9 mars 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-18.166

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2022:SO00294

Texte de la décision

SOC.

OR



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 9 mars 2022




Cassation


M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 294 F-D

Pourvoi n° J 20-18.166




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 9 MARS 2022

La Société mutualiste interprofessionnelle (SMI), dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° J 20-18.166 contre l'arrêt rendu le 2 juillet 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 6, chambre 2), dans le litige l'opposant à la société Diagoris, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Le Masne de Chermont, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la Société mutualiste interprofessionnelle, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de la société Diagoris, après débats en l'audience publique du 19 janvier 2022 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Le Masne de Chermont, conseiller référendaire rapporteur, Mme Ott, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 juillet 2020), par délibération du 26 octobre 2018, le comité d'entreprise de la Société mutualiste interprofessionnelle (la société SMI) a décidé de recourir à une expertise dans le cadre des consultations sur la situation économique et financière de l'entreprise et sur la politique sociale, les conditions de travail et l'emploi. Il a désigné, pour y procéder, la société d'expertise-comptable Diagoris.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

2. La société SMI reproche à l'arrêt de lui ordonner sous astreinte de communiquer à la société Diagoris la base non nominative du personnel pour les années 2015, 2016 et 2017 avec matricule ou numéro de sécurité sociale, sexe, date de naissance, date d'entrée, date de sortie (éventuellement), type de contrat (CDD, CDI), fonction, poste, statut (CSP) (cadre, employés, AM, etc.), qualification, taux d'activité, salaire de base, primes (avec détail des primes : ancienneté, mérite, prime sur objectif, commissions éventuellement), toutes autres primes conventionnelles, brut fiscal, établissement ou service de rattachement, alors « que si, selon l'article L. 2325-37 du code du travail dans sa version antérieure à l'ordonnance du 22 septembre 2017, l'expert-comptable désigné par le comité d'entreprise a accès, pour l'exercice de sa mission, aux mêmes documents que le commissaire aux comptes, l'expert-comptable ne peut exiger la production de documents qui n'existent pas et dont l'établissement n'est pas obligatoire pour l'entreprise ; que l'employeur ne peut donc, en aucun cas, être mis dans l'obligation de constituer une base de données du personnel à la demande de l'expert-comptable et ce, peu important qu'il dispose des informations devant figurer dans cette base de données ; qu'au cas présent, la société SMI faisait valoir, sans être contestée, que la base non nominative du personnel pour les années 2015, 2016 et 2017 demandée par la société Diagoris n'existait pas et ne correspondait à aucune obligation légale, de sorte qu'il ne pouvait lui être imposé de constituer une telle base de données pour le compte de l'expert-comptable ; qu'en ordonnant néanmoins à l'employeur de transmettre une telle base de données à l'expert-comptable, au motif inopérant qu'il n'avait pas contesté disposer des ''informations'' demandées par l'expert-comptable, sans rechercher si le document demandé existait ou présentait un caractère obligatoire, la cour d'appel a violé le texte susvisé, ensemble l'article 809 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 2325-35, L. 2325-36 et L. 2325-37 du code du travail, alors applicables :

3. Il résulte des textes susvisés que l'expert-comptable ne peut pas exiger la production de documents n'existant pas et dont l'établissement n'est pas obligatoire pour l'entreprise.

4. Pour ordonner sous astreinte de communiquer à la société Diagoris la base non nominative du personnel pour les années 2015, 2016 et 2017, l'arrêt retient que la SMI a d'emblée refusé d'accéder à la demande d'informations de la société Diagoris sans prétendre ne pas disposer de ces informations, qu'il est patent, au vu des messages électroniques échangés avec la directrice des ressources humaines, que les seules contestations opposées était tirées d'une part, de la contrariété avec le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données) qui « renforce nos obligations en tant qu'employeur quant à la préservation et au traitement des données personnelles de nos salariés » , d'autre part, de l'absence de pertinence des informations demandées au regard de la mission d'expertise qui « ne nécessite pas que vous puissiez obtenir même de façon indirecte la rémunération de chaque salarié de SMI », que la contestation fondée sur le règlement général sur la protection des données n'est pas sérieuse, que, en outre, l'appréciation de l'employeur ne saurait être substituée à celle de l'expert-comptable qui est seul juge pour déterminer les informations utiles et nécessaires à l'accomplissement de sa mission.

5. En se déterminant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si les bases non nominatives du personnel pour les années 2015, 2016 et 2017 existaient et si leur établissement était obligatoire pour l'entreprise, la cour d'appel a privé sa décision de base légale.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le moyen pris en sa seconde branche, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 2 juillet 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne la société Diagoris aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Diagoris et la condamne à payer à la Société mutualiste interprofessionnelle la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du neuf mars deux mille vingt-deux.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Célice,Texidor,Périer, avocat aux Conseils, pour Société mutualiste interprofessionnelle

La société Mutualiste Interprofessionnelle (SMI) reproche à l'arrêt infirmatif attaqué le LUI AVOIR ordonné sous astreinte de communiquer à la société Diagoris la base non nominative du personnel pour les années 2015, 2016 et 2017 avec matricule ou numéro de sécurité sociale ; sexe ; date de naissance ; date d'entrée ; date de sortie (éventuellement) ; type de contrat (CDD, CDI) ; fonction, poste ; statut (CSP) (cadre, employés, AM, etc.) ; qualification ; taux d'activité ; salaire de base ; primes (avec détail des primes : ancienneté, mérite, prime sur objectif, commissions éventuellement) ; toutes autres primes conventionnelles ; brut fiscal ; établissement ou service de rattachement ;

1. ALORS QUE si, selon l'article L. 2325-37 du code du travail dans sa version antérieure à l'ordonnance du 22 septembre 2017, l'expert-comptable désigné par le comité d'entreprise a accès, pour l'exercice de sa mission, aux mêmes documents que le commissaire aux comptes, l'expert-comptable ne peut exiger la production de documents qui n'existent pas et dont l'établissement n'est pas obligatoire pour l'entreprise ; que l'employeur ne peut donc, en aucun cas, être mis dans l'obligation de constituer une base de données du personnel à la demande de l'expert-comptable et ce, peu important qu'il dispose des informations devant figurer dans cette base de données ; qu'au cas présent, la société SMI faisait valoir, sans être contestée, que la base non nominative du personnel pour les années 2015, 2016 et 2017 demandée par la société Diagoris n'existait pas et ne correspondait à aucune obligation légale, de sorte qu'il ne lui pouvait lui être imposé de constituer une telle base de données pour le compte de l'expert-comptable ; qu'en ordonnant néanmoins à l'employeur de transmettre une telle base de données à l'expert-comptable, au motif inopérant qu'il n'avait pas contesté disposer des « informations » demandées par l'expert-comptable, sans rechercher si le document demandé existait ou présentait un caractère obligatoire, la cour d'appel a violé le texte susvisé, ensemble l'article 809 du code de procédure civile ;

2. ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QU'il résulte de l'article 4 du règlement général sur la protection des données que constitue une donnée à caractère personnel toute information se rapportant à une personne identifiée ou identifiable ; qu'il résulte de l'article 5 du même règlement que les données à caractère personnel doivent, non seulement être « collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes », mais doivent également être « adéquates, pertinentes et limitées à ce qui est nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées (minimisation des données) » ; que ces principes s'opposent à ce qu'un juge puisse ordonner à l'employeur de constituer et de transmettre à l'expert-comptable une base de données permettant d'identifier chacun des salariés de l'entreprise et comportant des informations relatives à sa situation individuelle, sans s'assurer concrètement que ces informations sont indispensables à l'exercice par l'expert-comptable de sa mission et que l'exercice de sa mission par l'expert-comptable ne peut être opéré par un autre moyen ; qu'au cas présent, il n'est pas contesté qu'au regard du nombre d'informations dont il était demandé la collecte, la base de données dont la communication était demandée par l'expert-comptable permettait d'identifier chaque salarié de l'entreprise et d'accéder à des informations relatives à sa situation personnelle, notamment l'ensemble des éléments de rémunération perçus par ce salarié au cours des exercices 2015, 2016 et 2017 ; que la société SMI faisait valoir que l'expert-comptable n'expliquait pas en quoi il lui aurait été nécessaire, pour exercer sa mission, de disposer d'une base de données permettant d'identifier chacun des salariés de l'entreprise et de connaître sa situation personnelle, notamment en terme de rémunération ; qu'elle faisait également valoir qu'elle avait transmis à l'expertcomptable une base comportant, par fourchette de rémunération, le nombre de salariés concernés avec leur type de contrat, leur catégorie professionnelle, leur sexe et leur ancienneté et que l'expert-comptable n'expliquait pas en quoi ces informations auraient été insuffisantes pour exercer ses missions d'ordre général ; qu'en se bornant à relever que l'accès au document est prévu par la loi et que l'expert-comptable est soumis au secret professionnel pour refuser de rechercher, comme elle y était invitée, si la communication de la base de données demandée était, au regard de son contenu, indispensable à l'exercice par l'expert-comptable de sa mission et si les informations déjà transmises présentaient un caractère suffisant, la cour d'appel a violé les articles 4 et 5 du règlement (UE) 2016/679 du 27 avril 2016, ensemble les articles L. 2325-35, L. 2325-36 et L. 2325-37 du code du travail dans sa version antérieure à l'ordonnance du 22 septembre 2017.

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