9 février 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 20-18.544

Première chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2022:C100131

Titres et sommaires

SUCCESSION - Rapport - Dispense - Limite - Assurance-vie - Primes manifestement exagérées - Primes versées sur un contrat d'assurance sur la vie racheté par son souscripteur - Application (non)

Les dispositions de l'article L. 132-13 du code des assurances, dont il résulte que les primes manifestement exagérées réglées par le souscripteur d'un contrat d'assurance sur la vie sont soumises à la règle du rapport à succession et à celle de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant, ne s'appliquent pas aux primes versées sur un contrat d'assurance sur la vie racheté par son souscripteur

ASSURANCE DE PERSONNES - Assurance vie - Décès - Décès du souscripteur - Sommes dispensées de rapport à la succession - Limite - Primes manifestement exagérées - Primes versées sur un contrat d'assurance sur la vie racheté par son souscripteur - Application (non)

Texte de la décision

CIV. 1

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 9 février 2022




Rejet


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 131 F-P+B

Pourvoi n° V 20-18.544




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 9 FÉVRIER 2022

Mme [K] [X], épouse [B], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° V 20-18.544 contre l'arrêt rendu le 26 mai 2020 par la cour d'appel de Versailles (1re chambre,1re section), dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme [L] [I], épouse [J], domiciliée [Adresse 2], prise en qualité d'héritière de [C] [I], veuve [X], elle-même héritière de [G] [X],

2°/ à [H] [I], veuve [N], ayant été domiciliée [Adresse 5], décédée en cours d'instance,

3°/ à Mme [T] [N], domiciliée [Adresse 3],

4°/ à Mme [U] [N], épouse [P], domiciliée [Adresse 4],

toutes deux prises en qualité d'héritières de [H] [I], veuve [N],

défenderesses à la cassation.


La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Vigneau, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de Mme [X], de la SARL Delvolvé et Trichet, avocat de Mme [I] et Mmes [N], après débats en l'audience publique du 14 décembre 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, M. Vigneau, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen et Mme Berthomier, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Reprise d'instance

1. Il est donné acte à Mmes [T] et [U] [N] de leur reprise d'instance en qualité d'héritières de [H] [I], décédée le 19 mai 2021.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 26 mai 2020), [G] [X] est décédé le 15 décembre 2012, en laissant pour lui succéder son épouse, [C] [I], et sa fille issue d'une précédente union, Mme [K] [X]. [C] [I] est décédée le 25 novembre 2013, en laissant pour lui succéder ses deux soeurs, [H] et [L].

3. Des difficultés se sont élevées à l'occasion du partage de la succession de [G] [X].

Examen des moyens

Sur le premier moyen et le second moyen, pris en sa troisième branche, ci-après annexés


4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le second moyen, pris en ses deux premières branches

Enoncé du moyen

5. Mme [X] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande au titre des assurances sur la vie, tendant à voir ordonner que la somme de 376 508,10 euros et les sommes versées par la Caisse nationale de prévoyance soient réintégrées dans la succession de [G] [X], et de sa demande au titre du recel successoral, alors :

« 1°/ que les règles du rapport à succession et celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers ne s'appliquent pas aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n'aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés ; que les primes manifestement exagérées eu égard aux facultés du souscripteur sont sujets à rapport et à réduction pour atteinte à la réserve, quand bien-même le contrat d'assurance vie aurait été racheté par le souscripteur, dès lors que le produit de ce rachat a été réinvesti dans un autre contrat d'assurance vie ; qu'en l'espèce, Mme [B] invoquait le caractère exagéré de 11 versements exceptionnels de primes sur des contrats d'assurance vie soit 5 784,05 euros le 10 décembre 1985, 2 884,40 euros le 28 août 1987, 23 181,94 euros le 10 mars 1989, 15 244,90 euros le 20 décembre 1992, 3 048,48 euros le 30 juin 1993, 30 508,10 euros le 27 septembre 1994, 5 335,72 euros le 23 mai 1995, 19 056,13 euros le 6 novembre 1996, 15 244,90 euros le 17 décembre 1997, 160 000 euros le 14 février 2006 et 30 000 euros le 15 mai 2008 ; qu'en énonçant que le contrat Projectis et partant les primes versées sur ce contrat entre 1985 et 2006 n'auraient pas à entrer en ligne de compte puisque ce contrat a été racheté par M. [X] le 8 février 2006, tout en constatant que les sommes rachetées avaient été réinvesties dans un nouveau contrat d'assurance vie dont Mme [I]-[X] était bénéficiaire, ce dont il résulte que les primes versées sur le contrat Projectis depuis 1985 étaient bien sujets à rapport et à réduction dès lors qu'ils étaient exagérés eu égard aux facultés de M. [X], ce qu'il lui appartenait de vérifier, la cour d'appel a violé l'article L. 132-13 du code des assurances ;

2°/ que les règles du rapport à succession et celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers ne s'appliquent pas aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n'aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés ; qu'un tel caractère s'apprécie au moment du versement, au regard de l'âge ainsi que des situations patrimoniale et familiale du souscripteur ; qu'en se bornant à énoncer que le versement de 160 000 euros sur le contrat Top croissance en 2006 correspond à hauteur de la moitié à une modification de support, que les versements n'ont pas retiré aux contrats d'assurance vie leur aléa, que l'utilité des placements ne pourrait être contestée, que M. [X] n'avait pas de charge particulière et n'avait pas de frais pour se loger, que les relevés bancaires postérieurs aux versements montrent qu'il n'avait pas de problème financier, qu'il a laissé 84 689,10 euros à son décès, et par adoption des motifs du jugement que rapporté au nombre d'années de mariage la moyenne mensuelle des versement ne serait pas exagérée, sans avoir égard à la situation notamment patrimoniale de M. [X] au moment de chacun des versements litigieux réalisés entre 1985 et 2006, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 132-13 du code des assurances.»

Réponse de la Cour

6. L'article L. 132-13 du code des assurances dispose :

« Le capital ou la rente payables au décès du contractant à un bénéficiaire déterminé ne sont soumis ni aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant. Ces règles ne s'appliquent pas non plus aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n'aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés. »

7. Ce texte ne s'applique pas aux primes versées sur un contrat d'assurance sur la vie racheté par son souscripteur.

8. Ayant souverainement estimé que le versement de la somme de 160 000 euros le 14 février 2006 sur le contrat d'assurance sur la vie Top croissance ne présentait pas un caractère manifestement exagéré eu égard à l'âge du souscripteur, à sa situation patrimoniale et familiale et à l'utilité que revêtait pour lui l'opération, la cour d'appel, qui a exactement retenu qu'elle n'avait pas à vérifier si les primes versées sur le contrat Projectis, racheté le 8 février précédent, présentaient un caractère manifestement exagéré, a légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne Mme [X] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [X] et la condamne à payer à Mme [I] et à Mmes [N] la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du neuf février deux mille vingt-deux.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour Mme [X]

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Mme [K] [B] fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir déboutée de sa demande tendant à voir juger que Mme [I]-[X] a bénéficié de donations déguisées pour acquérir les trois biens immobiliers constituant son patrimoine immobilier, à voir ordonner que ces biens ou leurs prix de vente soient réintégrés dans la succession de [G] [X] et de sa demande au titre du recel successoral ;

1°- ALORS QUE les héritiers réservataires sont admis à faire la preuve d'une donation déguisée de nature à porter atteinte à leur réserve par tous moyens et même à l'aide de présomptions ; qu'en se fondant pour écarter la preuve des donations déguisées invoquées par Mme [B], sur l'absence « d'indice matériel » de ce que M. [X] avait financé les biens immobiliers litigieux acquis par Mme [I]-[X], la Cour d'appel a violé les articles 920 et 931 du Code civil ;

2°- ALORS QUE les héritiers réservataires sont admis à faire la preuve d'une donation déguisée de nature à porter atteinte à leur réserve par tous moyens et même à l'aide de présomptions ; que la présomption qui consiste à établir la réalité d'un fait inconnu à partir de faits connus n'a pas à être nécessairement contemporaine des acquisitions constitutives de donations déguisées ; qu'en exigeant une preuve par des présomptions contemporaines de ces acquisitions, la Cour d'appel a violé les articles 920, 931 et 1382 du code civil ;

3°- ALORS QU'en écartant la preuve d'un appauvrissement de l'époux de nature à démontrer l'existence de donations déguisées tout en constatant que le patrimoine de Mme [I]-[X] était constitué de trois immeubles acquis durant le mariage, tandis que M. [X] n'a laissé à son décès aucun patrimoine immobilier mais seulement un modeste capital, ce dont il résulte que les acquisitions litigieuses avaient enrichi le patrimoine de l'épouse au détriment de celui de l'époux, sans contrepartie pour ce dernier, la Cour d'appel n'a pas tiré les conséquences de ses constatations au regard des articles 920 et 931 du Code civil qu'elle a violé ;

4°- ALORS QUE les microfiches de salaires de M. [X] versées aux débats en pièce n° 46 par Mme [B] comportent bien les salaires de 1972 de ce dernier en page 10 ; qu'en énonçant qu'il ne serait pas justifié des ressources de [G] [X] contemporaines des acquisitions litigieuses et que les microfiches de ses salaires (pièce n°46) ne comporterait pas ses salaires de 1972, la Cour d'appel a dénaturé cette pièce en violation du principe selon lequel le juge a l'obligation de ne pas dénaturer les écrits qui lui sont soumis ;

5°- ALORS QUE pour démontrer que Mme [I]-[X] ne pouvait financer le prix d'acquisition du domicile conjugal de [Localité 6], payé comptant à hauteur de 488.000 F en octobre 1982, et que c'est M. [X] qui avait financé ce bien, Mme [B] faisait valoir (conclusions p. 32) que cette somme de 488.000 F représente un taux d'épargne de 75% du salaire de Mme [I]-[X] pendant dix ans sans que cette dernière puisse participer aux charges usuelles du ménage puisque durant la période de novembre 1972 à octobre 1982, les salaires perçus par Mme [I]-[X] représentent la somme de 665.597,03 F dont il faut déduire 10% au titre de l'impôt sur le revenu ainsi que la moitié du loyer du domicile conjugal payé sur ces 131 mois soit 51.090 F pour un loyer constant, de sorte qu'il reste 547.947 F seulement sur ces salaires ; qu'en se bornant à énoncer qu'à la date d'acquisition de cet immeuble le 28 octobre 1982 les revenus de Mme [I]-[X] ne sont pas connus, que Mme [I]-[X] a disposé de revenus professionnels tout au long de son mariage, et a toujours travaillé avant qu'en 1986 elle ne prenne une retraite anticipée, sans rechercher ainsi qu'elle y était invitée, si les revenus perçus sur la période antérieure à la date d'acquisition du bien par Mme [I]-[X] n'étaient pas manifestement insuffisants pour lui permettre d'épargner afin de financer la somme de 488.00 F payée comptant en 1982, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 920 et 931 du Code civil.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Mme [K] [B] fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir déboutée de sa demande au titre des assurances vies, tendant à voir ordonner que la somme de 376.508,10 euros et les sommes versées par la CNP soit réintégrées dans la succession de M. [X] et de sa demande au titre du recel successoral ;

1°- ALORS QUE les règles du rapport à succession et celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers ne s'appliquent pas aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n'aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés ; que les primes manifestement exagérées eu égard aux facultés du souscripteur sont sujets à rapport et à réduction pour atteinte à la réserve, quand bien-même le contrat d'assurance vie aurait été racheté par le souscripteur, dès lors que le produit de ce rachat a été réinvesti dans un autre contrat d'assurance vie ; qu'en l'espèce, Mme [B] invoquait le caractère exagéré de 11 versements exceptionnels de primes sur des contrats d'assurance vie soit 5.784,05 euros le 10 décembre 1985, 2.884,40 euros le 28 août 1987, 23.181,94 euros le 10 mars 1989, 15.244,90 euros le 20 décembre 1992, 3.048,48 euros le 30 juin 1993, 30.508,10 euros le 27 septembre 1994, 5335,72 euros le 23 mai 1995, 19.056,13 euros le 6 novembre 1996, 15.244,90 euros le 17 décembre 1997, 160.000 euros le 14 février 2006 et 30.000 euros le 15 mai 2008 ; qu'en énonçant que le contrat Projectis et partant les primes versées sur ce contrat entre 1985 et 2006 n'auraient pas à entrer en ligne de compte puisque ce contrat a été racheté par M. [X] le 8 février 2006, tout en constatant que les sommes rachetées avaient été réinvesties dans un nouveau contrat d'assurance vie dont Mme [I]-[X] était bénéficiaire, ce dont il résulte que les primes versées sur le contrat Projectis depuis 1985 étaient bien sujets à rapport et à réduction dès lors qu'ils étaient exagérés eu égard aux facultés de M. [X], ce qu'il lui appartenait de vérifier, la Cour d'appel a violé l'article L 132-13 du code des assurances ;

2°- ALORS QUE les règles du rapport à succession et celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers ne s'appliquent pas aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n'aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés ; qu'un tel caractère s'apprécie au moment du versement, au regard de l'âge ainsi que des situations patrimoniale et familiale du souscripteur ; qu'en se bornant à énoncer que le versement de 160.000 euros sur le contrat Top croissance en 2006 correspond à hauteur de la moitié à une modification de support, que les versements n'ont pas retiré aux contrats d'assurance vie leur aléa, que l'utilité des placements ne pourrait être contestée, que M. [X] n'avait pas de charge particulière et n'avait pas de frais pour se loger, que les relevés bancaires postérieurs aux versements montrent qu'il n'avait pas de problème financier, qu'il a laissé 84.689,10 euros à son décès, et par adoption des motifs du jugement que rapporté au nombre d'années de mariage la moyenne mensuelle des versement ne serait pas exagérée, sans avoir égard à la situation notamment patrimoniale de M. [X] au moment de chacun des versements litigieux réalisés entre 1985 et 2006, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L 132-13 du code des assurances ;

3°- ALORS QU'en se bornant à constater l'utilité des assurances vies pour M. [X], sans rechercher ainsi qu'elle y était invitée si les circonstances dans lesquelles M. [X] avait versé les sommes de 160.000 euros puis de 30.000 euros sur une assurance-vie en 2006 puis en 2008 quelques jours avant une intervention chirurgicale et un traitement pénible, alors qu'il était âgé de 83 puis de 85 ans, que sa santé était précaire, ne révélaient pas la volonté du souscripteur de se dépouiller de manière irrévocable, induisant la requalification des assurances vies en donations indirectes rapportables à la succession, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L 132-13 du Code des assurances et 931 du Code civil.

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