5 novembre 2020
Cour d'appel d'Orléans
RG n° 19/03278

Texte de la décision

COUR D'APPEL D'ORLÉANS


CHAMBRE COMMERCIALE, ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE






GROSSES + EXPÉDITIONS : le 05/11/2020
la SELARL LEXAVOUE POITIERS-ORLEANS
la SCP VALERIE DESPLANQUES
ARRÊT du : 05 NOVEMBRE 2020


No : 211 - 20
No RG 19/03278
No Portalis DBVN-V-B7D-GBFM


DÉCISION ENTREPRISE : Ordonnance du juge commissaire du du Juge commissaire d'ORLEANS en date du 02 Octobre 2019


PARTIES EN CAUSE


APPELANTE :- Timbre fiscal dématérialisé No: 1265257811217971
La Société HYDRO CONSTRUCTION & ENG CO LTD
Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[...]
[...]




Ayant pour avocat postulant Me Isabelle TURBAT, membre de la SELARL LEXAVOUE, avocat au barreau D'ORLEANS et pour avocat plaidant Me François KOPF, membre de l'AARPI DARROIS VILLEY MAILLOT BROCHIER, avocat au barreau de PARIS




D'UNE PART


INTIMÉES : - Timbre fiscal dématérialisé No: 1265257505417032
La SELARL [...]
Agissant en la personne de Maître A... R... en sa qualité de mandataire judiciaire et de commissaire à l'exécution du plan de redressement de la société [...]
[...]
[...]




Ayant pour avocat postulant Me Valérie DESPLANQUES, membre de la SCP VALERIE DESPLANQUES, avocat au barreau D'ORLEANS et pour avocat plaidant Me Sylvain PAILLOTIN, membre de la SCP CABINET SEKRI VALENTIN ZERROUK, avocat au barreau de PARIS








La SA [...]
Agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège [...]
[...]




Ayant pour avocat postulant Me Valérie DESPLANQUES, membre de la SCP VALERIE DESPLANQUES, avocat au barreau D'ORLEANS et pour avocat plaidant Me Sylvain PAILLOTIN, membre de la SCP CABINET SEKRI VALENTIN ZERROUK, avocat au barreau de PARIS










D'AUTRE PART


DÉCLARATION D'APPEL en date du : 11 Octobre 2019
ORDONNANCE DE CLÔTURE du : 17 septembre 2020








COMPOSITION DE LA COUR


Lors des débats à l'audience publique du 17 SEPTEMBRE 2020, à 14 heures, Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS, en son rapport, et Madame Fanny CHENOT, Conseiller, ont entendu les avocats des parties en leurs plaidoiries, avec leur accord, par application de l'article 786 et 907 du code de procédure civile.


Après délibéré au cours duquel Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel D'ORLEANS, et Madame Fanny CHENOT, Conseiller, ont rendu compte à la collégialité des débats à la Cour composée de :


Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS,
Madame Fanny CHENOT, Conseiller,
Madame Nathalie MICHEL, Conseiller,




Greffier :


Madame Marie-Claude DONNAT, Greffier lors des débats et du prononcé,


















ARRÊT :


Prononcé publiquement par arrêt contradictoire le 05 NOVEMBRE 2020 par mise à la disposition des parties au Greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.


EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE :


Dans le cadre d'un projet de construction d'un parc éolien en Ethiopie, la société [...] a conclu le 11 décembre 2009 avec la Société Hydro Construction & Eng Co Ltd (société Hydro), un contrat lui confiant la réalisation de travaux de forage et d'étanchéité, pour un montant de 2.092.256 USD. Ce contrat prévoyait en cas de litige le recours à un tribunal arbitral.


Un litige est né entre les parties à la suite de la résiliation du contrat par la société [...] le 24 mars 2011.


Le 18 avril 2013, la société Hydro a déposé une demande auprès du secrétariat de la cour internationale d'arbitrage de la chambre de commerce international (CCI), aux fins de désignation d'un tribunal arbitral.


Dans sa réponse du 27 mai 2013, la société [...] s'y est opposée au motif que le contrat prévoyait, au préalable, de soumettre le différend à un "adjudicateur", désigné par la FIDICZ (Fédération internationale des ingénieurs conseils) et chargé de rendre une décision préalable non contraignante pour les parties. Elle a demandé que la procédure d'arbitrage soit suspendue dans l'attente du résultat de ce processus d'adjudication.


La société Hydro a sollicité la désignation d'un adjudicateur le 21 octobre 2013.


L'adjudicateur a rendu sa décision le 20 mai 2016, mettant à la charge de la société [...] la somme de 1.700.000 dollars à payer à titre de dommages et intérêts à la société Hydro.


Par jugement du 30 août 2017, le tribunal de commerce d'Orléans a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la société [...].


La Société Hydro a déclaré le 16 novembre 2017 une créance au passif du redressement judiciaire de la Société [...] pour la somme de 3.811.706,25 € ou subsidiairement de 1.680.826,06 €, à titre chirographaire.


La société [...] a contesté cette créance. La SELARL [...] en qualité de mandataire judiciaire de la société [...] l'a également contestée par courrier recommandé du 13 mars 2018.


Après proposition du mandataire judiciaire du 21 août 2018, le juge-commissaire, par ordonnance du 12 septembre 2018, au visa des articles L624-2 et L 624-3 du Code de commerce, a dit y avoir lieu de surseoir à statuer sur la déclaration de créance de la société Hydro construction et de renvoyer le créancier Hydroconstruction &Eng Co Ltd à saisir la juridiction compétente dans le délai d'un mois suivant la notification de l'ordonnance, conformément aux dispositions de l'article R. 624 5 du Code de commerce.










Cette ordonnance a été notifiée le 18 septembre 2018 et réceptionnée le 24 septembre 2018 par la société Hydro.


Cette dernière a demandé, par courrier du 10 octobre 2018, au secrétariat de la Cour internationale d'arbitrage de la CCI, de reprendre le cours de la procédure d'arbitrage, sollicitant que cette procédure ne soit plus considérée comme mise en attente.


L'arbitre unique a été désigné le 28 novembre 2018.


Devant le juge-commissaire, par conclusions du 5 septembre 2019, la société [...] a demandé de constater que le tribunal arbitral a été constitué et donc saisi postérieurement au délai d'un mois suivant la notification à la société Hydro de l'ordonnance du 12 septembre 2018 et par suite, de prononcer la forclusion de cette dernière au titre des créances déclarées au passif de la société [...].


Par ordonnance du 2 octobre 2019, le juge commissaire près du tribunal de commerce d'Orléans a statué comme suit :
Prononçons la forclusion de la Société Hydro Construction & Eng Co Ltd au titre de sa créance déclarée au passif de la Société [...] ,
Rejetons la créance de la Société Hydro Construction & Eng Co Ltd de 3.81 1.706,25€,
Disons que la présente ordonnance sera notifiée au créancier et à la Société [...] par
Monsieur le Greffier par lettre recommandée avec avis de réception,
Disons que les dépens seront à la charge du créancier la Société Hydro Construction & Eng Co Ltd.


Le premier juge a relevé que la société Hydro Construction indiquait avoir saisi la Cour Internationale d'arbitrage de la CCI le 18 avril 2013 puis avoir suspendu son action pour la réactiver le 28 novembre 2018 lors de la désignation d'un arbitre unique, et que cette information n'avait pas été transmise au juge-commissaire ni au mandataire judiciaire lors de l'audience du 12 septembre 2018 qui a renvoyé la Société Hydro Construction à saisir la "juridiction compétente". Il a reconnu autorité de la chose jugée à l'ordonnance du 12 septembre 2018 qui n'a pas été suivie de la saisine de la juridiction compétente dans le délai d'un mois à savoir jusqu'au 24 octobre 2018, et a prononcé la forclusion de la société Hydro au titre de sa créance.


La société Hydro Construction a formé appel de la décision par déclaration du 11 octobre 2019 en intimant la société [...] et la SELARL [...] ès qualités de mandataire judiciaire et de commissaire à l'exécution du plan de la société [...], et en critiquant tous les chefs de l'ordonnance. Dans ses dernières conclusions avant clôture du 4 août 2020, elle demande à la cour de :
Vu les articles L. 624-2 et R. 624-5 du Code de commerce,
Vu l'article 4 du règlement d'arbitrage de la CCI,
Vu l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales,
Déclarer recevable et bien fondé son appel ;
Juger irrecevable la demande de forclusion de la créance de la société Hydro Construction ;
Infirmer l'ordonnance du juge Commissaire du 2 octobre 2019 en toutes ses dispositions, notamment en ce qu'elle a prononcé la forclusion de la société Hydro Construction au titre de sa créance déclarée au passif de la société [...] et a rejeté sa créance de 3.811.706,25 euros, et Renvoyer les parties devant le juge-commissaire aux fins de poursuite de la procédure de fixation de la créance au passif de la procédure de redressement judiciaire de la société [...],
Débouter la société [...] et la SELARL [...] ès qualités de mandataire judiciaire de leurs demandes de forclusion de la société Hydro Construction au titre de sa créance déclarée au passif de la société [...] et de rejet de la créance de la société Hydro Construction de 3.811.706,25 euros ;
Débouter la société [...] et la SELARL [...] ès qualités de mandataire judiciaire, de l'ensemble de leurs demandes, moyens, fins et prétentions ;
- Condamner la société [...] à payer la somme de 15.000 euros à Hydro Construction au titre de l'article 700 et aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Sur l'irrecevabilité de la demande de forclusion formée par la société [...], la société Hydro reproche à cette dernière de s'être contredite en indiquant d'une part, dans le cadre de sa contestation de la déclaration de créance, qu'une instance était en cours devant le tribunal arbitral de la CCI, puis, postérieurement à l'ordonnance du 12 septembre 2018, qu'aucune instance n'était en cours puisqu'aucun tribunal arbitral n'était constitué.


Sur l'irrecevabilité de l'appel engagé par la société Hydro, celle-ci indique :
- que l'autorité de la chose jugée attachée à l'ordonnance du 12 septembre 2018 ne rend pas irrecevable son appel contre l'ordonnance du 2 octobre 2019 et ne lui interdit pas de solliciter dans le cadre de son appel le rejet de la demande de forclusion, qui est par nature différente de la demande débattue dans le cadre de l'ordonnance du 12 septembre 2018, qui concernait l'admission de la créance au passif ou le prononcé d'un sursis à statuer ; qu'en outre, le constat d'une instance en cours n'est qu'un acte d'administration judiciaire dépourvu de l'autorité de la chose jugée,
- que le moyen tiré de l'estoppel est inopérant car elle a mentionné au mandataire judiciaire dès sa déclaration de créance, l'existence de la procédure d'arbitrage en cours, qu'elle a bien obtenu de l'adjudicateur une décision condamnant O..., et que ce n'est qu'en raison du refus de cette dernière de s'y soumettre, que la poursuite de l'arbitrage resté en suspens a été nécessaire; que l'estoppel ne peut rendre irrecevable l'appel formé contre une ordonnance ayant prononcé la forclusion, à laquelle elle s'est toujours opposée, sauf à la priver indûment de l'accès au juge.


Sur le fond, elle soutient qu'elle a satisfait à l'exigence de saisine posée par l'ordonnance du 12 septembre en adressant dans le délai d'un mois, le 10 octobre 2018, au secrétariat de la CCI une demande de formation d'un tribunal arbitral. Elle précise qu'elle ne maîtrise pas le délai dans lequel la CCI constitue de tribunal et qu'exiger sa constitution dans le délai d'un mois reviendrait à imposer au créancier une condition impossible à réaliser. Elle ajoute que la désignation de l'arbitre n'a pas été faite par Hydro mais par la CCI de sorte que la société Hydro n'a pas saisi la juridiction compétente le 28 novembre 2018 mais le 10 octobre 2018.


Elle fait par ailleurs valoir que conformément à la jurisprudence, la forclusion ne peut pas être prononcée à défaut de mention expresse de cette sanction dans l'ordonnance initiale ou dans sa notification. Elle ajoute qu'aux termes de l'article R624-5 du Code de commerce, ce n'est pas la notification de l'ordonnance qui fait courir le délai d'un mois mais la notification de l'avis d'avoir à saisir le juge compétent dans le délai d'un mois sous peine de forclusion et qu'en l'espèce, aucun avis n'a été délivré à Hydro de sorte que le délai de forclusion n'a pu courir.


La société [...] et la SELARL [...] ès qualités de mandataire judiciaire de la société [...] demandent à la cour, par dernières conclusions avant clôture du 26 août 2020 de:
Vu les articles L. 624 2 et R. 624 5 du Code de commerce,
Vu l'article 1355 du Code Civil,
Vu l'article 122 du Code de Procédure Civile,
Vu les articles L. 622 23 et R. 622 23 du Code de commerce,
Dire et juger la SA [...] ainsi que le mandataire judiciaire ès qualités recevables et bien fondés en leurs demandes, fins et prétentions,
Juger irrecevable l'appel de la société Hydro Construction à l'encontre de l'ordonnance du 2 octobre 2019,
Confirmer l'ordonnance du juge commissaire du 2 octobre 2019 en toutes ses dispositions,
notamment en ce qu'elle a prononcé la forclusion de la société Hydro Construction au titre de sa créance déclarée au passif de la société [...] et donc le rejet de la créance déclarée par d'Hydro Construction pour un montant de 3.811.706,25 euros,
Débouter Hydro Construction au titre de l'ensemble de ses demandes, moyens, fins et prétentions,
Condamner la société Hydro Construction à verser:
- la somme de 10.000 euros à [...] au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel,
- la somme de 10.000 euros à SELARL [...] ès qualités au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel.


A l'appui de sa demande en constat de l'irrecevabilité de l'appel, elles font valoir :
- que l'ordonnance du 12 septembre 2018 a jugé de manière irrévocable qu'aucune instance n'était en cours entre les parties à cette date, de sorte que l'autorité de la chose jugée attachée à cette ordonnance fait obstacle à ce que la société Hydro soutienne, dans le cadre de son appel contre l'ordonnance du 2 octobre 2019, que le Tribunal arbitral était déjà saisi à cette date,
- que la société Hydro se contredit, en violation du principe de l'estoppel, en soutenant que le Tribunal arbitral était déjà saisi avant l'ouverture du redressement judiciaire car:
* elle a présenté, à tort, la décision de l'adjudicateur comme une décision arbitrale exécutoire, ce qui signifiait qu'une procédure judiciaire avait déjà eu lieu et était achevée,
* alors que le mandataire judiciaire proposait de solliciter le constat d'une instance en cours, elle s'y est opposée dans sa réponse à contestation, indiquant ne pas souhaiter soumettre le litige à l'arbitrage, ce qui signifiait bien qu'aucune procédure arbitrale n'était engagée,
* si l'instance avait été en cours au jour du jugement d'ouverture du redressement judiciaire, elle aurait dû la poursuivre en mettant en cause le mandataire judiciaire après avoir déclaré sa créance,
* elle n'a pas contesté l'ordonnance du 12 septembre 2018 l'invitant à saisir la juridiction compétente, ce qui confirme que celle ci n'était pas saisie,
* elle ne peut prétendre à la fois que le Tribunal arbitral était saisi dès 2013, et avoir procédé aux démarches nécessaires en vue de cette saisine en octobre 2018.


Elles s'opposent à l'exception d'irrecevabilité soulevée par la société Hydro en indiquant que la société [...] n'a jamais demandé au juge-commissaire de constater l'existence d'une instance en cours, que la soit disante contradiction concerne des instances distinctes, et que le principe de l'estoppel ne peut l'empêcher de solliciter la forclusion dont la possibilité a été ouverte par l'ordonnance du 12 septembre 2018.


Sur le fond, les intimées soutiennent que la démarche entreprise par la société Hydro en octobre 2018 ne constitue pas la saisine du Tribunal arbitral, juridiction éphémère et ad hoc qui n'existe qu'à compter de sa désignation et ne peut être saisie avant d'être constituée, soit le 28 novembre 2018, étant ajouté que la CCI n'est pas une juridiction. Elles précisent que le courrier du 10 octobre 2018 ne peut valoir saisine de la juridiction compétente faute de mise en cause du mandataire judiciaire de la société [...], la procédure étant indivisible entre le créancier, le débiteur et le mandataire judiciaire.








Elles font valoir que l'argument selon lequel la société Hydro ne saurait subir les délais de traitement du secrétariat de la CCI et de l'arbitre est sans portée dans la mesure où la forclusion prévue par l'article R 624 5 du Code de commerce est encourue quels que soient les motifs et où elle s'est volontairement placée dans cette situation, étant en mesure de solliciter la désignation du tribunal arbitral dès mai 2016, ce qu'elle a sciemment choisi de ne pas faire.


Elles ajoutent que l'ordonnance du 12 septembre 2018 n'avait pas à préciser la sanction de la forclusion, aucun texte ne l'imposant, qu'elle n'avait pas non plus à être suivie d'un "avis" précisant cette sanction, que la solution rendue par la Cour de cassation dans un arrêt du 2 novembre 2016 qui a refusé l'application de la forclusion au nom du principe du procès équitable ne peut être étendue en l'espèce et que la société Hydro ne pouvait ignorer la sanction encourue.


L'affaire a été fixée à bref délai à l'audience du 17 septembre 2020.


Il est expressément référé aux écritures des parties pour plus ample exposé des faits ainsi que de leurs moyens et prétentions.


La clôture de la procédure a été prononcée par ordonnance du 27 août 2020.


La société Hydro Construction a transmis le 8 septembre 2020 des conclusions réitérant ses précédentes demandes outre une demande de révocation de l'ordonnance de clôture.


Elle précise que par sentence arbitrale du 27 juillet 2020, l'arbitre a confirmé la violation par la société [...] de ses obligations et l'a condamnée à payer à Hydro la somme de 1.710.120,26 dollars et 40.000€ francs suisses à titre de dommages et intérêts.


La société [...] et la SELARL [...] ès qualités ont signifié de nouvelles conclusions le 15 septembre 2020, qui demandent à la cour à titre liminaire :
- d'admettre aux débats et déclarer recevables leurs conclusions et les 13 pièces régularisées le 26 août 2020 dans la présente procédure,
- de révoquer l'ordonnance de clôture du 27 août 2020, et admettre aux débats l'ensemble des conclusions et pièces régularisées par les parties jusqu'au 17 septembre 2020,
- le cas échéant, statuer sur une modification du calendrier procédural et un renvoi de l'audience
de plaidoirie afin de permettre à la société Hydro construction de répliquer aux présentes conclusions et à la société [...] et de son mandataire O... le cas échéant de répondre à cette réplique,
- rejeter les demandes de la société Hydro construction tendant à déclarer irrecevables leurs conclusions et les pièces régularisées le 26 août 2020,
- à titre subsidiaire, s'il n'était pas fait droit à la demande tenant à voir déclarer recevables les
conclusions et les 13 pièces régularisées le 26 août 2020 par la [...] et la SELARL [...] ès qualités dans la présente procédure, déclarer irrecevables et partant, écarter des débats, les conclusions et pièces la société Hydro construction le 4 août 2020 et le 8 septembre 2020.


Elles ont réitéré pour le surplus les demandes formées dans le dispositif de leurs conclusions du 26 août 2020.














A l'audience, avant le déroulement des débats, l'ordonnance de clôture a été révoquée à la demande des parties et l'instruction de nouveau clôturée par simple mention au dossier.


Les parties ont été autorisées à produire en cours de délibéré une copie de la clause compromissoire conclue entre les parties.


La société Hydro a transmis par courrier du 21 septembre 2020 une copie du contrat conclu entre les parties en langue anglaise et une traduction libre de l'article 15.




MOTIFS DE LA DÉCISION :


Sur la demande d'irrecevabilité de l'appel


La société [...] soulève l'irrecevabilité de l'appel formé par la société Hydro, pour atteinte de l'autorité de la chose jugée attachée à l'ordonnance du 12 septembre 2018 et pour violation du principe de l'estoppel.


L'autorité de la chose jugée est attachée au dispositif d'une décision de justice. En l'espèce, l'ordonnance du 12 septembre 2018 a dit y avoir lieu de surseoir à statuer sur la déclaration de créance de la société Hydroconstruction et de renvoyer le créancier Hydroconstruction à saisir la juridiction compétente dans le délai d'un mois suivant la notification de l'ordonnance conformément à l'article R624-5 du Code de commerce. Elle n'a pas dit expressément qu'aucune instance n'était en cours entre les parties à cette date. En tout état de cause, même à supposer, qu'il doive s'en déduire une autorité de la chose jugée sur ce point en application de l'article L624-2 du Code de commerce, faisant obstacle à ce que la société Hydro soutienne dans la présente instance que le Tribunal arbitral était déjà saisi à cette date, seule la demande de rejet de la demande de forclusion pourrait être déclarée irrecevable, ce qui n'est pas sollicité et la cour n'étant pas tenue de le soulever d'office, et non l'appel lui-même formé contre l'ordonnance du 2 octobre 2019 ayant prononcé la forclusion.


Sur la question de l'estoppel, les intimées n'établissent pas que la société Hydro se contredit à leur détriment en indiquant devant la cour que le tribunal arbitral était déjà saisi avant l'ouverture du redressement judiciaire. En effet, la société Hydro a mentionné avoir initié une procédure d'arbitrage dès son courrier de déclaration de créance adressé le 16 novembre 2017 au mandataire judiciaire puis à nouveau dans son courrier du 9 avril 2018 . Le fait qu'elle se soit appuyée sur la décision de l'adjudicateur, qu'elle ait ensuite indiqué ne pas souhaiter reprendre la procédure restée en suspens, et qu'elle n'ait pas mis en cause le mandataire judiciaire devant le tribunal arbitral après sa déclaration de créance ni formé appel de l'ordonnance du 12 septembre 2018 l'invitant à saisir la juridiction compétente, n'apparaît pas constitutif de contradictions faites au détriment de la société [...], étant en tout état de cause observé que là encore, il ne pourrait en résulter que l'irrecevabilité de demandes formées par la société Hydro, que la société [...] ne sollicite pas et que la cour n'est pas tenue de soulever d'office, et non l'irrecevabilité de son appel contre l'ordonnance du 2 octobre 2019 qui est seule demandée.


En l'absence de motifs d'irrecevabilité de l'appel, cette demande doit être rejetée et l'appel formé par la société Hydro déclaré recevable.












Sur l'irrecevabilité de la demande de forclusion formée par O... pour atteinte au principe de l'estoppel :


Il est exact que dans le cadre de sa contestation de créance formée par courrier du 27 février 2019, la société [...] a indiqué que le créancier (Hydro) était demandeur d'un arbitrage international et que la créance faisait donc l'objet d'une procédure en cours, le mandataire judiciaire indiquant pour sa part dans un courrier reçu le 13 mars 2018 qu'il proposerait la constatation d'une instance en cours, alors que devant le premier juge et devant la cour, les intimées soutiennent que le tribunal arbitral n'a pas été saisi dans le délai d'un mois prévu conformément à l'ordonnance du 12 septembre 2018.


Le mandataire judiciaire avait toutefois modifié sa position bien avant puisque dans son courrier du 21 août 2018, il proposait au juge-commissaire de retenir une contestation sérieuse et non l'existence d'une instance en cours, et d'inviter la juridiction Hydro à saisir la juridiction compétente. Cette dernière avait connaissance de cette position du mandataire lors de l'audience ayant conduit à l'ordonnance du 12 septembre 2018 et ne justifie pas d'une contradiction faite à son détriment.


Il n'y a donc pas lieu de retenir une contradiction des intimées au détriment de l'appelante et d'en déduire l'irrecevabilité de la demande de forclusion.


Sur la demande de forclusion


L'article R624-5 du Code de commerce dans sa rédaction issue du décret du 6 mai 2017 applicable à la cause énonce:
"Lorsque le juge-commissaire se déclare incompétent ou constate l'existence d'une contestation sérieuse, il renvoie, par ordonnance spécialement motivée, les parties à mieux se pourvoir et invite, selon le cas, le créancier, le débiteur ou le mandataire judiciaire à saisir la juridiction compétente dans un délai d'un mois à compter de la notification ou de la réception de l'avis délivré à cette fin, à peine de forclusion à moins d'appel dans les cas où cette voie de recours est ouverte".


Par ordonnance du 12 septembre 2018, le juge commissaire a dit y avoir lieu de surseoir à statuer sur la déclaration de créance de la société Hydro construction et de renvoyer le créancier Hydroconstruction &Eng Co Ltd à saisir la juridiction compétente dans le délai d'un mois suivant la notification de l'ordonnance conformément à l'article R624-5 du Code de commerce.


Les parties s'accordent pour retenir qu'en application du contrat les liant, la juridiction compétente était la juridiction arbitrale prévue dans la clause compromissoire, le lieu de l'arbitrage étant la Chambre de commerce internationale, et l'arbitre étant désigné conformément au règlement d'arbitrage de la chambre de commerce internationale (articles 15, 15-1, 15-2 et 15-3 du contrat).


En application du règlement d'arbitrage produit en pièce 18 par l'appelante, les principales étapes de désignation du tribunal arbitral sont les suivantes :
- la partie qui désire avoir recours à l'arbitrage selon le Règlement adresse sa demande d'arbitrage au secrétariat de la Cour internationale d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale (articles 1 et 4-1) et la date de réception de la demande par le secrétariat est considérée à toutes fins, être celle d'introduction de l'arbitrage (article 4-2),
- cette cour ne résout pas elle-même les différends (article 1)
- le défendeur donne ensuite sa réponse dans un délai de trente jours à compter de la réception de la demande communiquée par le secrétariat (article 5)
- en convenant d'avoir recours à un arbitrage selon le Règlement, les parties acceptent qu'il soit administré par la cour (article 6-2),
- si les parties n'ont pas convenu du nombre d'arbitres, la cour nomme un arbitre unique (...) ; lorsque les parties sont convenues que le différend sera résolu par un arbitre unique, elles peuvent le désigner d'un commun accord pour confirmation. Faute d'entente dans un délai de trente jours, l'arbitre unique est nommé par la cour (article 12-2 et 12-3).


Il ressort de ces textes du règlement arbitral que le demandeur à l'arbitrage adresse sa demande au secrétariat de la Cour internationale d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale, la date de réception de la demande étant la date d'introduction de l'arbitrage et que c'est ensuite cette cour qui saisit l'arbitre, sauf désignation d'un commun accord par les parties, pour confirmation.


En l'espèce, l'ordonnance du 12 septembre 2018 a été notifiée 18 septembre 2018 et la société Hydro en a accusé réception le 24 septembre 2018.


Il n'est pas contesté que la société Hydro a adressé le 10 octobre 2018 au secrétariat de la Cour internationale d'arbitrage un courrier se référant à sa correspondance du 3 octobre 2018 et lui demandant "de reprendre le cours de la procédure d'arbitrage et que cette procédure ne soit donc plus considérée comme mise en attente".


Même si la société Hydro se réfère dans ce courrier à une procédure d'arbitrage déjà engagée, alors que l'ordonnance du 12 septembre 2018 n'a pas retenu l'existence d'une instance en cours puisqu'elle l'a invitée à saisir la juridiction compétente, il convient de retenir que par ce courrier, la société Hydro a bien sollicité la désignation d'un arbitre, juridiction compétente, ce dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'ordonnance.


Il ressort de la sentence arbitrale du 27 juillet 2020 produite par l'appelante en pièce 19 que l'arbitre a été nommé par la Cour internationale d'arbitrage le 28 novembre 2018.


Les intimés prétendent que ce courrier du 10 octobre 2018 ne peut valoir saisine de la juridiction compétente au sens de l'article R624-5 du Code de commerce notamment parce qu'un tribunal arbitral ne peut être saisi avant d'exister et qu'en l'espèce, l'arbitre n'a été désigné que le 28 novembre 2018.


S'il est exact que la cour internationale d'arbitrage de la Chambre de commerce internationale n'est pas la juridiction compétente pour trancher le litige, il n'en reste pas moins qu'en application du règlement arbitral susvisé, c'est bien elle et non l'arbitre directement, que la société Hydro devait saisir et c'est ensuite cette cour elle-même qui désignait l'arbitre (ou confirmait la désignation faite par les deux parties), ce qu'elle a fait le 28 novembre 2018.


Il ne peut donc être soutenu que la société Hydro n'a pas saisi la juridiction compétente dans le délai d'un mois au motif que l'arbitre n'a été désigné que le 28 novembre 2018 alors qu'elle n'avait pas le pouvoir de le désigner directement et qu'elle ne pouvait maitriser le délai dans lequel la cour internationale d'arbitrage le désignerait elle-même, qui en l'espèce a été de 48 jours, soit en toute hypothèse plus d'un mois.


Par ailleurs, l'ordonnance du 12 septembre 2018 imposait uniquement la saisine de la juridiction compétente dans le délai d'un mois.


Il est exact que la procédure de vérification des créances étant indivisible entre le créancier, le débiteur et le mandataire judiciaire ou le liquidateur, la partie qui saisit le juge compétent sur l'invitation du juge-commissaire doit mettre en cause devant ce juge les deux autres parties.


S'il n'est pas contesté qu'en l'espèce, l'instance d'arbitrage a concerné uniquement la société Hydro et la société [...] sans qu'apparaisse l'intervention du mandataire judiciaire de cette dernière, ce moyen d'irrecevabilité pouvait être soulevé devant l'arbitre ou par ce dernier, ce qui n'a pas été le cas, mais ne saurait rendre irrégulière la saisine dans le délai d'un mois de la Cour internationale d'arbitrage aux fins de désignation de l'arbitre opérée par courrier du 10 octobre 2018, ni la priver de son effet interruptif de la forclusion, même si ce courrier ne visait pas expressément la SELARL [...] en qualité de mandataire.


Au surplus et en tout état de cause, la cour observe que l'ordonnance du 12 septembre 2018 renvoyait la société Hydro à saisir la juridiction compétente dans le mois de la notification de la présente conformément aux dispositions de l'article R 624-5 du Code de commerce mais sans préciser que cette saisine dans le délai imparti devait être effectuée "à peine de forclusion". Les parties n'ont pas non plus été avisées postérieurement de la sanction encourue, lors de la notification ou de la réception de l'avis délivré à cette fin, au sens de l'article R624-5 susvisé.


Au regard des termes de l'article R624-5 du Code de commerce, de l'article 6 §1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de la gravité des conséquences de la forclusion en l'espèce, c'est à dire un rejet de la créance, a fortiori s'agissant d'un créancier qui est une société de droit étranger, il convient de considérer que la forclusion ne pouvait dès lors être opposée à la société Hydro.


Pour l'ensemble de ces motifs, il y a lieu d'infirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions et, ainsi que le demande expressément l'appelante, de renvoyer les parties devant le juge-commissaire aux fins de poursuite de la procédure de fixation de la créance au passif de la procédure de redressement judiciaire de la société [...].


Il convient de débouter la société [...] et la SELARL [...] ès qualités de mandataire judiciaire de toutes leurs demandes.


Les dépens d'appel doivent être mis à la charge des intimées et le sort des dépens de l'instance de vérification sera fixé par le juge-commissaire devant lequel l'instance se poursuit.


Les intimées seront condamnées à verser à l'appelante une somme de 3000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.




PAR CES MOTIFS


La Cour,


- Rejette la demande d'irrecevabilité de l'appel formé par la société Hydroconstruction & Eng Co Ltd et déclare cet appel recevable ;


- Rejette la demande d'irrecevabilité de la demande de forclusion de la créance de la société Hydroconstruction & Eng Co Ltd, formée par la société [...] et son mandataire ;


- Infirme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions ;


Statuant à nouveau et y ajoutant,


- Déboute la société [...] et la SELARL [...] ès qualités de mandataire judiciaire de la société [...] de leur demande de constat de la forclusion et de toutes leurs demandes ;


- Renvoie les parties devant le juge-commissaire près du tribunal de commerce d'Orléans aux fins de poursuite de la procédure de fixation de la créance de la société Hydroconstruction & Eng Co Ltd au passif de la procédure de redressement judiciaire de la société [...] ;


- Condamne la société [...] et la SELARL [...] ès qualités de mandataire judiciaire de la société [...] à payer à la société Hydroconstruction & Eng Co Ltd la somme de 3000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;


- Met les dépens d'appel à la charge de la société [...] et de la SELARL [...] ès qualités de mandataire judiciaire de la société [...] et dit que le sort des dépens de l'instance de vérification sera fixé par le juge-commissaire devant lequel l'instance se poursuit.


Arrêt signé par Madame Carole CAILLARD, Président de la chambre commerciale à la Cour d'Appel d'ORLEANS, présidant la collégialité et Madame Marie-Claude DONNAT, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.




LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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