21 juin 2018
Cour d'appel d'Aix-en-Provence
RG n° 16/14298

Texte de la décision

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE
8e Chambre C


ARRÊT AU FOND
DU 21 JUIN 2018


No 2018/ 250












Rôle No No RG 16/14298 - No Portalis DBVB-V-B7A-7BJD






SARL CONSEIL PLUS INGENIERIE




C/


Fabrice, Pierre, Jean, Y...
Véronique, Laurence, Thérèse, Y...




















Grosse délivrée
le :
à :


MUSACCHIA
ALIAS












Décision déférée à la Cour :


Jugement du Tribunal de Commerce d'ANTIBES en date du 29 Juillet 2016 enregistré au répertoire général sous le no 2015 5046.




APPELANTE


SARL Conseil Plus Ingenierie agissant poursuites et diligences de son gérant, dont le siège est [...]
représentée par Me Elie MUSACCHIA, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et assistée de Me Jean-philippe DEBRUGE-ESCOBAR, avocat au barreau de NICE substituant Me DEPLANO, avocat au barreau de NICE




INTIMES


Monsieur Fabrice, Pierre, Jean Y...
né le [...] à CHATEAURENARD (13), demeurant [...]
représenté par Me Pascal ALIAS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et assisté de Me Florent ELLIA, avocat au barreau de NICE,


Mademoiselle Véronique, Laurence, Thérèse Y...
née le [...] à CHATEAURENARD (13), demeurant [...]
représentée par Me Pascal ALIAS, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE et assistée de Me Florent ELLIA, avocat au barreau de NICE,












*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR




L'affaire a été débattue le 15 Mai 2018 en audience publique. Conformément à l'article 785 du code de procédure civile, Madame Isabelle DEMARBAIX, vice-président placé auprès du premier président a fait un rapport oral de l'affaire à l'audience avant les plaidoiries.


La Cour était composée de :




Monsieur Dominique PONSOT, Président
Madame Cathy CESARO-PAUTROT, Conseiller
Madame Isabelle DEMARBAIX, Vice-président placé auprès du Premier Président






qui en ont délibéré.


Greffier lors des débats : Madame Valérie VIOLET.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 21 Juin 2018






ARRÊT


Contradictoire,


Prononcé par mise à disposition au greffe le 21 Juin 2018,


Signé par Monsieur Dominique PONSOT, Président et Madame Valérie VIOLET, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.


***


Vu le jugement du tribunal de commerce d'Antibes du 29 juillet 2016 ayant, notamment :
- débouté la société Conseil Plus Ingénierie de sa demande en nullité du rapport d'expertise,
- homologué le rapport de M. C..., expert,
- ordonné la cession des 900 parts sociales détenues par les consorts Y... dans le capital de la société Conseil Plus Ingénierie au profit de la société Conseil Plus Ingénierie,
- ordonné la signature de l'acte sous seing privé ou de l'acte authentique constatant la cession desdites parts dans le délai de quinze jours à compter de la décision à intervenir au profit de la société Conseil Plus Ingénierie,
- ordonné à la société Conseil Plus Ingénierie de procéder aux formalités d'enregistrement de l'acte de cession auprès du Trésor Public et au RCS, à ses frais exclusifs,
- dit qu'à défaut, la décision à intervenir vaudra acte de vente et sera publiée au RCS dans le délai d'un mois suivant la mise en demeure délivrée par les requérants et restée sans effet et ce aux frais de la société Conseil Plus Ingénierie,
- condamné la société Conseil Plus Ingénierie à payer aux consorts Véronique et Jérôme Y..., la somme de 516.150 euros, au plus tard dans le délai de quinze jours à compter de la décision à intervenir,
- ordonné le versement aux consorts Y... des dividendes au titre de l'exercice social 2014 au prorata des 900 parts qu'ils détiennent dans le capital de la société Conseil Plus Ingénierie,
- ordonné l'exécution provisoire,
- condamné la société Conseil Plus Ingénierie à payer aux consorts Y... la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté comme inutiles et non fondés tous autres moyens et conclusions contraires des parties,
- condamné la société Conseil Plus Ingénierie aux entiers dépens ;




Vu la déclaration du 1er août 2016, par laquelle la SARL Conseil Plus Ingénierie a relevé appel de cette décision ;


Vu les dernières conclusions notifiées le 24 janvier 2017, aux termes desquelles la SARL Conseil Plus Ingénierie demande à la cour de :
- réformer purement et simplement le jugement entrepris,
- constater la nullité absolue du rapport d'expertise du fait de l'absence de prestation de serment de M. C..., personne ne figurant sur aucune des listes dressées par les cours d'appel,
En tout état de cause,
- constater qu'après l'avoir sollicité hors de tout contradictoire, M. C... n'a pas tenu compte du bilan 2015 du fait de son caractère défavorable à l'évaluation des parts sociales, alors que la date du décès se situe au cours de l'exercice clos le [...] ,
- constater par conséquent qu'il n'a pas évalué la valeur des droits sociaux à la date la plus proche de la cession,
- constater que l'expert a violé les termes de sa mission en évaluant la valeur de l'entreprise et non celle des droits sociaux en tenant compte des particularités de la société concernée,
En conséquence,
- constater que le rapport est entaché a minima de deux erreurs grossières au sens de la jurisprudence rappelée dans le corps des présentes conclusions,
- dire et juger de plus fort nul le rapport d'expertise,
- s'entendre fixer la valeur des parts à 206.400 euros,
Subsidiairement,
- renvoyer la cause au président de la juridiction statuant en la forme des référés pour entrer en voie de désignation d'un nouvel expert,
Ou,
- renvoyer la partie la plus diligente à saisir ledit président afin de désignation d'un nouvel expert,
- condamner les intimés aux dépens, dont distraction ;


Vu les dernières conclusions notifiées le 27 avril 2017, aux termes desquelles Mme Véronique Y... et M. Fabrice Y... demandent à la cour de :
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,
- débouter la SARL Conseil Plus Ingénierie de l'intégralité de ses prétentions,
- ajoutant à la décision de première instance, condamner la SARL Conseil Plus Ingénierie au paiement de la somme de 5.000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la SARL Conseil Plus Ingénierie aux entiers dépens de l'instance, dont distraction ;




SUR CE, LA COUR,


Attendu que la SARL Conseil Plus Ingénierie a été immatriculée au RCS de Nice le 4 avril 1986 ;


Qu'au 25 novembre 2008, la répartition du capital de la société s'établissait comme suit :


- M. Bernard D... : 150 parts numérotées de 576 à 725,
- M. Z...E... : 950 parts numérotées de 1 à 225, de 451 à 575, de 726 à 1.175 et de 1.851 à 2.000,
- M. Michel Y... : 900 parts numérotées de 226 à 450 et de 1.176 à 1.850.


Qu'après le décès de Michel Y..., le notaire chargé de la succession a adressé le 5 septembre 2014 à la SARL Conseil Plus un acte de notoriété laissant apparaître que lui succédaient Mme Véronique Y... et M. Fabrice Y... ;


Que suivant assemblée générale du 27 octobre 2014, les associés de la SARL Conseil Plus Ingénierie ont décidé de ne pas agréer les héritiers en qualité d'associés ;


Que par courrier du 18 novembre 2014, la société a notifié aux héritiers le procès-verbal de l'assemblée générale contenant le refus d'agrément ainsi que la volonté d'acquérir les parts sociales du défunt pour un montant de 204.300 euros ;


Que par courrier du 27 novembre 2014, les consorts Y... ont refusé la proposition de la SARL, étant en désaccord sur la valeur des parts sociales ;


Que par ordonnance du 9 février 2015, à la demande de la société, M. C... a été désigné en qualité d'expert avec mission d'évaluer les parts sociales ;


Que le 9 octobre 2015, M. C... a déposé son rapport d'expertise, évaluant la valeur des 900 parts sociales détenue par l'hoirie Y... dans la SARL Conseil Plus Ingénierie à la somme de 516.150 euros ;


Que par acte introductif du 9 octobre 2015, les consorts Y... ont assigné la SARL devant le tribunal de commerce d'Antibes aux fins d'obtenir la cession de leurs 900 parts sociales pour le prix de 516.150 euros ; que par le jugement entrepris, cette demande a été accueillie ;




Sur la nullité du rapport d'expertise


Attendu que la SARL Conseil Plus Ingénierie fait, tout d'abord, valoir que le rapport serait nul car non seulement l'expert désigné, M. C..., ne figure sur aucune liste d'experts dressée par les cours d'appel, mais qu'en outre, il n'a pas prêté serment ;


Qu'elle précise n'avoir pu soulever la difficulté en cours d'expertise car, jusqu'au moment où elle a pris connaissance des conclusions de l'expert-comptable désigné, elle ne pouvait soupçonner le problème dans la mesure où l'ordonnance n'a pas respecté les termes de l'article 265 alinéa 2 du code de procédure civile ;


Que la SARL Conseil Plus Ingénierie affirme, ensuite, que le rapport d'expertise doit être déclaré nul car l'expert s'est grossièrement trompé dans l'évaluation de ses droits sociaux ;


Qu'en effet, l'expert n'a pas pris en compte les chiffres du bilan 2015 clôturé le 31 mars ; que selon l'appelant, en ne tenant pas compte des chiffres les plus récents, l'expert a commis un manquement fondamental dans la mesure où il n'a pas estimé la valeur des parts à la date la plus proche du décès, celui-ci étant intervenu le [...] , soit durant l'exercice clôturé le 31 mars 2015 ;


Que l'expert aurait en outre méconnu la mission donnée, en ne se préoccupant pas de chiffrer la valeur des droits sociaux mais de l'entreprise, pour ensuite se livrer à une règle de trois ; que selon la société appelante, il est inconcevable, dans le cadre d'une petite SARL comme en l'espèce, de chiffrer la valeur des droits sociaux à partir de la valeur de l'entreprise sans tenir compte de la décote de minorité, du caractère fondamental de l'intuitu personae tenant à la personnalité du gérant ;


Qu'elle demande, en conséquence la nullité du rapport d'expertise et sollicite, à titre subsidiaire, le renvoi de la cause au président du tribunal de commerce d'Antibes statuant en la forme des référés pour procéder à la désignation d'un nouvel expert, ou le renvoi de la partie la plus diligente à saisir ledit président afin de désignation ;




Qu'en réponse, les consorts Y... rétorquent que l'expertise de l'article 1843-4 est une expertise sui generis qui s'impose au juge ; que ce texte n'oblige pas le président du tribunal de faire le choix d'un expert inscrit sur les listes des cours et tribunaux ;


Que, selon eux, M. C... a parfaitement respecté les obligations et contraintes inhérentes à toute expertise et notamment le respect du contradictoire ;


Qu'ils soulignent que la SARL Conseil Plus Ingénierie n'a, préalablement à la présente instance, à aucun moment remis en cause la désignation de M. C... à quelque titre que ce soit, alors qu'elle aurait pu, dès avant, ou dès le début des opérations d'expertise saisir ce dernier ; qu'ils rappellent que si l'ordonnance de référé ordonnant l'expertise est sans recours possible, rien n'empêchait l'appelante de saisir tant le président du tribunal de commerce que l'expert sur ce point ;


Qu'en s'en remettant à l'estimation de l'expert désigné sur sa propre demande, la SARL fait de la valeur des droits sociaux ainsi déterminés sa loi et il n'appartient pas au juge de remettre en cause la décision de l'expert ;


Que les consorts Y... contestent par ailleurs que l'expert aurait commis une erreur grossière dans l'accomplissement de sa mission ;


Qu'ils font valoir que le fait générateur de la cession est la notification par la SARL de sa volonté de racheter les parts sociales selon la procédure prévue par les dispositions de l'article
1843-4 du code civil, de sorte que c'est, selon eux, à cette date que la cession doit prendre effet et l'évaluation être mise en œuvre ;


Que s'agissant de la mission de l'expert, les intimés affirment que la valeur de l'entreprise, à savoir la valeur du fonds de commerce, est une notion qui détermine l'évaluation des actifs de l'entreprise, et, dès lors, la valeur des droits sociaux qui en résultent ;


Qu'ils estiment que l'expert n'a pas modifié le sens de sa mission et a procédé à une évaluation sur la base de tous les éléments pertinents dont l'ensemble a permis d'évaluer la valeur réelle des droits sociaux ;




Attendu, en premier lieu, que la fixation de la valeur des parts à dire d'expert telle que prévue à l'article 1843-4 du code civil n'est pas soumise aux règles de désignation d'un expert judiciaire, régies par les articles 264 et suivants du code de procédure civile ; qu'il s'ensuit que l'absence d'exposé des circonstances rendant nécessaire la désignation en tant qu'expert d'une personne ne figurant pas sur l'une des listes d'experts judiciaires, de même que l'absence de prestation de serment de l'expert ainsi désigné ne vicient pas sa désignation ni l'accomplissement de sa mission ;


Attendu, en deuxième lieu, que s'il est exact que l'expert doit, pour l'évaluation des parts, se situer à une date la plus proche de la cession, il convient de constater, d'une part, que même si l'expert a expressément réalisé son évaluation sur la base des comptes arrêtés au 31 mars 2014 et des deux exercices précédents, il a toutefois mentionné le résultat de l'exercice clos au 31 mars 2015 en signalant que le résultat arrêté à cette date était en diminution en raison d'une augmentation significative de la masse salariale, à effectif constant ; que d'autre part, en réponse à un dire, l'expert a mentionné que, concernant les chiffres 2015, le bilan était en cours d'élaboration ;


Qu'ainsi, en ne faisant pas porter son évaluation sur des comptes annuels qui n'étaient pas approuvés à la date de dépôt du rapport, et en relativisant l'intérêt de prendre en compte le bilan en cours d'élaboration, au titre d'éléments prévisionnels, dès lors que la baisse du résultat qu'il révélait était imputable à des augmentations de salaires consenties aux salariés en place, l'expert n'a pas commis d'erreur grossière dans l'accomplissement de sa mission ;


Attendu, en dernier lieu, qu'en réponse à un dire du conseil de la SARL Conseil Plus Ingénierie, l'expert s'est expliqué de façon détaillée sur les raisons l'ayant conduit à ne pas appliquer au cas particulier de décote de minorité ; que l'expert a notamment relevé qu'aucun associé ne détenait la majorité des parts ; que, ce faisant, l'expert n'a pas commis d'erreur grossière ; que s'agissant de l'intuitu personae attaché à la personnalité du gérant, la SARL Conseil Ingénierie Plus ne précise pas en quoi ce paramètre agirait spécifiquement sur la valeur des parts des retrayants ;


Qu'il convient, en conséquence, de débouter la SARL Conseil Plus Ingénierie de sa demande d'annulation du rapport d'expertise ;


Que le jugement sera confirmé, étant observé que l'appelante, qui remet en cause dans le corps de ses écritures sa condamnation à verser aux consorts Y... leur quote-part de dividendes au titre de l'exercice 2014, ne présente aucune demande à ce titre dans le dispositif de ses conclusions ; qu'il sera rappelé qu'en application de l'article 954 du code de procédure civile, la cour n'est saisie que par les prétentions récapitulées au dispositif des conclusions déposées par les parties ;




Sur les dépens et les frais irrépétibles


Attendu que la SARL Conseil Plus Ingénierie, qui succombe dans ses prétentions, doit supporter les dépens de la procédure d'appel ;


Attendu que l'équité commande d'allouer en cause d'appel à Mme Véronique Y... et M. Fabrice Y... une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;




PAR CES MOTIFS


Statuant publiquement et contradictoirement,


CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;


Y AJOUTANT


- CONDAMNE la SARL Conseil Plus Ingénierie à payer à Mme Véronique Y... et M. Fabrice Y... la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;


REJETTE toute autre demande des parties,


CONDAMNE la SARL Conseil Plus Ingénierie aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile ;




LE GREFFIER LE PRESIDENT

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