16 mars 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-82.254

Chambre criminelle - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:CR00254

Titres et sommaires

ATTEINTE A L'AUTORITE DE L'ETAT - Atteinte à l'administration publique commise par des personnes exerçant une fonction publique - Manquement au devoir de probité - Détournement de fonds publics par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public - Eléments constitutifs - Remise des fonds - Défaut - Cas

Les fonctions de directeur de cabinet du maire occupé par la prévenue ne supposent pas, par elles-même, que des fonds lui soient remis au sens de l'article 432-15 du code pénal. Encourt la cassation l'arrêt qui déclare coupable du délit de détournement de fonds publics prévu par l'article 432-15 du code pénal, la directrice du cabinet d'un maire sans rechercher si, au moment de la commission des faits, la prévenue disposait d'une délégation du maire, en même temps ordonnateur de la commune, lui permettant de mettre les fausses factures litigieuses en paiement

Texte de la décision

N° R 21-82.254 FS-B

N° 00254


MAS2
16 MARS 2022


CASSATION PARTIELLE


Mme DE LA LANCE conseiller doyen faisant fonction de président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 16 MARS 2022



Mme [A] [U] et M. [I] [F] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, chambre 2-13, en date du 26 mars 2021, qui a condamné, la première, pour détournement de fonds publics, usage de faux, à dix mois d'emprisonnement avec sursis, 3 000 euros d'amende, le second, pour complicité de détournement de fonds publics, à un an d'emprisonnement avec sursis, 8 000 euros d'amende, trois ans d'inéligibilité, et a prononcé sur les intérêts civils.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Un mémoire commun aux demandeurs, un mémoire en défense et des observations complémentaires ont été produits.

Sur le rapport de Mme Planchon, conseiller, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de Mme [A] [U] et M. [I] [F], les observations de la SARL Matuchansky, Poupot et Valdelièvre, avocat de la commune de [Localité 2], et les conclusions de M. Salomon, avocat général, après débats en l'audience publique du 26 janvier 2022 où étaient présents Mme de la Lance, conseiller doyen faisant fonction de président en remplacement du président empêché, Mme Planchon, conseiller rapporteur, M. d'Huy, M. Wyon, M. Pauthe, M. Turcey, M. de Lamy, conseillers de la chambre, Mme Pichon, M. Ascensi, Mme Fouquet, Mme Chafaï, conseillers référendaires, M. Salomon, avocat général, et Mme Sommier, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le procureur de la République a poursuivi devant le tribunal correctionnel Mme [A] [U], alors directrice de cabinet du maire de la commune de [Localité 2], et comme telle ayant la qualité de personne chargée d'une mission de service public, pour avoir, d'une part, détourné ou soustrait des fonds publics de la ville de [Localité 2] au profit de la société [1], en l'espèce en acceptant, validant, mettant ou faisant mettre en paiement six factures de cette société comportant les anomalies suivantes : l'application d'un forfait « suivi et conseil postcréation » de 5 000 euros par prestation et d'un supplément « frais d'exécution en urgence » de 50 % de la prestation non prévus au contrat, la facturation de prestations non réalisées, doublement facturées ou surévaluées, d'autre part, fait sciemment usage de ces fausses factures en les acceptant et en les transmettant aux services payeurs de la ville de [Localité 2].

3. Mmes [H] [E] et [X] [R], épouse [P], respectivement chargée de mission au cabinet du maire de [Localité 2] en charge de la communication du 30 avril 2012 au 30 mars 2014, et directrice de la communication audit cabinet de mars 2010 à juin 2011, ont été convoquées devant le tribunal correctionnel des mêmes chefs mais seulement pour certaines des factures litigieuses.

4. Pour sa part, M. [F] a été convoqué devant le tribunal correctionnel pour s'être rendu complice par aide, assistance ou instructions, en l'espèce en organisant des rendez-vous ou des réunions ou en donnant des instructions à ce sujet, du délit de détournement de fonds publics commis par Mmes [U], [P] et [E] en leur qualité de personnes chargées d'une mission de service public.


5. Par jugement en date du 20 novembre 2017, le tribunal correctionnel a déclaré coupables Mmes [U], [P] et [E] des chefs de détournement de fonds publics et d'usage de faux, et M. [F] du chef de complicité du premier de ces délits et les a condamnés pénalement.

6. Il a déclaré recevable la constitution de partie civile de la commune de [Localité 2] et a condamné les prévenus à réparer le préjudice de celle-ci.

7. Les prévenus et le ministère public ont relevé appel de cette décision.

Examen des moyens

Sur le cinquième moyen


8. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.


Sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré Mme [U] coupable d'usage de faux et de détournement de fonds publics et M. [F] de complicité de détournement de fonds publics, alors « que des faits qui procèdent de manière indissociable d'une action unique caractérisée par une seule intention coupable ne peuvent donner lieu, contre le même prévenu, à deux déclarations de culpabilité de nature pénale, fussent-elles concomitantes ; qu'en déclarant Mme [U] tout à la fois coupable d'usage de faux et de détournement de fonds publics à raison du même fait qui a consisté, pour la prévenue, à faire en sorte que les six factures visées par la prévention, dont elle aurait su qu'elles comportaient des prestations non réalisées ou indues, soient signées et donc attestées pour service et transmises au service comptable pour mise au paiement, la cour d'appel a méconnu le principe ne bis in idem. »

Réponse de la Cour

10. Le moyen pris de la violation du principe ne bis in idem en raison de la double condamnation de Mme [U] des chefs de détournement de fonds publics et usage de faux est infondé dès lors qu'il résulte des articles 432-15 et 441-1 du code pénal qu'aucune de ces infractions n'est un élément constitutif ou une circonstance aggravante de l'autre.



Mais sur le premier moyen

Enoncé du moyen

11. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré Mme [U] coupable d'usage de faux et de détournement de fonds publics et M. [F] de complicité de détournement de fonds publics, alors « que le délit de détournement de fonds publics suppose que les fonds détournés aient été remis au prévenu en raison de ses fonctions ou de sa mission ; que les fonctions de directeur de cabinet n'emportent pas remise à l'intéressé des fonds de la commune ; que cette remise ne peut avoir lieu que si l'intéressé bénéficie d'une délégation de signature de l'ordonnateur ; qu'en se fondant sur le seul constat que les factures, dont la directrice de cabinet avait facilité la mise en circulation pour qu'elles soient transmises au service comptable avec la mention d'un service fait, avaient été payées sur les fonds publics de la commune sans constater que l'intéressée bénéficiait d'une délégation de signature ou toute autre circonstance de droit permettant de retenir que les fonds lui avaient été remis, la cour d'appel a violé l'article 432-15 du code pénal. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 432-15 du code pénal et 593 du code de procédure pénale :

12. Aux termes du premier de ces textes, est constitutif du délit de détournement de fonds publics le fait, pour une personne dépositaire de l'autorité publique, chargée d'une mission de service public, un comptable public, un dépositaire public ou l'un de ses subordonnés, de soustraire, détruire ou détourner un bien public qui lui a été remis en raison de ses fonctions ou de sa mission.

13. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.

14. Pour déclarer Mme [U] coupable de détournement de fonds publics et M. [F] coupable de complicité de ce délit, l'arrêt attaqué relève, notamment, après avoir caractérisé la fausseté des mentions figurant sur les six factures litigieuses, que celle du 5 décembre 2012 ainsi que le bon de commande du 14 décembre 2012 y afférent ont été signés par Mme [E] à la suite du refus d'une autre employée municipale de le faire, celle du 18 décembre 2009 l'a été par M. [K] [Y], directeur des finances de la commune, sur instructions de Mme [U], qui a également signé les factures des 16 juin et 22 septembre 2011 et leur bon de commande correspondant, tandis que Mme [P] a, sur instructions de Mme [U], apposé sa signature sur les deux factures du 13 septembre 2010 et les bons de commande correspondants.

15. Les juges ajoutent que ces factures ont été signées dans l'urgence par des personnes différentes, ce qui, ajouté à l'absence d'efficacité du directeur financier, a fait obstacle à un contrôle effectif des prestations facturées, permettant ainsi les détournements.

16. Ils relèvent que si Mme [U] n'a pas assisté à la rencontre de MM. [F] et [B] [S] au cours de laquelle il a été décidé de mettre en place un système de fausse facturation en faveur de la société [1] en échange de l'embauche d'une employée municipale par celle-ci, il est évident que M. [F] lui a communiqué les termes de l'accord passé, étant précisé que c'est à elle qu'a été adressé le devis de la société [1], repris dans le bon de commande du 17 décembre 2009, qu'elle a signé, correspondant à la facture du 18 décembre suivant.

17. La cour d'appel conclut que le rôle de Mme [U] a été déterminant pour la signature des factures attestant d'un service fait par les différents signataires, soit sur ses instructions, soit par les informations communiquées.

18. En prononçant ainsi, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.

19. En effet, les fonctions de directrice de cabinet de Mme [U] ne supposent pas, par elles-même, que des fonds lui soient remis au sens de l'article 432-15 du code pénal.

20. Par ailleurs, la cour d'appel n'a pas recherché si, au moment de la commission des faits de détournements de fonds publics, Mme [U] disposait d'une délégation de M. [F], maire et ordonnateur de la commune de [Localité 2] lui permettant de mettre les factures en paiement, ni si les faits poursuivis pouvaient recevoir une autre qualification.

21. Il s'ensuit que la cassation est encourue de ce chef.

Portée et conséquence de la cassation

22. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives aux délits de détournement de fonds publics et complicité de cette infraction, aux peines, et par voie de conséquence, les dispositions relatives aux intérêts civils.




PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens de cassation proposés :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 26 mars 2021, mais en ses seules dispositions relatives à la culpabilité de Mme [U] et de M. [F] concernant le délit de détournement de fonds publics et celui de complicité de cette infraction, aux peines prononcées à leur encontre et aux intérêts civils, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le seize mars deux mille vingt-deux.

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