16 février 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-18.500

Première chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:C100173

Texte de la décision

WwCIV. 1

SG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 16 février 2022




Cassation


M.CHAUVIN, président,



Arrêt n° 173 F-D

Pourvoi n° X 20-18.500




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 16 FÉVRIER 2022

M. [Y] [C], domicilié [Adresse 8], a formé le pourvoi n° X 20-18.500 contre l'arrêt rendu le 19 mars 2020 par la cour d'appel de Versailles (3e chambre), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Kalika voyages, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 1],

2°/ à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) des Flandres, dont le siège est [Adresse 2],

3°/ au groupement d'intérêt économique (GIE) AG2R, dont le siège est [Adresse 4],

4°/ à la société AWP Europe, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 6], venant aux droits de la société Mondial assistance France,

5°/ à la société CO.FE.DE, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 5], réprésentée par la société [V] et associés, prise en la personne de M.[W] [V], liquidateur judiciaire,

6°/ à la société [V] et associés, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3], représentée par M. [W] [V], pris en qualité de liquidateur de la société CO.FE.DE,

défendeurs à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Chevalier, conseiller, les observations de la SCP Delamarre et Jehannin, avocat de M. [C], de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat de la société Kalika voyages, après débats en l'audience publique du 4 janvier 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Chevalier, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, et Mme Tinchon, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 19 mars 2020), M. [C] a acquis auprès de la société Kalifa Voyages (l'agence de voyages) un voyage à forfait au Maroc du 25 janvier au 2 février 2009, comprenant notamment le transport aérien de Bruxelles à Marrakech le 25 janvier 2009 puis de Marrakech à Lille via Casablanca le 2 février 2009. Lors du retour, le 2 février 2009, il a été victime, à l'aéroport de [Localité 7], d'une chute lui occasionnant la fracture d'une cheville.

2. M. [C] et la société CO.FE.DE. au sein de laquelle il exerce en tant qu'avocat ont assigné l'agence de voyages en indemnisation de leurs préjudices et mis en cause la caisse primaire d'assurance maladie de Flandres, la mutuelle AG2R Réunica Prévoyance, ainsi que la société Mondial Assistance.

3. La société CO.FE.DE. a été placée en liquidation judiciaire et la Selarl [V] et associés désignée en qualité de liquidateur judiciaire.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. M. [C] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes, alors « que toute personne morale qui fait souscrire à un client un forfait touristique est responsable de plein droit à l'égard de l'acheteur de la bonne exécution des obligations résultant du contrat, qu'elles soient assurées par elle-même ou par d'autres prestataires de services ; qu'il suffit en conséquence que le dommage survienne durant l'exécution d'une des prestations promises au titre du forfait touristique pour que soit engagée la responsabilité de plein droit de l'agence de voyage ; que la cour d'appel a elle-même constaté, d'une part, que le forfait touristique souscrit par M. [C] auprès de l'agence de voyage incluait « le transport aérien (…) de Marrakech à Lille via Casablanca le 2 février 2009 », et, d'autre part, que « la chute de M. [C] est survenue alors qu'il était seul maître de son déplacement puisqu'il se rendait d'un avion à un autre avion, en passant par l'aérogare de Casablanca » ; qu'il en résultait que l'accident se rattachait à l'exécution d'une des prestations de services dues au titre de l'exécution du forfait touristique, à savoir l'organisation du transport retour ; qu'en retenant pourtant que « faute de prouver le rôle causal du sol dans la survenue de son dommage, alors qu'il était seul maître de son déplacement, M. [C] ne démontre pas que sa chute soit imputable à une prestation due par l'agence », la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'inféraient de ses propres constatations, en violation de l'article L. 211-17 du code du tourisme, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2004-1391 du 20 décembre 2004, applicable en la cause. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 211-17 du code du tourisme, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2009-888 du 22 juillet 2009 :

5. Selon ce texte, l'agence de voyage est responsable de plein droit à l'égard de l'acheteur de la bonne exécution des obligations résultant du contrat et ne peut s'exonérer de tout ou partie de sa responsabilité qu'en prouvant que l'inexécution ou la mauvaise exécution du contrat est imputable soit à l'acheteur, soit au fait, imprévisible et insurmontable, d'un tiers étranger à la fourniture des prestations prévues au contrat, soit à un cas de force majeure.

6. Pour rejeter les demandes, l'arrêt retient que, faute de prouver le rôle causal du sol dans la survenue de son dommage alors qu'il était seul maître de son déplacement, M. [C] ne démontre pas que sa chute soit imputable à une prestation due par l'agence de voyages.

7. En statuant ainsi, sans tirer les conséquences légales de ses propres constatations dont il résultait que la chute était intervenue lors de l'exécution d'une prestation prévue au forfait, de sorte qu'était engagée la responsabilité de plein droit de l'agences de voyages qui ne pouvait s'en exonérer qu'en prouvant une faute de l'acheteur, le fait d'un tiers ou une force majeure, la cour d'appel a violé le texte susvisé.


PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la seconde branche du moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 19 mars 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;

Condamne la société Kalifa Voyages aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Kalifa Voyages et la condamne à payer à M [C] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize février deux mille vingt-deux.


Le conseiller rapporteur le president






Le greffier de chambre

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Delamarre et Jehannin, avocat aux Conseils, pour M. [C]

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté l'ensemble des demandes de M. [Y] [C] ;

AUX MOTIFS PROPRES QUE : « aux termes de l'ancien article L 211-17, applicable au présent litige : toute personne physique ou morale qui se livre aux opérations mentionnées à l'article L. 211-1 est responsable de plein droit à l'égard de l'acheteur de la bonne exécution des obligations résultant du contrat, que ces obligations soient à exécuter par elle-même ou par d'autres prestataires de services, sans préjudice de son droit de recours contre ceux-ci ; que toutefois, elle peut s'exonérer de tout ou partie de sa responsabilité en apportant la preuve que l'inexécution ou la mauvaise exécution du contrat est imputable soit à l'acheteur, soit au fait, imprévisible et insurmontable, d'un tiers étranger à la fourniture des prestations prévues au contrat, soit à un cas de force majeure ; que si M [C] n'a pas à rapporter la preuve d'une faute de l'agence de voyages, il lui appartient cependant de rapporter la preuve du lien de causalité entre son préjudice et la prestation à la charge de la société Kalika, sauf à considérer que l'agence de voyages est tenue non à des obligations de résultat mais à des obligations de garantie du dommage survenu à un client, ce qui n'est pas l'esprit de la loi, puisque l'obligation de garantie ne permet pas d'exonération ; qu'ainsi si l'agence a l'obligation de fournir des prestations correctes, sauf à engager sa responsabilité, en cas de dommage, il est tout de même nécessaire de pouvoir identifier l'obligation née du contrat dont l'exécution n'a pas été satisfaisante et a causé un préjudice au client ; que si l'obligation de sécurité impose au voyagiste de choisir des lieux en bon état de construction, d'installation et d'entretien, des moyens de transport qui présentent toute la sécurité à laquelle les clients peuvent légitimement s'attendre, elle ne va pas au-delà et n'impose pas à l'agence de veiller à tout moment à la sécurité des clients, y compris dans les actes ordinaires de la vie courante que chacun doit normalement accomplir avec un minimum d'attention ; que la seule survenue d'un dommage ne suffit donc pas à considérer comme établie l'inexécution ou la mauvaise exécution du contrat, requise par l'article L 211-17 précité ; qu'il est constant que la chute de M [C] est survenue alors qu'il était seul maître de son déplacement puisqu'il se rendait d'un avion à un autre avion, en passant par l'aérogare de Casablanca ; que les déclarations de M [C], s'agissant des circonstances de sa chute, ont fluctué puisqu'après s'être limité à dire dans ses premières écritures (assignation devant le juge des référés délivrée le 31 janvier 2014), qu'il avait glissé dans l'aéroport, sans autres indications, il se montrera singulièrement plus précis devant l'expert qui a retranscrit ses propos comme suit : "sortant de la navette l'amenant de l'avion à l'aéroport, le sol en marbre était mouillé - il avait été lavé au savon noir- brusquement lors de l'attaque du pied droit, le pied a glissé contre la porte et il est tombé ne pouvant se relever" ; qu'on peut s'interroger d'ailleurs sur la précision relative au produit utilisé pour nettoyer le sol de cet aéroport, qui n'est pas étayée par la moindre pièce ; que M [C] indique désormais que "le sol du hall en marbre lisse et glissant n'était pas pourvu ou insuffisamment pourvu de système antidérapant", afin de démontrer le rôle actif joué par le sol, chose inerte ; que le seul élément versé aux débats par M [C] est une attestation de [Z] [F], autre passager du même vol qui indique : "j'ai vu Monsieur [C] [Y], membre du club de [Localité 9], chuter à l'entrée de l'aérogare de Casablanca. Il a été secouru d'urgence par les services médicaux ..." ; qu'on peut s'étonner de ce que ce témoin, qui a été sollicité par M [C] (son attestation est datée du 27 janvier 2011) ne fournisse pas la moindre indication sur l'état du sol de l'aéroport, s'il était dangereux, comme anormalement glissant, comme le soutient l'appelant ; qu'il convient donc de constater qu'aucun élément ne permet de considérer que le sol de l'aéroport de [Localité 7], qui bénéficie par ailleurs de la certification ISO 9001 depuis février 2009 soit à l'origine de la chute de M [C] ; qu'ainsi, faute de prouver le rôle causal du sol dans la survenue de son dommage, alors qu'il était seul maître de son déplacement, M [C] ne démontre pas que sa chute soit imputable à une prestation due par l'agence ; que M [C] étant débouté de ses prétentions, la société Co-Fe-De l'est également par voie de conséquence ; que pour le motif ci-dessus exposé, le jugement sera confirmé en toutes ses dispositions à l'exception de celles ayant dit que les circonstances de l'accident dont M [Y] [C] a été victime le 2 février 2009 ne sont pas établies et que M [Y] [C] ne rapportait pas la preuve d'un manquement contractuel de la société Kalika Voyages ou de l'un de ses prestataires de service de nature à engager sa responsabilité de plein droit sur le fondement de l'article L 211-16 du code civil [lire du code du tourisme]. » ;

ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE : « sur la responsabilité de la société Kalika Voyages : qu'aux termes de l'article L. 211-16 du code du tourisme, « toute personne physique ou morale qui se livre aux opérations mentionnées à l'article L. 211-1 est responsable de plein droit à l'égard de l'acheteur de la bonne exécution des obligations résultant du contrat, que ce contrat ait été conclu à distance ou non et que ces obligations soient à exécuter par elle-même ou par d'autres prestataires de services, sans préjudice de son droit de recours contre ceux-ci et dans la limite des dédommagements prévus par les conventions internationales. Toutefois, elle peut s'exonérer de tout ou partie de sa responsabilité en apportant la preuve que l'inexécution ou la mauvaise exécution du contrat est imputable soit à l'acheteur, soit au fait, imprévisible et insurmontable, d'un tiers étranger à la fourniture des prestations prévues au contrat, soit à un cas de force majeure » ; que conformément à cet article, il revient à M. [Y] [C] de rapporter la preuve d'un manquement de la société Kalika Voyages ou de l'un de ses prestataires de services à une obligation à sa charge, qu'il s'agisse d'une obligation de sécurité ou d'une autre obligation spécifiquement prévue dans le contrat ; qu'en l'espèce, M. [Y] [C] ne produit aucune pièce de nature à établir les circonstances de sa chute, et en particulier l'état du sol de l'aéroport ; que plus encore, M. [Y] [C] n'indique pas quel manquement contractuel la société Kalika Voyages, ou l'un de ses prestataires aurait commis ; qu'il se borne à affirmer qu'il a glissé sur le sol de l'aéroport de [Localité 7], lequel ne serait pas suffisamment antidérapant ; que les circonstances de l'accident dont M. [Y] [C] a été victime le 2 février 2009 n'étant pas établies, et ce dernier ne rapportant pas la preuve qui lui incombe d'un manquement contractuel de la société Kalika Voyages ou de l'un de ses prestataires de services, de nature à engager sa responsabilité de plein droit, il sera débouté de l'intégralité de ses demandes » ;

1/ ALORS QUE toute personne morale qui fait souscrire à un client un forfait touristique est responsable de plein droit à l'égard de l'acheteur de la bonne exécution des obligations résultant du contrat, qu'elles soient assurées par elle-même ou par d'autres prestataires de services ; qu'il suffit en conséquence que le dommage survienne durant l'exécution d'une des prestations promises au titre du forfait touristique pour que soit engagée la responsabilité de plein droit de l'agence de voyage ; que la cour d'appel a elle-même constaté, d'une part, que le forfait touristique souscrit par M. [C] auprès de la société Kalika Voyages incluait « le transport aérien (…) de Marrakech à Lille via Casablanca le 2 février 2009 », et, d'autre part, que « la chute de M. [C] est survenue alors qu'il était seul maître de son déplacement puisqu'il se rendait d'un avion à un autre avion, en passant par l'aérogare de Casablanca » (arrêt, p. 8, pénultième alinéa) ; qu'il en résultait que l'accident se rattachait à l'exécution d'une des prestations de services dues au titre de l'exécution du forfait touristique, à savoir l'organisation du transport retour ; qu'en retenant pourtant que « faute de prouver le rôle causal du sol dans la survenue de son dommage, alors qu'il était seul maître de son déplacement, M. [C] ne démontre pas que sa chute soit imputable à une prestation due par l'agence » (arrêt, p. 9, alinéa 7), la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'inféraient de ses propres constatations, en violation de l'article L. 211-17 du code du tourisme, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2004-1391 du 20 décembre 2004, applicable en la cause ;

2/ ALORS QUE dès lors qu'il est établi que le fait dommageable survient durant l'exécution d'une des prestations promises au titre du forfait touristique, la responsabilité de plein droit de l'agence de voyages est engagée, sauf, pour celle-ci, à rapporter la preuve que la mauvaise exécution du contrat est imputable à l'acheteur, à un fait du tiers ou à un cas de force majeure ; qu'en l'espèce, dès lors qu'il était établi que l'accident était survenu pendant l'exécution par la société Kalika Voyages de l'une des prestations de services promises au titre du forfait touristique, à savoir le trajet retour, il incombait à l'agence de voyage de démontrer l'existence d'un fait exonératoire de responsabilité, tenant, le cas échéant, au fait fautif de M. [C], et non à ce dernier d'établir à quelles circonstances précises étaient imputables l'accident ; qu'en retenant pourtant que « faute de prouver le rôle causal du sol dans la survenue de son dommage, alors qu'il était seul maître de son déplacement, M. [C] ne démontre pas que sa chute soit imputable à une prestation due par l'agence » (arrêt, p. 9, alinéa 7), la cour d'appel a violé l'article 1315, devenu 1353 du code civil, ensemble l'article L. 211-17 du code du tourisme, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2004-1391 du 20 décembre 2004, applicable en la cause.

Le greffier de chambre

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