13 avril 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-17.896

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2022:SO00489

Texte de la décision

SOC.

LG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 13 avril 2022




Cassation


M. SCHAMBER, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 489 F-D

Pourvoi n° R 20-17.896




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 13 AVRIL 2022

M. [P] [D], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° R 20-17.896 contre l'arrêt rendu le 28 mai 2020 par la cour d'appel d'Orléans (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la société Lanceleur-Buchet, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Rouchayrole, conseiller, les observations de Me Balat, avocat de M. [D], de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Lanceleur-Buchet, après débats en l'audience publique du 2 mars 2022 où étaient présents M. Schamber, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Rouchayrole, conseiller rapporteur, Mme Monge, conseiller, et Mme Lavigne, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Orléans, 28 mai 2020), M. [D] a été engagé le 4 décembre 2006 par la société Lanceleur-Buchet en qualité de conducteur d'engins.

2. Le 18 juin 2015, il a saisi la juridiction prud'homale de demandes en résiliation judiciaire de son contrat de travail et en paiement d'un rappel d'heures supplémentaires, ainsi que de diverses indemnités liées à la rupture du contrat de travail.

3. Il a été licencié le 15 décembre 2015.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

4. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de l'intégralité de ses demandes et, notamment, de sa demande relative aux heures supplémentaires, alors « qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, le juge ne peut, pour rejeter une demande en paiement d'heures supplémentaires, faire peser sur le seul salarié la charge de la preuve des heures supplémentaires en se fondant exclusivement sur l'insuffisance des preuves qu'il rapporte ; qu'en affirmant, pour débouter M. [D] de sa demande au titre des heures supplémentaires, que la lettre de l'employeur du 7 mai 2015, le tableau réalisé par ordinateur, les notes écrites de la main de l'employeur et l'attestation de M. [M], qui toutes faisaient état d'heures supplémentaires effectuées, n'étaient ''nullement de nature à étayer ses prétentions'', la cour d'appel, qui a fait peser sur lui seul la charge de preuve, a violé l'article L. 3171-4 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

5 L'employeur conteste la recevabilité du moyen. Il soutient qu'il serait contraire à la thèse développée par le salarié en cause d'appel.

6. Cependant, le moyen n'est pas contraire aux conclusions d'appel du salarié, lequel a toujours soutenu que la charge de la preuve en matière d'heures supplémentaires était partagée.

7. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article L. 3171-4 du code du travail :

8. Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l'article L. 3171-3 du même code, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, l'employeur tient à la disposition de l'inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.

9. Enfin, selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

10. Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

11. Pour débouter le salarié de sa demande au titre des heures supplémentaires et des congés payés afférents, l'arrêt, après avoir constaté que celui-ci fournissait, d'une part, un tableau réalisé par informatique récapitulant chaque mois le nombre d'heures supplémentaires réalisées, d'autre part, des notes présentées comme provenant de l'employeur mentionnant des paiements de primes et, enfin, une attestation d'un autre salarié qui accomplissait lui-même des heures supplémentaires, a considéré que ces éléments n'étaient pas de nature à étayer ses prétentions.

12. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations, d'une part, que le salarié présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre, d'autre part, que ce dernier ne produisait aucun élément de contrôle de la durée du travail, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 28 mai 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bourges ;

Condamne la société Lanceleur-Buchet aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Lanceleur-Buchet et la condamne à payer à M. [D] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du treize avril deux mille vingt-deux.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par Me Balat, avocat aux Conseils, pour M. [D]


PREMIER MOYEN DE CASSATION

M. [P] [D] reproche à l'arrêt infirmatif attaqué de l'avoir débouté de l'intégralité de ses demandes, et notamment de sa demande relative aux heures supplémentaires ;

ALORS QU' en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, le juge ne peut, pour rejeter une demande en paiement d'heures supplémentaires, faire peser sur le seul salarié la charge de la preuve des heures supplémentaires en se fondant exclusivement sur l'insuffisance des preuves qu'il rapporte ; qu'en affirmant, pour débouter M. [D] de sa demande au titre des heures supplémentaires, que la lettre de l'employeur du 7 mai 2015, le tableau réalisé par ordinateur, les notes écrites de la main de l'employeur et l'attestation de M. [M], qui toutes faisaient état d'heures supplémentaires effectuées, n'étaient « nullement de nature à étayer ses prétentions » (arrêt attaqué, p. 5, alinéa 2), la cour d'appel, qui a fait peser sur lui seul la charge de preuve, a violé l'article L. 3171-4 du code du travail.


SECOND MOYEN DE CASSATION

M. [P] [D] reproche à l'arrêt infirmatif attaqué de l'avoir débouté de l'intégralité de ses demandes, et notamment de ses demandes relatives au travail dissimulé, à la résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur et aux indemnités liées à ces chefs de demande ;

ALORS QUE la cassation à intervenir sur le premier moyen, qui critique le chef de dispositif de l'arrêt attaqué déboutant M. [D] de sa demande en paiement d'heures supplémentaires, entraînera, en application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation de l'arrêt en ce qu'il a également jugé infondées les demandes de M. [D] au titre du travail dissimulé et au titre d'un manquement grave de l'employeur justifiant la résiliation judiciaire à ces torts du contrat de travail, au motif qu'il ne rapportait pas suffisamment d'éléments pour étayer sa demande de rappel d'heures supplémentaires.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.