions que s'est autorisées le salarié en abusant de sa liberté d'expression sous le prétexte de sa qualité d'humoriste et en s'affranchissant de la clause d'éthique à laquelle il avait contractuellement souscrit ; que l'ensemble de ces faits caractérisent la faute alléguée de nature à ternir durablement sa propre image mais aussi celle de la société qui l'employait, clairement menacée par un courrier du 5 décembre 2017 de France Télévisions, exigeant le remplacement « sans délai » de l'animateur en application des clauses contractuelles liant les parties (pièce 17 société) ; qu'enfin, M. [S] ne saurait valablement se retrancher derrière le fait que le tournage a continué pendant trois jours et que les émissions alors réalisées ont néanmoins été diffusées jusqu'à la fin du mois de janvier 2018 ; qu'en effet, liée par contrat avec la chaîne de télévision, la société Sony Pictures Télévision Production ne pouvait, sans risquer mie résiliation anticipée et à ses torts de ce contrat, cesser d'honorer ses engagements ; que par ailleurs, la prétendue volonté de la société Sony Pictures Télévision Production d'évincer M. [S] de l'animation de cette émission ne saurait se déduire de contacts pris par l'employeur, à une date non précisée, mais en tout cas, largement antérieure à la rupture, auprès de deux autres humoristes (pièce 19 appelant), une telle intention étant au demeurant démentie par les attestations précitées de Mme [C]-[R] et [L] ; qu'en considération de l'ensemble de ces éléments, la décision déférée qui a considéré que le licenciement reposait sur une faute grave et débouté M. [S] de ses demandes à ce titre, sera confirmée.

AUX MOTIFS adoptés QUE les propos reprochés à Monsieur [S] ont été tenus sur une chaîne de télévision, lors d'une émission diffusée en direct et à une heure de grande écoute ; que, lors de cette interview sur C8 dont la retranscription est versée au débat, Monsieur [S] a été présenté par Monsieur [W] [E] comme l'animateur de longue date du jeu télévisé de France 2 les Z'amours, attendu qu'il s'est exprimé sur cette activité d'animateur des Z'amours bien plus longtemps que sur son dernier DVD, il ne fait aucun doute qu'il ait été perçu par les téléspectateurs lors de cet entretien comme l'animateur des Z'amours et non comme un simple humoriste ; que le Conseil Supérieur de l'Audiovisuel, saisi par la Secrétaire d'état chargée de l'Egalité des femmes et des hommes à la suite de la diffusion de cette séquence, a estimé que la diffusion d'une telle séquence « pouvait être perçue comme contribuant à la banalisation de comportements inacceptables » ; qu'est versé au débat le courrier officiel de France Télévisions en date du 5 décembre 2017 dans lequel elle exige le remplacement de Monsieur [S] comme animateur des Z'amours ; que TF1, suite à cet incident, a décidé le 4 décembre 2017 d'annuler la participation de Monsieur [S] à l'émission : « le grand concours des humoristes » ; que Monsieur [S] conteste que soit versée au débat la retranscription des rushes des émissions tournées les 1er, 4 et 5 décembre, arguant d'un moyen de preuve déloyal et attentatoire à la vie privée du salarié ; que cependant, animateur depuis dix-sept ans, il ne pouvait ignorer que les micros restaient branchés tout au long du tournage des émissions, y compris pendant les coupures entre deux plans ; qu'enfin lors que le Conseil juge recevables ces rushes en tant que preuves du comportement de Monsieur [S] durant le tournage de ces émissions ; qu'il apparait, à la lecture de la retranscription des rushes des émissions tournées les 1er, 4 et 5 décembre 2017 que Monsieur [S] a multiplié les déclarations à propos d'une prétendue censure dont il soutient faire l'objet ; qu'il a de plus multiplié les propos sexistes et attentatoires à la dignité des femmes à l'égard de certaines candidates : « elle est un peu grosse, je suis sûr que ça doit être une chiennasse », « Chérie, je vais te faire redécouvrir la viande... ça peut être mal interprété...viens dans le lit ! » et de certaines collègues : « Ca fait sept ans que tu travailles aux Z'amours,.. et on n'a jamais niqué ? ; Qu'est-ce que j'ai changé ! Dans le temps, mais toutes. A droite, à gauche, devant, derrière » ; qu'il y apparaît également que Monsieur [S] se moque ouvertement de la cause nationale de lutte contre les violences faites aux femmes et compare le mouvement de libération de la parole des femmes à la délation sous Vichy : « C'est Vichy...non mais, les gens font de la délation maintenant putain mais dans quel pays on vit, quel pays de merde ! » ou encore « nous allons lancer un signalement ! c'est à la mode maintenant ! » ; que de plus qu'il apparaît également à la lecture de ces retranscriptions que Monsieur [S] a sciemment dépassé les limites de sa liberté d'expression puisqu'il indique sur le plateau des Z'amours : « Ca y est j'ai fait le buzz les gars, j'ai fait mon petit buzz. Je sais je sais je sais, au moment où je l'ai fait je me suis dit houhouhouhou. Puis en même temps je me suis dit bon ça va faire un peu de buzz » ; que donc Monsieur [S], loin de regretter les propos tenus sur C8, n'a cessé les jours suivants de les revendiquer et de multiplier les propos sexistes et attentatoires à la dignité des femmes, ceci en violation manifeste de ses engagements contractuels ; que sont versés au débat le mail de Madame [M], de France télévisions, alertant l'employeur dès 2013 sur les dérapages de l'animateur et les attestations de Mesdames [C] et [L] de SONY Picture Télévision Production attestant des échanges répétés avec l'animateur en 2017 sur ce sujet ; que le Conseil juge qu'en raison des éléments probants ci-dessus exposés, la rupture, du contrat de travail de Monsieur [S] par SONY P1CTURES TELEVISION PRODUCTIONS est fondée sur une faute grave ; que le Conseil juge que la revendication de ces propos et la réitération de propos sexistes et attentatoires à la dignité, de la part du salarié ne permettaient pas la poursuite du contrat ; qu'en conséquence, le Conseil juge motivée la rupture anticipée du CDDU pour faute grave ; que le juge, qui requalifie la relation contractuelle de CDD en CDI doit rechercher si la lettre de rupture des relations contractuelles vaut lettre de licenciement et si les motifs de rupture énoncés constituent des griefs matériellement vérifiables permettant de décider si le licenciement a une cause réelle et sérieuse ; que les CDDU ont été requalifiés en CDI ; que d'autre part Monsieur [S] a bénéficié d'un entretien préalable auquel il s'est présenté accompagné et que la lettre de rupture de la relation de travail est précise et circonstanciée dénonçant des faits constitutifs d'une faute grave ; que de plus les faits reprochés ne sont pas contestés par le demandeur, celui-ci arguant, pour sa défense, de sa liberté d'expression et de son droit à l'humour ; qu'en conséquence, le Conseil juge motivée la rupture des relations pour faute grave et déboute Monsieur [S] de toutes ses demandes au titre de la rupture de la relation de travail.

1° ALORS QUE sauf abus résultant de propos injurieux, diffamatoires ou excessifs, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées ; que ne commet aucun abus dans l'exercice de sa liberté d'expression, ni aucun manquement à son engagement d'éthique, le salarié qui formule, même en public lors d'une émission de télévision, un trait d'humour provocant, a fortiori lorsqu'il le fait en sa qualité d'humoriste ; qu'en se fondant sur un tel trait d'humour, pour dire fondé sur une faute grave le licenciement, la cour d'appel a violé l'article L. 1121-1 du code du travail et l'article 10 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

2° ALORS QUE sauf abus résultant de propos injurieux, diffamatoires ou excessifs, le salarié jouit, dans l'entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d'expression à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées ; que ne commet aucun abus dans l'exercice de sa liberté d'expression, ni aucun manquement à son engagement d'éthique, le salarié qui s'exprime, même de façon sarcastique, dans un cercle restreint ; qu'en se fondant également, pour dire fondé sur une faute grave le licenciement, sur des propos que le salarié avait tenu à des collègues en « off », et n'avaient donc fait l'objet d'aucune publicité, la cour d'appel a violé l'article L. 1121-1 du code du travail et l'article 10 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

3° ALORS QUE la faute grave doit être appréciée in concreto ; qu'en omettant d'apprécier la gravité des faits, comme le salarié l'y invitait, au regard de son ancienneté de 17 ans, de son absence de sanction antérieure, de ses qualités professionnelles unanimement reconnues et des excuses qu'il a publiquement présentées, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail.

4° ALORS, en outre, QUE le comportement que l'employeur a longtemps toléré ne saurait constituer une faute grave, justifiant un départ immédiat du salarié de l'entreprise ; qu'en omettant de tenir compte, pour apprécier la gravité de la faute, du comportement ambigu de l'employeur qui avait longtemps toléré et même largement encouragé les traits d'humour provocants du salarié, la cour d'appel a privé derechef sa décision de base légale au regard des articles L. 1234-1, L. 1234-5 et L. 1234-9 du code du travail.

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