6 avril 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-18.249

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2022:SO00445

Texte de la décision

SOC.

LG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 6 avril 2022




Cassation partielle sans renvoi


Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 445 F-D


Pourvois n°
Z 20-18.249
à G 20-18.257 JONCTION


Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de Mme [C].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 24 novembre 2020.



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 6 AVRIL 2022

1°/ La société Boutard, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 4],

2°/ la société A2JZ, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 10], représentée par M. [E] [F], agissant en qualité d'administrateur judiciaire de la société Boutard,

3°/ M. [A] [U], domicilié [Adresse 2], agissant en qualité de mandataire judiciaire, puis en qualité de liquidateur judiciaire, par jugement du 6 novembre 2020, de la société Boutard,

ont formé les pourvois n° Z 20-18.249, A 20-18.250, B 20-18.251, C 20-18.252, D 20-18.253, E 20-18.254, F 20-18.255, H 20-18.256 et G 20-18.257 contre neuf arrêts rendus le 4 juin 2020 par la cour d'appel d'Orléans (chambre sociale) dans les litiges l'opposant respectivement :

1°/ à Mme [V] [J], domiciliée [Adresse 1],

2°/ à M. [G] [B], domicilié [Adresse 9],

3°/ M. [E] [I], domicilié [Adresse 8],

4°/ à M. [W] [K], domicilié [Adresse 3],

5°/ à M. [M] [N], domicilié [Adresse 12],

6°/ à Mme [T] [C], domiciliée [Adresse 7],

7°/ à M. [L] [D], domicilié [Adresse 11],

8°/ à M. [S] [P], domicilié [Adresse 6],

9°/ à M. [R] [O], domicilié [Adresse 5],

10°/ à Pôle emploi, domicilié [Adresse 13],

défendeurs à la cassation.

Les demanderesses invoquent, à l'appui de leurs pourvois, les trois moyens de cassation communs annexés au présent arrêt.

Les dossiers ont été communiqués au procureur général.

Sur le rapport de M. Barincou, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor et Périer, avocat des sociétés Boutard, A2JZ et de M. [U], ès qualitès, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme [J] et des huit autres salariés, après débats en l'audience publique du 15 février 2022 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Barincou, conseiller rapporteur, M. Pietton, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° Z 20-18.249 à G 20-18.257 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués (Orléans, 4 juin 2020), Mmes [J] et [C] ainsi que MM. [B], [I], [D], [K], [N], [O] et [P] ont été engagés par la société Boutard, spécialisée dans le commerce de quincaillerie, hi-fi, cuisines équipées, salles de bain et arts de la table.

3. Le 14 janvier 2014, l'employeur a informé le comité d'entreprise de sa décision de fermer son seul magasin ouvert au grand public, situé à [Localité 14], pour se concentrer sur son activité de distribution aux professionnels.

4. Un plan de sauvegarde de l'emploi, adressé à l'administration le 27 juin 2014, a été homologué par décision implicite. Par lettres des 28, 29 août et 2 septembre 2014, les salariés ont été licenciés pour motif économique.

5. Le 6 février 2015, ils ont saisi la juridiction prud'homale pour notamment contester leur licenciement et obtenir paiement, au prorata de leur temps de présence, d'une prime versée chaque année en juin et décembre.

6. Par jugement du 6 novembre 2020, la société Boutard a été placée en liquidation judiciaire et M. [U] a été désigné en qualité de liquidateur.

Examen des moyens

Sur les premier et deuxième moyen, ci-après annexés


7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Mais sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

8. L'employeur fait grief aux arrêts de le condamner à verser une prime semestrielle à chacun des salariés, alors « que le droit au paiement, en tout ou partie, d'une prime périodique pour un salarié ayant quitté l'entreprise, quel qu'en soit le motif, avant la date de son versement, ne peut résulter que du contrat, d'une convention ou d'un usage dont il appartient au salarié de rapporter la preuve ; qu'en l'espèce, les salariés percevaient une prime semestrielle, en juin et décembre de chaque année, en vertu d'un usage ; qu'il est constant que le licenciement des salariés est intervenu en août 2014, de sorte qu'ils n'étaient pas présents dans l'entreprise, en décembre 2014, lors du versement de la seconde prime semestrielle ; qu'en affirmant néanmoins qu'en l'absence de clause de présence, le versement prorata temporis s'impose, au motif inopérant que le droit à rémunération, qui est acquis lorsque cette période a été intégralement travaillée, ne peut pas être soumis à une condition de présence à la date postérieure de son versement, la cour d'appel a violé les articles 1134 (devenu 1103) et 1315 (devenu 1353) du code civil dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1103 du code civil :

9. Le droit au paiement prorata temporis d'une prime semestrielle à un salarié ayant quitté l'entreprise, quel qu'en soit le motif, avant la date de son versement ne peut résulter que d'une disposition conventionnelle ou d'un usage dont il appartient au salarié de rapporter la preuve.

10. Pour condamner l'employeur à payer aux salariés diverses sommes au titre d'une prime semestrielle, payable en juin et décembre, la cour d'appel retient que, en l'absence de clause contractuelle de présence, le versement prorata temporis s'impose.

11. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

12. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

13. La cassation, prononcée par voie de retranchement, n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond.

14. La cassation partielle prononcée n'emporte pas cassation des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant l'employeur aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remise en cause.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'ils condamnent la société Boutard à payer au titre de la prime semestrielle, à Mme [J] la somme de 345,72 euros, à M. [B] la somme de 317,74 euros, à M. [I] la somme de 502,37 euros, à M. [K] la somme de 268,03 euros, à M. [N] la somme de 290,78 euros, à Mme [C] la somme de 297,36 euros, à M. [D] la somme de 408,69 euros, à M. [O] la somme de 395,32 euros et à M. [P] la somme de 681,13 euros, les arrêts rendus le 4 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Orléans ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi de ces chefs ;

DÉBOUTE Mmes [J] et [C] ainsi que MM. [B], [I], [D], [K], [N], [O] et [P] de leur demande en paiement d'un rappel de salaire au titre de la prime semestrielle ;

Condamne Mmes [J] et [C] ainsi que MM. [B], [I], [D], [K], [N], [O] et [P] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite des arrêts partiellement cassés ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du six avril deux mille vingt-deux.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens communs produits par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Boutard, la société A2JZ, ès qualités, et M. [U], ès qualités, demandeurs aux pourvois n° Z 20-18.249 à G 20-18.257

PREMIER MOYEN DE CASSATION

La société Boutard fait grief aux arrêts attaqués d'AVOIR dit que le licenciement des salariés défendeurs aux pourvois était dépourvu de cause réelle et sérieuse, de l'AVOIR condamnée à payer à chaque salarié des dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et de lui AVOIR ordonné le remboursement à Pôle emploi des indemnités de chômage versées aux salariés ;

1. ALORS QUE le juge doit apprécier la gravité des difficultés économiques de l'entreprise en fonction de la taille de l'entreprise ; qu'en l'espèce, il ressort des constatations de l'arrêt attaqué que la société Boutard, qui n'appartenait à aucun groupe et employait 73 salariés au total, avait enregistré, au 31 mars 2013, des pertes s'élevant à 578.105 euros et, au 31 mars 2014, des pertes d'un montant de 318.700 euros ; qu'en affirmant, pour dire que le licenciement des salariés ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse, que l'activité économique avait commencé à se redresser l'année du licenciement, cependant qu'il ressort de ses constatations que les pertes de l'entreprise étaient toujours importantes au regard de sa taille, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-3 du code du travail ;

2. ALORS QUE s'il doit se placer à la date du licenciement pour apprécier la cause économique, le juge doit, le cas échéant, tenir compte des effets de la réorganisation d'ores et déjà mise en oeuvre sur la situation économique de l'entreprise ; qu'en l'espèce, la société Boutard justifiait qu'en mars 2014, dans le prolongement de la décision de fermeture du magasin de [Localité 14], elle avait procédé à une vente en liquidation du stock de ce magasin qui avait artificiellement gonflé le résultat de l'exercice clos au 31 mars 2014 ; qu'elle justifiait ainsi que les ventes de ce magasin, qui représentaient chaque mois, depuis mars 2013, entre 50.000 et 130.000 euros (sauf en décembre), avaient atteint, en mars 2014, 377.750 euros ; qu'en l'absence d'une telle opération de liquidation, liée à la fermeture de cet établissement, les pertes de l'exercice 2013-2014, qui s'élevaient à 318.000 euros, auraient été supérieures de plus de 200.000 euros et donc aussi importantes que celles de l'exercice précédent ; qu'en se bornant à relever que le résultat net de l'exercice 2014 était plus élevé que celui de l'exercice 2013, pour en déduire que l'activité économique de l'entreprise avait commencé à se redresser, sans s'expliquer sur l'incidence de l'opération de liquidation liée à la fermeture de l'établissement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-3 du code du travail ;

3. ALORS QUE si le juge prud'homal est compétent pour apprécier le respect par l'employeur de l'obligation de reclassement, il ne peut méconnaître l'autorité de la chose décidée par l'autorité administrative ayant homologué le document unilatéral contenant le plan de reclassement intégré au plan de sauvegarde de l'emploi ; qu'il ne peut en conséquence remettre en cause la suffisance des offres de reclassement, sans vérifier si les postes non-proposés figuraient dans le plan homologué par l'autorité administrative ; qu'en l'espèce, il était constant que le plan de sauvegarde de l'emploi, qui recensait une liste de 7 postes disponibles pour le reclassement, avait été homologué implicitement par la Direccte ; qu'en se bornant à relever qu'au cours d'une réunion du comité d'entreprise du 18 février 2014, la société Boutard avait indiqué qu'elle envisageait de créer trois postes, sans rechercher si ces postes avaient effectivement été créés et figuraient sur la liste des postes disponibles pour le reclassement définie dans le plan de sauvegarde de l'emploi homologué par l'autorité administrative, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-4 du code du travail, le principe de séparation des pouvoirs, ensemble la loi des 16-24 août 1790 ;

4. ALORS, EN TOUTE HYPOTHESE, QUE s'il doit adapter le salarié à l'évolution de son emploi, l'employeur n'est pas tenu de fournir au salarié une formation initiale qui lui fait défaut, ni par conséquent de lui proposer des emplois disponibles qui requièrent une nouvelle formation ; qu'en se bornant à relever que la société Boutard n'avait pas proposé aux salariés trois postes dont elle avait indiqué, en février 2014, qu'elle envisageait la création, sans vérifier si ces trois postes étaient compatibles avec la qualification de chacun des salariés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-4 du code du travail.

5. ALORS QUE le juge ne peut apprécier le sérieux et la loyauté des recherches de reclassement de l'employeur sans s'expliquer sur les offres de reclassement proposées au salarié ; qu'en l'espèce, la société Boutard, qui employait 73 salariés, justifiait avoir proposé à chaque salarié un ou deux postes compatibles avec leurs compétences, assortis d'un maintien de leur rémunération, et à certains d'entre eux des offres de reclassement externe collectées en sollicitant les entreprises de la région ; qu'en affirmant que, faute de respecter la règle de l'article L. 1221-13 du code du travail et de faire mention de l'embauche de deux intérimaires, le registre du personnel versé aux débats ne permettait pas à la cour de vérifier l'existence de recherches de reclassement sérieuses et loyales, sans s'expliquer sur les offres de reclassement proposées aux salariés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1233-4 du code du travail.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION

La société Boutard fait grief aux arrêts attaqués de l'AVOIR condamnée à verser aux salariés des dommages et intérêts au titre de la priorité de réembauche ;

1. ALORS QUE le registre du personnel est tenu au siège de l'entreprise, et non dans chacun de ses magasins lorsqu'aucun représentant de l'employeur ayant le pouvoir de recruter du personnel n'est présent dans ces magasins ; qu'en retenant, pour dire non-sincère le registre du personnel produit aux débats, qu'un seul registre était produit alors que l'article L. 1221-13 du code du travail impose la tenue d'un registre unique du personnel dans tout établissement où sont employés des salariés, la cour d'appel a violé l'article L. 1221-13 du code du travail ;

2. ALORS QUE la seule méconnaissance de la règle posée par l'article L. 1221-13 du code du travail ne prive pas de toute valeur probante la registre du personnel produit par l'employeur pour justifier des embauches qu'il a effectuées ; qu'en affirmant que, faute d'avoir tenu un registre du personnel par établissement, le registre commun à tous les magasins de l'entreprise versé aux débats ne peut permettre à la cour de vérifier l'existence de recherches de reclassement sérieuses et loyales, la cour d'appel a violé l'article L. 1221-13 du code du travail ;

3. ALORS QUE la priorité de réembauche court à compter de l'expiration du préavis ; qu'en affirmant encore, pour dire que le registre du personnel ne lui permettait pas de se prononcer sur le respect de la priorité de réembauche des salariés, que deux salariés, recrutés en intérim en mars 2014, n'y figuraient pas, cependant qu'il ressort de ses constatations que la priorité de réembauche courait à compter du mois d'août 2014, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-45 du code du travail.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION

La société Boutard fait grief aux arrêts attaqués de l'AVOIR condamnée à verser une prime semestrielle à chacun des salariés ;

ALORS QUE le droit au paiement, en tout ou partie, d'une prime périodique pour un salarié ayant quitté l'entreprise, quel qu'en soit le motif, avant la date de son versement, ne peut résulter que du contrat, d'une convention ou d'un usage dont il appartient au salarié de rapporter la preuve ; qu'en l'espèce, les salariés percevaient une prime semestrielle, en juin et décembre de chaque année, en vertu d'un usage ; qu'il est constant que le licenciement des salariés est intervenu en août 2014, de sorte qu'ils n'étaient pas présents dans l'entreprise, en décembre 2014, lors du versement de la seconde prime semestrielle ; qu'en affirmant néanmoins qu'en l'absence de clause de présence, le versement prorata temporis s'impose, au motif inopérant que le droit à rémunération, qui est acquis lorsque cette période a été intégralement travaillée, ne peut pas être soumis à une condition de présence à la date postérieure de son versement, la cour d'appel a violé les articles 1134 (devenu 1103) et 1315 (devenu 1353) du code civil dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016.

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