13 avril 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-22.389

Chambre commerciale financière et économique - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:CO00255

Titres et sommaires

ENTREPRISE EN DIFFICULTE (LOI DU 26 JUILLET 2005) - Redressement judiciaire - Plan de redressement - Annulation d'une opération contractée après la date de cessation des paiements - Compensation en vertu de l'existence d'un lien de connexité - Possibilité (non)

Il résulte de la combinaison des articles L. 632, I, et L. 626-25 du code de commerce que les sommes recouvrées au titre de la restitution par le créancier des sommes qu'il a reçues au titre d'opérations annulées à la demande du commissaire à l'exécution du plan agissant dans l'intérêt collectif des créanciers en vue de reconstituer l'actif du débiteur, entrent dans le patrimoine de ce dernier et sont destinées à être réparties entre tous les créanciers. Toute compensation en vertu de l'existence d'un lien de connexité est donc exclue entre la dette de restitution consécutive à l'annulation d'une opération contractée après la date de cessation des paiements et une créance admise au passif du débiteur. Doit donc être censurée la cour d'appel qui ordonne la compensation entre, d'un côté, les condamnations prononcées par un jugement contre une société au titre de l'annulation d'un warrant agricole et d'une cession de créance consenties par le débiteur pendant la période suspecte, et, de l'autre, la créance de la même société déclarée au titre de livraisons effectuées au profit de ce débiteur et admise au passif, en retenant que ces créances sont connexes

Texte de la décision

COMM.

FB


COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 13 avril 2022




Cassation partielle sans renvoi


M. RÉMERY, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 255 F-B

Pourvoi n° Z 20-22.389




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 13 AVRIL 2022

La société AJRS, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1], agissant en qualité de commissaire à l'exécution du plan de l'EARL Tourneret Thomas et Sonia, a formé le pourvoi n° Z 20-22.389 contre l'arrêt rendu le 8 septembre 2020 par la cour d'appel de Besançon (1re chambre civile), dans le litige l'opposant à la société Interval, société coopérative agricole, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Riffaud, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de la société AJRS, ès qualités, de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de la société Interval, après débats en l'audience publique du 1er mars 2022 où étaient présents M. Rémery, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Riffaud, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller, et Mme Mamou, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Besançon, 8 septembre 2020), le 26 février 2014, l'EARL Tourneret a consenti à la société coopérative agricole Interval (la société Interval) un warrant agricole et une cession de créance.

2. L'EARL Tourneret, mise en redressement judiciaire le 12 août 2014, a bénéficié d'un plan de redressement arrêté par un jugement du 8 mars 2016.

3. La société AJRS, désignée en qualité de commissaire à l'exécution de ce plan, ayant assigné la société Interval en nullité du warrant agricole et de la cession de créance, au motif qu'ils avaient été consentis après la cessation des paiements de l'EARL Tourneret, un jugement du 5 mars 2019 a fait droit à cette demande et condamné la société Interval au paiement des sommes de 82 322 et 40 000 euros.

4. En exécution de ce jugement, le commissaire à l'exécution du plan a fait signifier à la société Interval un commandement aux fins de saisie-vente le 3 juin 2019. La société Interval l'a contesté devant le juge de l'exécution en demandant la compensation entre les condamnations prononcées et sa créance connexe, admise au passif de la procédure collective pour la somme de 249 901,50 euros.

Examen des moyens

Sur le premier et le deuxième moyens, ci-après annexés


5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Mais sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

6. Le commissaire à l'exécution du plan fait grief à l'arrêt de constater la connexité des créances et d'admettre leur compensation, alors « que pour être connexes, les créances doivent dériver d'un même contrat ou d'un ensemble contractuel unique servant de cadre général aux relations entre les parties ; qu'il ressort des constatations de l'arrêt attaqué que la créance de la coopérative agricole Interval provenait de la livraison de semences, intrants et engrais tandis que celle de l'EARL Tourneret résultait du jugement du 5 mars 2019 et constituait donc, ainsi que le faisait valoir l'exposante, une créance indemnitaire née d'une action en nullité de la période suspecte et non pas une créance contractuelle, nonobstant la circonstance que cette créance indemnitaire avait pour origine l'annulation d'un warrant agricole et d'une cession de créance, qui ne pouvait suffire à caractériser la connexité exigée par la loi ; qu'en retenant néanmoins que la créance issue du jugement de condamnation était tout aussi indissociable de la relation d'affaire des deux parties que celle détenue par la coopérative agricole Interval pour la seule raison qu'elle résultait de l'annulation d'un warrant agricole et d'une cession de créance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 622-7 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1347 du code civil, L. 622-7, L. 631-14, alinéa 1, L. 632, I et L. 626-25 du code de commerce :

7. Il résulte de la combinaison du quatrième et du cinquième de ces textes que les sommes recouvrées au titre de la restitution par le créancier des sommes qu'il a reçues au titre d'opérations annulées à la demande du commissaire à l'exécution du plan agissant dans l'intérêt collectif des créanciers en vue de reconstituer l'actif du débiteur, entrent dans le patrimoine de ce dernier et sont destinées à être réparties entre tous les créanciers. Toute compensation en vertu de l'existence d'un lien de connexité est donc exclue entre la dette de restitution consécutive à l'annulation d'une opération contractée après la date de cessation des paiements et une créance admise au passif du débiteur.

8. Pour dire que les condamnations prononcées par le jugement du 5 mars 2019 contre la société Interval au titre de l'annulation d'un warrant agricole et d'une cession de créance se compenseront avec la créance de cette coopérative au titre de ses livraisons, l'arrêt retient que la connexité entre les créances à compenser résulte de ce qu'elles procèdent, l'une comme l'autre, des liens d'affaires étroits qui unissaient les parties dans le cadre d'un ensemble contractuel prévoyant que l'EARL Tourneret écoulait sa production auprès de la seule coopérative qui, inversement lui fournissait les marchandises nécessaires à cette production, un compte-courant accueillant les flux réciproques générés par ces opérations.

9. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

10. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

11. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette l'exception d'incompétence du juge de l'exécution et la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de la chose jugée et du principe de concentration des moyens soulevées par la société AJRS, en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de l'EARL Tourneret, l'arrêt rendu le 8 septembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Besançon ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

REJETTE les demandes de compensation et de mainlevée du commandement aux fins de saisie-vente signifié le 3 juin 2019 formées par la société coopérative agricole Interval ;

Condamne la société coopérative agricole Interval aux dépens, en ce compris ceux exposés devant le juge de l'exécution et la cour d'appel de Besançon ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société coopérative agricole Interval et la condamne à payer à la société AJRS, ès qualités, la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du treize avril deux mille vingt-deux.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour la société AJRS, agissant en qualité de commissaire à l'exécution du plan de l'EARL Tourneret.

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté l'exception d'incompétence du juge de l'exécution soulevée par le commissaire à l'exécution du plan (la Selarl AJRS, l'exposante) d'un débiteur en redressement judiciaire (l'Earl Tourneret) ;

ALORS QU'une modification substantielle dans les objectifs ou les moyens du plan ne peut être décidée que par le tribunal saisi de la procédure collective, à la demande du débiteur et sur le rapport du commissaire à l'exécution du plan ; qu'en retenant que la compensation opposée par la coopérative saisie à la partie saisissante n'entraînerait qu'une modification de la mise en oeuvre du plan d'apurement et non du plan lui-même, quand elle constatait que la compensation réduirait le montant de la créance de la coopérative saisie, ce qui avait pour conséquence de modifier substantiellement les objectifs ou les modalités du plan, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constations en violation des articles L 621-2, L 626-26 et R 662-3 du code de commerce, ensemble l'article L 213-6 du code de l'organisation judiciaire.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la fin de non-recevoir soulevée par le commissaire à l'exécution du plan (la Selarl AJRS, l'exposante) d'un débiteur en redressement judiciaire (l'Earl Tourneret) au titre de l'autorité de la chose jugée et de la concentration des moyens ;

ALORS QU'il incombe au défendeur à l'action de présenter dès l'instance initiale l'ensemble des moyens de nature à faire échec à la demande ; qu'en l'espèce, l'exposante faisait valoir (v. ses concl., pp. 4 et 5) que, lors de l'instance ayant donné lieu au jugement ayant condamné la coopérative saisie à payer les sommes de 82 322 euros et de 40 000 euros, cette dernière n'avait pas fait valoir la compensation entre cette dette et la créance qu'elle détenait en retour, de telle sorte que l'autorité de la chose jugée faisait obstacle à ce qu'elle invoque la compensation dans une seconde instance relative à l'exécution, une telle demande revenant à modifier les effets et la portée du jugement de condamnation ; qu'en retenant que l'autorité de la chose jugée attachée à ce jugement ne faisait pas obstacle à l'exception de compensation soulevée pour la première fois devant le juge de l'exécution et que l'irrecevabilité n'était pas davantage encourue au titre du principe de concentration des moyens, au prétexte qu'en l'absence d'une décision ayant déjà statué sur la compensation judiciaire le juge de l'exécution était compétent pour se prononcer sur l'exception de compensation, quand elle constatait que la coopérative saisie n'avait pas opposé le moyen tiré de la compensation dans le cadre de l'instance initiale, la cour d'appel a violé l'article 1355 du code civil.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir confirmé le jugement en ce qu'il avait constaté la connexité des créances en cause et d'avoir autorisé l'application du principe de compensation entre la dette de la partie saisie (la coopérative agricole Interval) pour un montant de 128 843,29 euros et la créance connexe déclarée au passif de la procédure de redressement judiciaire de la partie saisissante (l'Earl Tourneret, représentée par la Selarl AJRS, l'exposante, commissaire à l'exécution de son plan) pour un montant admis de 249 901,50 euros ;

ALORS QUE, pour être connexes, les créances doivent dériver d'un même contrat ou d'un ensemble contractuel unique servant de cadre général aux relations entre les parties ; qu'il ressort des constatations de l'arrêt attaqué que la créance de la coopérative agricole Interval provenait de la livraison de semences, intrants et engrais tandis que celle de l'Earl Tourneret résultait du jugement du 5 mars 2019 et constituait donc, ainsi que le faisait valoir l'exposante, une créance indemnitaire née d'une action en nullité de la période suspecte et non pas une créance contractuelle, nonobstant la circonstance que cette créance indemnitaire avait pour origine l'annulation d'un warrant agricole et d'une cession de créance, qui ne pouvait suffire à caractériser la connexité exigée par la loi ; qu'en retenant néanmoins que la créance issue du jugement de condamnation était tout aussi indissociable de la relation d'affaire des deux parties que celle détenue par la coopérative agricole Interval pour la seule raison qu'elle résultait de l'annulation d'un warrant agricole et d'une cession de créance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L 622-7 du code de commerce.

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