19 mars 2008
Cour d'appel de Paris
RG n° 07/8781

Texte de la décision

Grosses délivréesREPUBLIQUE FRANCAISE
aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS






COUR D'APPEL DE PARIS
4ème Chambre- Section A


ARRET DU 19 MARS 2008


(no49, 7 pages)


Numéro d'inscription au répertoire général : 07 / 08781


Décision déférée à la Cour : Jugement du 27 Mars 2007- Tribunal de Grande Instance de PARIS- RG no 06 / 05914




APPELANT


Monsieur Daniel X...

demeurant ...

75000 PARIS
représenté par la SCP X...- LESENECHAL, avoués à la Cour
assisté de Me Stéphanie SAINT JEAN plaidant pour la SELARL RENAUD & ASSOCIES, avocat au barreau de L'ESSONNE






INTIMEE


CAISSE DE RETRAITE DU PERSONNEL AU SOL DE LA COMPAGNIE NATIONALE AIR FRANCE,
ayant son siège 10 rue Vercingétorix
75014 PARIS
prise en la personne de ses représentants légaux
représentée par la SCP BOMMART- FORSTER- FROMANTIN, avoués à la Cour
assistée de Me Elisabeth GRAUJEMAN plaidant pour le Cabinet CHASSANY- WATRELOT & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque K 100










COMPOSITION DE LA COUR :


En application des dispositions des articles 786 et 910 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 23 Janvier 2008, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Alain CARRE- PIERRAT, Président, chargé d'instruire l'affaire.


Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Alain CARRE- PIERRAT, Président
Madame Dominique ROSENTHAL- ROLLAND, Conseiller
Madame Brigitte CHOKRON, Conseiller




Greffier, lors des débats : Mademoiselle Carole TREJAUT






ARRET :


- contradictoire
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau Code de procédure civile
- signé par Monsieur Alain CARRE- PIERRAT, Président et par Mademoiselle Carole TREJAUT, Greffier, à laquelle la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.










Vu l'appel interjeté, le 21 mai 2007, par Daniel X... d'un jugement rendu le 27 mars 2007, par le tribunal de grande instance de Paris qui a rejeté l'intégralité de ses demandes et condamné aux dépens ;


Vu les dernières conclusions signifiées le 17 janvier 2008, aux termes desquelles Daniel X..., poursuivant l'infirmation du jugement déféré, demande à la Cour de :


* juger qu'il subit une discrimination dans le calcul de sa pension de retraite,


* juger que, en vertu du principe d'égalité de traitement entre les hommes et les femmes, il doit bénéficier des dispositions prévues à l'article 7 du Règlement de Retraite du Personnel au Sol de la Compagnie AIR FRANCE et réservées aux seules mères de famille,


* condamner la CRAF à lui régler à titre de rappel de pension de retraite du 1er janvier 1992 au 1er octobre 2007 la somme de 113. 853, 02 euros, et de dire que cette somme produira intérêts de droit avec capitalisation des intérêts par année entière à compter du 1er janvier1992, en vertu des dispositions des articles 1153 et 1154 du Code civil,


* condamner la CRAF à régulariser sa pension de retraite pour l'avenir et à lui verser la pension bonifiée conformément aux dispositions de l'article 7 du Règlement de Retraite du Personnel au Sol de la Compagnie AIR FRANCE,


* condamner la CRAF à lui régler une indemnité de 3. 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel ;


Vu les ultimes conclusions, en date du 10 décembre 2007, par lesquelles la CAISSE DE RETRAITE DU PERSONNEL AU SOL DE LA CIE NATIONALE AIR FRANCE, ci- après la CRAF, poursuivant à titre principal la confirmation du jugement déféré, demande, à titre subsidiaire, à la Cour de :


* si par extraordinaire elle considérait que Daniel X... doit se voir appliquer le coefficient de réduction applicable aux femmes, constater que ce coefficient ne pourra être appliqué qu'à la fraction de pension acquise par celui- ci au titre des périodes travaillées après le 17 mai 1990, et, en conséquence, constater que le rappel de pension dû pour la période du 1er janvier 1992 au 31 décembre 2006, s'élève à 4. 520, 58 euros bruts et qu'à compter du 1er janvier 2007, le supplément de pension dû s'élève à 27, 47 euros bruts par mois (hors revalorisations futures),


* en tout état de cause, condamner Daniel X... à lui verser la somme de 3. 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel ;


Vu l'ordonnance de clôture prononcée le 10 décembre 2007 ;






SUR CE, LA COUR,






* sur la procédure :






Considérant que par conclusions signifiées le 17 janvier 2008, Daniel X... demande, à titre liminaire, d'ordonner le rabat de l'ordonnance de clôture prononcée le 10 décembre 2007 et de le recevoir en ses écritures au fond signifiées le même jour, et, subsidiairement, d'écarter des débats les conclusions et les pièces de la CRAF signifiées le 10 décembre 2007, jour de la clôture ;


Considérant que par conclusions de procédure, en date du 22 janvier 2008, la CRAF sollicite de la Cour de lui donner acte qu'elle s'associe à la demande de révocation de l'ordonnance de clôture prononcée le 10 décembre 2007 et, à titre subsidiaire, de débouter Daniel X... de sa demande de rejet des débats des pièces et des conclusions signifiées le jour du prononcé de l'ordonnance de clôture ;


Considérant, en droit, qu'il résulte de la combinaison des articles 15, 16 et 135 du Code de procédure civile que le respect du principe de la contradiction impose que, pour pouvoir assurer la loyauté des débats, les parties se fassent connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense ;


Considérant, en l'espèce, que si effectivement la CRAF a signifié des conclusions le 10 décembre 2007 et communiqué, le même jour, des pièces à Daniel X..., ce dernier disposait d'un temps utile pour y répliquer comme il l'a fait le 17 janvier 2008, étant, en outre, observé que la caisse intimée était à même d'y éventuellement répliquer avant l'audience ;


Considérant que, d'ailleurs, les deux parties demandent, à titre principal, la révocation de l'ordonnance de clôture prononcée le 10 décembre 2007, de sorte qu'il convient d'y faire droit et de la fixer au 22 janvier 2008 ;




* sur le fond :




Considérant que, pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties ; qu'il suffit de rappeler que :


* en 1951, la Cie AIR FRANCE a mis en place un régime de retraite complémentaire spécial au profit de son personnel au sol qui a été créé pour compléter les droits à retraite garantis par le régime général de la sécurité sociale, la pérennité de ce régime dépendant exclusivement de la capacité financière de la Cie AIR FRANCE, il a été décidé, en 1993, de consolider les droits à retraite, en l'intégrant dans les régimes de retraite complémentaire de l'ARRCO et de l'AGIRC,


* au cours de l'année 1991, la Cie AIR FRANCE ayant mis en place un plan social portant sur le départ volontaire de 200 cadres et Daniel X..., remplissant les conditions d'âge et d'ancienneté requises, a demandé à bénéficier de la liquidation anticipée de sa pension de retraite auprès de la CRAF, à compter du 1er janvier 1992,


* la pension versée à Daniel X... a été calculée sur la base des dispositions de l'article 7 du règlement de retraite du personnel au sol de la Cie AIR FRANCE qui, stipulant cinq coefficients de réduction, prévoyait en outre que : en ce qui concerne la mère de famille, les coefficients de réduction indiqués ci- dessus sont majorés de 0, 06 pour chacun des enfants qu'elle a eus, sans que cette majoration puisse avoir pour effet de porter le coefficient applicable à plus de 1,


* Daniel X..., constatant que ces dispositions prévoyaient un mode de calcul différent pour les hommes et les femmes, différence se soldant, selon lui, par une discrimination en défaveur des hommes, a, par courrier du 3 octobre 1991, adressé à la Cie AIR FRANCE demandé, en application des différents textes relatifs à l'égalité de traitement entre les hommes et les femmes, de bien vouloir faire réexaminer le calcul de la pension qui me sera servie au 1er janvier prochain,


* c'est dans ces conditions que, n'ayant pas obtenu satisfaction, il a engagé une procédure devant le conseil de prud'hommes qui a considéré que ce litige relevait de la compétence matérielle du tribunal de grande instance ;




Considérant que l'article 119 (devenu 141) du traité CE pose le principe que chaque État membre assure l'application du principe d'égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et féminins pour un même travail ; que, toutefois, il précise que : pour assurer une pleine égalité entre les hommes et femmes dans la vie professionnelle, le principe d'égalité de traitement n'empêche pas un Etat membre de maintenir ou d'adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l'exercice d'une activité professionnelle par le sexe sous- représenté ou à prévenir ou compenser des désavantages dans la carrière professionnelle ;


Que, en outre, les premiers juges ont justement relevé que, en droit interne, le conseil constitutionnel qui a eu à statuer sur la constitutionnalité de l'article L. 351- 4 du Code de la sécurité sociale prévoyant une majoration de la durée d'assurance d'un trimestre pour toute année durant laquelle une mère de famille a élevé un enfant, a, par sa décision du 14 août 2003, indiqué que des mesures pouvaient être prises au profit des seules femmes afin de prendre en compte les inégalités de fait dont les femmes ont jusqu'à présent été l'objet ; en particulier, si elles ont interrompu leur activité professionnelle bien davantage que les hommes afin d'assurer l'éducation de leurs enfants, qu'ainsi en 2001, leur durée d'assurance moyenne était inférieure de 11 années à celle des hommes ; que les pensions des femmes demeurent en moyenne inférieures de plus du tiers à celle des hommes ;


Considérant que certes il se déduit des tableaux versés aux débats par la CRAF que, même si l'on ne peut mésestimer la pertinence des critiques émises par l'appelant, il n'en demeure pas moins que le nombre moyen d'années validées pour le calcul des droits à pension de retraite versées par la caisse intimée, est, d'une manière significative, inférieur à celui des hommes ; que, toutefois, il convient de relever que ces tableaux par leur généralité ne permettent pas de déterminer avec précision les causes qui président à une telle différence dans le nombre d'années de cotisations ;


Mais considérant, en tout état de cause, que, au regard de la disposition litigieuse, force est de constater qu'il n'en existe aucune qui prévoit un avantage analogue aux salariés masculins ayant la qualité de père de famille, alors même que la disposition litigieuse fait exclusivement référence à la condition de mère de famille, de sorte que le bénéfice de la majoration n'est pas subordonnée à une cessation d'activité, même temporaire, effective de la mère ;


Qu'il en résulte que la différence de traitement entre les hommes et les femmes, issue de l'article 7 du règlement de retraite du personnel au sol de la compagnie AIR FRANCE, ne saurait être justifiée de manière objective et raisonnable, la majoration des coefficients de réduction prévue pour les mères de famille, en cas de liquidation anticipée, étant accordée à toutes les femmes qu'elles aient ou non interrompu leur carrière pour élever leurs enfants ;


Qu'ainsi, la disposition précitée introduit une discrimination entre les salariés féminins et les salariés masculins qui n'est justifiée par aucune différence de situation relativement à l'octroi des avantages en cause et qui, par suite, est incompatible avec les dispositions précitées de l'article 119 (devenu 141) du traité instituant la Communauté européenne, dont le 4ème paragraphe ne peut être interprété comme autorisant le maintien d'une telle discrimination ;


Qu'il convient, en conséquence, d'infirmer le jugement déféré ;


Considérant que Daniel X... sollicite la condamnation de la CRAF, d'une part, à lui verser, à titre de rappel de pension depuis le 1er janvier 1992 jusqu'au 31 décembre 2007, la somme de 114. 629, 05 euros, et, d'autre part, la révision de sa pension qui devra se voir imputer un coefficient de réduction de 0, 96 et non de 0, 78 ;


Mais considérant que la CRAF se prévaut, à bon droit, du principe posé par l'arrêt BARBER de la CJCE, en date du 17 mai 1990, selon lequel l'effet direct de l'article 119 (devenu 141) du traité ne peut, pour des considérations impérieuses de sécurité juridique, être invoqué, afin d'exiger l'égalité de traitement en matière de pensions professionnelles, que pour les prestations dues au titre de périodes d'emploi postérieures à la date du prononcé dudit arrêt ;


Considérant qu'il en résulte que Daniel X..., ayant liquidé sa pension de retraite le 1er janvier 1992, celle- ci a ainsi été partiellement acquise au titre de périodes travaillées avant le 17 mai 1990, de sorte que la majoration du coefficient de réduction doit être appliquée à la fraction de pension acquise au titre de la période courant du 17 mai 1990 au 1er janvier 1992, soit 19, 5 mois ;


Considérant que si l'appelant conteste l'application de ce principe, force est de constater qu'il ne formule aucune contestation quant aux modalités de calcul retenues par la caisse intimée pages 14 et 15 de ses dernières conclusions, dont la Cour s'est, par ailleurs, assurée de la pertinence ;


Qu'il convient, en conséquence, de condamner la CRAF à payer à Daniel X... la somme de 4. 771, 02 euros à titre de rappel de pension au titre de la période du 1er janvier 1992 au 30 septembre 2007, et de fixer, à compter du 1er octobre 2007, le supplément de pension revenant à celui- ci à la somme de 27, 47 euros bruts par mois (hors revalorisations futures) ;


Considérant qu'il résulte du sens de l'arrêt que la CRAF ne saurait bénéficier des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; que, en revanche, l'équité commande de la condamner, sur ce même fondement à verser à Daniel X... une indemnité de 3. 000 euros ;




PAR CES MOTIFS :






Ordonne la révocation de l'ordonnance de clôture prononcée le 10 décembre 2007, et la fixe au 22 janvier 2008,


Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,


Et statuant à nouveau,


Dit que Daniel X... subit une discrimination dans le calcul de sa pension de retraite,


Condamne la CAISSE DE RETRAITE DU PERSONNEL AU SOL DE LA CIE NATIONALE AIR FRANCE à payer à Daniel X... la somme de 4. 771, 02 euros à titre de rappel de pension au titre de la période du 1er janvier 1992 au 30 septembre 2007,


Dit que cette somme produira intérêts de droit avec capitalisation des intérêts par année entière, en application des dispositions de l'article 1154 du Code civil, à compter du 1er janvier 1992,


Fixe, à compter du 1er octobre 2007, le supplément de pension revenant à celui- ci à la somme de 27, 47 euros bruts par mois (hors revalorisations futures),


Condamne la CAISSE DE RETRAITE DU PERSONNEL AU SOL DE LA CIE NATIONALE AIR FRANCE à verser à Daniel X... une indemnité de 3. 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,


Rejette toutes autres demandes,


Condamne la CAISSE DE RETRAITE DU PERSONNEL AU SOL DE LA CIE NATIONALE AIR FRANCE aux dépens de première instance et d'appel qui pour ceux d'appel seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.


LE GREFFIER LE PRESIDENT

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