6 avril 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 18-14.755

Troisième chambre civile - Formation de section

ECLI:FR:CCASS:2022:C300299

Texte de la décision

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 6 avril 2022




Rejet


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 299 FS-D

Pourvoi n° K 18-14.755




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 6 AVRIL 2022

La société [Adresse 9], société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 9], a formé le pourvoi n° K 18-14.755 contre l'arrêt rendu le 14 septembre 2017 par la cour d'appel de Nîmes (2e chambre section A), dans le litige l'opposant à la commune de [Localité 11], représentée par son maire en exercice, domicilié en cette qualité [Adresse 7], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Jacques, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société [Adresse 9], de la SCP Delamarre et Jehannin, avocat de la commune de [Localité 11], et l'avis de Mme Vassallo, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 1er mars 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Jacques, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, M. Nivôse, Mmes Farrenq-Nési, Greff-Bohnert, Abgrall, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mme Brun, conseillers référendaires, Mme Vassallo, premier avocat général, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 14 septembre 2017), rendu en référé, le 1er juillet 2010, la société civile immobilière [Adresse 9] (la SCI) a acquis de la Société d'aménagement foncier et d'établissement rural (la SAFER) une propriété de vingt-huit hectares située sur le territoire de la commune de [Localité 11], comprenant des corps de bâtiments à usage d'habitation et des hangars, classée en zone NC, réservée à l'exploitation agricole, du plan d'occupation des sols.

2. Le 17 février 2016, exposant que la société exerçait des activités de transport et de stockage de marchandises et de location de poids-lourds et de bennes incompatibles avec les règles d'urbanisme en vigueur, la commune de [Localité 11] a assigné en référé la SCI pour obtenir la cessation de ces activités.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. La SCI fait grief à l'arrêt de l'enjoindre de cesser ou faire cesser l'activité de transport routier, de location de véhicules industriels, de location de bennes, de transport de déchets sur les parcelles K [Cadastre 2], [Cadastre 4], [Cadastre 5], [Cadastre 1] et [Cadastre 3], sous une astreinte de cent euros par jour de retard courant, sur signification de l'arrêt, à compter du 1er janvier 2018, alors :

« 1°/ que le règlement national d'urbanisme ne comporte pas de dispositions prévoyant le classement de parcelles en zone agricole ; qu'en l'espèce, en retenant qu'était établi un trouble manifestement illicite à l'encontre de la SCI [Adresse 9] à raison de ce que ses activités de transport de marchandises et de location de bennes, en ce qu'elles étaient sans rapport avec l'exploitation agricole, méconnaissaient les prescriptions du règlement national d'urbanisme classant en zone agricole ses parcelles, la cour d'appel a violé l'article 809 du code de procédure civile ;

2°/ que le règlement national d'urbanisme n'a vocation qu'à réglementer les constructions et aménagements opérés sur les territoires où il s'applique, à l'exclusion des activités susceptibles d'y être exercées ; qu'en l'espèce, en retenant qu'était établi un trouble manifestement illicite à l'encontre de la SCI [Adresse 9] à raison de ce que ses activités de transport de marchandises et de location de bennes méconnaissaient les prescriptions du règlement national d'urbanisme, la cour d'appel a violé l'article 809 du code de procédure civile et le principe de la liberté du commerce et de l'industrie ;

3°/ que répond à la vocation agricole d'une parcelle une activité de transport de marchandises et de location d'engins exclusivement dédiée au transport et à la conservation de denrées agricoles ; qu'en l'espèce, en retenant que l'activité de transport routier et de location d'engins de la SCI [Adresse 9] était sans rapport avec l'exploitation agricole, sans rechercher si cette activité n'était pas exclusivement dédiée au transport et à la conservation de denrées agricoles, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 809 du code de procédure civile et L. 722-2 du code rural. »

Réponse de la Cour

4. La cour d'appel a constaté que les parcelles appartenant à la SCI étaient cultivées en nature de luzerne, à l'exception de cinq hectares de vignes mis à disposition d'un agriculteur voisin à titre de prêt à usage.

5. Elle a relevé que vingt-huit camions y étaient stationnés, qu'y étaient entreposées de nombreuses bennes contenant des marchandises diverses, que des allers-retours journaliers d'engins à très fort tonnage étaient pratiqués et qu'étaient stockées, dans des fosses creusées dans le sol, des boues lourdes sans rapport avec l'exploitation directe de quelques dizaines d'hectares de luzerne.

6. Ayant retenu que le trafic résultant de l'activité de transport exercée avec des véhicules poids lourds, dont certains dépassaient les vingt-cinq tonnes, était incompatible avec la destination de chemins communaux qui reliaient les vignes à la voie publique, dont le revêtement en enrobé bitumeux s'était partiellement affaissé, et, procédant à la recherche prétendument omise, que les activités de transport et de stockage qui étaient exercées sur les parcelles au profit de tiers sans rattachement direct ou indirect avec la culture en nature de luzerne ou de vignes, n'étaient pas conformes à l'engagement de la SCI, stipulé dans son acte d'acquisition, de maintenir la destination agricole du bien, la cour d'appel a, par ces seuls motifs, caractérisé le trouble manifestement illicite causé à la commune par les activités de cette société.

7. Elle a ainsi légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société civile immobilière [Adresse 9] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société civile immobilière du [Adresse 9] et la condamne à payer à la commune de [Localité 11] la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six avril deux mille vingt-deux.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour la société [Adresse 9]

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué D'AVOIR enjoint à la SCI [Adresse 9] de cesser ou faire cesser cette activité de transport routier, de location de véhicules industriels, de location de bennes, de transport de déchets sur les parcelles K [Cadastre 2], [Cadastre 4], [Cadastre 5], [Cadastre 1] et [Cadastre 3], sous une astreinte provisoire de 100 euros par jour de retard courant sur signification de la décision à compter du 1er janvier 2018 ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE la commune de [Localité 11] agit au visa de l'article 809 du code de procédure civile au motif du trouble manifestement illicite résultant de l'activité de transport ou de location de poids-lourds ou de bennes exercice sur la propriété de la SCI [Adresse 9], laquelle ne serait pas conforme aux règles d'urbanisme en vigueur. Il est constant que les parcelles en litige, situées dans une zone agricole dénommée costières de [Localité 10], à vocation exclusivement agricole tant au regard du POS en vigueur jusqu'au 26 mars 2017 qu'au regard du plan national d'urbanisme qui réglemente l'usage des sols depuis cette date, sont utilisées pour partie aux fins de transport et de location de bennes ou de matériels poids-lourds. Cette activité qui est exercée au profit de tiers sans rattachement direct ou indirect avec les parcelles que la SCI cultive en nature de luzerne ou, pour 5 hectares, de vignes, ces dernières étant exploitées par un agriculteur voisin suivant un prêt à usage, ne constitue pas une activité agricole au sens de l'article L 311-1 du code rural et de la pêche maritime dès lors qu'elle ne se situe pas dans le prolongement de l'acte de production entendu comme la maîtrise et l'exploitation d'un cycle biologique végétal ou animal et qu'elle n'a pas non plus pour support l'exploitation, comme en témoignent notamment le stationnement sur ces parcelles de 28 camions, le stockage de nombreuses bennes de marchandises diverses, des aller retour journaliers d'engins à très fort tonnage et le stockage dans des fosses creusées dans le sol de boues lourdes (bentonite) sans rapport avec la seule exploitation directe de quelques dizaines d'hectares de luzerne. Il sera relevé à cet égard qu'il n'est pas contesté que la plupart des salariés de l'entreprise en nom individuel de M. [I] sont affectés au transport avec chauffeur pour le compte de tiers ou à la réparation mécanique, à l'exclusion de toute activité agricole, que leur nombre (62) est sans rapport avec la culture de luzerne sur la superficie considérée, que le trafic en résultant, s'agissant de véhicules poids-lourds, parfois articulés, dont la SCI ne conteste pas que certains peuvent excéder les 25 tonnes, est incompatible avec la destination de chemins communaux reliant des vignes à la voie publique, comme cela ressort en particulier du rapport d'information de la police municipale de [Localité 11] date du 1er avril 2015 ayant constaté que la voie communale dont le revêtement est en enrobé bitumeux s'est, sous l'effet des passages desdits poids-lourds, affaissée d'environ 50 cm sur une largeur de plus d'un mètre et sur une longueur de 20 mètres environ, fait qui a conduit le maire de [Localité 11] à porter plainte contre M. [I] du chef de dégradations de biens d'utilité publique et la Safer, dans un courrier du 25 novembre 2015, à appeler l'attention de M. [I] sur la non conformité d'une telle activité à l'engagement de la SCI, stipulé dans l'acte d'acquisition du 1er juillet 2010, de maintenir la destination agricole du bien. Il importe peu que ce rapport, cette plainte et ce courrier de la Safer n'aient pas eu de suite connue dès lors que les pièces au débat et en particulier les photographies jointes au rapport de la police municipale attestent à suffisance la réalité du fait et son imputabilité au fort tonnage des poids-lourds de M. [I], sans rapport avec celui d'un engin agricole. Le trouble manifestement illicite résultant d'une telle activité de transport routier et de locations d'engins sans rapport avec l'exploitation agricole au regard des règles d'urbanisme en vigueur à la date à laquelle le juge des référés a statué et des prescriptions du PNU classant cette zone en zone agricole, PNU applicable au jour où la cour statue, sera donc regardé comme établi. L'ordonnance déférée sera par conséquent confirmée en ce qu'elle a fait injonction à la SCI [Adresse 9] de cesser ou faire cesser cette activité de transport routier, de location de véhicules industriels, de location de bennes et de transport de déchets sur les parcelles lui appartenant ;

ET AUX MOTIFS ADOPTES QU'aux termes de l'article 809 alinéa 1 du Code de procédure civile, il peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, être prescrit les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Il ressort des pièces versées aux débats, notamment du titre de propriété, que la SCI du [Adresse 9], dont le siège social se situe à [Localité 12] (Savoie), immatriculée en avril 2010, dont le gérant est M. [W] [I], a pour activité la location de terrains et autres biens immobiliers, qu'elle a acquis le 1er juillet 2010 dans le cadre de l'article L141-1 du Code rural, une propriété agricole sur la commune de [Localité 11] (Gard), consistant en un corps principal de bâtiments à usage d'habitation, hangars, remise et diverses parcelles de terre, cadastrées section K n°[Cadastre 2], n°[Cadastre 4], n°[Cadastre 5], n°[Cadastre 1] et n°[Cadastre 3], ces dernières se situant sur la totalité de leur superficie en zone NC du POS de la commune de [Localité 11]. Il ressort du plan d'occupation des sols de la commune de [Localité 11], que la zone NC est à protéger en raison de la valeur économique réservée à l'exploitation agricole des sols, l'article NC1 du plan disposant en particulier, que les constructions de toute nature sont interdites, sauf celles visées à l'article NC2, qui limitent dans les secteurs NCa et Ncz, les constructions à usage d'habitation exclusivement liées à l'exploitation agricole (habitat de l'exploitant, des ouvriers agricoles) et les bâtiments agricoles (granges, remises, silos). Or, il ressort du procès-verbal d'infraction dressé le 17 juillet 2015 par la police municipale de [Localité 11], l'existence de dégradations sur la voie communale n°21 contigüe aux parcelles n°[Cadastre 1] et n°[Cadastre 3] de la SCI du [Adresse 9], en raison « de nombreux passages de véhicules légers ou lourds » de la société, de celui dressé le 11 mars 2016, « la présence sur la propriété de nombreux camions bennes et de containers, le propriétaire déclarant posséder environ 28 véhicules pour l'exercice des travaux agricoles extérieurs ». De même, la lettre de mise en demeure adressée le 25 novembre 2015 par la SAFER à la SCI du [Adresse 8], après enquête de terrain par ses services, lui rappelant que l'activité de transport lourd n'était pas conforme à l'engagement pris de maintenir la destination agricole du bien et l'enjoignant de respecter cette destination agricole, a été suivie d'une lettre en réponse de la SCI du [Adresse 9] en date du 22 décembre 2015, dans laquelle celle-ci conteste le changement de destination du bien, mais signale que les hangars et bâtiments servent notamment à l'entreprise de travaux agricoles et ne dénie pas la réalité d'un trafic de poids lourds, qu'elle évalue à six allers-retours par jour. Par ailleurs, le procès-verbal de constat établi le 20 juillet 2015 par Me [K] [M], huissier de justice à [Localité 6], joint au rapport d'expertise de M. [U], commis par les propriétaires des fonds voisins du domaine de la SCI du [Adresse 9], relève, outre la présence de plus de 80 bennes et de 2 à 3 ensembles routiers, que l'emprise de passage des camions des transports [I] représente 7 à 8 mètres de largeur environ, fixant la réalité et l'importance du trafic des véhicules de transport. Cette activité de transport est en outre corroboré par l'extrait d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés du tribunal de Commerce de Chambéry, à jour au 4 janvier 2016, qui fait apparaître que M. [I] [W] exerce depuis 1984 une entreprise de travaux agricoles, de commerce de bois, mais aussi de transporteur routier de marchandises et de loueur de véhicules industriels avec conducteur, transports de déchets et location de bennes, mécaniques agricoles. De même, l'édition des dotations des entreprises de M. [I] établies par son expert-comptable pour l'exercice 2014, mentionne au titre de matériel industriel, certes du matériel agricole, mais principalement des bennes de stockage de déchets divers (vendanges, papier, gravats, boues), et au titre de matériel de transport, un grand nombre de véhicules routiers de type semi-remorques et des remorques. Ainsi, au vu de ces différents éléments, nonobstant la discussion sur la servitude de passage grevant le fonds d'un tiers à la procédure au profit du fonds de la SCI du [Adresse 9], nonobstant celle relative à la dégradation d'un chemin communal, force est de relever que l'activité exercée par le gérant de la SCI du [Adresse 9] sur les parcelles situées sur la commune de [Localité 11] ne se limite pas à l'exploitation agricole de ses sols, qu'elle consiste également en une activité importante de transport routier de marchandises diverses, entraînant à la fois le stationnement d'environ 28 camions, le stockage de nombreuses bennes de marchandises diverses, des allers et venues journaliers de camions, activité qui s'avère incompatible avec la destination strictement agricole des terres du domaine. Cette activité « de transporteur routier de marchandises et de loueur de véhicules industriels avec conducteur, transports de déchets et location de bennes », qui s'avère contraire aux dispositions NC du POS de la commune de [Localité 11], est constitutive d'un trouble manifestement illicite, qu'il convient de faire cesser en faisant droit à la demande de la commune de mise en conformité des parcelles de la SCI du [Adresse 9] avec leur destination agricole, dans les termes et selon les modalités précisés au dispositif ci-après ;

1) ALORS QUE le règlement national d'urbanisme ne comporte pas de dispositions prévoyant le classement de parcelles en zone agricole ; qu'en l'espèce, en retenant qu'était établi un trouble manifestement illicite à l'encontre de la SCI [Adresse 9] à raison de ce que ses activités de transport de marchandises et de location de bennes, en ce qu'elles étaient sans rapport avec l'exploitation agricole, méconnaissaient les prescriptions du règlement national d'urbanisme classant en zone agricole ses parcelles, la cour d'appel a violé l'article 809 du code de procédure civile ;

2) ALORS, AU SURPLUS, QUE le règlement national d'urbanisme n'a vocation qu'à réglementer les constructions et aménagements opérés sur les territoires où il s'applique, à l'exclusion des activités susceptibles d'y être exercées ; qu'en l'espèce, en retenant qu'était établi un trouble manifestement illicite à l'encontre de la SCI [Adresse 9] à raison de ce que ses activités de transport de marchandises et de location de bennes méconnaissaient les prescriptions du règlement national d'urbanisme, la cour d'appel a violé l'article 809 du code de procédure civile et le principe de la liberté du commerce et de l'industrie ;

3) ALORS, EN TOUTE HYPOTHESE, QUE répond à la vocation agricole d'une parcelle une activité de transport de marchandises et de location d'engins exclusivement dédiée au transport et à la conservation de denrées agricoles ; qu'en l'espèce, en retenant que l'activité de transport routier et de location d'engins de la SCI [Adresse 9] était sans rapport avec l'exploitation agricole, sans rechercher si cette activité n'était pas exclusivement dédiée au transport et à la conservation de denrées agricoles, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 809 du code de procédure civile et L. 722-2 du code rural.

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