19 janvier 2016
Cour d'appel de Versailles
RG n° 14/06332

Texte de la décision

COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES


DR
Code nac : 3CB


12e chambre


ARRET No


CONTRADICTOIRE


DU 19 JANVIER 2016


R.G. No 14/06332


AFFAIRE :


SARL JEAN CHATEL




C/
SAS RHUMS & PUNCHS ISAUTIER








Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 22 Mai 2014 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE
No Chambre :
No Section :
No RG :


Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :


Me Stéphane CHOUTEAU
Me Julie GOURION-LEVY,








RÉPUBLIQUE FRANÇAISE


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


LE DIX NEUF JANVIER DEUX MILLE SEIZE,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :


SARL JEAN CHATEL
80 Rue Adolphe Pégoud
ZAC DE GILLOT
97348 SAINTE MARIE
Représentant : Me Stéphane CHOUTEAU de l'ASSOCIATION AVOCALYS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 620 - No du dossier 001892
Représentant : Me Stéphane GUERLAIN de la SEP ARMENGAUD - GUERLAIN, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : W07 -




APPELANTE
****************




SAS RHUMS & PUNCHS ISAUTIER
No SIRET : 389 20 3 1 91
114 chemin Frédeline
97410 ST PIERRE
Représentant : Me Julie GOURION-LEVY, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 51
Représentant : Me Sophie BRASSART de l'ASSOCIATION Toison - Associés, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R087 -




INTIMEE
****************






Composition de la cour :


En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 15 Décembre 2015 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Mme Dominique ROSENTHAL, Président chargé du rapport.


Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :


Mme Dominique ROSENTHAL, Président,
Monsieur François LEPLAT, Conseiller,
Madame Florence SOULMAGNON, Conseiller,


Greffier, lors des débats : Monsieur Alexandre GAVACHE,










Vu l'appel interjeté le 18 août 2014, par la société Jean Chatel d'un jugement rendu le 22 mai 2014 par le tribunal de grande instance de Nanterre qui a :
* prononcé la déchéance de la marque nominative "CJ PUNCH DES ILES" déposée à l'institut national de la propriété industrielle le 7 décembre 2005 sous le no053396076 pour désigner en classes 32,33 et 40 les bières, eaux minérales et gazeuses et autres boissons non alcooliques, boissons de fruits et de jus de fruits, sirops et autres préparations pour faire des boissons, boissons alcoolique (à l'exception des bières), spiritueux, apéritifs, digestifs, eaux-de-vie, rhum, whisky, pastis, anisette, boissons alcooliques à base de fruits ou contenant des fruits, punchs, transformation des produits agricoles d'autrui (distillation, pressage de fruits) à compter du 8 décembre 2010,
* dit que la décision prononçant la déchéance sera transmise au registre national des marques à la requête de la partie la plus diligente dès qu'elle aura acquise force de chose jugée,
* débouté les parties du surplus de leurs demandes,
* condamné la société Jean Chatel à payer à la société Rhums & Punchs Isautier la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens;


Vu les dernières écritures en date du 28 octobre 2015, par lesquelles la société Jean Chatel demande à la cour de:
Vu les articles L. 713-3 b), L.711-2 et L.714-5 du code de la propriété intellectuelle
Vu l'article 1382 du code civil


* infirmer le jugement entrepris.
Et statuant à nouveau,
* dire la marque française "CJ PUNCH DES ILES", déposée le 7 décembre 2005 déposée le 7 décembre 2005 sous le no3396076 est distinctive et exploitée,
* dire que la société Rhums & Punchs Isautier s'est rendue coupable d'actes de contrefaçon de la marque française "CJ PUNCH DES ILES", déposée le 7 décembre 2005 sous le no 3396076 en application de l'article L. 713-3 b) du code de la propriété intellectuelle,
* dire que la société Rhums & Punchs Isautier s'est encore rendue coupable d'actes de concurrence déloyale et de parasitisme en application de l'article 1382 du code civil,


En conséquence,
* faire interdiction à la société Rhums & Punchs Isautier d'utiliser le signe "PUNCH DES ILES" de quelque manière que ce soit, et ce, sous astreinte de 1000 ¿ par infraction constatée, à compter du prononcé du jugement à intervenir,
* ordonner la destruction des produits contrefaisants aux frais de la société Rhums & Punchs Isautier, sous astreinte de 15 000 ¿ par jour de retard, à compter du jugement à intervenir,
* condamner la société Rhums & Punchs Isautier au versement de la somme de 100.000 ¿, au titre des actes de contrefaçon,
* condamner la société Rhums & Punchs Isautier au versement de la somme de 50.000 ¿, au titre des actes de concurrence déloyale et de parasitisme,
* ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans cinq publications à son choix, aux frais de la défenderesse, sans que le coût de chaque publication n'excède toutefois la somme de 4.000¿ H.T. et ce, à titre de supplément de dommages et intérêts,


* dire que le paiement avancé de ces publications interviendra sous astreinte de 500 ¿ de retard passé un délai de huit jours à compter de la réception des devis par la société Rhums &Punchs Isautier,
* ordonner la publication complète de l'arrêt à intervenir sur le site Internet de la société Rhums & Punchs Isautier www.isautier.com, et ceci avec un lien hypertexte apparent sur la première page avec une police d'une taille de 20 points au moins mentionnant : « la société Rhums & Punchs Isautier, condamnée pour contrefaçon de la marque française no05 3 396 076 appartenant à la société J. Chatel Sarl » ; cette mention sera accompagnée d'une photographie du PUNCH DES ILES commercialisé par la société J. Chatel Sarl et d'un lien hypertexte vers le site Internet "www.distilleriechatel.com", et ce :
- pendant une durée de trois mois, aux frais exclusifs de la société Rhums & Punchs Isautier
- sous astreinte de 10.000 ¿ par jour de retard, à compter de la signification du jugement à intervenir
*débouter la société Rhums & Punchs Isautier de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
* condamner la société Rhums & Punchs Isautier au paiement de la somme de 20.000 ¿ au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l'instance;


Vu les dernières écritures en date du 28 octobre 2015, aux termes desquelles la société Rhums & Punchs Isautier, formant appel incident, prie la cour de:
Vu les articles L.711-1, L.711-2, L.713-2, L.713-3 et L.714-5 du code de la propriété intellectuelle
Vu les articles 1382 et 1383 du code civil


* déclarer mal fondé l'appel interjeté par la société Jean Chatel,
* l'en débouter,
* déclarer recevable et fondé son appel incident,


En conséquence,
* confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a:
- prononcé la déchéance de la marque nominative "CJ PUNCH DES ILES" déposée sous le no053396076,
- dit que la décision prononçant la déchéance sera transmise au registre national des marques à la requête de la partie la plus diligente dès qu'elle aura acquise force de chose jugée,
- débouté la société Jean Chatel de sa demande fondée sur des actes de contrefaçon,
- débouté la société Jean Chatel de sa demande fondée sur des actes de concurrence déloyale,
- condamné la société Jean Chatel au versement de la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,


Sur l'appel incident,
* dire que les agissements de la société Jean Chatel sont constitutifs de concurrence déloyale et de parasitisme,
* condamner la société Jean Chatel au paiement de la somme de 100.000 euros au titre du préjudice moral subi du fait de ces agissements,
* ordonner la publication complète du jugement à intervenir dans cinq publications de son choix aux frais de la société Jean Chatel sans que le coût de chaque publication n'excède 4.000 euros,
* ordonner la publication complète du jugement à intervenir sur le site internet de la société Jean Chatel "chatelboutik.com" et ceci, avec un lien hypertexte apparent sur la première page avec une police d'une taille de 20 points au moins mentionnant : "la société Jean Chatel condamnée pour avoir initié une procédure abusive et commis des agissements de concurrence déloyale et de parasitisme à l'égard de la société Rhums & Punchs Isautier"; cette mention sera accompagnée d'une photographie du PUNCH TRADITIONNEL DE l'ILE DE LA REUNION commercialisé par la société Rhums & Punchs Isautier et d'un lien hypertexte vers le site Internet www.isautier.com, et ce :
- pendant une durée de trois mois, aux frais exclusifs de la société Jean Chatel
- sous astreinte de 10.000 ¿ par jour de retard, à compter de la signification du jugement à intervenir


* dire que la procédure initiée par la société Jean Chatel sur le fondement de la contrefaçon de marque est abusive,
* condamner la société Jean Chatel au versement de la somme de 5.000 euros au titre du préjudice moral subi du fait du caractère abusif de la procédure initiée,
* condamner la société Jean Chatel au versement de la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens de la procédure;




SUR CE, LA COUR,


Considérant que, pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties; qu'il convient de rappeler que :
* la société Jean Chatel est une société familiale créée en 1907 ayant pour activité la production sur l'île de la Réunion et la commercialisation de boissons alcoolisées préparées à base de rhum,
* elle commercialise une boisson alcoolisée à base de rhum blanc, de sirop de canne, d'arôme caramel et d'extraits de végétaux sous l'appellation "Punch des Iles",
* elle a déposé auprès de l'institut national de la propriété industrielle plusieurs marques semi-figuratives et la marque nominative "CJ PUNCH DES ILES" le 7 décembre 2005, enregistrée sous le no053396076 pour désigner les bières, eaux minérales et gazeuses et autres boissons non alcooliques, boissons de fruits et de jus de fruits, sirops et autres préparations pour faire des boissons, boissons alcoolique (à l'exception des bières), spiritueux, apéritifs, digestifs, eaux-de-vie, rhum, whisky, pastis, anisette, boissons alcooliques à base de fruits ou contenant des fruits, punchs, transformation des produits agricoles d'autrui (distillation, pressage de fruits),
* au cours de l'année 2010, elle a modifié le packaging et les étiquettes du punch dénommé "Punch des Iles",
* la société Rhums & Punchs Isautier, filiale du groupe Isautier, également située à l'île de la Réunion, qui se dénommait Société de Production Agro Alimentaire Victoria "SOPAVI" jusqu'en 2007, a pour objet la production, le conditionnement et la commercialisation de produits agro-alimentaires, son activité traditionnelle est la production de spiritueux dont des punchs et des liqueurs fabriqués à partir d'alcools de canne,
* le groupe Isautier commercialise depuis 1990 une boisson alcoolisée d'abord dénommée "Rhum arrangé des îles", puis "Arrangé des îles",




* le groupe Isautier a commercialisé également sous forme d'une bouteille triangulaire un punch sous la dénomination "Blonde des Iles" qui a fait l'objet d'un dépôt de marque auprès de l'institut national de la propriété industrielle le 22 octobre 1992,
* au cours de l'année 2010, la société Rhums & Punch Isautier a modifié la présentation du punch commercialisé sous le vocable "Blonde des Iles" et l'a renommé "Punch Traditionnel de l'Ile de la Réunion/ des Iles", produit qui a été commercialisé le 1er janvier 2011,
* le 1er juin 2011, la société Jean Chatel a fait procéder à un constat d'achat à Saint Denis de la Réunion attestant de la commercialisation du "Punch Traditionnel de l'Ile de la Réunion/ des Iles",
* reprochant à la société Rhums & Punchs Isautier de commercialiser des bouteilles de Rhum sous l'appellation "Punch des Iles" et estimant que cette dénomination constituait la reprise de sa marque, que l'étiquette apposée sur la bouteille recopiait quasi servilement l'étiquette apposée sur ses bouteilles, la société Jean Chatel, après avoir mis en demeure la société Rhums & Punch Isautier de cesser ses agissements, l'a assignée devant le tribunal de grande instance de Nanterre en contrefaçon et en concurrence déloyale et parasitaire,
* la société Rhums & Punch Isautier a répliqué au débouté des demandes et à la déchéance des droits de la société Jean Chatel sur la marque "CJ PUNCH DES ILES",
* c'est dans ces circonstances qu'est intervenu le jugement déféré;


******************


Considérant qu'il convient de retenir, à titre préalable, que la société Rhums & Punch Isautier ne sollicite nullement la nullité de la marque nominative déposée le 7 décembre 2005 par la société Jean Chatel "CJ PUNCH DES ILES" no05339076;


Sur la déchéance de la marque "CJ PUNCH DES ILES":


Considérant que la société Rhums & Punch Isautier soulève la déchéance des droits de la société Jean Chatel sur la marque nominative "CJ PUNCH DES ILES" no05339076;


Qu'elle fait valoir que si la société Jean Chatel peut éventuellement démontrer avoir exploité des punchs sous les marques semi-figuratives no1581293, 138652 et 97700916, elle ne produit aucune preuve de l'exploitation d'un quelconque punch voire d'un quelconque produit de la classe 33 sous la marque "CJ PUNCH DES ILES"no05339076 et ce, depuis une période ininterrompue d'au moins cinq ans;


Qu'elle conteste le caractère distinctif du seul signe "PUNCH DES ILES" dès lors, selon elle, que le terme "Punch" constitue la dénomination nécessaire, générique et usuelle d'un punch, que le vocable "des îles" désigne la provenance géographique de la bouteille de punch, en l'espèce l'île de la Réunion; qu'elle relève que le groupe Isautier utilise depuis au moins 1992 le vocables "des îles" que ce soit pour le "Rhum arrangé des îles" devenu "Arrangé des îles" ou pour le punch "Blonde des îles"; qu'elle souligne le résultat de l'entrée "Punch des îles" sur le moteur de recherche Google révélant un grand nombre de sites utilisant ce vocable pour qualifier un punch sans référence aux produits commercialisés par la société Jean Chatel, l'usage de ce signe par des concurrents de la société Jean Chatel au sein de marques déposées pour commercialiser des produits de la classe 33;


Qu'elle en conclut que seule l'appellation "CJ PUNCH DES ILES" peut bénéficier d'une protection au titre du droit des marques, que la société Jean Chatel n'en a fait aucun usage;


Considérant que pour s'opposer à la demande reconventionnelle en déchéance, la société Jean Chatel soutient la distinctivité du vocable "PUNCH DES ILES" et fait valoir qu'elle peut se réclamer de l'article L.714-5 du code précité qui assimile à un usage sérieux l'usage de la marque sous une forme modifiée n'en altérant pas le caractère distinctif, la dénomination "PUNCH DES ILES" constituant l'élément prépondérant et dominant de la marque;


Considérant qu'aux termes de l'article L.714-5 du code de la propriété intellectuelle, encourt la déchéance de ses droits le propriétaire de la marque qui, sans justes motifs, n'en a pas fait un usage sérieux pour les produits et services visés dans l'enregistrement pendant une période ininterrompue de cinq ans. Est assimilé à un tel usage : b) l'usage de la marque soit une forme modifiée n'en altérant pas le caractère distinctif;


Considérant que la distinctivité de la marque doit s'apprécier au moment de son dépôt, soit en l'espèce au 7 décembre 2005;


Qu'il n'est pas établi qu'à cette date, la dénomination isolée "PUNCH DES ILES", certes évocatrice, était, au sens de l'article L.711-2 du même code, dans le langage courant ou professionnel, la désignation nécessaire ou générique d'un punch fabriqué à la Réunion; qu'il n'existe pas un lien direct, immédiat ou nécessaire entre le vocable "DES ILES" et l'île de la Réunion;


Que si d'autres sociétés concurrentes ont déposé des marques utilisant l'expression "PUNCH DES ILES" pour désigner des boissons alcooliques, il n'en subsiste pas moins que la marque "PUNCH DES ILES DE VUE BELLE" a été rachetée par la société Jean Chatel en 2002 (base-marques institut national de la propriété industrielle ), que la marque "PUNCH DES ILES MASCAREIGNES" désigne les îles Maurice, de la Réunion et Rodrigue, que la marque "TI PUNCH DES ILES" a été déposée postérieurement à 2005, de sorte que le tribunal ne pouvait en conclure à l'utilisation couramment faite de l'expression "DES ILES" pour désigner une boisson traditionnelle de la Réunion;


Que les extraits de sites internet postérieurs au dépôt, faisant usage du vocable "PUNCH DES ILES" pour décrire une recette réunionnaise ou guadeloupéenne, ne peuvent être davantage pris en considération pour apprécier la validité de cette expression;


Considérant que par ailleurs, il résulte des pièces versées aux débats que la société Jean Chatel a fait un usage intense de la dénomination "PUNCH DES ILES" qu'elle utilise depuis 1975 sur les étiquettes de ses bouteilles et met en exergue; qu'il n'est pas démenti que près d'un million et demie de bouteilles sur lesquelles a été déposé le signe verbal "PUNCH DES ILES" ont été vendues depuis 2004;


Que la société Jean Chatel produit aux débats des articles de presse attestant de la renommée du vocable "PUNCH DES ILES" mentionné au sein d'articles portant sur cette société, démontrant que le public associe ce signe au produit de la société Jean Chatel ( Télé Mag 26 octobre 2010, Le journal de l'île 8 novembre 2010, Leader réunion 1er décembre 2010, L'enjeu juillet 1987, Magazine Réunion, Télé 7 jours janvier 1981, Quotidien de l'économie novembre 1992);


Que dans ces circonstances, à supposer même le caractère faiblement distinctif de la dénomination "PUNCH DES ILES" pour désigner les produits et services visés au dépôt de la marque, il s'avère que par son usage durable, ininterrompu et significatif depuis 1975, ce signe avait acquis, en 2010, un caractère distinctif suffisant pour être compris comme un signe d'origine, conformément aux dispositions de l'article L.711-2 du code de la propriété intellectuelle ;


Considérant que la dénomination "PUNCH DES ILES" ayant ainsi un caractère distinctif, la société Jean Chatel est fondé à se prévaloir de l'usage de la marque sous une forme modifiée n'en altérant pas le caractère distinctif, dès lors qu'elle est l'élément prépondérant et dominant de la marque "CT PUNCH DES ILES", l'acronyme "CT" n'ayant aucune signification pour le consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé;


Que l'utilisation de cette dénomination pour désigner les produits visés au libellé de l'enregistrement valant usage de la marque, la demande en déchéance ne saurait prospérer;


Qu'infirmant la décision déférée, la demande en déchéance sera rejetée;




Sur la contrefaçon de marque:


Considérant que la société Jean Chatel reproche à la société Rhums & Punchs Sautier des agissements constitutifs de contrefaçon, faisant valoir qu'en reproduisant le signe "PUNCH DES ILES" sur les bouteilles de punch qu'elle fabrique et commercialise, la société Rhums & Punchs isautier a imité la marque "CJ PUNCH DES ILES" en application de l'article L.713-3 b) du code de la propriété intellectuelle ;


Qu'elle rappelle à titre liminaire que la société Rhums & Punchs Sautier avait parfaitement connaissance de l'utilisation du signe "PUNCH DES ILES" dès lors que celle-ci a acheté pour environ 47.000 euros des bouteilles de punch éponyme;


Considérant que pour s'opposer à l'action en contrefaçon de la marque "CT PUNCH DES ILES", la société Rhums & Punchs Isautier soutient l'absence de similitude visuelle, auditive ou conceptuelle de cette marque littérale et les signes "PUNCH TRADITIONNEL DE L'ILE DE LA REUNION", "DES ILES" ou encore "PUNCH TRADITIONNEL DE L'ILE DE LA REUNION/DES ILES" qu'elle utilise sur l'étiquette de la gamme de punchs qu'elle produit et commercialise;


Qu'elle expose que le consommateur moyen normalement informé et avisé de la catégorie des produits concernés ne peut pas se tromper entre la marque déposée et les signes contestés, que l'étiquette de sa gamme de punch ne reproduit pas le signe littéral opposé, que la forme triangulaire de sa bouteille est différente de celle commercialisée par la société Jean Chatel, que les sociétés en présence coiffent chacune leur bouteille d'un macaron de taille conséquente reprenant le nom de la société productrice du punch empêchant le consommateur de croire que les deux punchs en cause proviennent de la même entreprise ou d'entreprises liées économiquement, que les notoriétés des groupes Chatel et Isautier étant comparables sur l'île de la Réunion, un consommateur moyen réunionnais fera la différence entre les produits vendus, que le groupe Isautier dispose d'une notoriété aussi importante que la société Jean Chatel;


Considérant que l'identité ou la similarité des signes doit être appréciée globalement et se fonder, en ce qui concerne leur similitude visuelle, phonétique ou conceptuelle, sur l'impression d'ensemble produite par ceux-ci en tenant compte de leurs éléments distinctifs et dominants;


Que cette appréciation doit s'opérer en prenant les deux signes, tels que le public les perçoit, le consommateur n'ayant que rarement la possibilité de procéder à une comparaison directe entre les signes mais devant se fier à l'image non parfaite qu'il a gardée en mémoire;


Considérant en l'espèce, que l'identité des produits est incontestable, s'agissant de punchs, boissons alcoolisées constituées par un mélange de rhum, d'agrumes, de vanille, produit relevant de la classe 33 visé par l'enregistrement de la marque;


Considérant que les signes en présence sont ainsi représentés sur les étiquettes des bouteilles de la société Jean Chatel et de la société Rhums & Punchs Sautier :


Considérant que force est de constater à l'examen de ces étiquettes, auquel la cour a procédé, que s'agissant des signes opposés, visuellement, phonétiquement et conceptuellement, l'étiquette apposée sur les bouteilles de punchs de la société Rhums & Punchs Sautier comporte les termes "PUNCH" et "DES ILES" mis en exergue par leur police, leur taille, la mention "TRADITIONNEL DE L'ILE DE LA REUNION" inscrite au dessous du terme "PUNCH" en petits caractères étant peu visible et n'attirant pas l'attention du consommateur moyen normalement informé et avisé de la catégorie des produits concernés, n'ayant pas en même temps les signes sous les yeux et se fiant à une image non parfaite qu'il a gardée en mémoire;


Qu'ainsi, le produit de la société Rhums & Punchs Sautier sera perçu comme un "PUNCH DES ILES", tel qu'il est d'ailleurs présenté par cette société sur son site internet; que la différence de la forme des bouteilles et du désign des étiquettes, notamment de leur macaron, est inopérante s'agissant de comparer le signe "PUNCH DES ILES" à la marque enregistrée ¿CJ PUNCH DES ILES";


Considérant que la reprise dans le signe second de la dénomination "PUNCH DES ILES", dominante et prépondérante de la marque de la société Jean Chatel, conjuguée à l'identité ou la similarité des produits est de nature à créer un risque de confusion dans l'esprit du consommateur final normalement informé et avisé de la catégorie des produits concernés, même réunionnais, en laissant accroire à une origine commune des produits offerts sous les deux noms en forme de déclinaison de la marque première;


Considérant en conséquence, infirmant le jugement entrepris, que les actes de contrefaçon de marque sont caractérisés;




Sur la concurrence déloyale:


Considérant que la société Jean Chatel reproche également à la société Rhums & Punchs Sautier des actes de concurrence déloyale pour avoir repris de manière quasi identique son étiquette, créant ainsi une confusion sur l'origine des produits;


Considérant que la société Rhums & Punchs Sautier réplique que la société Jean Chatel n'établit pas posséder une antériorité d'utilisation de l'étiquette litigieuse, que l'utilisation d'une composition fruitière en tant qu'élément principal de l'étiquette se justifie par des considérations techniques liées à la nature du produit commercialisé, en l'espèce le punch, qu'en tout état de cause n'est pas démontré le risque de confusion entre les étiquettes utilisées tant en ce qui concerne la composition centrale que les éléments accessoires;


Considérant que la société Jean Chatel verse aux débats le bon à tirer de sa nouvelle étiquette commandée au début de l'année 2010, signé le 1er juillet 2010, les étiquettes étant livrées le 27 août 2010 ainsi qu'il en est justifié par le document de transport;


Qu'elle produit également des extraits de presse établissant que la nouvelle version de l'étiquette a été divulguée dans le journal Memento du 1er novembre 2010; qu'elle est également visible dans le journal Leader du 1er décembre 2010; que les articles de presse évoquent une présentation de cette nouvelle étiquette lors d'une conférence de presse du 7 octobre 2010;
Qu'il en résulte une divulgation de l'étiquette de la société Jean Chatel antérieure à la commercialisation par la société Rhums & Punchs Sautier de la bouteille de punch revêtue de l'étiquette litigieuse à la date du 1er janvier 2011;


Que si la société Rhums & Punchs Sautier soutient n'avoir pu s'inspirer au mois d'août 2010 de l'étiquette de la bouteille de punch de la société Jean Chatel qui n'a été divulguée que postérieurement, il n'en subsiste pas moins que les documents qu'elle produit, à savoir un devis du 4 août 2010 et une facture du 31 décembre 2010, démontrent seulement que la société Rhums & Punchs Sautier a fait appel au mois d'août 2010 à une société de désign pour réaliser des recherches et projets pour la création de la gamme "punch", 9 étiquettes, flaconnage de 75 cl, sans apporter toutefois le moindre élément sur le graphisme envisagé des étiquettes, notamment par un bon à tirer;


Que dès lors, ce devis et cette facture n'établissent pas que l'étiquette litigieuse de la gamme des punchs de la société Rhums & Punchs Sautier ait été conçue à une date antérieure à la première commercialisation de la gamme des punchs de la société Jean Chatel;


Considérant que contrairement à ce que prétend la société Rhums & Punchs Sautier le fait de reproduire sur l'étiquette de la bouteille de punch de l'île de la Réunion une gousse de vanille, une mandarine, une orange et du citron ne se justifie pas par des considérations techniques liées à la nature du produit commercialisé; que la société Jean Chatel produit des extraits de site internet révélant des bouteilles de punch revêtues d'étiquettes représentant des plantations de canne à sucre, des maisons coloniales, des bateaux;


Qu'au demeurant, la société Jean Chatel ne reproche pas à la société Rhums & Punchs Sautier la seule reproduction de fruits coupés, mais la reprise d'une série de caractéristiques;


Considérant que les étiquettes opposées sont ainsi présentées:


Que ces étiquettes sont apposées sur le devant du corps de la bouteille transparente comportant un punch de couleur ambrée, couvrant celui-ci presque entièrement;


Que force est de constater la reprise de la couleur blanche du fond de l'étiquette, d'un bandeau rouge ceinturé d'une bordure argentée, de l'inscription "PUNCH traditionnel de la Réunion DES ILES", de la référence à l'île de la Réunion, de la couleur jaune orangée, d'une composition d'agrumes comportant la moitié d'une orange, d'un citron découpé, accompagnée de gousses de vanille;


Que si la société Rhums & Punchs Sautier avait déjà utilisé depuis des années une composition fruitière pour sa gamme de rhum arrangé, il n'en demeure pas moins que celle-ci était différemment agencée;


Que les différences soutenues par la société Rhums & Punchs Sautier tenant notamment à la forme des bouteilles, le dessin de l'île de la Réunion, la forme des macarons n'affectent pas l'impression d'ensemble visuelle semblable qui se dégage des étiquettes en présence, de nature à engendrer un risque de confusion auprès du consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé;


Que si pris isolément, chacun des éléments précités ne caractérise pas, à lui seul un acte déloyal, en revanche leur ensemble révèle la reprise sans nécessité de multiples caractéristiques de l'étiquette de la bouteille de la société Jean Chatel, de nature à créer une confusion et traduit un comportement déloyal imputable à la société Rhums & Punchs Sautier, attentatoire à l'exercice paisible et loyal du commerce;


Qu'infirmant le jugement déféré, il convient en conséquence de retenir à l'encontre de la société Rhums & Punchs Sautier un comportement fautif engageant sa responsabilité sur le fondement des dispositions de l'article 1382 du Code civil;




Sur le parasitisme:


Considérant que la société Jean Chatel soutient que la société Rhums & Punchs Sautier s'est encore rendue coupable de parasitisme en reprenant de manière quasi-identique son étiquette, cherchant ainsi à se placer dans son sillage et en profitant de ses investissements intellectuels et financiers;


Considérant que le parasitisme se caractérise, indépendamment du risque de confusion, par la circonstance selon laquelle une personne, à titre lucratif et de façon injustifiée, s'inspire ou copie une valeur économique d'autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d'un savoir-faire, d'un travail intellectuel et d'investissements, manifestant une volonté de se placer dans le sillage d'un concurrent pour profiter de sa notoriété;


Or considérant en l'espèce, que si la société Jean Chatel justifie d'un coût de création et d'impression des étiquettes à hauteur de la somme de 15.000 euros, elle ne communique aucune information sur d'autres investissements, qu'ils soient financiers ou intellectuels, qu'elle consacre précisément au produit concerné, d'autre part, n'apporte aucune preuve d'un quelconque bénéfice que sa concurrente aurait indûment perçu;


Que le grief de parasitisme sera rejeté, la décision déférée étant confirmée sur ce point;




Sur la demande reconventionnelle en concurrence déloyale et parasitisme:


Considérant que la société Rhums & Punchs Sautier reproche reconventionnellement à la société Jean Chatel des actes de concurrence déloyale et parasitaires, faisant valoir qu'elle commercialise depuis de très nombreuses années les produits "Rhum arrangé" et "Blonde des îles" dont les bouteilles comportent des étiquettes sur lesquelles figurent des oranges dont une orange coupée et des feuilles vertes;


Qu'elle prétend que la société Jean Chatel communiquait sur les images d'une sirène, d'une habitation, d'une créole et n'avait jamais fait usage d'une composition fruitière pour la commercialisation de ses punchs;


Mais considérant ainsi qu'il a été ci-dessus relevé que les étiquettes des bouteilles commercialisées par la société Rhums & Punchs Sautier sont fondamentalement différentes de la nouvelle étiquette apposée sur la bouteille de punch de la société Jean Chatel en 2010, la seule présence de fruits coupés sans reprise d'autres caractéristiques étant insuffisante à caractériser un comportement déloyal ou parasitaire;


Que le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Rhums & Punchs Sautier de sa demande reconventionnelle;


Sur la réparation des préjudices:


Considérant que les actes de contrefaçon de marque ont nécessairement porté atteinte à la marque dont est titulaire la société Jean Chatel en la banalisant; que la société Rhums & Punchs Sautier fait usage du signe litigieux depuis le 1er janvier 2011; que compte tenu de la longue durée de cet usage, il sera alloué à la société Jean Chatel la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts;




Considérant qu'il s'infère nécessairement des actes déloyaux constatés l'existence d'un préjudice commercial pour la société Jean Chatel; qu'eu égard à l'importance du chiffre d'affaires réalisé avec un produit de grande consommation, au coût exposé pour la réalisation du nouveau packaging à hauteur de 14.286 euros, la société Rhums & Punchs Sautier sera condamnée à indemniser la société Jean Chatel par la somme de 25.000 euros à titre de dommages et intérêts;


Considérant qu'il sera fait droit aux demandes de publication et d'interdiction d'usage sous astreinte, telles que précisées au dispositif du présent arrêt, de sorte que la mesure de destruction des produits n'est pas nécessaire;


Sur les autres demandes:


Considérant que la solution du litige commande de rejeter la demande en dommages et intérêts formée par la société Rhums & Punchs Sautier au titre du prétendu caractère abusif de la procédure;


Considérant que le jugement déféré sera infirmé sur le sort des dépens et les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,




Qu'en vertu de ce texte, il y a lieu de faire partiellement droit aux prétentions de la société Jean Chatel, au titre de ses frais irrépétibles, contre la société Rhums & Punchs Sautier qui succombe et doit supporter la charge des dépens de première instance et d'appel;


PAR CES MOTIFS


Statuant par décision contradictoire


Infirme le jugement déféré sauf en ce qu'il a :
- débouté la société Jean Chatel de sa demande au titre du parasitisme,
- débouté la société Rhums & Punchs Sautier de sa demande reconventionnelle en concurrence déloyale, de sa demande en dommages et intérêts pour procédure abusive,


Statuant à nouveau des chefs infirmés,


Déboute la société Rhums & Punchs Sautier de sa demande en déchéance des droits de la société Jean Chatel sur la marque no 3396076 déposée le 7 décembre 2005,


Dit que la société Rhums & Punchs Isautier a commis des actes de contrefaçon de la marque française "CJ PUNCH DES ILES", déposée le 7 décembre 2005 sous le no 3396076, dont est titulaire la société Jean Chatel,


Dit que la société Rhums & Punchs Sautier a commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Jean Chatel,


Condamne la société Rhums & Punchs Sautier à payer à la société Jean Chatel la somme de 50.000 euros en réparation du préjudice subi au titre de la contrefaçon de marque,


Condamne la société Rhums & Punchs Sautier à payer à la société Jean Chatel la somme de 25.000 euros en réparation du préjudice subi au titre de la concurrence déloyale,






Interdit à la société Rhums & Punchs Sautier d'utiliser le signe "PUNCH DES ILES" de quelque manière que ce soit et ce, sous astreinte de 500 euros par infraction constatée dans le délai d'un mois suivant la signification du présent arrêt,




Ordonne la publication du présent arrêt dans trois revues ou journaux, au choix de la société Jean Chatel, aux frais de la société Rhums & Punchs Sautier , sans que le coût de chaque publication n'excède la somme de 4.000 euros HT,


Dit que le paiement avancé de ces publications interviendra, sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé un délai de quinze jours à compter de la réception des devis par la société Rhums & Punchs Sautier ,


Condamne la société Rhums & Punchs Sautier à payer à la société Jean Chatel la somme de 10.000 euros au titre des frais irrépétibles,


Rejette toutes autres demandes,


Condamne la société Rhums & Punchs Sautier aux dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.


Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.


signé par Mme Dominique ROSENTHAL, Président et par Monsieur GAVACHE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.




Le greffier, Le président,

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