12 avril 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-80.284

Chambre criminelle - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:CR00553

Titres et sommaires

EXTRADITION - Effets - Principe de spécialité - Détention provisoire - Fondement - Infraction ayant motivé l'extradition - Contestation - Office de la chambre de l'instruction - Vérification du respect du principe de spécialité - Demande de versement de la décision de remise des autorités judiciaires requises

Il se déduit de l'article 696-6 du code de procédure pénale qu'une personne remise à la France à la suite d'une procédure d'extradition et qui n'a pas renoncé au principe de spécialité ne peut faire l'objet d'une mesure de détention provisoire pour un fait quelconque antérieur à la remise et autre que celui qui a motivé cette mesure. Dès lors, en cas de contestation soulevée devant elle sur ce point, il appartient à la chambre de l'instruction, saisie d'un appel d'une ordonnance de placement en détention provisoire, de s'assurer du respect du principe de spécialité. Dans le cas où le demandeur fait valoir que ne figure pas en procédure la décision de remise des autorités judiciaires requises, la chambre de l'instruction, en application de l'article 194, alinéa 4, du code de procédure pénale, doit en demander le versement au dossier. Encourt en conséquence la cassation l'arrêt qui, pour écarter le moyen d'irrégularité de la procédure devant le juge des libertés et de la détention pris de la violation du principe de spécialité, énonce que les infractions visées, d'une part, dans le mandat d'arrêt international, d'autre part, dans la saisine de ce magistrat sont les mêmes, alors qu'en l'absence à la procédure de la décision de remise des autorités compétentes de l'Etat requis, il appartenait à la chambre de l'instruction d'en ordonner le versement au dossier, puis de vérifier si l'intéressé avait été placé en détention provisoire pour des chefs de mise en examen pour lesquels ces autorités avaient ordonné, en tout ou partie, sa remise

Texte de la décision

N° V 22-80.284 FS- B

N° 00553


GM
12 AVRIL 2022


CASSATION


M. BONNAL conseiller le plus ancien faisant fonction de président,







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 12 AVRIL 2022



M. [X] [J] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 30 décembre 2021, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'importation de stupéfiants en bande organisée, infractions à la législation sur les stupéfiants et associations de malfaiteurs, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention le plaçant en détention provisoire.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de M. Seys, conseiller, les observations de la SCP Spinosi, avocat de M. [X] [J], et les conclusions de M. Lemoine, avocat général, après débats en l'audience publique du 5 avril 2022 où étaient présents M. Bonnal, conseiller le plus ancien faisant fonction de président en remplacement du président empêché, M. Seys, conseiller rapporteur, Mme Ménotti, M. Maziau, Mme Labrousse, M. Dary, Mme Thomas, conseillers de la chambre, M. Violeau, M. Michon, conseillers référendaires, M. Lemoine, avocat général, et M. Maréville, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Mis en cause pour son implication à la tête d'un important réseau de trafic de stupéfiants, M. [X] [J] a fait l'objet d'un mandat d'arrêt international délivré contre lui des chefs susvisés par le juge d'instruction le 7 décembre 2020.

3. M. [J] a été interpellé à Dubaï (Etat des Emirats arabes unis) le 18 février 2021.

4. Remis aux autorités françaises, l'intéressé a comparu le 15 décembre 2021 devant le magistrat instructeur, qui l'a mis en examen des chefs susvisés.

5. Il a fait l'objet d'une mesure d'incarcération provisoire le même jour, puis, par ordonnance en date du 17 décembre 2021, a été placé en détention provisoire sous mandat de dépôt criminel.

6. M. [J] a relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur les premier et troisième moyens


7. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.


Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

8. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de placement en détention provisoire après avoir écarté le grief pris de la violation du principe de spécialité, alors :

« 1°/ que l'individu extradé ne peut être détenu pour une infraction antérieure à la remise, autre que celle ayant motivé l'extradition ; qu'en jugeant régulière la comparution de M. [J] devant le juge des libertés et de la détention aux motifs qu'il comparaissait pour des infractions visées dans le mandat d'arrêt sur le fondement duquel il avait été arrêté, lorsque seul le décret d'extradition, absent au dossier de la procédure, pouvait permettre de s'assurer des infractions en vertu desquelles l'intéressé avait été remis à la France, la chambre de l'instruction a violé le principe de spécialité ensemble les articles 12 de la convention d'extradition du 2 mai 2007 entre la France et les Emirats-Arabes-Unis et 591 du code de procédure pénale ;

2°/ que préalablement au débat contradictoire devant le juge des libertés et de la détention, l'absence au dossier de la procédure du décret d'extradition en vertu duquel une personne a été remise à la France fait nécessairement grief à cette dernière en ce qu'elle est empêchée de vérifier que son éventuel placement en détention interviendra sur le fondement d'une infraction pour laquelle elle été remise à l'Etat requérant, qu'en jugeant le contraire la chambre de l'instruction a violé le principe de spécialité ensemble les articles 12 de la convention d'extradition du 2 mai 2007 entre la France et les Emirats-Arabes-Unis, 802 et 591 du code de procédure pénale.

3°/ que le mis en examen qui comparait devant le juge des libertés et de la détention doit disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense, et notamment pouvoir prendre connaissance de l'entier dossier de la procédure ; qu'en refusant de faire droit à la demande de renvoi de l'affaire à une audience ultérieure en vue de permettre la communication du décret d'extradition au dossier de la procédure et ainsi de permettre à M. [J] de connaître les infractions en vertu desquelles le juge des libertés et de la détention se prononçait, la chambre de l'instruction a violé les articles 5, 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 145 et 591 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 696-6 et 593 du code de procédure pénale :

9. Selon le premier de ces textes, lorsque la juridiction qui a émis le mandat d'arrêt a obtenu la remise de la personne recherchée, celle-ci ne peut être poursuivie, condamnée ou détenue en vue de l'exécution d'une peine privative de liberté pour un fait quelconque antérieur à la remise et autre que celui qui a motivé cette mesure.

10. Il s'ensuit qu'une personne remise à la France en exécution d'un mandat d'arrêt et qui n'a pas renoncé au principe de spécialité ne peut faire l'objet d'une mesure de détention provisoire pour une infraction autre que celle qui a motivé sa remise.

11. En vertu du second, tout arrêt de la chambre de l'instruction doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux articulations essentielles des mémoires des parties. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

12. En l'espèce, pour écarter le grief d'irrégularité de la procédure pris de l'impossibilité de vérifier le respect du principe de spécialité en raison de l'absence, au dossier, de la décision d'extradition des autorités de l'Etat requis et approuver le rejet de la demande de report du débat contradictoire aux fins de versement de cette décision à la procédure, l'arrêt attaqué énonce que le document concerné est une pièce administrative émanant de l'Etat requis, dont l'absence ne fait pas grief aux intérêts de M. [J], qui a la possibilité d'en solliciter l'annulation, le juge des libertés et de la détention n'étant pas compétent pour se prononcer sur ce point alors que l'intéressé a eu, en outre, la possibilité d'exercer des recours dans l'Etat requis

13. Les juges relèvent que les infractions visées, d'une part, dans le mandat d'arrêt international, d'autre part, dans la saisine du juge des libertés et de la détention sont les mêmes et qu'il a été procédé au débat contradictoire au vu de ces seules infractions, de telle sorte que la question du principe de spécialité ne se posait pas.

14. La chambre de l'instruction en déduit l'absence de violation du principe du contradictoire comme d'atteinte au droit à un procès équitable.

15. En prononçant ainsi, par des motifs inopérants, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision.

16. En effet, cette pièce n'étant pas au dossier lors du débat contradictoire en vue d'un éventuel placement en détention provisoire, il lui appartenait de demander, en application de l'article 194 du code de procédure pénale, le versement en procédure de la décision de remise des autorités compétentes de l'Etat requis, puis de rechercher si M. [J] avait été placé en détention provisoire pour des chefs de mise en examen pour lesquels ces autorités avaient ordonné, en tout ou partie, sa remise.

17. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, en date du 30 décembre 2021, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;




ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Aix-en-Provence et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le douze avril deux mille vingt-deux.

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