16 février 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-19.047

Troisième chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:C300157

Titres et sommaires

ARCHITECTE ENTREPRENEUR - Responsabilité - Responsabilité à l'égard du maître de l'ouvrage - Vices affectant les matériaux ou les éléments d'équipement - Vices cachés - Action en garantie de l'entrepreneur contre le vendeur originaire - Exercice - Durée - Limites - Prescription - Délai - Point de départ - Suspension

Les vices affectant les matériaux ou les éléments d'équipement mis en oeuvre par un constructeur ne constituent pas une cause susceptible de l'exonérer de la responsabilité qu'il encourt à l'égard du maître de l'ouvrage, quel que soit le fondement de cette responsabilité. Sauf à porter une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge, le constructeur dont la responsabilité est ainsi retenue en raison des vices affectant les matériaux qu'il a mis en oeuvre pour la réalisation de l'ouvrage, doit pouvoir exercer une action récursoire contre son vendeur sur le fondement de la garantie des vices cachés sans voir son action enfermée dans un délai de prescription courant à compter de la vente initiale. Il s'ensuit que, l'entrepreneur ne pouvant pas agir contre le vendeur et le fabricant avant d'avoir été lui même assigné par le maître de l'ouvrage, le point de départ du délai qui lui est imparti par l'article 1648, alinéa 1, du code civil est constitué par la date de sa propre assignation et que le délai de l'article L. 110-4, I, du code de commerce, courant à compter de la vente, est suspendu jusqu'à ce que sa responsabilité ait été recherchée par le maître de l'ouvrage

Texte de la décision

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 16 février 2022




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 157 FS-B

Pourvoi n° S 20-19.047




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 FÉVRIER 2022

La société BMRA Point-P, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits de la société Dubois Materiaux, a formé le pourvoi n° S 20-19.047 contre l'arrêt rendu le 10 mars 2020 par la cour d'appel de Dijon (1re chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à M. [V] [X], domicilié [Adresse 3],

2°/ à la société Develet Frères, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],

3°/ à la société SPA Edilfibro, dont le siège est [Adresse 4] (Italie), société de droit italien,

défendeurs à la cassation.

La société Edilfibro SPA a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi principal, invoque, à l'appui se son recours, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

La demanderesse au pourvoi incident, invoque, à l'appui se son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Zedda, conseiller référendaire, les observations de la SCP Foussard et Froger, avocat de la société BMRA Point-P, de la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat de la société SPA Edilfibro, de la SCP Ohl et Vexliard, avocat de la société Develet Frères, et l'avis de M. Brun, avocat général, après débats en l'audience publique du 11 janvier 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Zedda, conseiller référendaire rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, M. Nivôse, Mmes Farrenq-Nési, Greff-Bohnert, MM. Jacques, Boyer, Mmes Abgrall, Grandjean, conseillers, Mmes Djikpa, Brun, conseillers référendaires, M. Brun, avocat général, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Dijon, 10 mars 2020), en 2004, M. [X] a confié à la société Develet Frères (la société Develet) la construction d'un bâtiment à usage de stabulation.

2. Les plaques de fibres-ciment composant la couverture ont été vendues à la société Develet par la société Dubois matériaux, aux droits de laquelle vient la société BMRA Point P (la société BMRA), qui les avaient acquises auprès de leur fabricant, la société de droit italien Edilfibro SPA (la société Edilfibro).

3. Les travaux ont été exécutés en 2004.

4. Se plaignant de désordres affectant les plaques de fibres-ciment, M. [X] a assigné la société Develet en référé en 2014, puis au fond en 2016.

5. La société Develet a appelé en garantie les sociétés BMRA et Edilfibro.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal et sur le moyen du pourvoi incident, réunis

Enoncé des moyens

6. Par son premier moyen, la société BMRA fait grief à l'arrêt d'écarter la prescription qu'elle opposait à l'action en garantie de la société Develet et de la condamner à garantir intégralement celle-ci des condamnations prononcées à son encontre, alors « que l'acquéreur d'un bien n'est pas recevable à agir contre le vendeur commerçant sur le fondement de la garantie des vices cachés, après l'expiration du délai de prescription prévu à l'article L. 110-4 du code de commerce, lequel court à compter de la vente ; qu'au cas d'espèce, la société BMRA Point P soutenait que l'action en garantie de la société Develet Frères sur le fondement des vices cachés était prescrite dès lors qu'elle avait été intentée le 22 décembre 2014, plus de dix après la vente intervenue le 22 octobre 2004, soit en dehors du délai prévu par l'article L. 110-4 du code de commerce ; qu'en retenant, pour dire l'action en garantie de la société Develet Frères non prescrite, que le cours de la prescription de l'article L. 110-4 du code de commerce était suspendu jusqu'à ce que sa responsabilité ait été recherchée par M. [X], les juges du fond ont violé les articles L. 110-4 du code de commerce et 1648 du code civil. »

7. Par son moyen, la société Edilfibro fait grief à l'arrêt de condamner la société BMRA à garantir intégralement la société Develet des condamnations prononcées à son encontre, alors « que l'action en garantie des vices cachés prévue à l'article 1648 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2005-136 du 17 février 2005, qui doit être exercée dans un bref délai à compter de la découverte du vice, est aussi enfermée dans le délai de prescription fixé par l'article L. 110-4 du code de commerce, lequel, d'une durée de dix ans ramenée à cinq ans par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, court à compter de la vente initiale ; que la société Edilfibro, pour voir déclarer sans objet d'action en garantie de la société BMRA Point P à son encontre, invoquait l'irrecevabilité de l'action en garantie exercée par la société Develet Frères contre la société BMRA Point P compte tenu de ce que la vente litigieuse avait été conclue entre ces deux parties le 22 octobre 2004, qu'elle était prescrite en application de l'article L. 110-4 du code de commerce à compter du 19 juin 2013 et que l'action a été engagée tardivement le 22 décembre 2014 ; qu'en écartant ce moyen après avoir affirmé que le cours de la prescription de l'article L. 110-4 du code de commerce était suspendu jusqu'à ce que la responsabilité de la société BMRA Point P ait été recherchée par le maître de l'ouvrage, la cour d'appel a violé les articles L. 110-4 du code de commerce et 1648 du code civil. »

Réponse de la Cour

8. Selon l'article 2270, devenu 1792-4-1, du code civil, toute personne physique ou morale dont la responsabilité peut être engagée en vertu de l'article 1792 du même code n'est déchargée des responsabilités et garanties pesant sur elle en application de ce texte que dix ans après la réception des travaux.

9. Il était également jugé que l'action en responsabilité contractuelle de droit commun pour les vices intermédiaires, fondée sur l'article 1147, devenu 1231-1, du code civil, devait s'exercer dans le même délai (3e Civ., 26 octobre 2005, pourvoi n° 04-15.419, Bull. 2005, III, n° 202), comme en dispose désormais l'article 1792-4-3 du code civil, issu de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008.

10. D'une manière plus générale, les vices affectant les matériaux ou les éléments d'équipement mis en œuvre par un constructeur ne constituent pas une cause susceptible de l'exonérer de la responsabilité qu'il encourt à l'égard du maître de l'ouvrage, quel que soit le fondement de cette responsabilité.

11. Sauf à porter une atteinte disproportionnée au droit d'accès au juge, le constructeur dont la responsabilité est ainsi retenue en raison des vices affectant les matériaux qu'il a mis en oeuvre pour la réalisation de l'ouvrage, doit pouvoir exercer une action récursoire contre son vendeur sur le fondement de la garantie des vices cachés sans voir son action enfermée dans un délai de prescription courant à compter de la vente initiale.

12. Il s'ensuit que, l'entrepreneur ne pouvant pas agir contre le vendeur et le fabricant avant d'avoir été lui même assigné par le maître de l'ouvrage, le point de départ du délai qui lui est imparti par l'article 1648, alinéa 1er, du code civil est constitué par la date de sa propre assignation et que le délai de l'article L. 110-4 I du code de commerce, courant à compter de la vente, est suspendu jusqu'à ce que sa responsabilité ait été recherchée par le maître de l'ouvrage.

13. La cour d'appel, qui a relevé que la société Develet avait été assignée par le maître de l'ouvrage le 9 décembre 2014, en a déduit, à bon droit, que l'action récursoire formée contre la société BMRA par acte du 22 décembre 2014 n'était pas prescrite.

14. Les moyens ne sont donc pas fondés.

Mais sur le second moyen, pris en sa seconde branche, du pourvoi principal

Enoncé du moyen

15. La société BMRA fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable pour cause de prescription son action récursoire formée contre la société Edilfibro fondée sur la garantie des vices cachés, alors « que, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en relevant d'office, sans provoquer au préalable les explications des parties, le moyen tiré de la prescription biennale de l'article 1648 du code civil, les juges du fond ont violé l'article 16 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 16, alinéa 3, du code de procédure civile :

16. Selon ce texte, le juge ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations.

17. Pour déclarer irrecevables les demandes de la société BMRA contre la société Edilfibro, l'arrêt retient qu'elles ont été formées plus de deux années après que la société BMRA a été assignée par la société Develet.

18. En statuant ainsi, sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations sur le moyen relevé d'office et tiré de l'expiration du délai de l'article 1648, alinéa 1er, du code civil, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Mise hors de cause

19. Il y a lieu de mettre hors de cause la société Develet, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable pour cause de prescription l'action récursoire formée par la société BMRA Point-P contre la société Edilfibro SPA fondée sur la garantie des vices cachés, l'arrêt rendu le 10 mars 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Dijon ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Dijon, autrement composée ;

Met hors de cause la société Develet Frères ;

Condamne la société Edilfibro SPA aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize février deux mille vingt-deux.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits au pourvoi principal par la SCP Foussard et Froger, avocat aux Conseils, pour la société BMRA Point-P

PREMIER MOYEN DE CASSATION

L'arrêt attaqué, critiqué par la société BMRA POINT P, encourt la censure ;

EN CE QU' il a, confirmant le jugement, et après avoir écarté la prescription que la société BMRA POINT P opposait à l'action en garantie de la société DEVELET FRERES, condamné la société BMRA POINT P à garantir intégralement la société DEVELET FRERES des condamnations prononcées à son encontre tant en principal qu'au titre des frais irrépétibles et des dépens dans le cadre de la présente instance ;

ALORS QUE, l'acquéreur d'un bien n'est pas recevable à agir contre le vendeur commerçant sur le fondement de la garantie des vices cachés, après l'expiration du délai de prescription prévu à l'article L. 110-4 du code de commerce, lequel court à compter de la vente ; qu'au cas d'espèce, la société BMRA POINT P soutenait que l'action en garantie de la société DEVELET FRERES sur le fondement des vices cachés était prescrite dès lors qu'elle avait été intentée le 22 décembre 2014, plus de dix après la vente intervenue le 22 octobre 2004, soit en dehors du délai prévu par l'article L. 110-4 du code de commerce ; qu'en retenant, pour dire l'action en garantie de la société DEVELET FRERES non prescrite, que le cours de la prescription de l'article L. 110-4 du code de commerce était suspendu jusqu'à ce que sa responsabilité ait été recherchée par M. [X], les juges du fond ont violé les articles L. 110-4 du code de commerce et 1648 du code civil.

SECOND MOYEN DE CASSATION

L'arrêt attaqué, critiqué par la société BMRA POINT P, encourt la censure ;

EN CE QU'il a, infirmant le jugement, déclaré irrecevable pour cause de prescription l'action récursoire formée par la société BMRA POINT P contre la société EDILFIBRO fondée sur la garantie des vices cachés ;

ALORS QUE, premièrement, le juge ne peut méconnaître les termes du litige, tels que fixés par les écritures des parties ; qu'en opposant à la société BMRA POINT P le délai de prescription biennale de l'article 1648 du code civil, quand, aux termes de ses conclusions d'appel (pp. 6-7), la société EDILFIBRO se bornait à soutenir que sa garantie ne pouvait être recherchée plus de dix ans après la livraison des marchandises, les juges du fond ont violé l'article 4 du code de procédure civile ;

ALORS QUE, deuxièmement, et en tout état, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en relevant d'office, sans provoquer au préalable les explications des parties, le moyen tiré de la prescription biennale de l'article 1648 du code civil, les juges du fond ont violé l'article 16 du code de procédure civile.


Moyen produit au pourvoi incident par la SARL Meier-Bourdeau, Lécuyer et associés, avocat aux Conseils, pour la société SPA Edilfibro

Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué de condamner la société BMRA Point P à garantir intégralement la société Develet Frères des condamnations prononcées à son encontre, alors que l'action en garantie des vices cachés prévue à l'article 1648 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2005-136 du 17 février 2005, qui doit être exercée dans un bref délai à compter de la découverte du vice, est aussi enfermée dans le délai de prescription fixé par l'article L. 110-4 du code de commerce, lequel, d'une durée de dix ans ramenée à cinq ans par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, court à compter de la vente initiale ; que la société Edilfibro, pour voir déclarer sans objet d'action en garantie de la société BMRA Point P à son encontre, invoquait l'irrecevabilité de l'action en garantie exercée par la société Develet Frères contre la société BMRA Point P compte tenu de ce que la vente litigieuse avait été conclue entre ces deux parties le 22 octobre 2004, qu'elle était prescrite en application de l'article L. 110-4 du code de commerce à compter du 19 juin 2013 et que l'action a été engagée tardivement le 22 décembre 2014 ; qu'en écartant ce moyen après avoir affirmé que le cours de la prescription de l'article L. 110-4 du code de commerce était suspendu jusqu'à ce que la responsabilité de la société BMRA Point P ait été recherchée par le maître de l'ouvrage, la cour d'appel a violé les articles L. 110-4 du code de commerce et 1648 du code civil.

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