13 avril 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-16.763

Chambre sociale - Formation restreinte RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2022:SO10354

Texte de la décision

SOC.

CZ



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 13 avril 2022




Rejet non spécialement motivé


M. SCHAMBER, conseiller doyen
faisant fonction de président



Décision n° 10354 F

Pourvoi n° J 20-16.763


Aide juridictionnelle partielle en défense
au profit de M.[J].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 29 mars 2021.



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


DÉCISION DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 13 AVRIL 2022

La société Restauration Bercy, société par actions simplifiée, dont le siège est[Adresse 2]t, [Localité 3], a formé le pourvoi n° J 20-16.763 contre l'arrêt rendu le 19 février 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 8), dans le litige l'opposant à M. [Z] [J], domicilié[Adresse 1]s,[Localité 4]s, défendeur à la cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Rouchayrole, conseiller, les observations écrites de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Restauration Bercy, de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de M. [J], après débats en l'audience publique du 2 mars 2022 où étaient présents M. Schamber, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Rouchayrole, conseiller rapporteur, Mme Monge conseiller, et Mme Lavigne, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu la présente décision.


1. Les moyens de cassation annexés, qui sont invoqués à l'encontre de la décision attaquée, ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

2. En application de l'article 1014, alinéa 1er, du code de procédure civile, il n'y a donc pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce pourvoi.

EN CONSÉQUENCE, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Restauration Bercy aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Restauration Bercy et la condamne à payer à la SCP Gadiou et Chevallier, la somme de 3 000 euros ;

Ainsi décidé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du treize avril deux mille vingt-deux.

Le conseiller rapporteur le president






Le greffier de chambre


MOYENS ANNEXES à la présente décision

Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour la société Restauration Bercy

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné la société Restauration Bercy à payer à M. [J] une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral ;

AUX MOTIFS QUE « Sur le harcèlement moral :
M. [J] expose que :
- il a été victime d'une grave dépression du fait des agissements de harcèlement moral,
- il a adressé des correspondances à son employeur pour dénoncer le harcèlement subi consistant en des violences verbales comme physiques ;
- ses jours de repos ont été modifiés sans son accord, ce qui désorganisait sa vie personnelle ;
- l'enclenchement d'une procédure disciplinaire sans fondement et le refus de procéder à une enquête constituent une violation de l'obligation de sécurité, mais participent également au harcèlement moral ;
- l'employeur n'a pas répondu à ses plaintes.
La société Restauration Bercy réplique que :
- le salarié, n'acceptant pas la modification de ses horaires, pourtant décidée en conformité avec le contrat de travail, a pris le parti de se plaindre d'un prétendu harcèlement moral ;
- la dénonciation du harcèlement moral est aussi incohérente qu'imprécise, avec un seul exemple datant de plusieurs années ;
- aucun élément ne vient étayer les propos de M. [J] ;
- certains faits allégués ne concernent pas celui-ci ;
- à partir du mois d'avril 2015, M. [J] n'a plus été soumis au cycle qui lui avait été attribué, ce qui prouve l'attention portée par la société le concernant ;
- le harcèlement moral ne peut pas se déduire de la constatation par le médecin de l'état dépressif de M. [J], ce médecin ne faisant que citer les doléances du patient.
Il résulte de l'article L.1152-1 du code du travail qu'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits ou à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Conformément à l'article L.1154-1, dans sa rédaction alors applicable, il appartient, dans un premier temps, au salarié d'établir des faits permettant de présumer l'existence d'un harcèlement.

Au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Lorsque le salarié produit des certificats médicaux, ceux-ci font partie des éléments susceptibles d'établir la présomption de harcèlement et le juge doit les prendre en compte dans son appréciation globale.

En l'espèce, M. [J] établit, de façon précise et concordante, les faits suivants :
- la modification du planning dont il a été informé par courrier du 14 janvier 2015 et qui le contraignait à travailler désormais un dimanche sur deux, ce qui avait nécessairement des conséquences sur sa vie privée ;
- le courrier du 19 janvier 2015, dans lequel il mentionne une dégradation de ses conditions de travail depuis une année, pouvant être qualifiée, précise-t-il, de harcèlement moral de la part du chef de cuisine, M. R.
- le courrier du 9 février 2015 où il apporte les précisions sollicitées par son employeur, en détaillant les violences physiques et verbales subies "depuis plusieurs années" ;
- la lettre du 23 mars 2015 de dénonciation d'autres faits survenus notamment au cours du mois de février 2015 ;
- l'attestation de M. [H] qui, salarié de l'entreprise pendant l'année 2013, confirme la pression subie par le personnel et ajoute "A retenir envers mon collègue [J] [Z], nous allons s 'occupé de son cas, qu'il soit d'accord ou pas" ;
- le manquement de l'employeur, tel qu'exposé ci-dessus (voir 1°), à l'obligation de sécurité ;
- la procédure disciplinaire engagée le 2 avril 2015 à laquelle l'employeur n'a finalement donné aucune suite ;
- l'arrêt maladie presque ininterrompu du 31 août 2015 au 24 décembre 2015;
- le certificat, établi le 25 septembre 2015, par un médecin psychiatre dans les termes suivants (pièce n°29 de l'appelant) :
" (...) Le patient présente un état dépressif et ne semble pas capable de retourner dans le restaurant où il était cuisinier.
Il ne supporte plus dit-il la surcharge de travail ainsi que les échanges avec ses patrons.
Il a des insomnies pendant lesquelles il repense au travail. (...)".
- les deux avis d'inaptitude émis le 16 octobre 2015 et le 13 novembre 2015 par le médecin du travail.
Ces faits, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement.
L'employeur ne justifie pas des éléments qui sont mentionnés dans le courrier du 14 janvier 2015 comme nécessitant un changement de planning de M. [J].

Il ne verse aux débats aucune pièce permettant de remettre en cause les faits relatés par le salarié et l'attestation.
La société Restauration Bercy n'expose pas davantage les raisons qui auraient fait obstacle à une enquête interne sur le harcèlement dénoncé, ainsi que celles qui l'ont conduite à engager puis à renoncer à une procédure disciplinaire à l'encontre de M. [J].
Elle n'a pas contesté les deux avis du médecin du travail.
Ce faisant, elle n'apporte à la cour aucun élément objectif permettant de justifier les décisions prises ou les faits établis ».

1°- ALORS QUE le harcèlement exige de caractériser des agissements répétés de l'employeur à l'encontre du salarié qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique et mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; qu' en retenant la modification du planning de M. [J] le 14 janvier 2015, les trois courriers en découlant des 19 janvier, 9 février et 23 mars 2015 de M. [J] dénonçant un harcèlement moral à son encontre, sans autre précision, non corroborés par des témoignages précis, la décision de la société Restauration Bercy de ne pas engager d'enquête dans ces conditions ainsi que l'abandon de la procédure disciplinaire du 2 avril 2015, outre des éléments médicaux établissant l'altération de la santé du salarié, la cour qui a statué par des motifs impuissants à caractériser des éléments, même pris en leur ensemble, permettant de présumer l'existence d'un harcèlement moral, a violé les articles L.1152-1, L.1152-2, L.1152-3 du code du travail;

2° ALORS en tout état de cause QUE si le juge estime que le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants laissant supposer l'existence d'une situation de harcèlement moral, il doit ensuite analyser les éléments de preuve produits par l'employeur démontrant que les agissements qui lui sont reprochés sont justifiés objectivement et sont étrangers à cette qualification et il doit tirer les conséquences de ses propres constatations ;
qu'en l'espèce, la société Restauration Bercy a fait valoir, en produisant les éléments de preuve à l'appui de ses dires, que la modification du planning de M. [J] était conforme aux stipulations de l'article 4 du contrat de travail, qu'elle était justifiée par la nécessité de réorganiser sa production et que face à l'opposition du salarié, elle y avait renoncé, que les faits relatés par le salarié dans ses courriers des 19 janvier, 9 février et 23 mars 2015 , outre leur imprécision quant aux dates et leur contexte, n'étaient étayés par aucun élément de preuve extérieur, que l'attestation de M. [B] qui avait travaillé de janvier à décembre 2013, était générale et imprécise sur les dates et les faits ; que de plus, aucun autre salarié n'avait jamais rapporté des faits de harcèlement ou une dégradation de ses conditions de travail, que s'agissant de son obligation de sécurité, elle ne pouvait diligenter une enquête sans éléments précis que le salarié ne lui a jamais fournis ; qu'en énonçant que la société Restauration Bercy « ne verse aux débats aucune pièce permettant de remettre en cause les faits relatés par le salarié et d'attestation », sans s'expliquer sur les éléments précités, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L.1152-1, L.1152-2, L.1152-3 et L.1154-1 du code du travail ;

3°- ALORS QUE la société Restauration Bercy a soutenu que M. [J], présent dans l'entreprise depuis 13 ans, ne s'était jamais plaint de ses conditions de travail et n'avait pas davantage allégué le moindre acte de harcèlement à son encontre ; qu'il ne l'avait fait pour la première fois qu'après avoir été informé du changement de l'organisation du temps de travail auquel il s'était opposé ; qu'en ne s'expliquant pas sur cette coïncidence et en vérifiant pas si elle n'était pas nature à ôter toute crédibilité aux allégations infondées de harcèlement de la part de la société Restauration Bercy, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L.1152-1, L.1152-2, L.1152-3 et L.1154-1 du code du travail.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré nul le licenciement de M. [J] et d'AVOIR condamné la société Restauration Bercy à payer au salarié des sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents, de dommages et intérêts pour licenciement nul ;

AUX MOTIFS QUE « Sur la nullité du licenciement :

M. [J] expose que la déclaration d'inaptitude est la conséquence directe de l'état dépressif, du harcèlement moral et de la violation de l'obligation de sécurité.
Conformément à l'article L.1152-3 du code du travail, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions relatives au harcèlement moral, toute disposition ou tout acte contraire est nul.
En l'espèce, le mal-être ressenti par le salarié tel qu'exprimé dans ses trois courriers des mois de janvier à mars 2015, le certificat du 25 septembre 2015 établi par un psychiatre, ainsi que la concomitance entre l'arrêt de travail de plusieurs mois et les deux avis du médecin du travail constatant l'inaptitude de l'intéressé à tout poste dans l'entreprise établissent un lien entre le harcèlement moral subi et l'inaptitude, qu'aucun élément ne vient écarter, quand bien même, sur la fiche du 13 novembre 2015, le médecin du travail (qui a conclu à l'inaptitude) a-t-il coché, à la rubrique "visite de reprise", la croix "maladie ou accident non professionnel" » ;

1° - ALORS QU'une cassation à intervenir sur le premier moyen emportera, par voie de conséquence, la cassation du chef du dispositif critiqué qui a déclaré nul le licenciement sur le fondement d'un harcèlement moral, en application de l'article 624 du code de procédure civile ;

2°- ALORS QUE la dégradation de l'état de santé à l'origine de l'inaptitude doit être imputable à un harcèlement moral ; qu'en déclarant nul le licenciement de M. [J] pour inaptitude et impossibilité de reclassement en retenant le mal-être ressenti par le salarié, le certificat du 25 septembre 2015 établi par un psychiatre, la concomitance entre l'arrêt de travail de plusieurs mois et les avis du médecin du travail constatant l'inaptitude à tout poste de l'entreprise, tout en constatant que le médecin du travail a écarté tout caractère professionnel à la pathologie de M. [J], la cour d'appel qui a statué par des motifs impuissants à établir un lien entre un prétendu harcèlement moral et le licenciement pour inaptitude et n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 devenu 1240 du code civil et des articles L.1226-12, L.4121-1, L.4624-1 du code du travail ;

TROISIEME MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR condamné la société Restauration Bercy à payer à M. [J] une somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à son obligation de sécurité ;

AUX MOTIFS PROPRES ET ADOPTES DU JUGEMENT QUE

«Sur le manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité M.[J]
expose que la société Restauration Bercy :
- n'a pas répondu à ses doléances, mais seulement prétendu qu'elle diligenterait une enquête qui n'a pas eu lieu et dont il n'a jamais eu connaissance ;
- n'a pas rempli ses obligations s'agissant de la constitution d'un comité d'entreprise et d'un CHSCT ;
- n'a pas établi de document d'évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs ;
- ne justifie pas avoir mis en oeuvre des actions d'information et de formation de nature à prévenir la survenance de faits de harcèlement moral.
La société Bercy Restauration réplique que :
- l'inaptitude ne saurait, en soi, caractériser un manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité ;
- aucun lien ne peut être établi entre les conditions de travail du salarié et son état dépressif ;
- le salarié n'a jamais été en mesure d'étayer les griefs qu'il formule ;
- s'agissant des institutions représentatives du personnel, un procès-verbal de carence a été dressé le 13 février 2014 ;
- elle produit le document unique d'évaluation des risques du personnel ;
- elle est accompagnée, depuis 2012, par une entreprise spécialisée en solutions de management pour la prévention et la gestion des risques professionnels.

En application de l'article L. 4121-1 du code du travail, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
En l'espèce, si la société Restauration Bercy a bien répondu par deux lettres aux doléances que son salarié a détaillées dans les courriers des 19 janvier 2015, 09 février 2015 et 23 mars 2015, elle ne justifie d'aucune mesure concrète (autre que d'avoir renoncé à le faire travailler les dimanches et lundis) ou, pour le moins, d'investigations.
Elle ne produit pas l'enquête interne annoncée.

Ainsi, même si l'entreprise verse aux débats un procès-verbal de carence du 13 février 2014 s'agissant des élections professionnelles et un document unique de prévention des risques professionnels, il convient de confirmer les premiers juges, en ce qu'ils ont retenu un manquement de l'employeur à l'obligation de sécurité » ;

ALORS QUE l'existence du préjudice allégué par le salarié n'est pas présumée et ne résulte pas de la simple constatation d'une faute de l'employeur ; qu'il doit en démontrer sa réalité et son étendue ; qu'en allouant à M. [J] une somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts en raison du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité sans constater que le salarié en justifiait, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil alors en vigueur, ensemble le principe de réparation de l'intégralité du préjudice. Le greffier de chambre

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