15 janvier 2013
Cour d'appel de Nouméa
RG n° 11/71

Texte de la décision

COUR D'APPEL DE NOUMÉA

4

Arrêt du 15 Janvier 2013



Chambre Commerciale





Numéro R.G. :

11/71





Décision déférée à la cour :

rendue le : 31 Août 2011

par le : Tribunal mixte de Commerce de NOUMEA



Saisine de la cour : 19 Septembre 2011





PARTIES DEVANT LA COUR



APPELANT



LA SARL 3 GTF, prise en la personne de son représentant légal

siège social au 25 rue Duquesne - BP. 15820 - 98804 NOUMEA CEDEX





représentée par la SELARL DESCOMBES & SALANS



INTIMÉ



LA SARL LOS TOROS, prise en la personne de son représentant légal

siège social au 134 Promenade Roger Laroque - BP. 2715 - 98846 NOUMEA CEDEX



représentée par la SELARL BOUQUET - DESWARTE, la SELARL BENECH-PLAISANT





COMPOSITION DE LA COUR :



L'affaire a été débattue le 26 Novembre 2012, en audience publique, devant la cour composée de :



Thierry DRACK, Premier Président, président,

Christian MESIERE, Conseiller,

Anne AMAUDRIC DU CHAFFAUT, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Anne AMAUDRIC DU CHAFFAUT, Conseiller, ayant présenté son rapport.



Greffier lors des débats: Stephan GENTILIN





ARRRÊT :

- contradictoire,

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 451 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,

- signé par Christian MESIERE, Conseiller en remplacement du président empêché, et par Stephan GENTILIN, greffier, auquel la minute de la décision a été transmise par le magistrat signataire.



PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE



La société LOS TOROS a été créée en 2004 et exploite un fonds de commerce de bar à tapas sous l'enseigne "LA BODEGA" à l'Anse Vata.



La société 3 GTF, créée en 2008 pour exploiter un fonds de commerce de bar à thèmes, restaurant, salon de thé Baie des Citrons à NOUMEA, a lancé, pour promouvoir l'ouverture de son établissement sous le nom de O MAO, une campagne publicitaire dans le cadre de laquelle elle a fait paraître dans les NOUVELLES CALÉDONIENNES le 7 janvier 2011 un article intitulé "BODEGA ASIATIQUE SUR L'ESPLANADE" et les 5,6 et 12 janvier 2011 des publicités titrant, pour le nouvel établissement O MAO, "C'EST LA BODEGA QUI DEMENAGE".



Le 7 février 2011, la société LOS TOROS a adressé à la société 3 GTF une lettre de mise en demeure de cesser la confusion et de mette fin au trouble commercial causé par l'utilisation de l'enseigne et du nom commercial "LA BODEGA". la société 3 GTF n'a pas répondu à ce courrier.



Considérant qu'elle était fondée à l'attraire devant le tribunal afin de faire cesser la concurrence déloyale par elle subie, par acte d'huissier de justice en date du 1er mars 2011 complété par conclusions en réplique du 1er juillet 2011, la société LOS TOROS a fait assigner la société 3 GTF à jour fixe, en vertu d'une autorisation du président de ce tribunal en date du 25 février 2011, devant le tribunal mixte de commerce de NOUMEA afin de voir interdire à la société 3 GTF d'utiliser le nom et l'enseigne "LA BODEGA" et obtenir sa condamnation, avec exécution provisoire, au paiement de la somme de 15.000.000 FCFP à titre de dommages-intérêts, outre une somme de 1.000.000 FCFP à chaque nouvelle utilisation du nom "LA BODEGA", voir ordonner la publication du dispositif de la décision à intervenir dans les NOUVELLES CALÉDONIENNES et ce à trois reprises d'un format de 17 cm x 15 cm, et voir condamner la société 3 GTF au paiement de la somme de 219.790 FCFP correspondant aux frais de publication de la décision et celle de 500.000 FCFP sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile de la Nouvelle- Calédonie.



Par conclusions déposées les 4 mai et 5 juillet 2011, la société 3 GTF a demandé au tribunal de constater l'absence de risque de confusion et l'absence de préjudice subi par la société LOS TOROS, de débouter en conséquence cette dernière de toutes ses prétentions et de la condamner au paiement de la somme de 500.000 FCFP sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile de la Nouvelle- Calédonie.



Par jugement en date du 31 août 2011 auquel il est expressément référé pour les moyens des parties, le tribunal mixte de commerce a :



- Condamné la société 3 GTF à verser à la société LOS TOROS une somme de 2.000.000 FCFP à titre de dommages-intérêts,

- Fait interdiction à la société 3 GTF d'utiliser le nom "LA BODEGA",

- Dit que faute de respecter cette interdiction, la société 3 GTF sera redevable à l'égard de la société LOS TOROS, à chaque nouvelle utilisation du nom "LA BODEGA", d'une somme de 500.000 FCFP à titre de dommages-intérêts,

- Ordonné l'exécution provisoire du présent jugement,

- Condamné la société 3 GTF à verser à la société LOS TOROS une somme de 150.000 FCFP sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie,

- Condamné la société 3 GTF aux dépens,

- Dit que la Selarl BENECH-PLAISANT pourra recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont elle aura fait l'avance sans avoir reçu provision.



PROCÉDURE D'APPEL :



Par requête du 19 septembre 2011, la société 3 GTF a régulièrement interjeté appel de la décision qui a été signifiée le 9 septembre 2011.



En son mémoire ampliatif d'appel du 19 décembre 2011, elle demande à la cour après infirmation du jugement déféré :



- de débouter la société LOS TOROS de l'ensemble de ses demandes,

- de la condamner à lui payer la somme de 300.000 FCFP en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie.



En ce mémoire et ses conclusions récapitulatives en date du 28 juin 2012, elle expose pour l'essentiel :



- que les règles qui régissent la matière sont les articles 1382 et 1383 du code civil et que selon la jurisprudence constitue un acte de concurrence déloyale l'utilisation de la réputation et l'imitation d'un concurrent en créant une confusion avec ce dernier et ce afin d'en capter la clientèle,

- qu'il s'agit d'une question de fait souverainement appréciée par les tribunaux,

- que l'utilisation du terme "BODEGA" ou "la BODEGA"n'est pas en soi fautif sauf à établir un risque de confusion que pourrait engendrer l'utilisation de ce terme, pour autant qu'il puisse être considéré comme un signe distinctif.



Elle fait valoir que :



Le terme BODEGA n'est pas pour l'intimée un signe distinctif puisque :



- sa dénomination sociale est " LOS TOROS,

- son nom commercial est "LA BODEGA DEL MAR",

- son enseigne est également "LA BODEGA DEL MAR",

- il en est de même sur le site internet et sur le réseau social "Facebook" sur lesquels elle utilise toujours "LA BODEGA DEL MAR"

- en tout état de cause, le terme a été déposé par d'autres sociétés à l'institut national de la propriété intellectuelle antérieurement à l'exploitation commerciale de l'intimée,

- dans ces conditions, il n'y a pas d'atteinte à un signe distinctif dont serait titulaire la société LOS TOROS.



Le terme BODEGA est de plus un terme générique en ce que :



- de nombreux bars en France comme à l'étranger sont désignés par cette appellation,

- de l'aveu même de l'intimée, le terme "BODEGA" est utilisé depuis des temps immémoriaux de façon constante, pérenne et permanente pour désigner un lieu où des participants aux férias se rassemblent pour danser, discuter ou boire,

- l'apposition de l'article "la" ne saurait enlever le caractère générique à "BODEGA" comme l'analyse à tort le premier juge pour fonder la décision,



La confusion ne saurait être retenue,



- l'utilisation d'un slogan doit être regardée comme adaptée au lancement d'un nouvel établissement,

- il est douteux que des clients de la BODEGA DEL MAR aient pu raisonnablement croire à la thèse de la fermeture de l'établissement,

- car au même moment où était publié le slogan, une interview du gérant était réalisée dans le seul quotidien de Nouvelle-Calédonie permettant de dissiper tout équivoque,

- de sorte qu'aucune confusion ne peut être invoquée.



Sur l'absence d'un préjudice subi par la société LOS TOROS ,



- l'intimée ne rapporte pas la preuve de son préjudice, la campagne s'étant bornée à trois encarts publicitaires en période de vacances,

- en ce qui concerne l'image de marque, l'atteinte n'est pas plus démontrée.



Par conclusions du 16 avril 2012, la SARL LOS TOROS demande à la cour la confirmation de la décision sur le principe de la responsabilité et forme appel incident pour le surplus.



Elle demande à la cour de condamner la société 3GTF à lui payer les sommes suivantes :



- 15.000.000 FCFP à titre de dommages et intérêts,

- 1.000.00 FCFP à chaque nouvelle utilisation,

- 500.000 FCFP en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie.



A l'appui de ses prétentions, elle expose :



Sur le droit de la SARL TOROS sur la dénomination "la BODEGA",



- que la propriété commerciale est acquise par le seul usage,

- que la cour de cassation affirme que le droit privatif du nom commercial s'acquiert par le premier usage personnel et public,

- qu'ainsi la propriété s'acquiert par la possession et plus précisément par voie d'occupation,

- qu'il est amplement démontré qu'elle en acquis l'usage.



Sur le caractère générique du terme " la BODEGA",



- qu'il est admis en jurisprudence que l'étendue de la protection territoriale de l'enseigne est en fonction de son rayonnement,

- qu'or, la SARL 3GTF exploite son établissement "la BODEGA" à quelques centaines de mètres seulement de l'établissement de l'appelante qui a le même objet social et la même clientèle,

-que dans ces conditions, elle considère que les premiers juges ont justement considéré que "l'utilisation constante de l'appellation "la BODEGA" par la clientèle a permis de conférer à ces termes un caractère distinctif permettant d'individualiser ce fonds de commerce et de rallier la clientèle.







Sur le risque de confusion caractérisée,



- que la faute de la SARL 3GTF est double en ce qu'elle a non seulement utilisé sciemment un nom commercial d'une notoriété indéniable en Nouvelle-Calédonie pour lancer sa propre exploitation, mais également a sciemment provoqué une confusion au sein de la clientèle de "la BODEGA",

- que les deux établissements qui ont le même objet social, touchent le même type de clientèle et sont situés à quelques centaines de mètres de l'un de l'autre,

- que bien plus, l'attention du public moyennement attentif, a pu être trompée par les couleurs utilisées dans les encarts publicitaires qui sont les mêmes que celles utilisées par l'établissement de la SARL LOS TOROS,



Sur le préjudice,



- que selon une jurisprudence constante, si l'action en concurrence déloyale requiert la preuve de l'existence d'un préjudice nécessairement direct, personnel et certain, celui-ci est constitué par le fait de la rupture de l'équilibre dans la compétition de sorte qu'un concurrent a un intérêt certain à faire cesser de tels agissements sans avoir à démontrer l'ampleur du dommage subi, son existence se déduisant nécessairement des actes déloyaux constatés,

- qu'elle fonde son action sur l'atteinte portée à son enseigne qui est largement démontrée et qui constitue un acte de concurrence déloyale fondé sur les articles 1382 et 1383 du code civil,

- que l'action de concurrence est établie et l'élément constitutif d'une faute existe.



L'ordonnance de clôture est intervenue le 31 août 2012 et l'ordonnance de fixation le 17 octobre 2012.



MOTIFS DE LA DÉCISION



Sur la concurrence déloyale



Il sera rappelé que le nom commercial est la dénomination sous laquelle est connu et exploité un établissement commercial, étant précisé qu'il désigne nécessairement une entreprise ou un fonds de commerce géré par une personne morale ou physique qu'elle exploite pour l'identifier dans ses rapports avec la clientèle. Par conséquent, il constitue un lien entre l'entreprise et la clientèle.



Le choix du nom commercial appartient au commerçant. Cette liberté connaît des limites notamment lorsque le nom choisi porte à confusion, et a comme conséquence le détournement de clientèle d'un autre commerçant.



Il est constant que la protection juridique du nom commercial et de l'enseigne est assurée par l'exercice de l'action en concurrence déloyale qui trouve son fondement dans les articles 1382 et 1383 du code civil. Le domaine d'action est cependant réduit par la limitation territoriale et par le principe de spécialité selon lequel il ne peut y avoir confusion que si un fonds peut détourner une clientèle d'un autre, ce qui ne peut se produire si leur domaine d'activité est entièrement distinct.



En l'espèce, il est constant que les deux établissements, le premier à l'enseigne le O'MAO et le second à l'enseigne " la BODEGA DEL MAR".



- sont situés dans les quartiers sud de la ville de Nouméa à quelques centaines de mètres, l'un à la Baie des Citrons et le second à l'Anse Vata, très prisés par la clientèle jeune et noctambule,

- sont des bars à tapas avec concerts ou thèmes et n'ont par conséquent pas des domaines d'activités distincts même si le premier est à dominance asiatique et le second à tendance hispanique,

- " LA BODEGA DEL MAR " a été crée en 2004 dans le Quartier Latin (centre ville) puis a été exploitée à l'Anse VATA et a donc une antériorité certaine de l'usage de l'enseigne par rapport à l'établissement O'MAO inaugurée en 2011 par la société 3 GTF créée le 11 septembre 2008



Par ailleurs comme l'ont exactement relevé les premiers juges, le bar à tapas de l'Anse Vata est clairement identifié par l'ensemble des calédoniens sous l'appellation de "LA BODEGA". Il suffit pour s'en convaincre de se rapporter aux pièces produites aux débats par la société LOS TOROS. En effet, à titre d'exemples seront cités les forums sur internet qui font expressément référence à "LA BODEGA" pour aller " boire un verre de rhum" ou encore des tours de Nouvelle Calédonie qui sont ainsi intitulés : des racines kanak à la BODEGA de Nouméa ou bien le guide Wikimapi qui consacre un article sur " la BODEGA DEL MAR" lequel débute en ces termes " la BODEGA c'est un peu le bar chicos de Nouméa, et encore le Petit Futé qui donne un avis sur LA BODEGA DEL MAR en soulignant que" ... "la Bodéga" est LE bar de Nouméa ...".



Au regard de l'ensemble de ces éléments l'appelante ne peut prétendre que " LA BODEGA" puisse être un terme générique, l'article permettant en effet d'identifier le bar de l'Anse Vata et de rallier la clientèle du territoire. Sera également rejeté pour les mêmes raisons, le moyen selon lequel l'enseigne est " LA BODEGA DEL MAR". La dénomination du bar de l'Anse VATA " la BODEGA" est bien le "trait d'union entre l'entreprise et la clientèle du territoire.



De plus, la société 3 GTF dans les premiers encarts publicitaires aux couleurs rouge et noire (couleurs habituellement utilisées par l'établissement de la société LOS TOROS ) parus le 5 et 6 janvier 2011 dans le seul quotidien de la Nouvelle-Calédonie " Les Nouvelles Calédoniennes" a expressément mentionné " C'EST LA BODEGA QUI DEMENAGE INAUGURATION LE 6 JANVIER"" entraînant à l'évidence une confusion dans la clientèle de LA BODEGA qui pouvait être amenée à penser qu'elle avait effectivement déménagé et nonobstant le dessin asiatique figurant sur ces encarts ou l'interview accordée à l'un des gérants le 7 janvier 2011dans ce quotidien.



Par conséquent, la société 3GTF en utilisant le terme "LA BODEGA" auquel était ajouté "QUI DEMENAGE" dans ses encarts publicitaires a créé une confusion dans l'esprit de la clientèle de l'intimée constituant sans contestation possible un acte de concurrence déloyale.



C'est donc justement que le tribunal a fait interdiction à la société 3 GTF d'utiliser le terme de "LA BODEGA" assortie d'une pénalité à hauteur de 500.000 FCFP à chaque nouvelle utilisation. La décision sera confirmée de ce chef.



Sur la demande de dommages et intérêts



Bien que fondée sur les articles 1382 et 1983 du code civil, l'action en concurrence déloyale n'exige pas de démontrer l'existence d'un préjudice réalisé puisqu'il y a lieu de protéger un élément du fonds de commerce. Il n'appartient donc pas à l'entreprise victime de la concurrence déloyale comme l'a souligné le premier juge de justifier d'une perte de clientèle ou d'une baisse de chiffre d'affaires.



Le tribunal par des motifs que la cour adopte a exactement estimé le quantum de l'indemnité de sorte que le jugement sera également confirmé de ce chef.



Sur les frais irréptibles



L'équité commande d'accorder en appel à la société LOS TOROS la somme de 250.000 FCFP en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie, la décision étant par ailleurs confirmée sur ce point.



La société 3 GTF sera condamnée aux entiers dépens.



PAR CES MOTIFS :



La Cour,



Statuant publiquement par arrêt contradictoire déposé au greffe :



Déclare les appels recevables ;



Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;



Condamne la société 3GTF à payer à la société LOS TOROS la somme de deux cent cinquante mille (250.000) FCFP en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile de la Nouvelle-Calédonie ;



Condamne la Société 3 GTF aux dépens dont distraction au profit de la SELARL BENECH-PLAISANT sur ses affirmations.





LE GREFFIERLE PRÉSIDENT

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