9 mars 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-19.345

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2022:SO00290

Texte de la décision

SOC.

OR



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 9 mars 2022




Cassation


M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 290 F-D

Pourvoi n° R 20-19.345




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 9 MARS 2022

M. [E] [N], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° R 20-19.345 contre l'arrêt rendu le 24 juin 2020 par la cour d'appel de Versailles (15e chambre), dans le litige l'opposant à la société Segula Matra Automotive, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], venant aux lieu et place de la société Segula Matra Technologies, société par actions, défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Lanoue, conseiller référendaire, les observations de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de M. [N], de Me Soltner, avocat de la société Segula Matra Automotive, après débats en l'audience publique du 19 janvier 2022 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Lanoue, conseiller référendaire rapporteur, Mme Ott, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 24 juin 2020), M. [N] a été engagé par la société Sodeca par contrat de travail à durée indéterminée prenant effet le 22 juin 1992 en qualité de projeteur. Suite à des cessions, son contrat a été transféré à la société Segula Futur Cinq (SF5) le 1er juillet 2008, puis à la société Segula Technologies Automotive (la société) à compter du 1er juillet 2010.

2. Le salarié, titulaire de plusieurs mandats syndicaux et électifs, a saisi la juridiction prud'homale le 29 janvier 2015 afin notamment d'obtenir la condamnation de la société au paiement de dommages et intérêts pour discrimination syndicale.

Recevabilité du mémoire complémentaire en défense examiné d'office

Vu l'article 982 du code de procédure civile :

3. Le mémoire en défense complémentaire, qui n'a pas été remis au greffe de la Cour de cassation et notifié à l'avocat du demandeur dans le délai de deux mois à compter de la signification du mémoire du demandeur est irrecevable.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa troisième branche

Enoncé du moyen

4. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire que son action est irrecevable car prescrite et de le débouter de ses demandes, alors « que les dommages et intérêts réparent l'entier préjudice résultant de la discrimination, pendant toute sa durée ; que la prescription ne court, s'agissant des faits discriminatoires présentant un caractère continu, que du jour où ils prennent fin dans leurs actes constitutifs et dans leurs effets ; qu'en l'espèce, il se prévalait notamment de sa mise au placard, l'employeur ne lui ayant pas fourni de travail, à l'exception d'une courte mission en 2010, pendant huit ans à compter de la reprise de son contrat de travail en août 2008 par le groupe Segula ; qu'il précisait, sans être utilement contredit, que cette situation n'avait pris fin qu'en janvier 2018, lorsqu'il lui avait été enfin proposé un nouveau poste de travail ; qu'en fixant le point de départ de la prescription au comité d'entreprise du 22 janvier 2009 durant lequel il s'était plaint d'être mis à l'écart, cependant que le caractère continu du manquement de l'employeur à son obligation de fournir du travail avait persisté pendant plusieurs années, et ce, jusqu'à près de trois années après la saisine de la juridiction prud'homale, la cour d'appel a violé l'article L. 1134-5 du code du travail en sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 1134-5 du code du travail :

5. Aux termes de ce texte, l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination.

6. Pour dire prescrite l'action relative à la discrimination engagée par le salarié le 27 janvier 2015, l'arrêt retient qu'il invoque essentiellement, à l'appui de son action, une absence de reclassement qu'il fait remonter au 1er août 2008, date de sa prise de fonctions chez SF5, qu'il s'est plaint de cette discrimination dès la réunion du comité d'entreprise du 22 janvier 2009 au cours de laquelle il a attiré l'attention de la direction sur le fait qu'il était écarté de la gestion de son équipe, se retrouvant sans charge hormis celle liée à ses fonctions d'élu, et avait donc pleinement conscience de la discrimination dès cette date, et que toute action se trouvait par conséquent prescrite le 22 janvier 2014.

7. En statuant ainsi, alors que si le salarié faisait état d'une discrimination syndicale ayant commencé dès le transfert de son contrat de travail le 1er août 2008 et dont il s'est plaint en 2009, période couverte par la prescription, il faisait valoir que cette discrimination s'était poursuivie tout au long de sa carrière au sein de la société en terme d'évolution professionnelle, tant salariale que personnelle, ce dont il résultait que le salarié se fondait sur des faits qui n'avaient pas cessé de produire leurs effets avant la période non atteinte par la prescription, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 24 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;

Condamne la société Segula Matra Automotive aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Segula Matra Automotive et la condamne à payer à M. [N] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du neuf mars deux mille vingt-deux.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat aux Conseils, pour M. [N]

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR dit que l'action de M. [N] est irrecevable car prescrite et de le débouter de ses demandes ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE, sur la prescription des faits de discrimination syndicale : aux termes de l'article L. 1134-5 du code du travail issu de la loi du 17 juin 2008, l'action en réparation d'une discrimination se prescrit par cinq ans : « L'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination » ; qu'il appartient à celui qui se prévaut de l'absence de révélation d'en rapporter la preuve ; que M. [N] indique dans ses écritures avoir subi une discrimination syndicale de la part de la société Segula Matra Technologies dès la date de sa prise de fonction le 1er août 2008 ; qu'il fonde principalement cette discrimination syndicale sur l'absence de son repositionnement ; que la cour constate à l'appui des pièces versées aux débats que la connaissance par le salarié de son absence de repositionnement ressort : - d'une réunion du comité d'entreprise de Segula Futur Cinq du 28 août 2008 à l'occasion de laquelle, M. [N] a fait acter et « préciser qu'aucune proposition de reclassement ne lui a été présentée » ; - d'un comité d'entreprise du 22 janvier 2009, où le salarié a « attiré une nouvelle fois l'attention de la direction sur le fait qu'il se trouvait systématiquement écarté de la gestion de son équipe, se retrouvant ainsi sans charge, hormis celle liée à ses fonctions d'élu » ; - d'un comité d'entreprise du 6 avril 2009, où le salarié a attiré l'attention de la direction sur le fait que son absence de repositionnement « durait déjà depuis plus de 8 mois » ; que l'ensemble de ces commentaires tous actés comme émanant de M. [N] à l'occasion de ces différents comités d'entreprises et réunions démontrent à eux seuls qu'il avait ainsi pleinement conscience dès 2008 et 2009 de la situation de discrimination qu'il dénonce et qui s'appuie essentiellement sur l'absence de son repositionnement ; qu'or, la cour constate que M. [N] a intenté une action en discrimination syndicale par saisine du conseil de prud'hommes du 29 janvier 2015 ; qu'il est ainsi établi que plus de cinq années se sont écoulées entre la révélation des faits litigieux et le début de son action en justice ; que M. [N] aurait dû intenter son action de ce chef dans la limite des cinq ans après la révélation de la discrimination, qu'il dénonce et qu'il fait remonter au 1er août 2008, date de sa prise de fonction chez SF5 ; que le salarié s'est ensuite plaint de discrimination dès le CE du 22 janvier 2009 dans lequel il attire l'attention de la direction sur le fait qu'il est systématiquement écarté de la gestion de son équipe, se retrouvant ainsi sans charge hormis celle liée à ses fonctions d'élus ; que le salarié démontre ainsi qu'il avait pleinement conscience à cette date de ce qu'il ressentait subir une discrimination syndicale dès le 22 janvier 2009 ; que son action s'est trouvée dès lors prescrite depuis le 22 janvier 2014, alors que M. [N] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre le 29 janvier 2015 soit plus d'un an après le 22 janvier 2014 ; que s'agissant de la prescription applicable M. [N] ne peut contourner la prescription d'un droit en venant solliciter l'indemnisation de sa perte et en affirmant ainsi que l'indemnisation de la discrimination qu'il dénonce n'aurait été rendue possible qu'après comparatif d'un panel à compter d'une décision du conseil des prud'hommes de Nanterre du 28 novembre 2014, ce qui constitue en soi un contournement des règles de prescription revenant à nier toute prescription ; que la cour retient de tout ce qui précède que l'action en discrimination syndicale de M. [N] est irrecevable car prescrite et le déboute de l'ensemble des demandes qui en découlent ; que le jugement déféré est confirmé ;

ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE l'action en réparation du préjudice se prescrit par 5 ans à compter de la révélation de la discrimination ; que M. [N] prétend qu'il n'a eu la révélation de la discrimination que suite à l'ordonnance en départage de février 2012 ; que M. [N] s'appuie essentiellement sur l'absence de reclassement pour démontrer la discrimination qu'il aurait subie ; que M. [N] fait remonter la discrimination au 1er août 2008 date de sa prise de fonction chez SF5 ; que M. [N] s'est plaint de discrimination dès le CE du 22 janvier 2009 dans lequel il attire l'attention de la direction sur le fait qu'il est systématiquement écarté de la gestion de son équipe, se retrouvant ainsi sans charge hormis celle liée à ses fonctions d'élus ; que M. [N] avait pleinement conscience de ce qu'il ressentait à une discrimination dès le 22 janvier 2009 et donc que toute action se trouvait prescrite le 22 janvier 2014 ; que M. [N] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre le 29 janvier 2015 soit plus d'un an après le 22 janvier 2014 ; qu'en conséquence le conseil de prud'hommes de Nanterre dit et juge que l'action de M. [N] est irrecevable car prescrite et le déboute donc de ses demandes ;

1°) ALORS QUE l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination ; que la révélation de la discrimination correspond au moment où le salarié dispose des éléments lui permettant d'identifier la réalité et l'étendue de cette discrimination ; que lorsque la discrimination invoquée par le salarié repose, notamment, sur une inégalité de traitement par rapport à d'autres salariés placés dans une situation comparable, pour un motif prohibé, la révélation de la discrimination, déclenchant le cours de la prescription, ne peut être située avant que le salarié puisse disposer des éléments de comparaison lui permettant de se convaincre qu'il subit bien une discrimination dont il est susceptible de demander utilement la réparation en justice ; qu'en l'espèce, en situant la révélation de la discrimination, et par suite le point de départ de la prescription, à la date du comité d'entreprise du 22 janvier 2009 au cours duquel M. [N] avait attiré l'attention de la direction sur le fait qu'il se trouvait écarté de la gestion de son équipe et sans charge de travail, sans constater qu'à cette date le salarié disposait des éléments de comparaison lui permettant de se convaincre qu'il subissait un traitement discriminatoire en terme de positionnement et à raison de son activité syndicale, la cour d'appel a violé l'article L. 1134-5 du code du travail en sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;

2°) ALORS QUE c'est à celui qui allègue un fait de le prouver ; que c'est à la partie qui invoque une exception ou une fin de non-recevoir de prouver les faits à la base de ses allégations ; que le principe d'égalité des armes, qui impose de ne pas placer une partie dans une situation de net désavantage, prohibe de faire peser sur une partie une preuve négative impossible ; qu'en l'espèce, en affirmant, pour opposer à M. [N] la prescription de son action en réparation de la discrimination dont il a été victime, que c'est à celui qui se prévaut de l'absence de révélation d'en rapporter la preuve, la cour d'appel a fait peser sur le salarié invoquant une discrimination une preuve négative impossible, et partant, violé l'article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article L. 1134-5 du code du travail et l'article 9 du code de procédure civile ;

3°) ALORS QUE les dommages et intérêts réparent l'entier préjudice résultant de la discrimination, pendant toute sa durée ; que la prescription ne court, s'agissant des faits discriminatoires présentant un caractère continu, que du jour où ils prennent fin dans leurs actes constitutifs et dans leurs effets ; qu'en l'espèce, M. [N] se prévalait notamment de sa mise au placard, l'employeur ne lui ayant pas fourni de travail, à l'exception d'une courte mission en 2010, pendant huit ans à compter de la reprise de son contrat de travail en août 2008 par le groupe Segula (cf. conclusions d'appel p. 16 et suiv. ; notamment, p. 18 § 5 et p. 19 § 1) ; qu'il précisait, sans être utilement contredit, que cette situation n'avait pris fin qu'en janvier 2018, lorsqu'il lui avait été enfin proposé un nouveau poste de travail (cf. conclusions d'appel p. 19 § 2) ; qu'en fixant le point de départ de la prescription au comité d'entreprise du 22 janvier 2009 durant lequel M. [N] s'était plaint d'être mis à l'écart, cependant que le caractère continu du manquement de l'employeur à son obligation de fournir du travail avait persisté pendant plusieurs années, et ce, jusqu'à près de trois années après la saisine de la juridiction prud'homale, la cour d'appel a violé l'article L. 1134-5 du code du travail en sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 ;

4°) ET ALORS QUE ne sont pas couverts par la prescription quinquennale les faits discriminatoires survenus moins de cinq ans avant la saisine de la juridiction prud'homale ; que M. [N] faisait encore valoir qu'il n'avait plus bénéficié d'entretien annuel d'évaluation depuis l'année 2011 (cf. conclusions d'appel p. 20 § pénultième) et que le poste qui lui avait été proposé en 2014 à des fins de reclassement constituait en réalité un déclassement en l'absence de toutes fonctions managériales (cf. conclusions d'appel p. 24 § 2 et suiv.) et que sa mise à l'écart par absence de fourniture de travail n'avait pris fin qu'en 2018 ; qu'en déclarant entièrement prescrites les demandes du salarié, tandis que M. [N] avait droit et était recevable, à tout le moins, à obtenir la réparation des effets de la discrimination alléguée pour la durée antérieure de moins de cinq ans par rapport à la saisine du juge, la cour d'appel a, derechef, violé l'article L. 1134-5 du code du travail en sa rédaction issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008.

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