30 mars 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-19.849

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2022:SO00405

Texte de la décision

SOC.

CA3



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 30 mars 2022




Cassation partielle


M. SCHAMBER, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 405 F-D

Pourvoi n° P 20-19.849




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 30 MARS 2022

1°/ Mme [M] [C], domiciliée [Adresse 3],

2°/ la Fédération CGT des sociétés d'études, de conseil et de prévention, dont le siège est [Adresse 2],

3°/ l'union locale des syndicats CGT 5e et 9e de Lyon, dont le siège est [Adresse 1],

ont formé le pourvoi n° P 20-19.849 contre l'arrêt rendu le 3 juillet 2020 par la cour d'appel de Lyon (chambre sociale B), dans le litige les opposant à la société Altran technologies, dont le siège est [Adresse 4], défenderesse à la cassation.

Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les quatre moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Ala, conseiller référendaire, les observations de la SCP Didier et Pinet, avocat de Mme [C], de la Fédération CGT des sociétés d'études, de conseil et de prévention, et de l'union locale des syndicats CGT 5e et 9e de Lyon, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Altran technologies, après débats en l'audience publique du 9 février 2022 où étaient présents M. Schamber, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Ala, conseiller référendaire rapporteur, M. Flores, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Lyon, 3 juillet 2020), Mme [C] a été engagée le 21 juillet 2010 par la société Altran technologies en qualité d'ingénieur d'études, statut cadre.

2.La convention collective nationale des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils du 15 décembre 1987, dite Syntec, est applicable à la relation de travail.

3. Le 24 mars 2016, la salariée a saisi la juridiction prud'homale de demandes se rapportant à l'exécution de son contrat de travail.

4. L'union locale CGT 5e et 9e de Lyon ainsi que la Fédération CGT des sociétés d'études, de conseil et de prévention (les syndicats) sont intervenues volontairement à l'instance.

5. La salariée a quitté les effectifs de la société le 30 septembre 2015.

Examen des moyens

Sur les deuxième et troisième moyens, ci-après annexés


6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

7. La salariée fait grief à l'arrêt de limiter le montant des rappels de salaire au titre des heures supplémentaires, des congés payés et prime de vacances afférents, alors :

« 1° / qu'aux termes de l'article 3 chapitre II de l'accord du 22 juin 1999 relatif à la durée du travail et annexé à la convention collective nationale Syntec, lequel instaure une convention de forfait en heures sur une base hebdomadaire pour les salariés relevant des modalités 2 réalisations de missions, lesdites modalités s'appliquent aux salariés non concernés par les modalités standard ou les réalisations de missions avec autonomie complète, et que tous les ingénieurs et cadres sont a priori concernés, à condition que leur rémunération soit au moins égale au plafond de la sécurité sociale ; qu'il en résulte que seuls les ingénieurs et cadres dont la rémunération est au moins égale au plafond de la sécurité sociale relèvent des modalités 2 réalisations de mission ; qu'à défaut, la convention de forfait en heures sur la semaine à laquelle ils ont été soumis leur étant inopposable, la rémunération perçue par les salariés en application de celle-ci est réputée correspondre à la durée légale du travail ; que, pour limiter le montant des rappels d'heures supplémentaires alloués à la salariée exposante, la cour d'appel a retenu que la convention fixe un salaire forfaitaire annuel pour les 218 jours travaillés au titre du forfait et précise que cette rémunération forfaitaire englobe les variations horaires éventuellement accomplies dans une limite dont la valeur est au maximum de 10 % pour un horaire hebdomadaire de 35 heures" et qu' il s'en déduit (…) que l'accord entre les parties était de rémunérer le salarié sur une base de 38 heures 30 par semaine, ce qui est confirmé par les mentions figurant sur le bulletin de salaire" ; qu'elle en a déduit que, nonobstant l'inopposabilité de la convention de forfait, elle a été effectivement rémunérée sur une base de 38 heures 30 et ne peut prétendre, entre la 35e et la 38e heure et demie, au paiement du salaire de base une deuxième fois, mais seulement aux majorations afférentes aux heures supplémentaires effectuées au-delà de la durée convenue ; qu'en statuant ainsi, quand il résultait de la neutralisation de la convention de forfait en heures que la rémunération qui avait été servie à la salariée exposante en application de celle-ci était réputée correspondre au paiement des heures de travail dans la limite de la durée légale du travail, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

2°/ que si le salarié qui a été rémunéré sur la base du nombre d'heures stipulé dans la convention de forfait en heures reconnue irrégulière ne peut prétendre au paiement du salaire de base une deuxième fois et ne peut, en conséquence, solliciter que le paiement des majorations afférentes aux heures supplémentaires, il appartient aux juges du fond de constater le paiement effectif du nombre d'heures prévues audit forfait, lequel ne résulte pas de la référence à la convention de forfait illicite portée sur le contrat de travail et les bulletins de paie ; qu'en statuant comme elle l'a fait sur le fondement d'une convention de forfait en heures déclarée inopposable à la salariée exposante et de bulletins de paie portant uniquement la mention 2A Cadre 38h30 218 j", lesquels n'établissaient pas l'existence d'un paiement effectif des heures accomplies entre la 35e et la 38e heure et demie, la cour d'appel a violé l'article 3 chapitre II de l'accord du 22 juin 1999 relatif à la durée du travail et annexé à la convention collective nationale Syntec, ensemble les articles L. 3121-1 et L. 3171-4 du code du travail en leur rédaction applicable litige. »

Réponse de la Cour

8. Lorsqu'une convention de forfait en heures est déclarée inopposable, le décompte et le paiement des heures supplémentaires doit s'effectuer selon le droit commun, au regard de la durée légale de 35 heures hebdomadaires ou de la durée considérée comme équivalente.

9. Après avoir retenu l'inopposabilité de la convention de forfait en heures, la cour d'appel, recherchant la commune intention des parties, a décidé que celles-ci étaient convenues d'une rémunération contractuelle fixée pour une durée hebdomadaire de 38 h 30 et constaté que cette rémunération de base avait été payée par l'employeur. Elle en a déduit à bon droit que la salariée ne pouvait prétendre qu'au paiement des majorations applicables aux heures supplémentaires effectuées au-delà de la durée légale du travail.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

11. La salariée fait grief à l'arrêt de déclarer prescrite son action indemnitaire fondée sur l'application de la clause de loyauté, alors « que la prescription ne court, s'agissant d'une clause à exécution successive, que du jour où elle prend fin dans ses effets ; qu'en jugeant irrecevable l'action indemnitaire de la salariée exposante fondée sur l'application de la clause de loyauté, quand elle constatait que la clause, qui n'avait pas été annulée, continuait de lier les parties, ce dont elle aurait dû déduire que la prescription n'avait pas couru, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil, ensemble l'article L. 1471-1 du code du travail, en leurs rédactions successivement applicables au litige. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 2224 du code civil :

12. Il résulte de ce texte que la prescription d'une action en responsabilité civile court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance.

13. Pour déclarer prescrite l'action de la salariée, l'arrêt après avoir énoncé qu'en application de l'article 2224 du code civil, en matière de responsabilité civile, le point de départ du délai de prescription est la date à laquelle le dommage se manifeste au titulaire du droit, retient que le préjudice allégué, à savoir la restriction des possibilités du salarié de rechercher du travail du fait de l'application d'une clause dite de loyauté qui serait nulle, s'est manifesté au titulaire du droit lors de la signature de son contrat de travail contenant ladite clause, date à laquelle il a eu connaissance de la clause litigieuse, et non pas à la fin de la relation contractuelle. L'arrêt ajoute que c'est en effet à n'importe quel moment de l'exécution du contrat que la salariée peut être amenée à rechercher un nouvel emploi, recherche pouvant être limitée du fait de la clause litigieuse. Ayant constaté qu'il s'était écoulé plus de cinq ans entre la signature du contrat de travail et la date de saisine de la juridiction prud'homale, il en déduit que l'action de la salariée réparation est prescrite.

14. En statuant ainsi, alors que le dommage causé par la stipulation d'une clause de loyauté illicite ne se réalise pas au moment de la stipulation de la clause mais se révèle au moment de sa mise en oeuvre, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare prescrite l'action indemnitaire fondée sur l'application de la clause de loyauté, l'arrêt rendu le 3 juillet 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon autrement composée ;

Condamne la société Altran technologies aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Altran technologies et la condamne à payer à Mme [C] la somme de 100 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du trente mars deux mille vingt-deux.


MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Didier et Pinet, avocat aux Conseils, pour Mme [C], la fédération CGT des sociétés d'études, de conseil et de prévention, l'union Locale des syndicats CGT 5e et 9e de Lyon


PREMIER MOYEN DE CASSATION

La salariée exposante fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR limité le montant des rappels d'heures supplémentaires, de congés payés y afférents et de primes de vacances qui lui ont été alloués ;

1°) ALORS QU'aux termes de l'article 3 chapitre II de l'accord du 22 juin 1999 relatif à la durée du travail et annexé à la convention collective nationale Syntec, lequel instaure une convention de forfait en heures sur une base hebdomadaire pour les salariés relevant des modalités 2 réalisations de missions, lesdites modalités s'appliquent aux salariés non concernés par les modalités standard ou les réalisations de missions avec autonomie complète, et que tous les ingénieurs et cadres sont a priori concernés, à condition que leur rémunération soit au moins égale au plafond de la sécurité sociale ; qu'il en résulte que seuls les ingénieurs et cadres dont la rémunération est au moins égale au plafond de la sécurité sociale relèvent des modalités 2 réalisations de mission ; qu'à défaut, la convention de forfait en heures sur la semaine à laquelle ils ont été soumis leur étant inopposable, la rémunération perçue par les salariés en application de celle-ci est réputée correspondre à la durée légale du travail ; que, pour limiter le montant des rappels d'heures supplémentaires alloués à la salariée exposante, la cour d'appel a retenu que "la convention fixe un salaire forfaitaire annuel pour les 218 jours travaillés au titre du forfait et précise que cette rémunération forfaitaire englobe les variations horaires éventuellement accomplies dans une limite dont la valeur est au maximum de 10 % pour un horaire hebdomadaire de 35 heures" et qu'" il s'en déduit (…) que l'accord entre les parties était de rémunérer le salarié sur une base de 38 heures 30 par semaine, ce qui est confirmé par les mentions figurant sur le bulletin de salaire" ; qu'elle en a déduit que, nonobstant l'inopposabilité de la convention de forfait, elle a été effectivement rémunérée sur une base de 38 heures 30 et ne peut prétendre, entre la 35ème et la 38ème heure et demie, au paiement du salaire de base une deuxième fois, mais seulement aux majorations afférentes aux heures supplémentaires effectuées au-delà de la durée convenue ; qu'en statuant ainsi, quand il résultait de la neutralisation de la convention de forfait en heures que la rémunération qui avait été servie à la salariée exposante en application de celle-ci était réputée correspondre au paiement des heures de travail dans la limite de la durée légale du travail, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;


2°) ET ALORS, subsidiairement, QUE, si le salarié qui a été rémunéré sur la base du nombre d'heures stipulé dans la convention de forfait en heures reconnue irrégulière ne peut prétendre au paiement du salaire de base une deuxième fois et ne peut, en conséquence, solliciter que le paiement des majorations afférentes aux heures supplémentaires, il appartient aux juges du fond de constater le paiement effectif du nombre d'heures prévues audit forfait, lequel ne résulte pas de la référence à la convention de forfait illicite portée sur le contrat de travail et les bulletins de paie ; qu'en statuant comme elle l'a fait sur le fondement d'une convention de forfait en heures déclarée inopposable à la salariée exposante et de bulletins de paie portant uniquement la mention" 2A Cadre 38h30 218 j", lesquels n'établissaient pas l'existence d'un paiement effectif des heures accomplies entre la 35ème et la 38ème heure et demie, la cour d'appel a violé l'article 3 chapitre II de l'accord du 22 juin 1999 relatif à la durée du travail et annexé à la convention collective nationale Syntec, ensemble les articles L. 3121-1 et L. 3171-4 du code du travail en leur rédaction applicable litige.


SECOND MOYEN DE CASSATION

La salariée exposante fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que le travail dissimulé n'est pas caractérisé et de l'AVOIR déboutée de sa demande à ce titre ;

1°) ALORS QUE la cassation qui interviendra sur le premier moyen relatif au paiement des heures supplémentaires entraînera, par voie de conséquence et en application de l'article 624 du code de procédure civile, la censure de l'arrêt attaqué en ce qu'il a débouté la salariée exposante de sa demande de dommages-intérêts pour travail dissimulé ;

2°) ET ALORS, subsidiairement, QUE la dissimulation partielle d'emploi salarié est caractérisée lorsqu'il est établi que l'employeur a, de manière intentionnelle, mentionné sur le bulletin de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui effectué ; que, pour débouter la salariée exposante de sa demandes au titre du travail dissimulé, la cour d'appel a retenu qu'elle a été payée" à hauteur de 38 heures 30, ce qui correspond aux mentions du bulletin de salaire", et que "l'absence de mention sur lesdits bulletins de ce qu'une partie des heures effectuées étaient des heures supplémentaires ne suffit pas à démontrer le caractère intentionnel du travail dissimulé" ; qu'en statuant ainsi, quand elle constatait que la salariée exposante avait été soumise à une convention de forfait en heures sur la semaine qui ne lui était pas applicable faute de percevoir une rémunération au moins égale au plafond de la sécurité sociale, ce que ne pouvait ignorer l'employeur, la cour d'appel a violé l'article L. 8221-5 du code du travail.




TROISIÈME MOYEN DE CASSATION

La salariée exposante fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR déboutée de sa demande de rappel de salaire liée à son arrêt maternité ;

ALORS QU'il appartient à l'employeur qui prétend avoir maintenu la rémunération de la salariée pendant son congé maternité d'en rapporter la preuve ; que, pour débouter la salariée exposante de sa demande au titre du maintien du salaire pendant le congé maternité, la cour d'appel a retenu qu'elle ne s'explique pas sur cette demande, n'allègue aucun fait à l'appui de cette prétention et ne verse aucun justificatif, si ce n'est un tableau qu'elle a elle-même établi et portant mention de la somme demandée, sans plus d'explications ; qu'en statuant ainsi, quand il incombait à la société Altran Technologies de rapporter la preuve qu'elle avait maintenu la rémunération de la salariée exposante pendant son congé maternité ou qu'elle n'y était pas tenue, la cour d'appel a renversé la charge de la preuve, violant l'article 1315, devenu l'article 1353, du code civil en sa rédaction applicable litige.


QUATRIÈME MOYEN DE CASSATION

La salariée exposante fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré prescrite son action indemnitaire fondée sur l'application de la clause de loyauté ;

ALORS QUE la prescription ne court, s'agissant d'une clause à exécution successive, que du jour où elle prend fin dans ses effets ; qu'en jugeant irrecevable l'action indemnitaire de la salariée exposante fondée sur l'application de la clause de loyauté, quand elle constatait que la clause, qui n'avait pas été annulée, continuait de lier les parties, ce dont elle aurait dû déduire que la prescription n'avait pas couru, la cour d'appel a violé l'article 2224 du code civil, ensemble l'article L. 1471-1 du code du travail, en leurs rédactions successivement applicables au litige.

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