1 mars 2017
Cour d'appel de Rouen
RG n° 16/01510

Texte de la décision

R.G : 16/01510

16/02078



COUR D'APPEL DE ROUEN

1ERE CHAMBRE CIVILE

ARRET DU 01 MARS 2017



DÉCISION DÉFÉRÉE :

12/03133

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE ROUEN du 02 Mars 2016




APPELANTS :

OFFICE PUBLIC DE l'HABITAT DU DEPARTEMENT DE LA SEINE MARITIME - HABITAT 76

17 rue de Malherbe

76100 ROUEN

représentée par la SELARL YANNICK ENAULT-CHRISTIAN HENRY, avocat au barreau de ROUEN, postulant

assistée de Me THIREL de la SELARL THIREL SOLUTIONS, avocat au barreau de ROUEN, plaidant

SASU TOTAL MARKETING FRANCE

24 cours Michelet

92800 PUTEAUX

représentée par Me Jean-Sébastien VAYSSE, avocat au barreau de ROUEN, postulant

assistée de Me Sébastien REGNAULT, avocat au barreau de PARIS, plaidant

INTIMES :

COMMUNE DE ROUEN

Hôtel de Ville

Place du Général de Gaulle

76037 ROUEN

représentée et assistée par la SELARL DAMC, avocat au barreau de ROUEN,

substituée par Me FIQUET-ROY, avocat au barreau de ROUEN




SASU TOTAL MARKETING FRANCE

24 Cours Michelet

92800 PUTEAUX

représentée par Me Jean-Sébastien VAYSSE, avocat au barreau de ROUEN, postulant

assistée de Me Sébastien REGNAULT, avocat au barreau de PARIS, plaidant

OFFICE PUBLIC DE L'HABITATION DU DEPARTEMENT DE SEINE MARITIME - HABITAT

17 rue de Malherbe

76100 ROUEN

Représentée par la SELARL YANNICK ENAULT-CHRISTIAN HENRY, avocat au barreau de ROUEN, postulant

assistée de Me THIREL de la SELARL THIREL SOLUTIONS, avocat au barreau de ROUEN, plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 786 du Code de procédure civile, l'affaire a été plaidée et débattue à l'audience du 09 Janvier 2017 sans opposition des avocats devant Monsieur LOTTIN, Président, rapporteur, en présence de Madame FEYDEAU-THIEFFRY, Conseiller,

Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Monsieur LOTTIN, Président

Monsieur SAMUEL, Conseiller

Madame FEYDEAU-THIEFFRY, Conseiller




GREFFIER LORS DES DEBATS :

Mme VERBEKE, Greffier

DEBATS :

A l'audience publique du 09 Janvier 2017, où l'affaire a été mise en délibéré au 01 Mars 2017



ARRET :

CONTRADICTOIRE

Prononcé publiquement le 01 Mars 2017, par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

signé par Monsieur LOTTIN, Président, et par Mme VERBEKE, Greffier présent à cette audience.




*

* *

Exposé du litige

Par acte du 16 juin 1986, la Sa Compagnie de Raffinage et de Distribution Total France a vendu à la Sci Benzerrouk un ensemble immobilier situé 35, place du Châtelet à Rouen, correspondant à un bâtiment à usage de station-service, qui avait été déclaré au titre des installations classées le 13 février 1964.

Cet immeuble a été cédé à la société Lidl le 15 avril 1991 et est devenu à usage commercial et d'habitation.

Par acte du 4 décembre 2000, la Commune de Rouen l'a acquis dans le cadre de son "Grand projet de Ville" et plus précisément des opérations de renouvellement urbain du quartier Châtelet.

Le 2 juillet 2004, la commune a notifié à l'Office Public de l'Habitat du département de Seine Maritime, dénommé Habitat 76, son accord pour la cession d'une partie du terrain de cet ensemble immobilier aux fins d'y édifier des logements sociaux.

Habitat 76 a fait réaliser en 2009 des études géotechniques des sols et déposé une demande de permis de construire.

Par acte du du 2 août 2010, cet établissement public a acquis la partie de terrain évoquée ci-dessus, dénommée îlot 2a et d'une superficie de 1584 m², au prix de 177 400 euros en vue d'y construire 38 logements sociaux et un centre médico-social.




Lors de la construction du parking en sous-sol, Habitat 76 a fait constater par huissier la présence d'un mur en béton provenant de l'ancienne construction Lidl et de 4 cuves d'hydrocarbures provenant de l'ancienne station-service.

La société HPC Envirotec a déposé le 7 janvier 2011 un rapport sur la pollution des sols par hydrocarbures.

Habitat 76 a fait effectuer les travaux de remise en état et de dépollution. Par courrier du 14 mai 2012, elle a mis en demeure la société Total de lui régler à ce titre la somme de 375 601,84 euros.

Par actes des 27 et 28 juin 2012, Habitat 76 a assigné la Commune de Rouen et la société Total Raffinage Marketing aux fins de les voir condamner solidairement à lui payer cette somme de 375 601,84 euros, reprochant à cette dernière d'avoir omis d'effectuer la remise en état de son installation classée au moment de l'arrêt de l'exploitation, ainsi qu'une somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts complémentaires et une indemnité de 7500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Il a sollicité en outre la condamnation de la Commune de Rouen à lui payer une somme de 37 377,92 euros en remboursement du coût de démolition des fondations spéciales du site, invoquant l'engagement de cette dernière à vendre un terrain sans fondations.

Par jugement rendu le 2 mars 2016, le tribunal de grande instance de ROUEN a adopté le dispositif suivant :

Condamne la société TOTAL MARKETING FRANCE venant aux droits de la société TOTAL RAFFINAGE MARKETING a régler à HABITAT 76 les sommes suivantes :

- 214.807,49 euros à titre de dommages-intérêts,

- 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute la COMMUNE DE ROUEN de sa demande formée à l'encontre de HABITAT 76 sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société TOTAL MARKETING FRANCE venant aux droits de la société TOTAL RAFFINAGE MARKETING aux dépens et accorde droit de recouvrement direct, dans les conditions d'application de l'article 699 du code de procédure civile, aux avocats qui en ont fait la demande,

Ordonne l'exécution provisoire,

Rejette toutes autres demandes.

La Sasu Total Marketing France a interjeté le 25 mars 2016 un appel total de cette décision à l'encontre de la Commune de Rouen et de l'Office public de l'habitat du département de Seine Maritime.

L'Office public de l'habitat du département de Seine Maritime-Habitat 76 a également interjeté le 27 avril 2016 un appel général de cette décision à l'encontre de la société Total Marketing France venant aux droits de la société Total Raffinage Marketing.

Ces deux procédures d'appel ont été jointes par ordonnance du conseiller de la mise en état rendue le 12 septembre 2016.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 décembre 2016.

Prétentions et moyens des parties

Pour l'exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé aux conclusions remises au greffe par la société Total Marketing France (ci-après dénommée société Total) le 23 juin 2016, à celles remises au greffe par la Commune de Rouen le 22 août 2016 et à celles remises au greffe par l'établissement public Office public de l'habitat du département de la Seine-Maritime (ci-après dénommé Habitat 76) le 5 octobre 2016.



Leurs moyens seront examinés dans les motifs de l'arrêt.

La société Total sollicite l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée à régler à Habitat 76 la somme de 214 807,49 euros à titre de dommages et intérêts et la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Elle demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Habitat 76 de ses autres demandes.

La société Total conclut au débouté de Habitat 76 pour l'ensemble de ses demandes formées à son encontre et sollicite la condamnation de ce dernier à lui payer la somme de 7000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La Commune de Rouen sollicite la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a rejeté toutes les demandes formulées à son encontre et demande à la cour de condamner tout succombant à lui payer une somme de 5000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.



Habitat 76 sollicite la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a jugé que la société Total avait manqué à ses obligations de remise en état de sa station-service en s'abstenant de sécuriser le site et de le dépolluer.

Elle conclut à la réformation du jugement entrepris sur le montant des condamnations mises à la charge de la société Total et demande à la cour de condamner cette dernière à lui payer le coût de la dépollution du site à hauteur de la somme de 375 601,84 euros assortie des intérêts légaux à compter du 14 mai 2012.

Enfin, Habitat 76 demande à la cour de débouter la Ville de Rouen de sa demande formée à son encontre au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de condamner la société Total, sur ce même fondement, à lui payer une somme de 3000 euros.

Sur ce, la Cour,

A titre liminaire, il convient d'indiquer que les dispositions du code civil auxquelles le présent arrêt est susceptible de se référer sont celles antérieures à l'ordonnance du 10 février 2016, celle-ci n'étant applicable qu'aux seuls contrats conclus à compter du 1er octobre 2016.

Il résulte de l'article 34 alinéa 2 du décret no77-1133 du 21 septembre 1977, dans sa version applicable au 16 juin 1986, que :

"Lorsqu'une installation cesse l'activité au titre de laquelle elle était autorisée ou déclarée, son exploitant doit en informer le préfet dans le mois qui suit cette cessation ; il est donné récépissé ; l'exploitant doit remettre le site de l'installation dans un état tel qu'il ne s'y manifeste aucun des dangers ou inconvénients mentionnés à l'article 1er de la loi du 19 juillet 1976. A défaut, il peut être fait application des procédures prévues par l'article 23 de cette loi."

L'article 1er de la loi 76-6663 du 19 juillet 1976 vise à cet égard les installations qui peuvent présenter des "dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publique, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature et de l'environnement, soit pour la conservation des sites et des monuments".

En outre le décret no 2005-1170 a créé un article 34-5 au décret du 21 septembre 1977 susvisé qui dispose que :

"Pour les installations ayant cessé leur activité avant le 1er octobre 2005, le préfet peut imposer à tout moment à l'exploitant, par arrêté pris dans les formes prévues à l'article 18, les prescriptions nécessaires à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement, en prenant en compte un usage du site comparable à celui de la dernière période d'exploitation de l'installation."

Ainsi que le souligne la société Total, l'article L. 512-12-1 du code de l'environnement, s'il n'est pas applicable au litige, reprend sensiblement cette même règle en prévoyant que :

"Lorsque l'installation soumise à déclaration est mise à l'arrêt définitif, l'exploitant place le site dans un état tel qu'il ne puisse porter atteinte aux intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 et qu'il permette un usage futur comparable à la dernière période d'activité de l'installation. Il en informe le propriétaire du terrain sur lequel est sise l'installation ainsi que le maire ou le président de l'établissement public de coopération intercommunale compétent en matière d'urbanisme."

Pour faire partiellement droit aux demandes de Habitat 76, le premier juge a retenu qu'il résultait :

- du procès-verbal de constat d'huissier dressé le 18 novembre 2010 à la demande de ce dernier et de la note de la société Cedres, société spécialisée à laquelle avait fait appel Habitat 76, que les cuves de stockage d'hydrocarbures découvertes en cours de chantier contenaient du béton maigre mais aussi des hydrocarbures liquides et gazeux, tandis que des odeurs fortes de gasoil étaient présentes sur le terrain ;

- du rapport de la société HPC Envirotec que les échantillons de sol et terre prélevés à proximité des anciennes cuves de supercarburant et de l'ancienne cuve à huile présentaient des teneurs très significatives en composés volatils, hydrocarbures et BTEX (Benzène-Toluène-Ethylobenzène-Xylène), aux endroits se trouvant sous les futurs bâtiments d'habitation.

Le tribunal a en outre constaté que la société Total, qui ne contestait pas être le dernier exploitant de la station-service, n'avait produit aux débats aucun élément concernant les opérations de remise en état qui lui incombaient à la suite de l'arrêt de l'exploitation en 1986.

Il a jugé que la société Total ne s'était pas conformée à l'instruction du 7 avril 1975 concernant notamment les modalités de mise hors service des réservoirs enterrés contenant des liquides inflammables et n'avait dès lors pas satisfait à ses obligations de remise en état, alors que les teneurs très significatives d'hydrocarbures relevées sur les échantillons étaient de nature à présenter les dangers ou les inconvénients visés à l'article premier de la loi du 19 juillet 1976.

Habitat 76 reproche en outre à la société Total de s'être déchargée sur son acquéreur, dans l'acte de vente du 16 juin 1986, de son obligation de remise en état du site en l'obligeant à faire son affaire personnelle de la suppression ou la neutralisation des installations, alors que cette remise en état lui incombait personnellement, mais aussi d'avoir omis de déclarer au préfet l'arrêt de l'exploitation de la station-service, installation classée.

Il souligne avoir interrogé la société Total lors de la découverte des cuves sur les modalités de leur neutralisation, mais n'avoir pu obtenir aucune réponse.

Faisant valoir que l'arrêté du 15 avril 2010 n'a fait que modifier les pratiques antérieures, il soutient enfin que cette dernière, en qualité de dernier exploitant, devait dépolluer entièrement le site,

Toutefois, ce dernier texte, qui précise lui-même être applicable aux installations existantes à partir de sa publication, n'est pas rétroactif.

S'il est exact que la clause figurant dans l'acte de vente du 16 juin 1986 à la Sci Benzerrouk est inopposable aux tiers et notamment à Habitat 76, il y a lieu de constater que des travaux de remise en état de la station service ont bien été effectués, comme en atteste la présence de béton à l'intérieur des cuves constatée par Habitat 76, ainsi qu'il résulte du rapport de la société Cedres, alors que la neutralisation des réservoirs par remplissage de sable ou de béton maigre est une des solutions préconisées par l'article 38 de l'instruction du 17 avril 1975 en cas de mise hors service de ces réservoirs.

A cet égard, Habitat 76, s'il était dans la nécessité de retirer les cuves pour mener à bien son projet de construction, ne peut prétendre que la société Total était dans l'obligation d'enlever ces cuves, alors que précisément il résulte de l'instruction du 17 avril 1975 susvisée que le retrait des cuves du sol après dégazage n'est qu'une des méthodes préconisées, l'autre étant le vidage et la neutralisation par remplissage, ainsi que précisé ci-dessus.




De même, et ainsi que l'a retenu le premier juge, Habitat 76 est mal fondé à prétendre que la société Total en sa qualité de dernier exploitant avait l'obligation, en l'état du droit applicable en 1986, de dépolluer entièrement le site.

L'exécution de l'obligation de remise en état du dernier exploitant doit être appréciée par rapport à l'usage qui était celui de cette dernière exploitation, c'est-à-dire en l'espèce un usage industriel, et cette obligation ne saurait comprendre le coût de la dépollution résiduelle nécessitée par le changement de destination des lieux impliquant des travaux d'excavation du terrain.

Le premier juge ne pouvait donc se référer comme il l'a fait au fait que les résidus d'hydrocarbures enterrés se trouvaient sous de futurs bâtiments d'habitation.

Or, en l'espèce, il n'est pas démontré que la présence d'hydrocarbures dans le sol, dans des proportions qui ne sont d'ailleurs pas précisées, fasse courir des risques pour l'environnement au sens de l'article 1er de la loi du 19 juillet 1976.

Seuls deux sur neuf des sondages réalisés ont révélé des teneurs significatives en hydrocarbures et BTEX.

Il est en outre relevé par la société Cedres qu'aucun impact significatif n'a été constaté sur la qualité de l'air du sol sur la totalité du site. Les recommandations de la société HPC Envirotec quant à la dépollution ont été faites en fonction de l'usage futur de ce site.

En l'absence de faute établie à l'encontre de la société Total dans l'exécution de son obligation de remise en état de la station service, le jugement sera infirmé et Habitat 76 sera débouté de toutes ses demandes faites à l'encontre de cette de dernière.

Sur les autres demandes

La commune de Rouen sera déboutée de sa demande faite sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre de tout succombant, dès lors que Habitat 76, qui est la partie succombante, ne l'a pas intimée et n'a formé aucune demande à son encontre.



Le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné la société Total à payer une somme de 1500 euros à Habitat 76 en application de l'article 700 du code de procédure civile et les parties seront toutes déboutées de leurs demandes faites en cause d'appel au titre des frais irrépétibles.

Habitat 76 sera condamnée au paiement des dépens de première instance et d'appel.




PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement, et en dernier ressort,

Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions à l'exception de celles ayant condamné la société Total Marketing France à payer à Habitat 76 les sommes de 204 807,49 euros à titre de dommages et intérêts et de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et ayant condamné cette même société aux dépens,

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

Déboute l'Office public de l'habitat du département de Seine-Maritime-Habitat 76 de ses demandes d'indemnisation formées à l'encontre de la société Total Marketing France,

Déboute toutes les parties de leurs demandes faites en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne l'Office public de l'habitat du département de Seine-Maritime-Habitat 76 à payer les dépens de première instance et d'appel.




Le Greffier Le Président

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